Chapitre 11
Le silence s'installa, lourd et pesant. Pourtant, je savais qu'il m'entendait. Je pouvais presque sentir sa présence dans l'air, comme une ombre tapie quelque part. Mes mains tremblaient sous l'effet de la colère, et mes pas résonnaient bruyamment sur le parquet alors que je traversais la pièce. Mon souffle court trahissait mon agitation.
— Alastor, venez ici ! répétai-je, ma voix se brisant sous l'intensité de mes émotions.
Il apparut enfin, se matérialisant devant moi avec cette présence froide et imposante. Son regard était différent cette fois-ci. Pas moqueur, pas distant. Non, il était empli de colère. Une colère sourde qui se lisait dans la tension de ses traits. Ses yeux gris me transperçaient, comme s'il attendait quelque chose de moi, ou qu'il voulait que je cède la première.
Je ne pouvais pas céder. Pas cette fois.
— Pourquoi ? soufflai-je, ma voix tremblant malgré moi. Pourquoi avez-vous fait ça ?
Son expression se durcit encore, et un silence glacial s'installa entre nous. Je voyais ses mâchoires se contracter, ses poings se serrer légèrement, mais il ne disait toujours rien. Ce silence ne faisait qu'attiser la rage qui brûlait en moi. J'étais à bout.
— Dites quelque chose ! Vous ne pouvez pas rester là, silencieux, comme si de rien n'était ! Vous savez très bien ce que vous avez fait !
Ma voix monta, trahissant toute la tension accumulée. Mes mots étaient brusques, presque tranchants, et pourtant, il restait là, immobile, son regard empli d'une colère que je n'avais jamais vue chez lui. Tout en lui indiquait que cette confrontation n'allait pas se terminer sans heurts.
Je serrai les dents, mon cœur battant si fort que chaque pulsation semblait résonner dans le silence oppressant de la pièce. Alastor se tenait là, droit et impassible, ses yeux rouges plantés dans les miens avec une froideur qui me glaça le sang. Derrière cette tranquillité apparente, je pouvais percevoir quelque chose de sombre et de menaçant, une rage contenue, prête à éclater.
— Pourquoi... pourquoi refusez-vous de l'admettre ?! lâchai-je enfin, ma voix brisée par la tension.
Il m'observa, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres, mais c'était un sourire sans chaleur, sans sincérité, qui ne faisait qu'ajouter de l'huile sur le feu de ma colère.
— Admettre quoi, exactement ? répondit-il d'une voix douce, presque amusée. Je crains de ne pas comprendre de quoi vous parlez, Amélie.
Ses mots résonnèrent en moi comme une gifle. Il mentait. Et il osait encore feindre l'ignorance, alors que je savais... je savais qu'il était derrière tout cela. Mon corps tout entier frémissait, mes poings serrés à m'en faire blanchir les jointures, mes ongles s'enfonçant douloureusement dans mes paumes. La frustration bouillonnait en moi, me consumant.
— Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi, Alastor ! dis-je, la voix tremblante de rage. Vous savez parfaitement de quoi je parle ! Vous étiez là, vous les avez...
Il haussa à nouveau les épaules, son sourire s'élargissant, presque condescendant. Ce calme, cette indifférence me rendait folle.
— Vous êtes en train de délirer, ma chère, répondit-il, sa voix traînante et détachée. Vous vous imaginez des choses. C'est amusant, vraiment.
La colère explosa en moi comme une vague brûlante, me laissant à bout de souffle. Comment pouvait-il se cacher ainsi, derrière ce masque d'indifférence ? Comment pouvait-il ignorer le poids de ses actes ?
— Arrêtez, Alastor ! m'écriai-je, ma voix montant sans que je puisse la contrôler. Arrêtez de vous dérober ! Vous ne pouvez pas fuir éternellement ! Faites face à vos actes, pour une fois !
Il resta silencieux un instant, ses yeux se rétrécissant légèrement, son sourire se figeant. Puis, soudain, sa façade se brisa. D'un coup sec, sa voix éclata, plus forte, plus sombre que jamais. Sa colère, jusqu'alors contenue, se déversait comme un torrent.
— Et que vouliez-vous, Amélie ?! Que je reste là, passif, pendant qu'on vous traite comme... comme une misérable victime ?!
Sa voix résonnait dans la pièce, tranchante et glaciale. Il fit un pas vers moi, son visage déformé par une rage trop longtemps contenue, ses yeux flamboyant d'une intensité que je n'avais jamais vue.
— Vous m'accusez, mais vous ne comprenez rien ! poursuivit-il, sa voix vibrante d'émotion. Vous ignorez ce que c'est... d'être contraint de rester dans l'ombre, impuissant, alors que...
Il s'interrompit, détournant brusquement le regard, comme s'il luttait pour retenir un torrent de sentiments qui menaçait de le submerger. Mais dans ses traits tendus, dans la crispation de ses mâchoires, je pouvais lire toute la tempête qui grondait en lui. Son masque de froideur, si inébranlable d'habitude, s'était fissuré, me laissant entrevoir l'espace d'un instant la profondeur de sa colère, de sa frustration, de cette souffrance qu'il semblait vouloir nier.
Puis, soudain, il explosa, sa voix éclatant dans l'espace comme un coup de tonnerre :
— Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?!
Le son me frappa de plein fouet, mon cœur ratant un battement. Ce n'était pas seulement la force de ses mots, mais la façon dont il venait de s'adresser à moi. Il m'avait tutoyée. Pour la toute première fois, Alastor avait brisé cette distance formelle qu'il s'efforçait toujours de maintenir. Ce simple "tu" résonna en moi comme une gifle. Une vague de confusion et d'émotion me submergea, mêlée à une peur sourde. Voir Alastor perdre ainsi le contrôle, lui qui restait toujours maître de lui-même, me paralysa sur place, figée par le bouleversement de cet instant.
