Mon Amour, Mon Espoir

Le 2 mars 1975

Viêt Nam


Mon Amour,


      Peut-être que cette lettre te paraîtra inappropriée ou bien déplacée, et tu aurais tout à fait raison de penser cela. Parce qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de dire au revoir aux personnes que l'on aime. C'est impossible. La douleur est trop intense, trop profonde, et les mauvais souvenirs qui affluent ramènent avec eux des émotions qui nous tiraillent le cœur. Pourtant, je me dois de le faire. Je ne peux pas plonger dans les abysses qui m'attendent à bras ouverts sans te dire ne serait-ce à quel point je t'aime.

      Nos troupes s'apprêtent à passer à l'offensive. La fin de cette foutue guerre est proche. Je devrais être heureux que ce cauchemar ne soit bientôt qu'un horrible souvenir, mais je ne me suis jamais senti aussi incertain et anxieux.

     Je me suis souvent posé des questions futiles, mais l'une d'entre elles me paraît maintenant beaucoup plus importante, et surtout, plus lourde à porter. Que se passe-t-il après la mort ? Est-ce qu'on peut entendre et voir ? Est-ce que l'on passe les portes du Paradis ou de l'Enfer ? Ou bien, la vie est-elle aussi cruelle pour s'arrêter ici, sans que nous puissions avoir une seconde chance ?

      Peu importe la réponse, je sais que ce n'est pas un adieu. Juste un au revoir. Parce qu'une vie sans que l'on puisse à nouveau vivre pleinement notre amour n'est pas concevable. Et que je sais, au fond de mes entrailles, que ce n'est pas parce que nous allons aujourd'hui nous éloigner l'un de l'autre, malgré nos durs combats, que la guerre que nous vivons tous les jours emportera notre amour.

     Je pars aujourd'hui sans avoir le temps de te serrer une dernière fois dans mes bras, mais je t'imagine près de moi, à essayer de lire par-dessus mon épaule le papier que je noircis de ma plume. J'entends ta belle et douce voix me dire que je travaille trop et je sens tes mains qui se posent sur les miennes pour que j'arrête mon activité. J'ai l'impression de pouvoir sentir ton odeur enivrante de fruit de la passion qui chatouille mes narines avec délice. Je me plonge dans tes magnifiques yeux émeraude et je m'émerveille devant la tendresse qui scintille au fond de tes iris. Bien que ces images qui défilent dans mon esprit ne soient que des souvenirs, je m'en contente et profite de ce que je peux tirer de ces instants magiques.

      La guerre peut paraître effrayante tant la rage et la violence habitent chaque parcelle du corps et de l'âme des combattants, mais tu ne dois pas avoir peur, jamais. Tu dois rester forte et courageuse en toute circonstance. Et surtout, garde espoir ! Je te le dis avec une certitude qui ne m'avait jamais possédée auparavant tant j'en suis convaincu : nous allons gagner. Ils se retirent petit à petit et la victoire n'est plus qu'une question de temps, je le sens. Elle nous tend les bras au loin et n'attend plus que nous nous relevions pour courir jusqu'à elle et brandir le drapeau symbolisant la liberté. Et lorsque ce jour arrivera, souviens-toi de moi. Souviens-toi de tous ceux qui ont donné leur vie, qui se sont battus pour un monde meilleur où vous vivrez heureux et où vous pourrez vous épanouir en paix. Rappelle-toi que nous n'avons pas rejoint le monde de l'au-delà pour rien. Raconte à cette petite graine qui grandit en toi et à tous ceux qui seront prêts à l'entendre ce que ce pays était avant, puis ce qu'il est devenu grâce à tous les sacrifices qui ont été faits.

      Oui, quand toute cette histoire sera terminée, partage ce récit et transmet-le afin que, de génération en génération, personne n'oublie les disparus et le sang qui a été versé. Ainsi, je saurais que tous les efforts de chacun n'auront pas été vain.

      Quoiqu'il arrive, souris à la vie. Ton sourire est la plus belle chose qu'il m'a été permis de voir, du haut de mes vingt-et-un ans, et il serait dommage de priver le monde d'une beauté aussi éclatante. Épanouis-toi. Reste toujours soudée avec ta mère, et soutenez-vous. Même si vous avez parfois du mal à mettre vos différends de côté, avoir un soutien lors d'une telle période est un précieux cadeau, et à défaut de pouvoir être cette personne, j'aimerais que tu restes en bons termes avec celle qui t'a courageusement mis au monde. Ne fais pas les mêmes erreurs que celles que j'ai commises il y a quelques années de cela. Protège-toi et protège le petit Homme qui vit à l'intérieur de ton ventre. Il doit sûrement être bien développé à présent, depuis le temps, mais ce ventre arrondi n'atteindra jamais ta beauté pure et naturelle, alors ne te fais pas de souci pour cela.

    Enfin, par-dessus tout, aime ! C'est le seul conseil que je peux te donner. Aime notre enfant, le fruit de notre amour, la chair de notre chair. De cette façon, vous pourrez surmonter toutes les épreuves qui se dresseront devant vous, telle une barrière qui vous empêcherait d'avancer, et rien ne pourra vous atteindre. Et si c'est qui te rend heureuse, aime à nouveau comme tu m'as aimé. Passionnément. Amoureusement. Je ne pourrais jamais m'opposer à ce qui peut faire ton bonheur. S'il existe, cet homme aura bien de la chance de pouvoir voir cette lueur qui brillait dans tes yeux quand tu me disais à quel point tu m'aimais.

      La seule chose que je te demande, c'est de ne pas m'oublier. Je serai toujours dans ton cœur, près de toi. Et peut-être qu'un jour, nous serons réunis, qui sait ? Mais l'heure n'est pas encore venue pour toi. Vis ta vie et élève notre bébé. Et moi, de là où je serais, je vous protègerai sous mes ailes de père et de mari. Je t'attendrai, sois en sûre. Tu es et resteras toujours mon seul et unique amour, ma bien-aimée, ma douce Mirella.

      Prends soin de toi.

      Je t'aime,

Alaric

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