Chapitre 10


Alastor était désormais complètement rétabli de ses blessures. Après des jours passés à se comporter presque comme un humain, mangeant régulièrement, et s'appropriant le canapé du salon comme s'il en avait toujours été le propriétaire, il avait retrouvé sa force et sa présence imposante. Cela avait quelque chose de profondément étrange et fascinant à la fois. Il semblait prendre plaisir à cette routine humaine, s'installant dans le canapé avec ce sourire énigmatique, ses yeux rouges observant chaque détail de la pièce avec une satisfaction que je ne pouvais pleinement comprendre.

Depuis quelques jours, il avait repris ses allers-retours entre ma maison et l'Enfer. Chaque fois qu'il disparaissait, il revenait toujours avec cette même expression, un mélange curieux de satisfaction et de frustration, comme s'il se retrouvait coincé entre deux mondes. Pourtant, malgré ses absences, il passait de plus en plus de temps ici, dans ma maison, dans mon monde. Je me demandais parfois s'il avait vraiment besoin de retourner en Enfer aussi souvent qu'il le prétendait.

Ce matin, c'était mon premier jour de retour à l'école après tout ce chaos. Les cernes sous mes yeux témoignaient des longues nuits sans sommeil, passées à veiller sur lui, à surveiller ses blessures, à m'assurer qu'il se rétablissait bien. Mes devoirs scolaires avaient été laissés de côté, et je savais que j'allais devoir faire face à des conséquences aujourd'hui. Mais je n'avais pas le choix. J'avais pris du retard, et il fallait que je rattrape tout cela.

Alors que je m'apprêtais à quitter la maison, sac sur l'épaule, je remarquai Alastor allongé nonchalamment sur le canapé, comme à son habitude. Ses yeux rouges flamboyants me suivirent tandis qu'il me regardait m'affairer, un sourire paresseux se dessinant sur ses lèvres.

" Que faites-vous ? "demanda-t-il d'une voix traînante, son ton teinté de curiosité feinte, mais je savais qu'il n'aimait pas que je lui échappe.

Je m'arrêtai un instant, le regardant par-dessus mon épaule, agacée par son faux détachement.

" À votre avis ? répliquai-je d'un ton sec. Les vacances sont finies, je dois retourner au lycée.

Il haussa un sourcil, son sourire s'élargissant légèrement. Alastor n'était jamais satisfait de ce genre de réponses. Il trouvait toujours les obligations humaines « futiles », comme il aimait à le rappeler, et ne manquait jamais une occasion de me faire douter de leur importance.

" Vraiment, le lycée ? Ne trouvez-vous pas cela... ennuyeux ? "demanda-t-il, sa voix traînante et charmeuse." Vous pourriez rester ici. Avec moi. Je pourrais vous apprendre des choses bien plus... intéressantes."

Son ton était  enjôleur, mais je ne pouvais pas m'y laisser prendre. Il essayait toujours de me détourner de mes responsabilités, comme s'il voulait que je reste piégée dans cette étrange dynamique entre nous.

" Non," répondis-je avec un soupir, tout en serrant mon sac contre moi. "Je ne peux pas me permettre de tout abandonner."

Un éclat de frustration traversa brièvement ses yeux, mais il ne laissa rien paraître de plus. Il s'étira nonchalamment sur le canapé, comme si ma décision ne l'affectait pas.

" Si futile... "murmura-t-il dans un soupir dramatique, comme s'il parlait à lui-même.

Je le regardai un instant, cherchant à déchiffrer son expression. Il jouait toujours ce rôle, celui du démon détaché et supérieur, mais je pouvais sentir, sous la surface, une forme de mécontentement, peut-être même de solitude. Mais je ne pouvais pas m'attarder là-dessus. Pas maintenant.

" À plus tard, "dis-je doucement avant de sortir.

Je le laissai là, seul dans le salon, enveloppé par cette atmosphère étrange qui semblait toujours l'accompagner. Tandis que je fermais la porte derrière moi, une pensée me traversa l'esprit : combien de temps cette cohabitation insolite pourrait-elle durer avant que tout ne bascule, avant que quelque chose ne vienne perturber l'équilibre précaire que nous avions instauré ?

Ma journée au lycée fut... comme d'habitude. Je me trouvai un coin tranquille, loin des autres, avec mon casque sur les oreilles pour m'isoler du bruit incessant des conversations et des rires. Je m'efforçais de rattraper un maximum de retard dans mes devoirs, surtout en sciences et en maths. Chaque minute de plus que je passais à veiller sur Alastor m'avait éloignée de mes obligations scolaires, et maintenant, je payais le prix de cette distraction.

Même si les insultes et les moqueries n'avaient jamais vraiment cessé. Elles se faisaient plus discrètes, certes, mais chaque petit commentaire lancé à la volée, chaque rire étouffé derrière des regards condescendants m'atteignait encore. Pourtant, je restais concentrée, me répétant que tout cela n'avait pas d'importance. Que seul mon cahier comptait, que finir ces exercices était ma priorité. Pourtant, au fond de moi, une question me taraudait : pourquoi cette précipitation ? Pourquoi ressentais-je ce besoin presque désespéré de finir tout cela alors que l'école n'avait jamais semblé aussi... dénuée de sens ?

Peut-être que cette nouvelle vie, cette étrange proximité avec Alastor, était en train de changer ma perspective. Peut-être que j'avais du mal à me réadapter à cette banalité après avoir côtoyé quelque chose d'aussi surnaturel, d'aussi dangereux.

Lorsque je franchis la porte d'entrée après cette longue journée, c'était comme si tout le poids du monde glissait de mes épaules. Je refermai doucement la porte derrière moi, espérant trouver un peu de répit après des heures passées à essayer de rattraper mes devoirs tout en essuyant les moqueries de mes camarades. Mon corps était épuisé, et chaque pas me demandait un effort supplémentaire.

" Comment s'est passée votre journée ?" demanda soudainement une voix douce mais un peu moqueuse.