Je vis sa poitrine se soulever sous l'effet de sa respiration rapide, presque haletante. Ses traits, d'ordinaire impassibles ou moqueurs, étaient maintenant déformés par une rage brute, et ses yeux, plus perçants que jamais, semblaient me transpercer.
— Pourquoi ? répéta-t-il d'une voix cassée par la colère, son regard me clouant sur place. Tu savais ce qu'elles te faisaient, tu savais que je pouvais t'aider ! Pourquoi m'avoir laissé dans l'ignorance, Amélie ?
Mon nom, prononcé avec une telle intensité, me heurta . L'entendre ainsi dans sa bouche, enveloppé de colère et d'incompréhension, fit vaciller toutes mes certitudes. Mais je refusai de flancher. Je refusai de céder à cette vague d'émotion qui menaçait de m'emporter.
Je reculai d'un pas instinctivement, sentant le poids de son regard brûlant peser sur moi, mais je ne pouvais pas le laisser me dominer. Pas après ce qu'il avait fait. Je levai les yeux pour plonger dans les siens, mes lèvres tremblant sous l'effort de contenir ma propre fureur.
— Parce que ce n'était pas à vous de vous en mêler ! m'écriai-je enfin, la voix brisée par les émotions qui se bousculaient en moi. Vous n'aviez pas le droit !
Mais au fond de moi, je savais que ce vouvoiement avait perdu tout sens. Il avait franchi cette barrière. Il l'avait brisée. Pourtant, je m'accrochais à cette distance comme à une bouée, comme si elle pouvait m'empêcher de sombrer dans cette confrontation explosive.
Alastor se redressa un peu plus, sa silhouette imposante envahissant l'espace autour de lui. Ses yeux, si froids et distants autrefois, brûlaient désormais d'une intensité presque insupportable. Ses mâchoires étaient si contractées que je pouvais voir les muscles tressaillir sous sa peau, comme s'il se retenait de hurler de nouveau.
— Ce n'est pas à moi ? gronda-t-il d'une voix plus basse, mais tout aussi menaçante. Elles te faisaient du mal, et tu pensais que j'allais rester là, sans rien faire ?!
Sa voix, plus grave, résonnait dans chaque recoin de la pièce, vibrante de colère. Il était tellement près maintenant que je pouvais presque sentir la chaleur de sa rage émaner de lui. Mais au lieu de reculer, je serrai les poings, mes ongles s'enfonçant plus profondément dans ma chair. Il ne me ferait pas plier.
— Vous... tu n'as pas le droit de décider pour moi ! m'écriai-je, le cœur battant à tout rompre. Ce que vous avez fait, c'est... c'est horrible, Alastor ! Horrible !
Mes mots, crachés sous l'effet de l'émotion, me laissèrent presque essoufflée. Une vague de chaleur monta en moi, et mes mains tremblaient. Mais cela ne changeait rien. Cela ne changerait jamais ce qu'il avait fait.
Alastor resta silencieux un instant, sa colère toujours palpable. Mais lorsque je prononçai le mot "horrible", son visage se déforma de nouveau sous l'effet de la rage.
— Horrible ?! cracha-t-il, sa voix grondante emplissant la pièce. Je suis un démon, Amélie ! C'est dans ma nature. Ce que j'ai fait, je l'ai fait pour toi. Pour te remercier de m'avoir soigné, de m'avoir sauvé !
Ses yeux lançaient des éclairs, son corps tendu comme un arc prêt à exploser à nouveau. Son aura dégageait une intensité presque suffocante, comme si le poids de ses mots était chargé de millénaires de violence et de douleur. Mais cette fois, ses mots n'eurent pas l'effet qu'il escomptait. J'étais trop en colère pour me laisser intimider par sa nature démoniaque, par ses justifications.
Je fis un pas en avant, défiant son regard.
— Non ! hurlai-je, la gorge serrée par l'émotion. Vous ne l'avez pas fait pour moi, Alastor. Vous l'avez fait pour vous ! C'était pour vous, pas pour m'aider.
Sa respiration était haletante, son regard brûlant de colère, mais je n'avais plus peur. Pas maintenant. Il essayait de se justifier, mais je ne pouvais pas accepter ça. Ses actions, peu importe ce qu'il prétendait, n'étaient pas pour me protéger. Elles étaient motivées par sa propre nature, sa propre souffrance.
Je le fixai droit dans les yeux, sentant mes propres larmes monter malgré moi. Je refusais de les laisser couler, je refusais de lui montrer que cela m'atteignait autant.
— Vous n'avez pas fait ça pour me rendre justice. Vous l'avez fait parce que vous ne supportez pas l'idée de ne rien contrôler, de ne rien pouvoir maîtriser, même pas votre propre colère.
Alastor resta figé, son regard se durcissant à mesure que mes paroles le frappaient de plein fouet. Mais je ne pouvais plus m'arrêter maintenant. Il devait comprendre.
— Ce n'est pas moi que vous vouliez aider, continuai-je, la voix tremblante mais déterminée. C'est vous-même que vous essayiez de soulager.
Je vis alors une lueur de doute passer dans ses yeux, fugace mais bien réelle. Une part de lui, peut-être, commençait à saisir ce que je lui disais. Mais il ne voulait pas l'admettre. Pas encore.
Je pris une grande inspiration, sentant mes mains trembler légèrement sous l'effet de l'émotion. Il fallait qu'il comprenne.
— Vous savez, ce que vous avez fait... ce n'est pas si différent de ce qu'elles m'ont fait, ces filles, continuai-je, en essayant de garder ma voix aussi stable que possible.
