Chapitre 9
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand je me réveillai. Alastor était, comme d'habitude, assis dans son fauteuil. C'était devenu une routine, une étrange danse quotidienne entre nous. Il ne dormait jamais, du moins pas dans le sens où je l'entendais. Sa présence était constante, omniprésente, comme une ombre qui refusait de s'éclipser.
Je me levai doucement, m'étirant après une nuit agitée. Il ne bougeait pas, mais je savais qu'il me regardait, même si ses yeux étaient rivés sur un vieux livre qu'il avait trouvé je ne sais où. En réalité, il m'observait toujours, d'une manière ou d'une autre. Ses yeux rouges, perçants, étaient devenus une partie de ma routine, tout comme le son distant de ses talons résonnant sur le sol lorsque je le surprenais en train de se déplacer dans la maison.
Je me dirigeai vers la cuisine, préparant un petit-déjeuner simple — du thé pour moi, et un café noir pour Alastor. J'avais remarqué qu'il avait commencé à boire du café de temps en temps, un comportement presque humain qui me surprenait encore.Je ne savais pas vraiment pourquoi je lui faisais du café. Après tout, il était un démon, et la première fois que je l'avais fait, il m'avait regardée avec une expression mêlée de surprise et de mépris. Mais étrangement, il avait fini par accepter.
Je m'installai à la petite table, posant la tasse de café devant la place qu'Alastor occupait parfois. Il n'avait jamais vraiment exprimé de remerciements pour ce geste, mais je savais qu'il appréciait, d'une manière ou d'une autre. D'ailleurs, ce matin encore, il m'observait avec cette lueur d'étonnement dans les yeux, comme s'il ne comprenait toujours pas pourquoi je faisais ça.
— Vous êtes décidément pleine de surprises, Mademoiselle Moreau, dit-il en s'approchant de la table, son sourire en coin plus large que d'habitude. Préparer du café pour un démon... Cela doit être un spectacle rare.
Il s'assit, attrapant la tasse entre ses doigts fins, l'examinant comme s'il y trouvait un mystère insoluble. Il porta la tasse à ses lèvres, prenant une gorgée avec une lenteur calculée. Je savais que chaque geste était réfléchi avec lui, même dans ce qui semblait être le plus banal des moments.
— Toujours aussi disciplinée, reprit-il, sa voix traînante brisant le silence qui pesait dans la cuisine. Vous commencez vraiment à me surprendre, à continuer ainsi comme si tout cela était normal.
Je baissai les yeux, me concentrant sur mes tartines.
— Je suppose que j'ai pris l'habitude, répliquai-je finalement, haussant les épaules, essayant de paraître indifférente.
En réalité, rien dans cette situation n'avait jamais été normal. Vivre avec un démon qui voulait mon âme aurait dû être suffisant pour me rendre folle. Et pourtant, avec le temps, cette peur viscérale s'était transformée en une étrange routine. J'avais appris à supporter sa présence, à naviguer dans cette relation tordue qui nous liait.
Je continuais de siroter mon thé, le regard tourné vers la fenêtre, alors qu'Alastor restait immobile dans son fauteuil, observant la pièce comme s'il cherchait à s'imprégner de chaque détail. Le silence entre nous s'était installé naturellement, mais une question me trottait dans la tête depuis un certain temps. Une question que je n'avais jamais osé poser jusqu'à aujourd'hui.
Je tournai lentement la tête vers lui, le regardant de biais avant de finalement briser le silence.
— Pourquoi ne retournez-vous pas... en enfer ? demandai-je doucement, presque hésitante.
Je m'attendais à une réponse acerbe, une remarque cinglante, mais il resta silencieux, le sourire figé sur son visage semblant vaciller légèrement. Alastor, d'ordinaire si prompt à répondre, garda le silence. Ce simple fait me surprit plus que je ne l'aurais cru. Il se contenta de détourner le regard, fixant un point dans le vide, comme s'il cherchait quelque chose d'invisible.
Un moment passa, et je le vis doucement toucher l'une de ses plaies, celle qui striait encore son torse malgré ses pouvoirs. Il effleura la cicatrice avec une lenteur presque calculée, mais son sourire se crispa un peu plus. Pour la première fois, il semblait... vulnérable ? Non, peut-être simplement frustré. Comme si cette question touchait un point sensible que je n'avais pas encore saisi.