Je sursautai, ne m'attendant pas à le voir aussi vite. Il était là, installé dans le salon comme s'il n'avait pas bougé depuis mon départ. Mon cœur battit un peu plus vite en réalisant qu'Alastor m'avait attendue. Toute la journée.

Je n'avais pas la force de répondre. Sans un mot, je me dirigeai directement vers mon bureau. Mon esprit était déjà ailleurs, concentré sur la pile de devoirs que j'avais encore à rattraper. Je déposai mon sac à terre avec un bruit sourd, sortis mes cahiers, et m'installai pour travailler. Mes mains tremblaient de fatigue, mais je devais continuer. Je me replongeai dans les lignes d'équations qui dansaient devant mes yeux fatigués, essayant de forcer mon esprit à suivre, même si chaque chiffre semblait flou.

Quelques minutes passèrent ainsi, dans un silence presque pesant. Pourtant, je pouvais sentir une présence derrière moi, une tension étrange, presque électrique. Ce n'était pas juste le silence habituel d'Alastor qui planait autour de moi, c'était... autre chose. Une forme de pression que je ne pouvais pas expliquer.

Puis je l'entendis. Un grésillement.

Je me retournai légèrement sur ma chaise et vis Alastor assis dans son  fauteuil, non loin de moi, ses longues jambes croisées avec cette élégance naturelle qui lui était propre. Devant lui, sur la petite table basse, un jeu d'échecs était soigneusement installé, chaque pièce à sa place, attendant le début d'une partie. Son sourire, qui habituellement traduisait une malice constante, semblait aujourd'hui plus crispé. Une sorte de frustration émanait de lui, mais il ne disait rien. Il grésillait, légèrement, comme lorsqu'il était agacé.

Il fixait le plateau d'échecs, les yeux plissés, son doigt tapotant légèrement le bord du fauteuil, un geste subtil mais nerveux.

Je connaissais ce signe. Alastor ne se comportait ainsi que lorsqu'il voulait quelque chose mais refusait de l'exprimer clairement. C'était sa façon de me pousser à comprendre sans avoir à le dire lui-même. Il n'allait pas me demander de jouer avec lui. Non, c'était trop direct, trop "humain". Mais je savais qu'il voulait que je le remarque.

Pourtant, je n'avais pas l'énergie de céder. Pas ce soir. Je me retournai lentement vers mon cahier, essayant de me concentrer à nouveau. Mais le grésillement derrière moi ne s'arrêta pas. Alastor, manifestement frustré, ne disait toujours rien, mais sa présence devenait de plus en plus envahissante.

Un long silence s'étira, et je sentais ses yeux percer mon dos. Le simple fait qu'il reste là, immobile, à me regarder, me rendait nerveuse. Mais je n'avais pas l'intention de rompre ce silence en premier. C'était à lui de parler.

Enfin, un soupir discret, presque imperceptible, s'échappa de ses lèvres.

" Vous avez des devoirs à rattraper, j'imagine, "murmura-t-il d'une voix presque détachée, mais je pouvais sentir la frustration sous-jacente dans son ton.

Je ne répondis pas immédiatement, gardant mes yeux rivés sur mes équations. Mais je savais. Il voulait que je laisse tout tomber pour lui accorder un peu de mon temps. Il ne le dirait jamais explicitement, bien sûr, mais tout dans son comportement le trahissait. Le jeu d'échecs, l'attente silencieuse, la tension palpable dans l'air... C'était son moyen de réclamer mon attention sans avoir à le demander directement.

Je pris une profonde inspiration, décidée à rester concentrée sur mes devoirs, mais je sentais qu'il ne lâcherait pas si facilement. Ce n'était pas qu'un simple jeu pour lui. Il attendait autre chose, quelque chose de plus... humain. Mais je refusais de lui céder aussi vite.

Le grésillement continuait, s'intensifiant presque à chaque seconde, comme une forme de protestation silencieuse. Alastor ne me lâchait pas du regard, mais il ne dirait rien. Non, il préférait me pousser à comprendre, à céder. Mais je refusais de céder si facilement. Je sentais sa frustration grandir, même si elle se cachait derrière ce sourire toujours aussi énigmatique.

Finalement, d'un geste théâtral, il saisit un livre posé sur la table basse. Un livre qu'il avait déjà lu des dizaines de fois, mais il le prit comme s'il s'agissait d'une œuvre nouvelle et fascinante. Il commença à tourner les pages avec une lenteur exagérée, chaque page faisant un léger froissement. Pourtant, ce n'était pas ce bruit qui accaparait mon attention, mais le jazz qui s'échappait doucement de son corps. Une mélodie douce et nostalgique, émanant de lui comme s'il cherchait à combler le silence de la pièce.

Je ne pus m'empêcher de sourire en coin en l'observant. Il était là, plongé dans un livre qu'il connaissait par cœur, mais clairement plus concentré sur moi que sur sa lecture. Ce jazz, ce grésillement intermittent, tout ça n'était qu'une tentative pour attirer mon attention.

Il tourna une nouvelle page, émettant cette fois un léger grognement, comme s'il trouvait quelque chose d'ennuyeux dans le texte qu'il connaissait déjà. Le jazz s'intensifia légèrement, ses doigts tapotant doucement le bord du livre, comme un pianiste impatient d'entamer une nouvelle note.

Je le trouvais presque... adorable à agir ainsi, bien que je savais qu'il ne supporterait pas que je le lui dise. Alastor était un démon, fier et imposant, et pourtant, dans ces petits moments d'agacement, il révélait quelque chose de plus... humain, quelque chose qui me faisait sourire malgré moi.

" Vous savez, ce n'est pas très subtil," dis-je doucement en me retournant vers lui, un petit sourire taquin sur les lèvres.

Il leva les yeux du livre, une lueur amusée et légèrement vexée dans le regard.