Alastor fronça légèrement les sourcils, visiblement confus, mais je ne me laissai pas détourner de ce que j'avais à dire.
— Elles aussi, elles ont pris plaisir à me faire du mal, expliquai-je doucement, la gorge serrée. Elles s'en sont prises à moi parce qu'elles souffraient, parce qu'elles avaient besoin de se sentir puissantes, de se croire plus fortes que ce qu'elles étaient. Et vous... vous avez fait la même chose, Alastor. Vous avez utilisé la violence pour essayer de vous sentir mieux, pour apaiser votre propre mal-être.
Ses yeux se durcirent encore une fois, mais je pouvais voir cette lueur de doute dans son regard, une hésitation qu'il ne pouvait plus dissimuler.
— Vous êtes comme elles, continuai-je, la voix toujours tremblante mais emplie d'une conviction que je n'avais jamais ressentie jusque-là. Vous croyez que, parce que vous avez souffert, vous avez le droit de faire souffrir en retour. Mais ça ne fait que vous enfoncer davantage dans cette spirale. Vous ne vous battez pas contre ceux qui vous ont fait du mal, vous vous battez contre vous-même.
Je m'avançai un peu plus, mon regard planté dans le sien, mes poings toujours serrés pour contenir cette vague d'émotions qui menaçait de m'emporter.
— J'ai ressenti la même chose, admis-je, ma voix se brisant légèrement sous le poids des souvenirs. Je voulais leur rendre tout le mal qu'elles m'ont fait. J'aurais pu céder à cette rage, mais je ne l'ai pas fait. Parce que ce n'est pas la solution. Ce ne l'est jamais.
Le silence qui suivit était lourd, chargé de non-dits. Mes mots flottaient encore dans l'air, et je sentais l'intensité du regard d'Alastor qui pesait sur moi, scrutant chaque mot, chaque nuance de ce que je venais de dire. Il ne répondit pas immédiatement, comme s'il luttait intérieurement pour comprendre ce que j'essayais de lui faire réaliser.
— Si vous laissez cette colère vous contrôler, repris-je plus doucement, mais tout aussi fermement, si vous laissez la douleur guider vos actions, alors vous finissez par devenir exactement comme eux. Comme ceux qui vous ont fait du mal. Et vous méritez mieux que cela.
Un silence oppressant s'installa entre nous, comme si mes mots l'avaient enfin frappé là où il ne pouvait plus les ignorer. Je voyais son visage se crisper, ses yeux vaciller entre colère et incompréhension. Il était figé, incapable de répondre. Comme si, pour la première fois, il faisait face à une vérité qu'il n'était pas encore prêt à accepter.
Puis, d'un seul coup, il se volatilisa. Comme une ombre balayée par une lumière trop forte, il disparut sans un mot, me laissant seule dans cette pièce silencieuse et oppressante.
Je restai là, figée, le souffle court. Mon cœur battait toujours violemment dans ma poitrine, mais je n'étais plus submergée par la confusion ou l'incertitude. Non, cette fois, j'étais convaincue que j'avais raison. Ce n'était plus à moi de faire le premier pas. C'était à lui. Il avait fui la vérité, mais il ne pourrait pas fuir éternellement.
Je ne cherchais pas à le comprendre davantage. Ce que je voulais, c'était des excuses. Pas des demi-mots ou des justifications. Non. Il devait comprendre que ce qu'il avait fait était inacceptable. Que cette violence, si crue, si brutale, n'avait pas sa place dans ma vie. Peu importe ses intentions, peu importe sa nature de démon, cela n'excusait rien. Il avait franchi une ligne, et je savais, au fond de moi, que ce moment viendrait où il le réaliserait aussi. Un jour, Alastor reviendrait, et il admettrait qu'il avait eu tort. Enfin... du moins, je l'espérais. Mais cette attente... cette attente me rongeait. Elle creusait un gouffre dans ma poitrine.
Je restais sur ma position. Inflexible. Je ne reculerais pas. Pas cette fois. C'était une décision que j'avais prise, malgré le tumulte dans mon cœur, malgré l'affection étrange qui continuait à m'attacher à lui. Non. Il devait reconnaître son erreur. Il devait voir à quel point il m'avait blessée. Et cela, je ne pouvais pas le laisser passer sans qu'il s'excuse.
Après cela, je tentai de reprendre le contrôle sur ma vie. Je devais le faire. Mes genoux me faisaient mal à chaque mouvement, me rappelant cette humiliation subie devant ces filles. Je me dirigeai vers la salle de bain pour chercher la trousse de soins. Chaque pas que je faisais amplifiait la douleur lancinante dans mes jambes, mais c'était une douleur familière, presque rassurante en comparaison de ce que je ressentais à l'intérieur.
Lorsque j'arrivai devant l'armoire, quelque chose me frappa. La trousse de soin n'était pas là où je l'avais laissée. Je fronçai les sourcils, un léger frisson parcourant ma colonne vertébrale. Où... ? Mon regard dériva vers ma chambre. La trousse était là, sur la commode, soigneusement disposée. J'approchai avec précaution, mon cœur battant plus fort, tandis qu'un million de pensées traversaient mon esprit. C'était impossible.
Je m'assis doucement sur le bord de mon lit, la trousse de soins entre les mains. À l'intérieur, tout était impeccablement organisé, bien plus que d'habitude. Les bandages étaient soigneusement enroulés, l'antiseptique en place, les petits pansements rangés avec précision. Ce qui m'étonna le plus, c'est qu'elle était à nouveau remplie. La trousse, qui avait été presque vide après que j'avais soigné Alastor, était maintenant parfaitement réapprovisionnée. Il l'avait refaite, pièce par pièce, comme s'il savait exactement ce dont j'aurais besoin.