Il ne répondit toujours pas. Ses doigts traînaient sur sa blessure, traçant les contours de cette plaie qui semblait le tourmenter. Pourtant, il n'ajouta rien. C'était comme si mon questionnement avait ouvert une porte qu'il refusait de franchir, une porte derrière laquelle se trouvaient des réponses que je ne saurais jamais.
— Vous savez... mes parents risquent de rentrer un jour. Comment vais-je leur expliquer qu'un démon vit à la maison ? tentai-je, avec une pointe d'ironie pour alléger l'atmosphère.
À ces mots, Alastor grimaça. Non pas à cause de ma remarque, mais de la douleur qui émanait de sa blessure. Son sourire figé s'effaça brièvement alors qu'il serrait les dents. Je ne savais pas si c'était la douleur physique ou l'idée d'être découvert qui le dérangeait le plus. Mais soudain, il releva la tête, ses yeux brûlant de leur éclat rouge habituel.
— Ma présence vous dérange-t-elle, Mademoiselle Moreau ? demanda-t-il, sa voix plus basse, teintée d'une nuance de défi.
Je me figeai un instant, puis baissai les yeux sur la tasse de café encore à moitié pleine qu'il tenait entre ses mains. Mon visage devint brûlant, et je sentis une vague de gêne m'envahir. Pourquoi rougissais-je à ce moment précis ? Peut-être parce que, malgré tout, j'avais instauré une routine étrange avec lui, où je préparais son café chaque matin. Cela ne ressemblait en rien à une relation normale, mais... il faisait désormais partie de ma vie, d'une manière tordue.
— Je n'ai pas dit cela... répondis-je doucement, incapable de soutenir son regard plus longtemps.
Après le petit-déjeuner, je me levai pour m'atteler aux tâches ménagères. Les vacances étaient là, et malgré la présence d'Alastor, je m'efforçais de garder une certaine normalité dans mon quotidien. Je m'occupais de la maison, comme si tout était sous contrôle, mais l'ombre de ses blessures ne quittait pas mes pensées. Alors que je balayais le sol, mon esprit revenait toujours à l'image de ses plaies mal cicatrisées, et je décidai finalement de m'en occuper.
— Je vais changer vos bandages, Alastor, dis-je d'un ton ferme, sachant que je devais insister.
Il refusa immédiatement, se redressant dans son fauteuil avec ce sourire désinvolte.
— Non, ce n'est pas nécessaire, répliqua-t-il, sa voix teintée d'agacement.
Je ne me laissai pas décourager. Je connaissais désormais assez bien ses habitudes pour savoir que lorsqu'il refusait quelque chose, c'était souvent par orgueil ou par fierté mal placée. Mais je pouvais aussi voir la douleur qui l'habitait. Cette fois, je ne comptais pas céder.
— Si vous refusez, vos blessures risquent de s'aggraver, murmurai-je, les sourcils froncés, mon ton plus ferme que je ne l'aurais imaginé.
Alastor me dévisagea, un mélange de contrariété et de défi dans ses yeux rouges flamboyants. Je savais qu'il détestait qu'on le traite comme un être fragile, et encore plus qu'on insiste pour s'occuper de lui. Pourtant, il sentait que je ne céderais pas cette fois. Après un bref moment de silence, il laissa échapper un soupir, lourd de frustration, mais qui signifiait aussi sa capitulation.
— Très bien... faites ce que vous avez à faire, grogna-t-il en détournant le regard, comme pour cacher son agacement.
Je l'aidai à s'asseoir sur une chaise, le guidant sans dire un mot de plus. Malgré son air désinvolte, je pouvais percevoir la tension dans son corps, la douleur qu'il essayait de dissimuler derrière son habituel masque de fierté. Je préparai rapidement le nécessaire pour changer ses bandages, sentant mon cœur s'alourdir à l'idée de ce que j'allais découvrir en dessous. Les jours précédents, il avait refusé toute aide, prétendant que ses plaies guériraient seules, mais au fond, je savais que quelque chose n'allait pas.
Avec des gestes précautionneux, je commençai à retirer les couches de gaze. Mon estomac se noua immédiatement en voyant l'état de ses blessures. Les plaies n'étaient pas seulement encore ouvertes, mais certaines étaient infectées, laissant échapper un liquide jaunâtre qui se mêlait au sang séché. D'autres avaient pris une teinte inquiétante, comme si la chair elle-même peinait à se régénérer. Un frisson glacé me parcourut alors que j'essayais de contenir mon inquiétude.