"Subtilité ? r"épéta-t-il en émettant un autre grésillement." Je ne vois pas de quoi vous parlez, Mademoiselle Moreau."

Je laissai échapper un rire, sincère cette fois. Il jouait son rôle à merveille, mais je voyais clair dans son jeu. Toute cette mise en scène, ce jazz, ce livre qu'il ne lisait même pas vraiment... c'était juste sa manière de me dire qu'il ne supportait pas que je l'ignore.

" Vous êtes trop marrant à agir ainsi, "lui lançai-je, sans détourner le regard cette fois.

Son sourire s'élargit, un éclat malicieux dans ses yeux.

"Marrant ? Moi ? Vous devez vous méprendre. Je suis tout ce qu'il y a de plus sérieux, Mademoiselle Moreau. Si je lis ce livre, c'est par pure admiration pour son contenu fascinant."

Je secouai la tête en riant doucement, incapable de m'empêcher de trouver la situation comique. Derrière cette façade théâtrale, il y avait quelqu'un qui voulait juste qu'on lui accorde un peu d'attention. Mais bien sûr, il ne l'admettrait jamais.

Le grésillement se fit plus fort, presque irrité, tandis qu'Alastor continuait à feuilleter le livre avec des gestes exagérés. Le jazz qu'il émettait s'intensifiait, prenant un ton plus chaotique, comme s'il tentait une dernière fois d'attirer mon attention. Je me retournai à nouveau vers lui, le regardant avec un mélange de fatigue et d'amusement.

" Vous êtes vraiment insupportable," lui dis-je en souriant légèrement. "Vous voulez de l'attention, c'est ça ?"

Il releva lentement la tête, ses yeux rouges se posant sur moi avec cette lueur malicieuse. Le sourire sur ses lèvres s'étira encore, se transformant en quelque chose de plus sombre, plus menaçant. Je savais ce qu'il allait faire. C'était son jeu préféré : essayer de me faire peur, de m'intimider, de me rappeler à quel point il était différent, à quel point il était dangereux.

Il referma le livre d'un claquement sec et, sans un mot, il se leva lentement du fauteuil. Ses mouvements étaient fluides, presque trop élégants pour être humains. Il s'approcha de moi, son sourire s'élargissant à mesure qu'il réduisait la distance entre nous. Ses yeux rouges brillaient d'une lueur inquiétante, et son corps commença à émettre ce grésillement plus intense, un son presque électrique qui résonnait dans l'air, comme s'il essayait de remplir tout l'espace de sa présence.

" Vous savez, Mademoiselle Moreau, "murmura-t-il, sa voix basse et traînante, presque un sifflement. "Vous devriez vraiment faire attention à moi... Après tout, je suis un démon. Vous ne savez pas ce dont je suis capable."

Il était maintenant juste devant moi, ses yeux plongés dans les miens, cherchant à lire la moindre trace de peur. Un silence lourd s'installa, et je pouvais presque sentir son excitation croître, s'attendant à ce que je cède, à ce que je montre la moindre peur, comme je l'avais fait tant de fois auparavant.

Mais cette fois, quelque chose était différent.

Je soutins son regard, mon cœur battant peut-être un peu plus vite, mais cette fois, je ne ressentais pas cette terreur habituelle. Son jeu d'intimidation, ses tentatives de me faire frémir... cela ne fonctionnait plus. Pas aujourd'hui.

Je laissai échapper un léger sourire, me redressant légèrement sur ma chaise.

" Vous essayez de me faire peur ?" demandai-je calmement, avec un brin de défi dans la voix. "Ça ne fonctionne pas, Alastor."

Pour la première fois depuis que je le connaissais, son sourire vacilla. Juste un instant, mais je le vis. Il sembla surpris, peut-être même décontenancé, que sa méthode habituelle ne marche pas. Il resta silencieux, son regard plongeant plus profondément dans le mien, comme s'il essayait de comprendre ce qui avait changé.

Je ne bougeai pas, ne détournant pas le regard, et je vis sa frustration monter. Il recula légèrement, comme s'il abandonnait le jeu, ou du moins en changeait les règles. Son sourire revint, mais cette fois, il était plus crispé, moins naturel.

"Vous êtes devenue bien audacieuse, Mademoiselle Moreau," dit-il, ses yeux perdant un peu de leur éclat menaçant." Cela me rend presque... fier."

Je laissai échapper un rire doux.

" Ou peut-être que je commence simplement à vous connaître."

Il ne répondit pas tout de suite, se contentant de me fixer avec une intensité silencieuse. Puis, lentement, il tourna les talons, se dirigeant vers son fauteuil.

" Peut-être... "murmura-t-il, presque pour lui-même. "Peut-être que vous commencez à comprendre..."

Il s'installa à nouveau dans son fauteuil, son sourire revenant à la normale, mais cette fois, je savais que j'avais franchi une nouvelle étape. Ses jeux ne me faisaient plus peur. Du moins, pas aujourd'hui

Cela faisait trois jours qu'Alastor luttait en silence contre une frustration qu'il ne parvenait plus à contenir. Chaque jour, son masque d'indifférence impeccable se fissurait un peu plus. Ses tentatives pour attirer mon attention, plus ou moins discrètes au départ, s'étaient multipliées, devenant de plus en plus évidentes. Pourtant, malgré ses efforts, rien ne semblait fonctionner. Et maintenant, son agacement se faisait sentir dans chacun de ses mouvements. Ses gestes, autrefois précis et fluides, étaient maladroits, comme si quelque chose l'entravait. Une tension latente s'était installée entre nous, presque palpable.

Ce soir-là, il s'était assis dans son fauteuil habituel, celui qu'il avait fait sien avec une assurance tranquille, mais quelque chose avait changé. Sa posture était plus raide, son regard plus sombre. Il ne jouait plus de ses habituelles provocations, ni de ses mystères envoûtants qui faisaient de lui un maître de la manipulation. Ses yeux, fixés sur moi, avaient perdu leur éclat de sarcasme. À la place, une intensité nouvelle, un brasier silencieux, brûlait dans ses prunelles. Ce n'était plus un simple jeu. Quelque chose de plus profond le rongeait.