Alastor. Il avait préparé tout cela pour moi avant de disparaître. Malgré sa colère, malgré la violence de notre dispute, il avait pris le temps de penser à ce geste. À moi. Ce simple acte, si discret, si inattendu, me frappa de plein fouet. Comment pouvait-il être à la fois si destructeur et... si attentionné ?
Je restai là, les doigts tremblants sur les bandages, le souffle court. Une vague d'émotions monta en moi, un mélange étrange de tristesse, de confusion et de colère. Cela ne changeait rien. Cela ne rendait pas ses actions justifiables. Mais quelque part, cela m'atteignait, comme un rappel silencieux de la complexité de ce qu'il était. Un démon, oui, mais pas totalement insensible. Il y avait quelque chose, une faille dans cette armure qu'il portait, et ce simple geste en était la preuve. Pourtant, cela ne m'apaisait pas. Cela ne changeait pas ce que j'attendais de lui : des excuses.
Le lendemain matin, tout était différent. Le silence régnait dans la maison. Alastor n'était pas revenu. Après la confrontation de la veille, je ne ressentais plus sa présence, pas comme avant. Ce vide, ce manque... c'était comme une ombre qui pesait sur moi, m'étouffant légèrement. Je savais qu'il était parti, mais où ? Reviendrait-il ? Je serrai les dents. Il le devait. Il devait revenir pour s'excuser. Pour comprendre.
Je partis pour l'école, le cœur lourd, une boule d'angoisse nouée au fond de mon ventre. Chaque pas semblait plus difficile que le précédent. La nuit n'avait pas apaisé mes pensées, au contraire, elles s'étaient entremêlées, devenant un labyrinthe dont je n'arrivais pas à sortir. Tout était trouble, flou, incertain.
En arrivant au lycée, je sentis immédiatement que quelque chose clochait. Les regards, les chuchotements. C'était comme un mur invisible qui se dressait autour de moi, m'isolant des autres. Chaque pas que je faisais semblait attirer plus de murmures, plus de regards furtifs. Ils parlaient de moi. Je pouvais sentir leurs mots me frôler comme des éclats de verre.
Les rumeurs. Elles s'étaient répandues comme une traînée de poudre. On disait que j'avais maudit ces filles. Que j'étais à l'origine des accidents. Que j'avais provoqué leur souffrance. Je pouvais entendre les bribes de conversations, les regards furtifs de mes camarades. Certains avaient peur de moi, d'autres me regardaient avec une méfiance palpable. C'était irréel, comme si je marchais dans un cauchemar où tout le monde se détournait de moi.
Mon cœur se serra douloureusement. Comment pouvaient-ils penser ça ? Comment pouvaient-ils croire que j'avais voulu ça ? Ils ne savaient rien. Ils ne comprenaient rien de ce que j'avais traversé, de ce qu'il s'était réellement passé. Mais même si je savais qu'ils se trompaient, une part de moi se laissait gagner par le doute. Une petite voix au fond de ma tête murmurait que c'était de ma faute. Que si je n'avais pas grimacé, si je n'avais pas attiré l'attention d'Alastor avec ma peur, rien de tout cela ne serait arrivé.
Un mince soulagement vint m'envahir quand j'appris qu'elles avaient toutes survécu. Aucune des filles n'était morte. Mais cela n'effaçait pas la culpabilité qui me rongeait. Elles avaient souffert. Et même si ce n'était pas moi qui avais provoqué ces accidents, c'était ma passivité, mon silence face à Alastor, qui avait permis à ces événements de se produire. Si seulement j'avais eu le courage de le confronter dès le début. Si seulement...
Je serrai les poings, le cœur lourd, chaque regard accusateur ou effrayé s'enfonçant un peu plus dans ma chair comme des coups invisibles. Je me sentais piégée, coupable de tout, et incapable de réparer quoi que ce soit.
Le lendemain soir même, comme si rien ne s'était passé, Alastor fit son retour. Il apparut dans la pièce, sa démarche toujours aussi fluide, empreinte de cette nonchalance calculée, son aura mystérieuse flottant autour de lui comme une ombre insaisissable. Il semblait s'attendre à ce que je le remarque immédiatement, que mon attention se porte sur lui comme elle l'avait toujours fait. Mais cette fois, je ne bougeai pas. Pas un regard. Pas un mot.
Il devait penser que tout cela pouvait être effacé par sa simple présence, comme si son retour suffisait à panser les plaies qu'il avait ouvertes. Mais il se trompait lourdement.
Je continuai à m'affairer dans la cuisine, mes gestes lents, calculés, volontairement indifférents. En moi, la colère bouillonnait encore, sourde et implacable, mais à l'extérieur, je ne laissais rien paraître. Ce soir, je ne comptais pas céder à son jeu. Je ne comptais pas plier sous ses tentatives de manipulation ou sous ce charme qu'il maîtrisait si bien.
— Bonsoir, mademoiselle Amélie, dit-il enfin d'une voix suave, comme s'il n'avait jamais quitté les lieux.
Il attendait une réaction, je le sentais dans chaque syllabe. Mais je restai de marbre. Le silence qui suivit fut plus assourdissant que n'importe quelle réponse que j'aurais pu lui offrir. Je savais que cela l'agacerait. Alastor n'était pas habitué à ce que quelqu'un lui résiste, encore moins à ce qu'on l'ignore. Mais ce soir, il n'obtiendrait rien de moi. Pas un regard. Pas un mot.
Je l'entendis soupirer derrière moi, un soupir qui portait tout le poids de son impatience. Il s'était attendu à ce que je me retourne, que je l'accueille d'un regard furieux ou même d'une réprimande. Mais rien. Je restai concentrée sur les petites tâches que j'avais devant moi, sans prêter attention à sa présence.