— Pourquoi ne m'avez-vous rien dit ? soufflai-je, ma voix trahissant l'angoisse qui montait en moi.
Il resta silencieux, les mâchoires serrées, son regard fixé quelque part au loin. Son visage était figé dans une expression de frustration, et je pouvais sentir qu'il luttait pour ne pas réagir à la douleur. Mais je savais qu'il souffrait. Ces blessures, même pour un démon comme lui, ne pouvaient pas être ignorées.
— Vous êtes insupportable... grogna-t-il soudain, sa voix rauque pleine de colère retenue, lorsque je posai doucement un antiseptique sur l'une des plaies les plus infectées. Il serra les poings, ses muscles tendus sous l'effort de contenir la douleur.
Sa réaction fut immédiate et violente. Un cri de douleur, suivi d'un éclat de rage.
— Faites attention ! rugit-il, sa voix plus grave, son regard brûlant de colère alors que je désinfectais les zones les plus atteintes.
Je fis de mon mieux pour rester calme, mais la tension dans l'air devenait presque insupportable. Chaque fois que je posais mes doigts sur une nouvelle plaie, Alastor réagissait comme un animal blessé, ses yeux étincelants de fureur. Pourtant, il ne bougea pas, se laissant faire malgré ses protestations. Sa fierté refusait de lui permettre de montrer davantage de faiblesse.
— Je fais de mon mieux, mais vous devez me laisser faire si vous voulez guérir, répliquai-je, ma voix ferme mais teintée de douceur. Mon cœur battait plus vite à chaque instant, mais je ne pouvais pas abandonner. Il avait besoin de ces soins, et peu importe combien il protestait, je ne le laisserais pas sombrer dans une auto-destruction aveugle.
Je continuai, mes gestes aussi doux que possible, tout en jetant un coup d'œil à son visage crispé. À chaque nouvelle plaie traitée, il semblait se refermer un peu plus, comme s'il se retranchait dans un cocon d'indifférence pour échapper à la douleur. Ses mains se crispaient sur les accoudoirs de la chaise, et son souffle était irrégulier. Mais il ne disait plus rien, se contentant de supporter en silence.
Quand j'eus fini de désinfecter et de nettoyer les plaies, je pris un instant pour le regarder, mon esprit tourmenté par ce que je venais de voir. Ces blessures n'avaient rien de naturel, et elles ne guérissaient pas comme elles le devraient. Ce n'était pas simplement de la négligence de sa part. Quelque chose d'autre l'empêchait de se régénérer.
— Alastor... si vous voulez vraiment guérir, vous devriez peut-être prendre une douche, changer vos vêtements... manger correctement, dis-je doucement, sachant que mes mots risquaient de l'irriter encore davantage. Ça fait des jours que je ne vous ai pas vu vraiment manger, et je ne vous ai même pas vu vous changer depuis que vous êtes revenu. Vous ne pouvez pas continuer comme ça.
Mon regard se posa sur ses vêtements, froissés, usés, témoins de ces jours passés à ignorer ses propres besoins. Il me regarda, cette fois sans colère, mais avec une sorte de frustration latente, comme s'il détestait l'idée que j'aie raison.
— L'auto-destruction n'est pas une solution, murmurai-je, en enroulant les nouveaux bandages autour de ses plaies avec soin.
Alastor me regarda, ses yeux rouges étincelants d'une colère silencieuse. Ses mains se crispèrent sur les accoudoirs de la chaise, ses lèvres se pinçant dans un rictus de frustration. Je pouvais sentir la tension émaner de lui, comme une chaleur brûlante prête à éclater.
— Je n'ai pas besoin de votre pitié, Mademoiselle Moreau, gronda-t-il, sa voix grave et rauque, teintée d'une fureur à peine contenue.
Je pris une grande inspiration, tentant de garder mon calme face à son éclat soudain. Mon cœur battait à tout rompre, mais je ne pouvais pas le laisser se détruire ainsi. Malgré ses réactions agressives, malgré sa fierté et sa douleur, il devait comprendre que je ne cherchais pas à l'humilier.
— Ce n'est pas de la pitié, Alastor, répliquai-je, ma voix plus ferme que je ne l'aurais cru. C'est de la conscience professionnelle.