J'essayai de me concentrer sur mes devoirs, assise à mon bureau, mais la tension qui emplissait la pièce était impossible à ignorer. Le silence, inhabituel chez lui, s'était installé, lourd comme une chape de plomb. D'ordinaire, Alastor trouvait toujours le moyen de remplir l'espace de ses remarques sibyllines, de ses réflexions piquantes. Mais cette fois, il se contentait de rester immobile, les doigts crispés sur les accoudoirs, sa mâchoire contractée.

Après de longues minutes, il finit par parler, rompant le silence de manière inattendue. Sa voix n'était plus la même. Le ton léger et ironique avait disparu, remplacé par une nuance grave et rauque, presque brisée.

— Je ne comprends pas... Cette frustration... Elle me dévore.

Ces mots, bien que chuchotés comme pour lui-même, flottaient dans l'air avec une lourdeur troublante. Ce n'était pas une simple remarque de lassitude. Il y avait quelque chose de plus profond, de plus viscéral dans ce qu'il ressentait. Un combat intérieur qu'il ne contrôlait pas, quelque chose qui le poussait à ses limites.

Je levai les yeux vers lui, surprise par l'intensité de son aveu. Jamais je ne l'avais vu ainsi. Alastor, toujours si mystérieux, si fier et impénétrable, semblait pour la première fois vulnérable. C'était déroutant. Son regard, d'habitude si acéré et empreint de malice, était voilé par une ombre que je n'avais encore jamais perçue en lui : du doute, voire de la peur.

Je décidai de feindre l'ignorance, mon cœur battant plus vite que je ne le voulais. Il fallait que je comprenne jusqu'où cette brèche dans son armure pouvait mener.

— De quoi parlez-vous ? demandai-je, m'efforçant de maintenir une voix calme malgré le tourbillon d'émotions qui grondait en moi.

Alastor releva lentement la tête, et durant une brève seconde, son regard se durcit comme s'il cherchait désespérément à reprendre le contrôle de ses émotions, à reconstituer cette carapace d'indifférence qui l'avait toujours protégé. Mais cela ne dura qu'un instant. La façade se fissura encore une fois. Son visage restait tendu, les muscles de sa mâchoire serrés, et dans ses yeux, une lueur étrange vacillait, un mélange de colère et de confusion qui témoignait du chaos qui régnait en lui. Ses mains, toujours crispées autour des accoudoirs, tremblaient légèrement, des tremblements presque imperceptibles, mais assez pour révéler le combat intérieur qu'il menait. Il était à la limite, un souffle de plus et il allait céder. Et dans cette tension palpable, une réalisation froide me frappa : j'étais la causes de son tourment.

— Je ne veux pas... perdre le contrôle comme la dernière fois, murmura-t-il, sa voix basse et rauque résonnant dans la pièce comme un grondement de tonnerre. Ses mâchoires se contractèrent violemment, et le souvenir d'une ancienne colère traversa ses traits comme une ombre sinistre. Mais cette frustration... elle m'échappe, continua-t-il, sa voix se faisant plus sombre encore. Je la ressens, elle me ronge de l'intérieur, et je ne peux rien y faire.

Ses mots flottaient entre nous, lourds, comme un aveu qu'il n'avait jamais voulu faire. Je restai immobile, le souffle court, absorbée par la force de cette confession. Alastor, cet être toujours maître de lui-même, capable de manipuler son environnement et ceux qui l'entouraient avec une aisance presque surnaturelle, avouait une faiblesse. Cela me déstabilisait profondément. Et pourtant, un curieux sentiment de soulagement s'insinuait en moi. Il l'admettait enfin : il n'était pas invincible. Mais cette vulnérabilité, aussi surprenante qu'elle soit, ne le rendait que plus dangereux à mes yeux, comme une bête blessée prête à attaquer.

Je pris une profonde inspiration, me demandant si je devais m'approcher de lui. Ce moment fragile, presque sacré, pouvait s'effondrer en une fraction de seconde. Et malgré la peur qui me tenaillait, quelque chose me poussait à aller vers lui. Lentement, hésitante, je fis un pas en avant, mes yeux rivés aux siens.

— Pourquoi cette frustration te consume-t-elle autant ? Qu'est-ce qui te fait si peur ? murmurai-je, ma voix douce tentant de franchir la barrière invisible qu'il semblait dresser entre nous.

À peine ma question posée, un changement brutal s'opéra chez Alastor. Sa colère, jusqu'alors contenue, éclata avec une intensité glaciale. Son regard, auparavant voilé par la confusion, s'enflamma soudain, son regard brûlant de rage pure. Ses poings se crispèrent violemment sur les accoudoirs du fauteuil, et il se redressa légèrement, tendu comme une corde prête à rompre. Il luttait visiblement pour maîtriser cette fureur qui menaçait de le submerger.

— Je n'ai peur de rien, mademoiselle ! rugit-il d'une voix forte, pleine de défi. Ses yeux, d'ordinaire voilés de malice, étaient devenus des braises ardentes, scintillant d'une lueur dangereuse qui semblait vouloir me réduire en cendres. Le ton sec et tranchant de ses mots me frappa comme une gifle, me faisant frissonner.

La chaleur brûlante de sa colère s'abattit sur moi avec une violence que je n'avais pas anticipée. Le poids de ses mots, aussi tranchants que des lames, et l'intensité de sa fureur m'atteignirent de plein fouet. Instinctivement, je fis un pas en arrière, puis un second, reculant sous l'effet de cette tempête d'émotions qui semblait se déchaîner autour de lui. C'était comme si ma simple présence l'exacerbait encore davantage, comme si chaque mot que je prononçais ne faisait qu'attiser les flammes de son courroux.

Le souffle court, je levai les mains dans un geste de reddition, tentant désespérément de désamorcer cette situation devenue explosive.