— Mademoiselle, vous ne m'adressez pas la parole ? demanda-t-il après un long moment de silence. Sa voix, encore calme, commençait déjà à se teinter d'une légère irritation.
Je continuai à faire comme s'il n'était pas là. Mes doigts serrèrent légèrement l'éponge que j'avais dans la main, mais je ne laissai rien paraître. Je savais que mon silence le déroutait. Alastor, ce démon si sûr de lui, ne supportait pas l'indifférence. Je le sentais dans l'air autour de nous, cette frustration qui montait en lui à chaque seconde de mon mutisme.
— Vous m'ignorez, donc ? reprit-il, cette fois avec un brin d'amertume dans la voix.
Je serrai les dents. Il commençait à comprendre que je ne cèderais pas, pas aussi facilement. Mais je refusais toujours de répondre. Je voulais qu'il ressente cette même impuissance que j'avais ressentie quand il avait pris les choses en main sans me consulter, quand il avait déchaîné une violence inouïe en prétendant que c'était pour mon bien.
Je pouvais sentir sa présence s'intensifier. Il devait être juste derrière moi maintenant, mais je ne me retournais toujours pas. Je savais qu'il détestait cela, qu'il détestait se sentir impuissant face à quelqu'un, encore plus face à moi. Son agacement devenait palpable.
— Vous allez vraiment rester silencieuse ? Vous allez continuer à faire comme si je n'étais pas là ? lança-t-il finalement, sa voix cette fois plus tranchante, vibrante d'une colère naissante.
Je sentis un frisson parcourir ma colonne vertébrale, mais je restai stoïque. Je savais qu'il était sur le point de perdre patience. C'était évident. Je pouvais presque l'entendre grincer des dents, sentant que son contrôle lui échappait peu à peu.
Puis, sans prévenir, il fit un pas brusque vers moi, envahissant mon espace, l'air autour de nous semblant se charger de sa présence oppressante.
— Très bien, mademoiselle. Si c'est ainsi que vous voulez les choses, je vais m'en aller, gronda-t-il, sa voix plus grave, menaçante. Mais ne venez pas vous plaindre ensuite.
Je savais ce qu'il attendait. Il voulait que je réagisse, que je cède, que je craque enfin sous la pression de sa présence. Mais je n'en fis rien. Je restai figée, le dos tourné, mes gestes plus mécaniques que jamais. L'indifférence était ma seule arme ce soir, et je la maniais avec plus de force que jamais.
— Vous n'avez donc vraiment rien à dire ? reprit-il, sa voix cette fois plus basse, mais teintée de frustration. Aucune parole pour moi ? Vous voulez me punir, c'est ça ?
Je ne répondis toujours pas, mes poings se crispant légèrement à chaque mot qu'il prononçait. Je savais que cette attitude le rendait fou. Alastor, ce démon habitué à tout contrôler, à manipuler tout son entourage, se retrouvait pour la première fois face à une résistance qu'il ne comprenait pas. Et je voulais qu'il ressente cette même impuissance que moi.
Le silence qui s'installa ensuite était écrasant, presque suffocant. Puis, d'un geste brusque, je l'entendis se détourner. Il n'allait pas insister plus longtemps. Pas ce soir.
— Je ne comprends pas. Après tout ce que j'ai fait pour vous, vous me tournez le dos ? siffla-t-il, sa voix se durcissant, une pointe de reproche perçant chaque mot.
Je serrai les dents, sentant une vague de colère monter en moi, prête à exploser. Ce qu'il avait fait pour moi ? Était-il sérieux ? Vraiment ? Mon cœur battait plus fort à l'intérieur de ma poitrine, et mes mains se crispèrent malgré moi. Mais je me retins, refusant de laisser cette rage prendre le dessus. Pas encore. Je ne lui donnerais pas cette satisfaction.
Sa dernière remarque résonna dans l'air, comme une claque invisible. Ce que j'avais essayé de contenir depuis son retour bouillonnait maintenant, impossible à réprimer. L'indifférence calculée que j'avais adoptée n'avait plus aucun sens face à l'ampleur de mes émotions.
Je me retournai brusquement, les yeux brûlant de colère, mais aussi d'une tristesse plus profonde. Mes poings serrés tremblaient sous l'effet de la tension accumulée.
— Vous croyez vraiment que ça va s'effacer ?! explosai-je, ma voix tremblante d'émotion. Vous pensez que je peux simplement... oublier tout ça ?! Comment osez-vous parler de ce que vous avez fait pour moi comme si ça effaçait le reste ?! Comme si cela pouvait justifier tout ce que vous avez provoqué !
Alastor se redressa légèrement, surpris par la violence soudaine de ma réaction. Son regard, habituellement impassible, vacilla un instant. Mais je ne lui laissai pas le temps de répondre.
— Vous n'avez aucune idée de ce que je ressens, continuai-je, la voix brisée sous le poids de ma propre souffrance. Vous avez pris des décisions pour moi, sans me consulter, sans même penser à ce que cela pouvait entraîner. Vous avez joué avec mes sentiments, avec ma vie... avec la leur aussi !
Je fis un pas en avant, incapable de me retenir. Le souvenir des trois filles qui avaient failli mourir me hantait jour et nuit depuis ces événements. La culpabilité, cette lourdeur permanente, s'était installée au fond de moi, me rongeant lentement.
— Vous ne comprenez pas... Vous n'avez fait qu'aggraver ma douleur, ajoutai-je d'une voix plus douce, presque étranglée par l'émotion. Elles auraient pu mourir. Vous ne voyez pas ?! À cause de moi...