Il plissa les yeux, comme s'il essayait de déchiffrer mes mots. Son regard me transperça, et je savais que sa méfiance naturelle l'empêchait de me croire tout de suite. Mais je ne baissai pas les yeux, déterminée à lui faire comprendre que ce n'était pas par faiblesse ou condescendance que je voulais l'aider.
— J'ai passé un temps fou à essayer de soigner ces blessures, continuai-je, tentant de maintenir le contact visuel malgré la pression qu'il exerçait sur moi. Et je ne vais pas vous laisser tout gâcher en quelques minutes parce que vous refusez de prendre soin de vous.
Son sourire revint, mais cette fois, il était amer, comme un masque de dédain qu'il avait adopté pour cacher autre chose. Ses doigts effleurèrent l'un de ses bandages, et je remarquai la grimace de douleur qui traversa brièvement son visage.
— Vous vous souciez encore de moi, malgré tout, dit-il en riant doucement, mais il y avait une pointe de sarcasme dans ses mots. Vous vous souciez du démon qui veut votre âme. C'est fascinant.
Je soupirai, agacée par son obstination à tout tourner en dérision.
— Ce n'est pas une question de m'inquiéter pour vous ou de vous montrer de la compassion, répliquai-je, mon ton plus sec. Vous êtes ici, vous avez besoin d'aide, et je fais ce que je peux pour éviter que vous ne souffriez plus inutilement. C'est aussi simple que ça.
Il resta silencieux un moment, ses yeux me scrutant toujours, cherchant peut-être une faille dans mes mots. Puis, lentement, il se redressa, appuyant ses mains sur les bras de la chaise comme s'il tentait de retrouver un semblant de contrôle.
— Vous êtes vraiment... particulière, murmura-t-il, cette fois d'une voix plus basse, presque contemplative.
Ses yeux perdirent un peu de leur éclat coléreux, comme s'il réfléchissait à quelque chose, et pendant un instant, l'intensité de son regard s'adoucit légèrement. Mais avant que je ne puisse répondre, il laissa échapper un soupir et se leva brusquement de sa chaise.
— Très bien, concéda-t-il enfin d'une voix lasse. Faites ce que vous avez à faire... mais ne vous attendez pas à ce que je vous remercie.
Je le regardai se tenir debout devant moi, toujours aussi fier, toujours aussi réfractaire à montrer la moindre faiblesse. Pourtant, je savais que, malgré ses mots, il acceptait mon aide. Peut-être pas par gratitude, mais par nécessité. C'était un début.
— Je ne le fais pas pour les remerciements, répondis-je simplement, en attrapant les bandages et en me préparant à finir le soin.
Après avoir terminé de changer les bandages d'Alastor, je me redressai lentement, sentant la tension se relâcher légèrement dans mes épaules. Le silence qui régnait entre nous était presque palpable, comme une épaisse couverture pesant sur l'air. Alastor se contentait de m'observer de ses yeux perçants, ses lèvres scellées dans une expression indéchiffrable. Je rangeai le nécessaire médical avant de quitter la pièce, me dirigeant vers le salon avec un soupir discret.
Une fois dans le salon, je me laissai tomber dans le canapé, mon esprit cherchant à se vider de la tension accumulée. Ces soins, cette proximité avec lui, tout cela devenait de plus en plus étrange. Alastor était imprévisible, et même dans ses moments de faiblesse, il restait un mystère insondable.
Je décidai de me distraire un peu et attrapai la télécommande pour allumer la télévision. Mais avant même que je ne puisse appuyer sur un bouton, je jetai un coup d'œil vers la porte du salon. Alastor entra dans la pièce, la démarche toujours élégante, mais cette fois un peu plus tendue. Je vis sa main se poser furtivement sur son flanc, là où l'une de ses plaies semblait le faire souffrir plus que les autres.
Alastor grimaça, un rictus de douleur traversant brièvement son visage alors qu'il effleurait l'une de ses plaies. L'instant sembla durer une éternité. Sans vraiment réfléchir, une vague d'empathie m'envahit et je me levai, cherchant à alléger un peu l'atmosphère lourde qui régnait dans la pièce.
— Si la télévision vous dérange, je peux mettre la radio à la place, dis-je doucement. Ce sera peut-être plus reposant pour vous.
Il me dévisagea un instant, ses yeux rouges se plissant légèrement, comme s'il n'était pas habitué à ce genre de sollicitude. Puis, lentement, il hocha la tête, un geste subtil qui cachait à peine sa surprise.