— D'accord, d'accord... murmurai-je doucement, presque à bout de souffle. Mon cœur battait la chamade, chaque muscle de mon corps tendu sous l'atmosphère électrique qui envahissait la pièce.

Je m'étais attendue à ce qu'il se renferme à nouveau, à ce qu'il replie ses émotions comme il le faisait toujours. Mais cette explosion soudaine, brutale, m'avait prise de court. Je restai figée, mes yeux rivés sur lui, cherchant à comprendre ce qui, en cet instant, le consumait autant.

La chaleur de sa colère m'atteignit de plein fouet. Le poids de ses mots et de sa fureur me fit instinctivement reculer d'un pas, puis d'un autre, comme si ma présence ne faisait qu'attiser la tempête en lui. Je levai les mains, en signe de reddition, espérant apaiser ce flot d'émotions qu'il peinait à contenir.

Alastor, toujours tendu, fronça légèrement les sourcils, et je vis un éclat de conscience traverser ses yeux. Il remarqua ma réaction, ma peur à peine dissimulée, et cela sembla lui faire l'effet d'un choc. Ses épaules se détendirent presque imperceptiblement, et sa respiration, un instant haletante, retrouva un rythme plus régulier. La violence dans son regard s'adoucit, comme une mer se calmant après la tempête.

— Je... ne voulais pas, murmura-t-il, sa voix maintenant plus basse, presque hésitante.

Son changement d'attitude me prit au dépourvu. Je sentis un instant que je pouvais poursuivre sur ce terrain, explorer ce moment de vulnérabilité, mais quelque chose en moi me retint. C'était une route dangereuse, et je n'avais aucune envie de le pousser à bout une nouvelle fois. Il était évident qu'il avait besoin d'une autre forme d'attention, quelque chose de plus subtil, de moins confrontant.

Prenant une grande inspiration, je décidai de faire ce qu'il n'attendait peut-être pas. Je me levai lentement de mon bureau, ne quittant pas des yeux son visage qui était maintenant un masque de neutralité. Son expression était difficile à lire, ni heureuse ni vraiment en colère. Je fis un pas vers lui, puis un autre, mes mouvements calculés, comme pour ne pas perturber cette nouvelle atmosphère fragile.

— Et si on jouait une partie d'échecs ? proposai-je doucement, avec un petit sourire qui se voulait apaisant.

Alastor ne répondit pas immédiatement. Ses yeux se posèrent un instant sur l'échiquier posé près de la fenêtre, puis revinrent vers moi. Il n'avait pas l'air de rejeter l'idée, mais ne montra aucun enthousiasme non plus. Il hocha simplement la tête, et je compris que c'était suffisant.

Je m'approchai de l'échiquier, disposant calmement les pièces tandis qu'il se levait à son tour pour me rejoindre. Un silence paisible s'installa entre nous, contrastant avec l'explosion d'émotions qui avait précédé. Alastor s'assit en face de moi, sa posture plus détendue, mais son regard toujours indéchiffrable. Nous commençâmes à jouer, chacun avançant ses pièces avec précision, mais sans véritable passion. Ce n'était pas vraiment le jeu qui importait, mais la distance qu'il mettait entre nous et la confrontation précédente.

Après quelques mouvements, je décidai de briser la glace.

— vous semblez souvent ailleurs ces derniers temps, remarquai-je doucement, espérant ouvrir une conversation sans le brusquer.

Il leva les yeux vers moi, jaugeant mes mots, puis haussa légèrement les épaules.

— Peut-être, répondit-il simplement, son ton ni froid ni chaleureux. Nous continuâmes à jouer en silence pendant quelques instants, une étrange tranquillité régnant autour de nous. L'échange n'était pas intense, mais il avait le mérite d'être apaisant. Cela lui donnait l'attention qu'il cherchait sans provoquer de nouvelles tempêtes.

Et c'était peut-être tout ce dont il avait besoin pour l'instant.

Alors que nous déplacions les pièces sur l'échiquier, Alastor rompit finalement le silence d'une voix calme, presque nonchalante :

— Comment se passe le lycée, mademoiselle ?

Je relevai la tête, un peu surprise par la question. Il ne posait que rarement ce genre de questions sur ma vie quotidienne, et cela me mit mal à l'aise. Je ne voulais pas qu'il découvre ce qui se passait réellement, le harcèlement que je subissais et la solitude qui en découlait. Je pris une grande inspiration et répondis aussi naturellement que possible, forçant un sourire.

— Ça se passe bien. Rien de particulier, dis-je en essayant de paraître détendue.

Mais malgré moi, une légère grimace se dessina sur mon visage. Alastor, toujours attentif, ne manqua pas de la remarquer. Il haussa un sourcil, visiblement curieux, mais il n'insista pas. À ma grande surprise, il choisit de changer de sujet avec sa légendaire subtilité.

— L'hiver approche, dit-il pensivement. Vous devriez mieux vous couvrir. Sortir avec... comment appelez-vous cela déjà ? Un "sweet-shirt" ? Ce vêtement me semble bien trop léger pour la saison.

Je ne pus m'empêcher de sourire devant son ignorance à propos d'un terme aussi courant. Cela me fit rire doucement de le voir si perplexe à propos d'un simple vêtement.

— Un sweat-shirt, le corrigeai-je avec un sourire amusé. C'est juste un pull léger. Vous avez raison, ce n'est pas l'idéal pour le froid.

Il fronça légèrement les sourcils, semblant essayer de comprendre le concept de ce vêtement moderne, mais l'incompréhension persistait dans son regard.

— Hum... Je comprends, répondit-il finalement, bien que son ton suggérait qu'il n'était toujours pas convaincu. Dans tous les cas, vous devriez vous couvrir davantage. Le froid de l'hiver ne pardonne pas.

Je laissai échapper un rire léger, touchée par cette remarque inattendue venant de lui.

