Chapitre 3

La nuit est tombée, enveloppant ma chambre d'une obscurité familière. Les faibles lueurs des lampes de la rue filtrent à travers les rideaux légèrement tirés, projetant des ombres vacillantes sur les murs. Cette ambiance, à la fois réconfortante et mystérieuse, m'est devenue familière. Chaque nuit, je me retrouve ici, seule avec mes pensées, essayant de m'évader d'une journée épuisante où les attentes de mes parents pèsent lourd sur mes épaules. La pression constante qu'ils exercent sur moi me laisse toujours cette sensation de vide, un vide que j'essaie de combler avec des esquisses.

Assise à mon bureau, je laisse mon crayon tracer des formes sans but précis sur le papier. Les lignes se croisent, s'enchevêtrent, formant des motifs abstraits qui, pour l'instant, sont ma seule échappatoire. Chaque courbe est une tentative pour éloigner les pensées sombres qui pèsent sur moi. Le frottement du crayon contre la feuille est le seul son qui trouble le silence de la pièce. Pourtant, au fond de moi, je sais que cette tranquillité est trompeuse.

Je le sens avant même de le voir. Une vague de froideur traverse la pièce, annonçant son arrivée comme un frisson glacé qui remonte le long de ma colonne vertébrale. Alastor est là, comme chaque nuit, se matérialisant dans l'ombre sans un bruit. Mon cœur se serre brièvement, mais je m'efforce de rester calme. Je continue de dessiner, mes doigts crispés sur le crayon, prétendant l'ignorer, bien que je sois parfaitement consciente de chacun de ses mouvements.

Du coin de l'œil, je le vois se diriger vers le fauteuil que j'ai installé pour lui dans un coin de la pièce. Ce geste, je l'ai fait presque inconsciemment, espérant peut-être qu'il trouverait de quoi s'occuper. Pourtant, Alastor, ce démon à la présence obsédante, semble toujours imprévisible. Ce soir, cependant, il ne se manifeste pas immédiatement avec une aura de menace. Il semble plutôt curieux, intrigué par les livres que j'ai soigneusement disposés près du fauteuil.

Il s'assied lourdement, mais sans un mot, et je le vois du coin de l'œil scruter les volumes. Pour une fois, il n'a pas l'air d'être dans cet état constant de supériorité, comme s'il se laissait capturer par la simplicité de ce que je lui ai offert. Je continue de fixer mon dessin, feignant une indifférence, bien que je sente son regard perçant peser sur moi.

Le silence qui s'installe est épais, presque tangible, chargé d'une tension familière, mais aussi d'une forme de curiosité nouvelle. Je prends finalement la décision de briser ce silence. Ma voix est basse, tranquille, mais je laisse transparaître un léger amusement.

« L'ennui est un châtiment insupportable, alors je me suis dit que vous aimeriez avoir de quoi vous distraire. »

Un moment de silence suit mes paroles, puis un léger rire s'échappe de ses lèvres. Un rire doux, mais teinté d'un amusement sincère, loin du sarcasme auquel je m'attendais. Il est rare que je l'entende rire ainsi.

« Vous pensez donc pouvoir m'occuper avec quelques livres ? » demande-t-il, un sourire intrigué ornant ses lèvres.

Je lève enfin les yeux de ma feuille, croisant son regard. Ses yeux rouges, d'habitude si intimidants, brillent maintenant d'une lueur malicieuse, mais également d'un intérêt sincère. Il n'est plus simplement l'ombre menaçante qui hante mes nuits ; il est devenu un être curieux, voire un peu désarçonné.

« Si cela peut vous distraire et me laisser un peu de répit, alors oui, » répliqué-je, un sourire discret se dessinant sur mes lèvres.

Alastor continue de me regarder un instant, l'expression sur son visage étant un mélange de surprise et d'amusement. Il n'a visiblement pas l'habitude qu'on lui réponde ainsi. Lentement, un sourire plus large étire ses lèvres, un sourire qui semble apprécier le défi que je lui lance.