— Cela... est mieux, murmura-t-il, la voix étrangement calme.
Je me dirigeai vers la radio, soulageant légèrement la tension qui flottait entre nous. Cependant, dès que je l'allumai, une émission aux voix criardes et au contenu insipide emplit la pièce. Le contraste avec le silence précédent fut brutal. Je jetai un coup d'œil à Alastor, qui, à peine quelques secondes après le début de l'émission, fronçait les sourcils, son expression se transformant rapidement en une grimace de dédain.
— C'est ça que vous écoutez ? lança-t-il d'un ton acerbe. Quelle... piètre qualité. Ces voix, cette médiocrité... Je ne comprends vraiment pas comment une émission aussi insignifiante peut passer à l'antenne.
Sa critique cinglante me fit sourire malgré moi. Il avait ce don de rendre dramatique les situations les plus banales. Même une simple émission de radio devenait, sous son regard acéré, une offense à son sens du raffinement. Ne pouvant réprimer un léger rire, je tentai de détendre l'atmosphère.
— Peut-être que vous auriez fait mieux en tant qu'animateur, plaisantai-je, avant d'ajouter, avec un sourire taquin : Si vous n'aimez pas, on peut toujours mettre un film d'horreur. Après tout, un psychopathe comme vous doit apprécier ce genre de divertissement, non ?
À ces mots, son sourire s'élargit, mais cette fois, il n'y avait ni sarcasme ni menace dans ses yeux. Il semblait réellement amusé par ma remarque, et l'éclat malicieux qui dansait dans ses prunelles rougeoyantes me mit mal à l'aise, bien que je m'efforçais de ne rien laisser paraître.
— Un film d'horreur, dites-vous ? Pourquoi pas... même si je ne raffole pas spécialement de ce genre de chose, répondit-il en s'installant plus confortablement dans le fauteuil, ses mouvements fluides malgré ses blessures. Voyons si cela peut au moins me divertir.
Mon estomac se noua. J'avais complètement oublié à quel point je détestais les films d'horreur, et maintenant, je me retrouvais piégée dans ma propre proposition. Mon esprit commençait déjà à imaginer les scènes terrifiantes qui allaient s'enchaîner à l'écran. Super idée, Amélie...
Je déglutis, essayant de cacher mon appréhension tout en saisissant la télécommande avec des mains légèrement tremblantes. J'appuyai sur quelques boutons, sélectionnant un film au hasard dans la liste. Mon pouls s'accélérait déjà à l'idée de ce qui allait suivre, mais je fis de mon mieux pour ne rien laisser paraître devant Alastor.
Le film commença doucement, avec cette ambiance sinistre caractéristique des films d'horreur. Des ombres inquiétantes, des bruits inquiétants dans l'obscurité... À chaque son strident, mon cœur faisait un bond, mais je restai impassible, ou du moins j'essayai. Je sentais le regard perçant d'Alastor, qui ne regardait pas seulement le film, mais observait aussi chacune de mes réactions.
Les premières minutes passèrent, mais bientôt, un sursaut me trahit. Une scène effrayante, un cri perçant à l'écran, et je ne pus m'empêcher de tressaillir légèrement. Alastor ne dit rien, mais son sourire s'étira imperceptiblement, comme s'il savourait chaque frisson de peur que je tentais de cacher.
Puis, sans prévenir, il attrapa le plaid posé sur le côté du fauteuil et me le jeta, un peu brusquement mais sans réelle agressivité.
— Vous tremblez, Mademoiselle Moreau, dit-il avec un soupçon de sarcasme, mais aussi quelque chose de plus... protecteur ? Il me couvrit presque sans y penser, comme pour me rassurer tout en feignant une indifférence amusée.
Je restai immobile, surprise, mes yeux passant du plaid qui venait de me recouvrir à Alastor, qui fixait à nouveau l'écran, comme si son geste n'avait été qu'un détail insignifiant. Il ne m'avait pas couvert par compassion évidente, ni par gentillesse déclarée, mais il l'avait fait. Derrière son air indifférent, derrière ce sourire qui ne le quittait jamais vraiment, il avait remarqué ma peur, et sans y mettre de mots, il avait agi pour la calmer, même s'il ne l'admettrait jamais ouvertement.