— Je vais m'en sortir, ne vous inquiétez pas, dis-je en souriant. Ce n'est pas encore si froid, vous savez.

Il hocha simplement la tête, l'air pensif, et la partie d'échecs se poursuivit dans une atmosphère plus détendue. Même si l'échange était léger, il avait permis d'apaiser la tension qui avait précédé. Pour l'instant, cela me convenait parfaitement.

Finalement, Alastor prit l'avantage sur l'échiquier, comme à son habitude. Je le regardai déplacer sa dernière pièce, concluant la partie avec une finesse calculée. Je soupirai légèrement, amusée par sa victoire inévitable.

— Vous avez encore gagné, dis-je en souriant, levant les yeux vers lui. Je suppose que je ne fais toujours pas le poids.

Alastor me regarda avec cette lueur narquoise dans les yeux, mais sans le sarcasme mordant qui accompagnait habituellement ses victoires.

— Vous vous améliorez, mademoiselle, dit-il calmement. Mais pas assez pour me battre... pas encore.

Je ris doucement, en me levant de ma chaise, sentant la fatigue de la journée peser sur mes épaules.

— Je vais me coucher, dis-je en étouffant un bâillement. Mais je vous promets de rentrer tôt demain pour qu'on puisse jouer une partie plus longue. Peut-être que cette fois, je pourrai vous surprendre.

Il haussa un sourcil, visiblement amusé par ma proposition, et acquiesça légèrement.

— Nous verrons cela, répondit-il d'une voix douce, presque veloutée. Bonne nuit, mademoiselle.

À peine ses mots prononcés, il disparut dans un léger souffle d'air, s'évaporant dans l'obscurité de la pièce comme s'il n'avait jamais été là. Je restai un instant figée, comme à chaque fois qu'il partait de cette manière, puis je me dirigeai vers mon lit , un sourire léger flottant sur mes lèvres.

Pour l'instant, tout allait bien

Je me réveillai ce matin-là avec une sensation étrange. D'habitude, Alastor était toujours là, quelque part dans la maison, soit en silence dans son fauteuil, soit jetant un commentaire sarcastique pour bien commencer la journée. Mais aujourd'hui, le silence régnait d'une manière inquiétante. Je me levai, jetant un coup d'œil autour de moi, m'attendant à croiser son regard perçant, mais il n'était nulle part.

Un vide étrange flottait dans l'air. Ses absences soudaines étaient rares, et elles m'inquiétaient toujours un peu. Pourtant, je me dis que ce n'était probablement rien, qu'il devait être quelque part, dissimulé dans un coin, à observer comme il aimait tant le faire.

Je m'habillai rapidement, puis, en sortant de la chambre, je jetai un dernier coup d'œil autour de moi.

— Au revoir, Alastor, murmurai-je dans le vide, par habitude, même si je savais qu'il ne me répondrait pas.

Je pris mon sac et, au lieu de prendre le bus comme à mon habitude, je décidai de marcher. Quelque chose en moi me disait de ne pas m'enfermer dans un bus aujourd'hui. J'avais besoin d'air, de me vider l'esprit. Peut-être était-ce simplement le fait qu'Alastor soit absent qui me perturbait autant.

Je me mis donc en route, les mains dans les poches de mon sweat-shirt, espérant que la marche effacerait cette sensation d'inconfort qui me pesait depuis que j'avais quitté la maison. Pourtant, à chaque pas, cette impression ne faisait que grandir. Et plus je marchais, plus je sentais ce léger frisson dans mon dos, comme si quelqu'un me suivait de loin.

Je me retournai plusieurs fois, scrutant la rue derrière moi. Personne. Pourtant, cette sensation persistait, me faisant légèrement accélérer le pas.

Plus j'avançais, plus ce sentiment d'être suivie devenait oppressant. Chaque bruit de pas, chaque voiture passant au loin, semblait amplifier ma paranoïa. Pourtant, lorsque je me retournais, il n'y avait toujours personne. Je savais qu'Alastor ne pouvait pas sortir de chez moi... Du moins, c'est ce qu'il m'avait toujours laissé croire. Mais l'idée qu'il puisse me suivre en secret, jouer avec mes nerfs, commençait à germer dans mon esprit. Et si, depuis tout ce temps, il pouvait en fait quitter mon logement ? S'il s'amusait simplement à me faire croire le contraire ?

Je secouai la tête, essayant de chasser cette pensée. Non. Alastor aurait déjà profité de cette liberté pour me tourmenter bien avant, c'était son genre. Il aimait trop jouer avec moi pour rater une telle occasion. Alors pourquoi aujourd'hui serais-je suivie ?

Les rues étaient encore calmes à cette heure-là, les gens commençaient à peine à sortir de chez eux pour se rendre au travail ou à l'école. Mais malgré l'apparente normalité de cette matinée, je ne parvenais pas à me débarrasser de cette étrange sensation. J'accélérai le pas, le lycée n'était plus très loin maintenant.

À chaque intersection, à chaque rue que je traversais, je jetais un coup d'œil rapide derrière moi. Rien. Juste la rue, vide et paisible. Pourtant, ce frisson le long de ma colonne vertébrale ne disparaissait pas. Mon cœur battait plus fort, un mélange d'anxiété et de peur m'envahissant peu à peu.

En arrivant près des grilles du lycée, je m'efforçai de prendre une grande inspiration et de me calmer. C'était ridicule. Personne ne me suivait. J'allais entrer en cours et oublier cette sensation bizarre.

Mais alors que j'approchais des portes, je vis un groupe familier m'attendre à l'entrée. Les trois filles. Celles qui ne perdaient jamais une occasion de rendre mes journées plus difficiles. Mon souffle se coupa un instant. Un autre type de frisson parcourut mon corps, mais cette fois, c'était celui que je connaissais bien : celui de l'appréhension.