Alastor fronça légèrement les sourcils, ses traits se durcirent, mais il resta silencieux. Il savait que je ne m'arrêterais pas maintenant. J'étais comme une digue brisée, laissant enfin couler tout ce que je gardais en moi depuis des jours.
— Depuis hier, tout ce que je ressens, c'est de la culpabilité. Cette sensation... que tout est de ma faute. Que si je n'avais pas laissé faire, si je vous avais arrêté... rien de tout cela ne serait arrivé ! J'aurais pu les protéger. J'aurais dû vous arrêter !
Je sentis mes yeux se remplir de larmes, mais je refusai de céder. Je les ravalai, préférant rester forte face à lui. Pourtant, ma voix trahissait le poids que je portais.
— Je ne dors plus, vous savez ? murmurais-je, presque dans un souffle. Cette nuit, je revus ces filles, je revus leurs corps brisés... J'entends leurs cris. Et tout ça... tout ça à cause de vous... à cause de moi.
Je sentis ma voix se briser, mon souffle court et irrégulier. Il m'était impossible de détourner le regard de lui. Alastor, ce démon que je voyais toujours comme inébranlable, restait immobile, ses traits figés dans une expression indéchiffrable.
— Vous n'avez rien compris, dis-je en me rapprochant de lui, ma voix plus ferme, plus déterminée. Ce que vous avez fait n'a rien d'un cadeau, ce n'était pas pour moi.
Un silence s'installa après mes mots. Mon cœur battait à tout rompre, et ma respiration était saccadée, comme si chaque mot que j'avais prononcé avait été un coup porté à mes propres défenses. Je me sentais vide, épuisée. Mais quelque part, cela me soulageait d'avoir enfin exprimé tout ce qui m'oppressait depuis si longtemps.
Alastor resta silencieux un instant. Je pouvais voir une lueur de doute dans ses yeux, une hésitation qu'il ne pouvait plus dissimuler. Il semblait comprendre, pour la première fois, que ce n'était pas juste une question de colère. C'était bien plus profond que cela.
— Vous... vous croyez vraiment que je l'ai fait pour moi ? murmura-t-il finalement, sa voix étrangement basse, presque vacillante.
Je le fixai, mon regard dur mais encore tremblant.
— Oui, répondis-je avec une certitude qui me surprit moi-même. Tout ça, c'était pour vous. Vous ne savez même pas ce que je ressens, ni à quel point je suis rongée par cette culpabilité.
Un silence lourd s'installa, où mes mots flottèrent dans l'air entre nous, pesant comme un fardeau partagé. Pour la première fois, Alastor semblait réellement touché par ce que je disais. Son regard se détourna un instant, comme s'il ne pouvait plus affronter cette vérité.
Puis, dans un souffle presque imperceptible, il prononça :
— J'essayez de passer une bonne nuit, Amélie.
Il me tourna le dos, et en un instant, il disparut dans un souffle d'ombre. Je restai seule, le cœur encore battant, mes émotions tourbillonnant en moi. Son départ ne me laissa pas la même impression que d'habitude. Il ne fuyait pas cette fois. Pas vraiment. Peut-être, juste peut-être, qu'il commençait à comprendre.
Le lendemain , je me réveillai encore plus fatiguée que la veille. L'absence d'Alastor pesait sur moi de façon étrange. Je n'aurais jamais pensé qu'il puisse disparaître comme ça, après ce qui s'était passé. Mais il n'était pas revenu, et l'idée qu'il ait pris mes paroles plus à cœur que je ne l'aurais imaginé m'inquiétait. Pourtant, une part de moi essayait de se convaincre que tout cela n'était qu'un jeu de plus pour lui. Peut-être que c'était sa manière de me punir, de reprendre le contrôle en s'éloignant, me laissant seule avec mes pensées.
Les deux jours qui suivirent furent étranges, presque étouffants. Chaque soir, je rentrais avec un léger espoir de le voir réapparaître, mais la maison restait vide. Le silence régnait en maître, seulement brisé par mes propres pensées qui tournaient en boucle.
Puis, le troisième jour, lorsque je poussai la porte de chez moi, quelque chose attira immédiatement mon attention. Posée sur la table du salon, une petite boîte de chocolats m'attendait, délicatement emballée, accompagnée d'un mot soigneusement plié. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je m'approchai lentement, comme si je craignais que tout cela ne soit qu'une illusion. Mais le papier sous mes doigts était bien réel.
Je dépliai doucement le mot. L'écriture était nette, précise, et je la reconnus immédiatement : celle d'Alastor. À la fois élégante et stricte, tout comme lui.
Je ne sais pas vraiment comment faire ça, mais peut-être que cela vous plaira. – A.
Un frisson me parcourut. C'était... surprenant. Je m'assis lourdement sur la chaise, le mot toujours entre les mains, le relisant plusieurs fois comme pour m'assurer qu'il était bien réel. C'était la première fois qu'Alastor faisait un geste qui, d'une certaine manière, ressemblait à une tentative de... réconciliation. Il n'avait pas utilisé le mot "excuse" – bien sûr que non. Ce n'était pas son genre. Mais à sa manière, il essayait de faire quelque chose. Et cela, pour lui, représentait déjà un grand pas.
Je fixai la boîte de chocolats, hésitante. Un mélange d'émotions bouillonnait en moi. Accepterais-je ce geste comme une forme de paix ? Ou étais-je encore trop en colère pour pardonner, même si ce pardon devait être subtil ?
Je pris finalement un des chocolats et le portai lentement à mes lèvres. Le goût riche et sucré fondit immédiatement sur ma langue, et, pour un court instant, je laissai cette douceur envahir mes sens.