Je baissai les yeux vers le plaid qui m'enveloppait désormais. Il était doux, chaud, et malgré la légère irritation dans son geste, il y avait une forme de réconfort inattendu dans ce simple bout de tissu. Je ne savais pas si c'était volontaire de sa part, mais l'effet était là.
— Merci, murmurai-je doucement, plus pour moi-même que pour lui, sentant une vague de gratitude me traverser, malgré l'étrangeté de la situation. Ce n'était pas grand-chose, mais dans ce monde bizarre où je vivais désormais avec Alastor, ce petit geste prenait une signification bien plus grande.
Il ne répondit pas immédiatement. Ses yeux se plissèrent légèrement, et son sourire s'élargit d'une manière que je ne savais pas comment interpréter. Il semblait à la fois amusé et peut-être... satisfait ? Détournant finalement le regard, il se replongea dans le film sans un mot de plus, comme si toute cette scène n'avait jamais eu lieu.
Mais je savais que quelque chose s'était passé. Derrière cette façade impénétrable qu'il arborait, il y avait eu un écho, une réponse subtile. Ce n'était pas la froideur habituelle, ni l'ironie tranchante. Non, c'était autre chose, une forme de connexion étrange, difficile à déchiffrer. Une ombre de... gentillesse ? Ou peut-être un intérêt plus profond que je n'avais encore su comprendre.
Le film continuait, mais mon esprit s'égarait ailleurs. J'étais enveloppée dans le plaid qu'Alastor m'avait jeté, essayant de me concentrer sur l'écran et non sur les battements frénétiques de mon cœur. C'était étrange, ce mélange de peur et de réconfort, de tension et de reconnaissance. Alastor, ce démon que j'aurais dû redouter, m'avait couvert d'un geste presque protecteur. Cela créait un contraste qui me troublait profondément. Je restais sur mes gardes, mais, d'une manière absurde, je me sentais aussi rassurée.
Les bruits stridents et les images inquiétantes du film s'effaçaient en arrière-plan. Chaque cri, chaque ombre projetée ne faisait qu'accentuer mon anxiété, mais curieusement, la présence d'Alastor me procurait une forme de tranquillité. C'était paradoxal. Peut-être parce que, malgré tout ce qu'il était, je savais que rien dans un simple film d'horreur ne pouvait m'effrayer tant qu'il était là.
Il finit par remarquer que mon attention s'éloignait du film. Ses yeux, vifs et perçants, se posèrent de nouveau sur moi, un mélange d'amusement et de curiosité flottant dans son regard.
— Vous vous êtes mise dans une situation bien inconfortable, n'est-ce pas, Mademoiselle Moreau ? dit-il, sa voix basse et mielleuse, avec ce ton légèrement moqueur qui lui était propre. Pourquoi donc avoir proposé un film d'horreur alors que vous êtes manifestement incapable d'en supporter un ?
Je ne répondis pas immédiatement. Il avait raison, bien sûr. C'était une erreur de ma part, mais je ne voulais pas lui donner la satisfaction de le reconnaître.
— Peut-être pour vous faire plaisir, répliquai-je finalement, avec un demi-sourire qui masquait à peine mon malaise, essayant de tourner la situation en plaisanterie.
Il haussa un sourcil, son sourire s'élargissant encore davantage, révélant une lueur de malice.
— M'ennuyer n'aurait-il pas suffi ? Je ne suis pas si difficile à divertir, vous savez. Peut-être devrions-nous éteindre cette... tentative ridicule d'effroi, dit-il, son ton laconique ne dissimulant pas son amusement.
Je baissai les yeux un instant, hésitant. Il avait l'air presque bienveillant, ou du moins, moins intrusif que d'habitude. Peut-être qu'il comprenait, à sa manière tordue, que j'avais atteint mes limites. Sans discuter davantage, je pris la télécommande et éteignis l'écran. Un soulagement immédiat m'envahit, comme si je venais d'abandonner un combat futile.
Le silence qui suivit fut étrangement apaisant, presque réparateur après tant de tension accumulée. Alastor resta assis, son regard fixé sur moi, mais il ne dit rien. Je laissai échapper un soupir discret, resserrant le plaid autour de moi.
— Vous savez, vous n'êtes pas aussi impitoyable que vous le laissez croire, dis-je doucement, presque pour moi-même, à mi-chemin entre une observation et une tentative de percer cette armure qu'il portait toujours.
Alastor éclata d'un rire bref, son regard rougeoyant se posant à nouveau sur moi avec une intensité troublante.