Elles étaient là, comme toujours, près de l'entrée du lycée. Trois filles qui semblaient prendre un plaisir malsain à me harceler dès qu'elles en avaient l'occasion. Depuis des mois, elles avaient fait de moi leur cible préférée, leurs moqueries et leurs remarques acides étant devenues une routine à laquelle je ne m'habituerais jamais vraiment.

Je pris une profonde inspiration, mes doigts se crispant autour des bretelles de mon sac à dos. J'avais réussi à échapper à la sensation d'être suivie pendant un moment, mais me retrouver face à elles ravivait une autre forme de tension. Comme d'habitude, leur sourire narquois apparut dès qu'elles me repérèrent.

— Eh, regarde qui voilà, lança l'une d'elles d'une voix perçante. T'as décidé de marcher ce matin, Amélie ? Le bus était trop bondé pour toi ?

Elles s'avancèrent, formant leur petit groupe serré, comme une barrière vivante entre moi et l'entrée du lycée. Je tentai de les ignorer, gardant les yeux baissés, espérant pouvoir les contourner sans déclencher leur rage habituelle.

— Alors, t'es trop occupée pour nous dire bonjour ? ajouta une autre, sa voix remplie de sarcasme.

Mon cœur battait à toute vitesse dans ma poitrine. Je savais que répondre ne ferait qu'empirer les choses. Pourtant, mon silence semblait les provoquer encore plus. Alors que je tentais de les contourner, une des filles, la plus grande et la plus violente du groupe, fit un pas brusque vers moi et, sans prévenir, me poussa violemment en avant. Je perdis l'équilibre et tombai lourdement sur le trottoir, mes genoux frappant durement le sol. La douleur fut immédiate, et je sentis ma peau se déchirer sous l'impact, mes genoux désormais écorchés et saignants.

— Oups, murmura-t-elle avec un sourire en coin. Tu devrais faire attention, Amélie.

Elles éclatèrent de rire, fières de leur petit jeu. Je serrai les dents, refusant de leur montrer combien j'avais mal. Je me relevai difficilement, évitant de croiser leurs regards et reprenant mon chemin sans un mot. Leurs rires résonnaient encore dans mes oreilles alors que je franchissais les portes du lycée. La douleur dans mes genoux me rappelait l'humiliation que je venais de subir, mais je ne leur donnerais pas la satisfaction de me voir m'effondrer.

Je parvins à me glisser dans les couloirs bondés, échappant à leur vue pour le moment. La sonnerie venait de retentir, marquant le début des cours. À l'abri en classe, je m'assis à ma place, posant doucement mes genoux blessés sous la table. Mais même là, je n'arrivais pas à me débarrasser de cette sensation oppressante. Quelque chose d'autre planait dans l'air, une menace silencieuse que je ne pouvais pas encore expliquer.

Les premières heures de cours passèrent dans un flou, la douleur lancinante dans mes genoux me distrayant de tout le reste. Chaque mouvement était une torture discrète, mais j'essayais de garder mon calme. Je voulais me concentrer, me perdre dans les leçons, mais mes pensées revenaient constamment à ces filles. Et cette impression étrange que quelque chose se préparait.

Lorsque la cloche annonça la pause du matin, je sortis en silence, traînant légèrement les pieds dans les couloirs bondés. Alors que je marchais vers ma prochaine salle, je les aperçus de nouveau, rassemblées près des escaliers, discutant et riant comme si de rien n'était. Mon cœur se serra, mais je fis de mon mieux pour les éviter. Pourtant, le destin semblait avoir décidé d'autre chose.

Je n'avais même pas atteint la moitié des escaliers que soudain, un cri strident déchira l'air. Je tournai la tête juste à temps pour voir l'une des trois filles, glisser et dégringoler les marches. Sa chute fut violente, et le bruit sourd de son corps frappant les marches résonna dans tout le couloir. Le silence se fit instantanément, puis tout le monde se précipita autour d'elle. Elle gisait là, immobile, un bras et une jambe dans des angles étranges, visiblement brisés.

Je restai figée, le souffle coupé. Ce n'était pas une chute ordinaire. Quelque chose... ou quelqu'un l'avait poussée. Mais il n'y avait personne à côté d'elle. Mon cœur battait à tout rompre. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Pourtant, je n'avais vu personne d'autre, aucune main, aucune force visible qui aurait pu causer cela.

Les professeurs accoururent, appelant une ambulance tandis que les murmures emplissaient les couloirs. Les élèves chuchotaient entre eux, choqués par ce qui venait de se passer. Mais moi, j'étais certaine d'une chose : ce n'était pas un simple accident.

Je tentai de reprendre mes esprits, mais la scène ne cessait de se rejouer dans ma tête. Je me souvenais de la sensation d'être suivie ce matin-là, de cette présence invisible qui m'oppressait. Serait-ce possible que... Non, Alastor ne pouvait pas être là. Il ne pouvait pas sortir de la maison, pas sans me le dire, pas sans... Pourtant, cette chute étrange, le timing... cela ne me semblait pas être une simple coïncidence.

Je m'éloignai de la foule, essayant de me calmer. Mais l'incident me restait en tête, et un sentiment sourd de peur me suivait comme une ombre, me rappelant qu'une autre force était peut-être à l'œuvre.

La cloche sonna pour la pause déjeuner, mais mon esprit était ailleurs. L'image de la première fille, étendue au bas des escaliers, refusait de me quitter. Chaque fois que je fermais les yeux, je voyais son corps brisé, son visage déformé par la douleur. Ce n'était pas normal. Ce matin déjà, cette sensation d'être suivie... et maintenant cet accident. Il y avait quelque chose de plus. Je le sentais.

En entrant dans la cantine, je cherchai machinalement un coin isolé pour m'asseoir. Mon cœur battait encore trop fort, et mes genoux me faisaient mal à chaque pas. J'avais besoin de me calmer, mais à peine avais-je commencé à manger que mon regard fut attiré par un mouvement de l'autre côté de la salle.