« Vous êtes décidément pleine de surprises, » murmure-t-il en feuilletant l'un des livres avec soin. Ses doigts glissent doucement sur les pages jaunies, ses yeux parcourant les lignes comme s'il cherchait quelque chose de particulier. Je remarque qu'il semble vraiment absorbé par ce qu'il tient entre les mains, et cela m'apporte une satisfaction étrange. Peut-être que, pour une fois, je contrôle la situation.

Alors qu'il tourne une page, Alastor reprend la parole, sa voix posée et réfléchie cette fois-ci. « Vous savez, rares sont ceux qui prennent le temps de penser à ce que peut ressentir un être comme moi. Vous avez su capter mon attention, pour l'instant. »

Je l'observe discrètement, notant la manière dont il manipule les livres avec délicatesse, comme s'ils renfermaient des secrets qu'il aurait oublié. Son regard est concentré, presque captivé par les mots qu'il déchiffre. Sa silhouette semble moins menaçante, presque humaine sous cette lumière tamisée. Alastor, ce démon qui incarne la menace, semble soudain bien différent.

« Ce fauteuil est plutôt confortable, » dit-il soudain, brisant le silence. Il passe une main sur le bras du fauteuil, appréciant visiblement la texture du tissu. « Et ces livres... un choix intéressant. Baudelaire, Shakespeare, Goethe... Vous avez du goût. »

Je lui adresse un sourire léger, essayant de masquer la satisfaction que je ressens. « Je me suis dit que vous apprécieriez. »

Il hoche la tête, un sourire mystérieux sur les lèvres. « Vous avez raison. Cela fait longtemps que je n'ai pas pris le temps de savourer un bon livre. Et ce fauteuil... il me rappelle une époque plus... raffinée. »

Sa voix trahit une certaine nostalgie, un sentiment inattendu de la part d'un être tel que lui. Alastor, ce démon redouté, parle avec une douceur inhabituelle. Cette remarque me pousse à m'interroger sur son passé. Était-il toujours cet être sinistre que je connais aujourd'hui ?

« Vous avez donc eu une vie... avant d'être ce que vous êtes maintenant ? » Ma question franchit mes lèvres avant que je puisse la retenir. Je m'attends à ce qu'il la balaie d'un revers de main ou qu'il se moque de moi, mais il ne le fait pas.

Il reste silencieux un moment, son regard se perdant dans les pages du livre qu'il feuillette distraitement. Finalement, il sourit, mais c'est un sourire triste, empreint d'une émotion que je n'avais encore jamais perçue chez lui.

« Tout le monde a une histoire, même les êtres comme moi. Mais certaines histoires sont mieux oubliées, ne pensez-vous pas ? »

Je reste silencieuse, absorbée par ses paroles. Derrière cette façade démoniaque, il y a peut-être un être plus complexe, plus humain. Mais je me rappelle aussi que c'est dangereux de penser ainsi. Alastor reste un démon, imprévisible, et il ne faut pas que je l'oublie. Cette part de mystère, cet abîme qu'il représente, reste dangereuse à explorer.

Il continue de lire en silence, tandis que je reprends doucement mon dessin. Un sentiment de paix inattendue s'installe dans la pièce. L'atmosphère est moins lourde, presque détendue. Une trêve silencieuse semble avoir été instaurée entre nous. Peut-être que ce soir, ces livres et ce fauteuil suffiront à apaiser les ombres qui rôdent en lui.

Alastor se met à sourire, ses yeux se levant de son livre pour se poser sur moi. « Vous savez, ce n'est pas souvent que quelqu'un essaie de rendre mon existence plus... agréable. »

Je fronce légèrement les sourcils à cette remarque, intriguée. « Je suppose que les autres ne vous voient pas comme quelqu'un à qui l'on peut apporter du réconfort. »

Son sourire se fait plus large, presque moqueur. « C'est vrai. La peur et la soumission sont les réactions habituelles. Vous, cependant... vous êtes différente. »

Je ne sais pas comment prendre cette remarque. Il y a dans ses mots un mélange d'admiration et de menace à peine voilée. Je me concentre sur mon dessin, évitant de répondre directement.