Puis, d'un coup, une voix résonna derrière moi.
— Ils sont à votre goût, j'espère ?
Je sursautai violemment, manquant de faire tomber le reste de la boîte. Mon cœur fit un bond alors que je levai les yeux. Là, adossé contre le cadre de la porte, Alastor m'observait avec une intensité habituelle, mais cette fois sans sa froideur caractéristique. Il avait cet air indéchiffrable, un mélange d'arrogance et de quelque chose d'autre.
— Vous m'avez fait peur ! m'exclamai-je en posant la boîte, essayant de calmer mon cœur qui battait encore à tout rompre.
Il haussa légèrement un sourcil, un geste typique de lui. Mais cette fois, il ne souriait pas de ce sourire en coin moqueur qu'il arborait habituellement.
— Ce n'était pas mon intention, répondit-il d'une voix plus posée que d'ordinaire.
Il y eut un bref silence, pendant lequel je cherchai à comprendre ce qui se passait réellement. Ses yeux s'attardèrent sur la boîte de chocolats que je venais de poser, et il finit par dire, presque à contrecœur :
— Les chocolats... ce n'était pas vraiment mon idée. Je ne suis pas doué pour ce genre de choses.
Il sembla hésiter un instant avant d'ajouter :
— Un... collègue m'a dit que ça pourrait plaire. Je me suis dit que c'était peut-être... ce qu'il fallait faire.
Je restai bouche bée. Jamais je n'aurais imaginé qu'Alastor puisse demander conseil à qui que ce soit, et encore moins à propos de quelque chose d'aussi... humain. Je le fixai un instant, essayant de lire au-delà de ses mots. Était-ce une réelle tentative de réconciliation ? Ou simplement un geste calculé pour atténuer la tension entre nous ?
— Un collègue démon ? demandai-je, mi-amusée, mi-intriguée.
Il hocha la tête, presque imperceptiblement, ses yeux revenant se poser sur moi, cherchant une forme de validation.
— Un barman, pour être exact, répondit-il en haussant légèrement les épaules. Apparemment, offrir des choses aux mortels a des effets positifs sur leurs humeurs. Je me suis dit... pourquoi pas ?
Je ne pus m'empêcher de sourire devant cette explication. L'image d'Alastor, ce démon redoutable, demandant conseil à un autre démon pour savoir comment me faire plaisir, était tout simplement surréaliste. Mais cela rendait le geste d'autant plus... inattendu. Et précieux.
— Merci, dis-je doucement. Ils sont bons.
Un court silence s'installa, et je vis son regard s'adoucir légèrement. Il ne sourit pas, mais il semblait moins tendu, comme si ce simple geste avait allégé une partie du poids qui pesait sur nos épaules.
— Je vous ai laissé du temps pour... vous calmer, dit-il finalement, brisant le silence avec un certain détachement. Je ne voulais pas vous forcer à parler avant que vous ne soyez prête.
Je pris une profonde inspiration. Malgré l'arrogance naturelle qui transparaissait toujours dans ses mots, il faisait un effort. Il essayait de m'expliquer, à sa manière, pourquoi il avait agi comme il l'avait fait. Et même si une part de moi voulait encore lui en vouloir, je ne pouvais nier le fait qu'il tentait de réparer ce qu'il avait brisé.
Je le regardai longuement, pesant mes mots.
— Je pense qu'il est temps d'établir des règles, dis-je finalement, d'une voix plus ferme. Si vous voulez que cela fonctionne entre nous... Si vous voulez continuer à rester ici... alors il va falloir respecter quelques règles.
Alastor haussa un sourcil, intrigué mais loin de sa provocation habituelle. Il me scrutait attentivement, cherchant à comprendre ce que je voulais dire.
— Des règles ? répéta-t-il lentement.
Je hochai la tête, déterminée. Nous devions poser des bases claires pour cette relation qui, jusque-là, était toujours restée floue et chaotique. Et cette fois, ce serait à mes conditions.
Je pris une grande inspiration, sentant la tension toujours palpable dans l'air entre nous. Alastor me fixait avec cette intensité familière, ses bras croisés, attendant de voir où j'allais en venir. J'avais besoin d'établir des bases claires pour que tout cela puisse fonctionner, mais je ne comptais pas lister des "règles" comme on en imposerait à un enfant. Il fallait que je formule les choses d'une manière qui lui parlerait.
— Premièrement, si vous devez partir plus de deux jours, prévenez-moi, dis-je finalement, ma voix plus ferme qu'à l'accoutumée. Je ne veux pas être laissée dans l'ignorance comme ces derniers jours.
Alastor haussa un sourcil, une lueur amusée traversant son regard.
— Vous vous inquiétez pour moi ? lança-t-il, sa voix traînante et moqueuse. Serait-ce un signe que je commence à compter pour vous ?
Je serrai les dents. Toujours la même provocation.
— Ce n'est pas une question de m'inquiéter pour vous, rétorquai-je d'une voix froide. C'est une question de respect. Si vous voulez rester ici, alors vous me devez ça.
Il ne répondit pas immédiatement, mais je vis son sourire disparaître lentement. Il hocha légèrement la tête, acceptant la condition sans plus de commentaires.
— Très bien, et ensuite ? demanda-t-il d'une voix calme, ses yeux toujours fixés sur moi.
Je pris une profonde inspiration avant de continuer.
— Je fais les choses parce que je le veux, pas parce que vous en décidez ainsi, ajoutai-je, ma voix vibrante de détermination. Si je vous offre quelque chose ou si je fais attention à vous, c'est mon choix. Ce n'est pas de la pitié, ni une obligation. C'est clair ?