— Ne vous méprenez pas, Mademoiselle Moreau, dit-il, son sourire malicieux s'étirant davantage. Vous ne faites que gratter la surface.
Je baissai les yeux, réajustant le plaid autour de moi, cherchant à comprendre ce qu'il insinuait par ces mots. Derrière ses phrases énigmatiques, je sentais qu'il y avait autre chose, une profondeur qui me glissait entre les doigts. Alastor semblait cacher un secret, un conflit, mais je ne pouvais pas encore mettre le doigt dessus. Peut-être était-ce encore l'une de ses manipulations, ou peut-être que c'était bien plus.
Le silence s'installa de nouveau, mais il n'était plus oppressant. Le film était éteint, la tension dissipée. Pourtant, ce calme avait quelque chose de chargé, comme une tempête qui s'apprêtait à éclater. Alastor restait là, assis dans le fauteuil du salon , m'observant avec cette lueur particulière dans les yeux, une lueur que je n'avais jamais vue. Elle était plus douce, presque indéchiffrable, un éclat d'humanité qu'il ne laissait que rarement transparaître. Ce sourire habituel, pourtant moqueur, semblait légèrement flancher, comme s'il luttait contre quelque chose de plus fort que lui.
Puis, sans prévenir, il parla, sa voix redevenue plus grave, presque sérieuse cette fois, délaissant le ton léger et sarcastique qu'il employait habituellement.
— J'ai dit que je voulais votre âme, murmura-t-il, ses yeux ne me quittant pas. Mais à vrai dire...
Il s'interrompit brusquement, laissant sa phrase en suspens. Mon cœur s'emballa, frappant fort contre ma poitrine. Son ton, si intime, si proche, me désarmait. Il y avait dans ses mots quelque chose de plus profond, quelque chose que je ne pouvais pas encore saisir, mais qui planait lourdement dans l'air entre nous.
Je le regardai, les yeux écarquillés, ne comprenant pas entièrement ce qu'il tentait de dire. Alastor, toujours si sûr de lui, semblait vaciller, comme s'il se trouvait à la croisée de deux mondes — celui du démon impitoyable qu'il prétendait être, et quelque chose d'autre, d'indéfinissable.
— Je la veux, oui, finit-il par dire, sa voix perdant de son assurance habituelle. Mais il y avait un autre sens derrière ces mots, un sous-entendu que je n'arrivais pas à saisir complètement. Pourquoi cette hésitation ?
Il se pencha légèrement vers moi, son regard flamboyant se plongeant dans le mien avec une intensité qui me cloua sur place. Je me sentais soudain étrangement attirée par cette proximité, par cette tension palpable qui régnait entre nous. Sa présence n'avait plus cette froideur purement démoniaque ; elle était teintée de quelque chose d'autre, quelque chose de plus ambigu, de plus... personnel.
— Votre âme... et peut-être plus encore, ajouta-t-il enfin, sa voix se faisant murmure, ses lèvres esquissant un sourire presque incertain.
Je sentis mon cœur s'accélérer encore, battant de plus en plus fort contre ma poitrine. Il ne parlait plus seulement de mon âme, mais de quoi alors ? Ses mots semblaient prendre une tournure différente, une direction que je ne comprenais pas encore. Alastor, le démon, semblait vaciller entre ses désirs habituels et quelque chose de plus troublant, quelque chose qu'il ne s'avouait peut-être même pas à lui-même.
Mais avant que je puisse vraiment comprendre ce qu'il voulait dire, il se recula brusquement, retrouvant son masque d'assurance, cette barrière que je connaissais trop bien. Je vis cependant une lueur de frustration dans ses yeux, comme s'il luttait contre quelque chose qu'il ne pouvait contrôler.
— Peu importe, conclut-il, feignant de balayer ses propres pensées d'un geste désinvolte. Je veux votre âme, et je l'aurai, Mademoiselle Moreau. Soyez-en assurée.
Il m'adressa un sourire narquois, mais dans ses yeux, il y avait autre chose, une vérité qu'il tentait de masquer sous ce masque de démon. Ce n'était pas mon âme qu'il cherchait vraiment, pas cette fois. Il semblait y avoir un conflit intérieur en lui, une bataille qu'il refusait de nommer. Derrière ses mots, derrière cette façade de domination et de contrôle, il y avait une tension émotionnelle, un désir inavoué qu'il n'était pas prêt à reconnaître.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top