Il ne semble pas perturbé par mon silence et continue de feuilleter son livre avant de se pencher légèrement en avant, son regard se faisant plus intense.

« Vous savez, je reviendrai toujours. Encore et encore. C'est dans ma nature. Vous pouvez essayer de me distraire, de m'apprivoiser avec vos livres, mais cela ne changera rien. »

Je souris, cette fois sans me retenir. « Et je continuerai de vous résister, encore et encore. »

Il me fixe longuement, son sourire s'étirant sur ses lèvres fines. Il y a quelque chose dans son regard, une sorte de défi que je n'ai jamais vu auparavant. « Vous avez du courage, » dit-il doucement, presque pensif. « Mais le courage peut-il vraiment rivaliser avec l'éternité ? »

Je soutiens son regard, déterminée à ne pas me laisser impressionner. « Le courage, accompagné de détermination, peut accomplir bien des choses. »

Il semble réfléchir à mes paroles, puis se met à sourire de nouveau, un sourire cette fois plus sincère. « J'aime cet esprit en vous. Très bien. Nous verrons jusqu'où vous irez. »

Le silence retombe, mais cette fois, il est apaisant. La tension qui régnait au départ s'estompe peu à peu, remplacée par une étrange harmonie. Alastor continue de lire, absorbé par son livre, tandis que je reprends mon dessin, mes gestes plus fluides, plus sûrs.

La nuit avance lentement, le bruit des pages tournées par Alastor et le crissement de mon crayon sur le papier remplissent l'air paisible de la pièce. Peut-être que demain apportera de nouveaux défis, de nouvelles confrontations, mais pour l'instant, cette étrange entente entre nous semble tenir.

Alors que les heures s'égrènent, je continue de dessiner, tandis qu'Alastor lit. L'espace d'un instant, le démon et moi partageons une trêve silencieuse, un moment où l'on se contente simplement d'exister, ensemble.

Alastor est silencieux pendant un long moment, plongé dans la lecture du livre que je lui ai laissé. L'atmosphère dans la pièce est devenue plus légère, presque paisible. Je continue de dessiner, mes gestes plus fluides, laissant le crayon glisser sur le papier sans trop réfléchir. Pourtant, je sens que son attention se détourne peu à peu du livre, et après un moment, il finit par me poser une question.

« Qu'est-ce que vous dessinez ? » demande-t-il, son ton détaché mais curieux.

Je lève les yeux vers lui, surprise par la question. Pendant un instant, j'hésite à répondre, mais je me dis que ce n'est qu'une simple question. Rien de menaçant là-dedans.

« Oh, euh... C'est juste une planche de manga, » dis-je finalement en haussant les épaules, tentant de garder une certaine légèreté.

Il fronce légèrement les sourcils, son regard rougeoyant se fixant sur moi avec une curiosité accrue. « Manga ? Qu'est-ce que c'est que ça ? » demande-t-il d'un ton légèrement méprisant, comme s'il ne comprenait pas pourquoi je perdrais du temps avec quelque chose d'aussi insignifiant.

Je lâche un petit rire, incapable de retenir un certain amusement face à son ignorance sur le sujet. « Un manga, c'est une bande dessinée japonaise. Une forme d'art où les histoires sont racontées à travers des images et des dialogues. Chaque case sur une planche représente une scène, un moment dans l'histoire. Les personnages vivent des aventures, des drames, parfois des comédies. Les mangas peuvent traiter de n'importe quel sujet : action, romance, fantastique... »

Il me fixe un moment, son visage figé dans une expression de mépris à peine voilé. Puis, il lâche un soupir exagéré et secoue la tête. « Vraiment ? Des dessins pour enfants ? Vous passez votre temps à gribouiller des petites cases avec des figures ridicules et exagérées ? »

Je fronce les sourcils à son ton condescendant, sentant une vague de frustration monter en moi. « Ce n'est pas que pour les enfants, » répliqué-je avec un peu plus de force dans ma voix. « Les mangas peuvent traiter de sujets très profonds, tout comme la littérature. C'est un moyen d'expression artistique à part entière. Vous n'êtes pas obligé d'aimer, mais ce n'est pas aussi simple ou insignifiant que vous le pensez . »