C'était l'une des filles du groupe qui me harcelait, assise avec ses amies. Elle semblait nerveuse, ce qui était inhabituel. D'habitude, elles étaient bruyantes, ricanant à chaque occasion, mais cette fois, elle inspectait son plateau avec une attention inhabituelle. Je me souvins alors qu'elle souffrait de graves allergies alimentaires, et que la moindre erreur pouvait être fatale. Elle scrutait chaque morceau de nourriture avec soin, mais quelque chose ne semblait pas aller. Elle hésita un instant, puis, visiblement rassurée, piqua un morceau de salade avec sa fourchette.

À peine avait-elle pris une bouchée que son visage changea brusquement. Ses yeux s'agrandirent d'horreur, et elle lâcha sa fourchette avec fracas, les doigts soudain raides et tremblants. D'abord, je pensais qu'elle plaisantait, que c'était une de leurs blagues habituelles. Mais non... son expression devint de plus en plus alarmée. Sa respiration devint rauque, saccadée. Son visage commença à virer au rouge.

Elle porta les mains à sa gorge, ses yeux se remplissant de panique. Elle étouffait. Je vis ses lèvres gonfler, son visage prendre une teinte bleuâtre. Une crise allergique. Mais comment ? Elle faisait toujours si attention à ce qu'elle mangeait !

Autour d'elle, les autres élèves s'arrêtèrent soudainement de parler. Un silence angoissé s'installa dans la cantine. Puis, quelqu'un cria :

— Elle ne respire plus !

La panique éclata comme une bombe. Des élèves se levèrent précipitamment, reculant d'horreur tandis qu'elle basculait de sa chaise, s'effondrant au sol, ses mains agrippant désespérément sa gorge. Son corps convulsait, secoué par des spasmes incontrôlables. Je restai figée sur place, incapable de bouger. Le bruit chaotique des chaises raclant le sol, des élèves qui appelaient à l'aide, tout semblait étouffé dans mon esprit.

Les surveillants et les professeurs accoururent, un brouhaha d'ordres se mêlant à la panique générale. Une professeure s'agenouilla près d'elle, essayant de garder son calme tandis que quelqu'un appelait une ambulance. Les secondes s'égrenaient lentement, et je voyais la vie s'échapper du corps de cette fille, son visage gonflé et défiguré par l'œdème de Quincke qui envahissait ses voies respiratoires.

Mon souffle s'accéléra, un frisson me parcourut. Cela n'avait aucun sens. Elle était si précautionneuse. Comment une telle chose avait-elle pu se produire ? Je me souvenais encore de la sensation étrange qui m'avait suivie ce matin. Et maintenant... cette deuxième "coïncidence". Cela ne pouvait plus en être une.

Je regardai autour de moi, cherchant une explication rationnelle, quelque chose qui puisse justifier cet enchaînement de catastrophes. Mais rien. Rien, si ce n'est cette pensée obsédante qui commençait à se former dans mon esprit. Ce n'était pas un accident. C'était Alastor. Cela ne pouvait être que lui.

Mon cœur s'emballa. Je ne pouvais m'empêcher de regarder autour de moi, comme si je m'attendais à voir son ombre dans un coin, tapi dans l'ombre, observant tout avec cette satisfaction froide qui lui était propre.

La fille fut finalement évacuée en urgence, ses amies la suivant en pleurs. Je restai là, pétrifiée, un nœud se formant dans mon estomac. Deux filles, deux accidents presque mortels. Le doute que j'avais au départ s'évapora complètement. Alastor était derrière tout ça. J'en étais presque certaine... enfin presque.

Le reste de la journée se déroula dans une atmosphère lourde et tendue. Les rumeurs sur les accidents s'étaient répandues comme une traînée de poudre, et tout le monde chuchotait, les yeux remplis d'inquiétude. Moi, je ne pouvais m'empêcher de fixer la troisième fille du groupe. Celle qui m'avait poussée ce matin. Elle semblait nerveuse, comme si elle sentait que quelque chose n'allait pas. Ou peut-être que c'était juste ma propre angoisse qui déformait ma perception.

Les heures s'étirèrent, et enfin, la cloche de fin des cours retentit. Je n'avais qu'une hâte : rentrer chez moi et parler à Alastor .

Je sortis du lycée, pressant le pas. Le ciel s'était couvert de nuages gris menaçants, comme si la tempête qui régnait en moi se reflétait dans l'atmosphère. Soudain, un bruit sec et un cri retentirent. Je me retournai juste à temps pour voir la dernière fille, celle qui m'avait blessée, marcher sans regarder et trébucher en plein milieu de la rue. Je la vis glisser sur le bord du trottoir et tomber directement devant un bus qui arrivait à vive allure.

Mon cœur s'arrêta. L'impact fut brutal, et le bus ne put freiner à temps. Son corps fut projeté sur le bitume dans un bruit sourd. Les hurlements des témoins résonnèrent autour de moi, mais je ne pouvais pas bouger. Je restai là, paralysée, incapable de détourner le regard de la scène horrifique qui se déroulait sous mes yeux.

Les secours arrivèrent rapidement, mais il était clair que son état était critique. Ils la transportèrent d'urgence à l'hôpital. Cette fois, il n'y avait plus aucun doute dans mon esprit. Trois filles, trois accidents impossibles. Ce n'était pas une coïncidence. Et alors que je regardais autour de moi, je le vis enfin. Une ombre, furtive, disparaissant dans un coin de la rue, s'effaçant comme un mirage. Alastor.

Je sentis une vague de panique m'envahir. Je devais rentrer. Maintenant.

Je marchai aussi vite que possible, mes pensées tourbillonnant dans un chaos que je ne pouvais pas arrêter. Alastor avait fait cela. Il avait causé ces accidents, je le savais. Mais pourquoi ? Était-ce pour me protéger, ou pour me punir d'une manière que je ne comprenais pas encore ?

Quand j'arrivai enfin chez moi, je claquai la porte derrière moi et appelai son nom :

— Alastor !

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