Il me fixa avec une intensité presque troublante, mais cette fois, il ne chercha pas à me contredire. Son visage se durcit légèrement, comme s'il pesait mes mots. Après un instant, il hocha la tête, concédant silencieusement.
— J'accepte, murmura-t-il, pensif.
Je m'avançai encore, mes yeux dans les siens, sentant que nous approchions d'un terrain plus sensible.
— Mais... vous ne devez plus faire de mal aux autres en mon nom, continuai-je, ma voix plus douce mais tout aussi ferme. Je ne veux plus de violence. Pas comme ce qui s'est passé avec ces filles. Ça ne doit plus se reproduire.
À cette demande, Alastor se tendit, ses sourcils se fronçant, et ses yeux devinrent plus sombres. Je vis sa mâchoire se serrer, et il fit un pas en arrière, croisant les bras d'un geste fermé.
— Non, répondit-il sèchement, sa voix tranchante comme un couperet. Je ne peux pas faire cela. Si quelqu'un vous blesse, je ne resterai pas sans rien faire.
— Alastor... je ne veux pas de cette violence. Je veux pouvoir décider de ce qui est juste ou non dans ma vie, et ça inclut la façon dont on me traite.
Il secoua la tête, le regard dur.
— Vous ne comprenez pas. C'est au-dessus de votre volonté. Si quelqu'un s'avise de vous toucher, de vous faire du mal, je n'hésiterai pas à agir. Peu importe ce que vous en pensez.
Un frisson de frustration mêlée de désarroi me traversa. Je réalisais que, peu importe ma demande, cette part de lui ne changerait pas.
Soudain, Alastor releva la tête, une lueur nouvelle dans ses yeux.
— Maintenant, c'est à moi d'imposer quelque chose, dit-il, sa voix reprenant une certaine autorité. Si vous voulez que je respecte vos... conditions, alors je veux une chose en retour.
Je restai silencieuse, le fixant avec méfiance.
— Je veux que vous cessiez de me cacher des choses, reprit-il. Vous devez tout me dire. Plus de secrets entre nous.
Je fus prise de court par sa demande. L'idée de lui confier tous mes doutes, mes faiblesses, m'effrayait. Alastor était toujours un démon, et même s'il essayait de changer, je ne pouvais pas lui accorder cette confiance totale. Pas encore.
— Non, dis-je d'une voix ferme. Je ne peux pas accepter ça. Vous avez toujours des intentions qui me sont inconnues, et je refuse de vous donner ce pouvoir sur moi.
Je le vis plisser légèrement les yeux, réfléchissant à ma réponse. Il ne sembla pas offensé, mais simplement... frustré.
— Très bien, répondit-il après un court silence. Alors, faisons un compromis.
Je haussai un sourcil, attendant sa proposition.
— À partir de maintenant, dit-il lentement, vous me tutoierez. Je suis fatigué de ce vouvoiement qui met cette distance inutile entre nous. Si nous devons vivre ensemble, autant que vous me parliez comme vous parleriez à n'importe qui d'autre.
Je restai silencieuse, surprise par cette demande. Cela semblait anodin, mais c'était en réalité beaucoup plus. C'était une manière de franchir une ligne, de réduire la distance que je m'efforçais de maintenir entre nous. Je l'observai un moment, sentant que cela représentait plus pour lui qu'il ne voulait bien l'admettre.
Je pris une grande inspiration.
— D'accord, acceptai-je enfin, mais difficilement. Je... je vais essayer.
Son regard s'adoucit légèrement, et pour la première fois depuis longtemps, il esquissa un sourire qui n'était ni moqueur, ni arrogant. Il semblait presque... satisfait. C'était étrange, mais c'était un début.
Mais alors qu'il semblait prêt à conclure notre échange, il se redressa légèrement, ses yeux brillants d'une lueur malicieuse.
— Une dernière chose, dit-il d'une voix posée, comme s'il énonçait une évidence. Puisque vous avez toutes ces conditions... je veux une contrepartie.
Je fronçai les sourcils, soudain méfiante.
— Une contrepartie ? Qu'est-ce que vous voulez ?
Son sourire s'agrandit, et pour la première fois depuis le début de notre discussion, il retrouva cette lueur de défi qui lui était propre.
— Cinq heures, dit-il simplement.
Je le regardai, perplexe.
— Cinq heures ? répétai-je.
— Oui, continua-t-il, un sourire en coin. Cinq heures par semaine. Cinq heures que vous me consacrerez entièrement. Sans conditions, sans questions. Cinq heures où vous ne m'ignorez pas, où vous ne fuyez pas. Cinq heures où vous êtes... avec moi. Si je dois respecter ces règles, je veux au moins avoir cette part de votre temps.
Je restai figée, un peu surprise par cette demande. C'était à la fois... inattendu et étrange. Ce n'était pas un pacte, pas une tentative de manipulation comme je m'y attendais. Juste... du temps. Peut-être que, malgré tout, il cherchait quelque chose de plus que cette relation ambiguë faite de méfiance et de défi.
— D'accord, dis-je finalement, après un court silence. Cinq heures. Mais à mes conditions.
Son sourire s'élargit légèrement, comme s'il venait de gagner une petite victoire.
— À tes conditions, répéta-t-il doucement.
Un silence s'installa. Nous venions de poser les bases de quelque chose de nouveau, quelque chose qui pouvait fonctionner. Peut-être. J'avais toujours du mal à cerner Alastor, à savoir quelles étaient ses véritables intentions. Mais pour la première fois, j'avais l'impression que nous étions sur un terrain d'entente.
— Alors, nous avons un accord, dit-il finalement.
Je pris une profonde inspiration et hochai la tête.
— Oui. Nous avons un accord.
Et ainsi, un nouveau chapitre de notre cohabitation venait de commencer.
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