Alastor laisse échapper un léger rire moqueur, un sourire narquois se dessinant sur son visage. « Ah, bien sûr. C'est ce que disent toujours ceux qui perdent leur temps avec des choses futiles. Des "sujets profonds" ? Je doute qu'un dessin grossier puisse capturer l'essence d'un véritable art ou d'une émotion authentique. »

Je croise les bras, le défiant du regard. « Peut-être que vous ne comprendrez  pas parce que vous n'avez jamais pris le temps d'essayer. »

Alastor émet un bruit semblable à un grognement, clairement peu impressionné par ma défense. « Et pourquoi devrais-je ? Ce genre de choses ne fait que distraire les gens de la réalité. Un véritable art est destiné à frapper là où cela fait mal, à révéler la cruauté de la vie, pas à adoucir les esprits avec des images douces. »

« C'est là que vous vous trompez , » répliqué-je calmement, refusant de me laisser intimider par son ton. « L'art, sous toutes ses formes, peut être un moyen de faire face à la cruauté de la vie, justement. C'est une façon pour les gens de s'évader, de trouver un sens, ou simplement de rêver. Tout ne doit pas être sombre et cynique pour être significatif. »

Il me regarde, un sourcil arqué, manifestement surpris par ma réponse. Pendant un instant, je pense qu'il va répliquer avec une de ses moqueries cinglantes, mais au lieu de cela, il se contente de me fixer, comme s'il essayait de comprendre pourquoi je m'obstine à défendre quelque chose qu'il trouve si ridicule.

Finalement, il secoue la tête avec un petit rire amusé. « Vous avez du caractère, je vous l'accorde. Mais vous  perdez ton temps avec ces... comment vous les appelez déjà ? Mangas. Il y a bien d'autres moyens plus nobles d'utiliser votre talent. »

Je lui rends son regard, ne lâchant pas prise. « Peut-être que vous ne le comprenez pas, mais ça ne veut pas dire que c'est sans valeur. Ce que vojs voyez comme futile, d'autres y trouvent du réconfort, de la beauté, et même une profondeur que vous refusez peut-être de voir. »

Il reste silencieux un moment, son sourire s'étant estompé. « Hm... Peut-être que vous avez  raison, ou peut-être que vous essayez  simplement de donner un sens à des choses qui n'en ont pas vraiment. » Ses yeux, toujours fixés sur moi, semblent percer à travers mes mots, comme s'il cherchait à déceler la part de vérité ou de naïveté dans mes propos. « Après tout, je suppose que nous avons tous besoin de quelque chose pour nous occuper, n'est-ce pas ? »

Je hausse légèrement les épaules, refusant de céder. « Exactement. Vous,  par exemple, vous avez vos livres. Moi, j'ai mes dessins. »

Alastor semble contempler mes mots, son regard s'adoucissant légèrement, mais il ne perd pas ce léger sourire narquois qui le caractérise. « Peut-être, » murmure-t-il finalement, avant de détourner son regard vers le livre qu'il tenait toujours dans ses mains. « Peut-être. »

Le silence retombe à nouveau dans la pièce, mais cette fois, il n'est pas aussi lourd qu'avant. Il y a quelque chose de différent, une compréhension tacite, même si nous n'avons pas tout à fait le même point de vue. Alastor se plonge à nouveau dans son livre, et je reprends mon dessin, consciente que notre échange, bien que bref, a laissé une trace.

Je continue de dessiner, mes traits plus sûrs, plus affirmés. Il ne comprend peut-être pas, mais cela n'a pas vraiment d'importance. Ce que je fais a de la valeur pour moi, et c'est tout ce qui compte.

La nuit avance, et malgré les divergences, il y a une sorte de paix étrange qui s'installe entre nous. Alastor, le démon sarcastique et moqueur, s'est adouci, même si ce n'est que pour ce soir.

Les minutes s'écoulent lentement, et pour la première fois depuis longtemps, je sens que je peux coexister avec lui, même si nos mondes sont totalement opposés. Cette nuit, nous avons trouvé un terrain d'entente, fragile mais présent.

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