Dimanche 20 Octobre (1/3)

Il est difficile au réveil de se dire que la veille ne faisait pas partie de cet affreux cauchemar qui hante les nuits. Percy est bel et bien à Poudlard pour élucider l'affaire Selwyn et je me retrouve à nouveau avec Scott pour tenter de lui sauver la vie, bien malgré moi. Et ça ne me donne guère l'envie de me lever.

Je me traîne jusqu'au petit déjeuner avant que le reste du dortoir ne soit réellement levé, profitant des dernières éclaircies matinales de l'année. En fait, j'ai comme objectif plutôt clair de croiser le moins de monde possible ce matin. Mais malheureusement, Scott est un lève-tôt. Il est déjà là, planté dans le Hall, à m'attendre. Il a l'air fatigué, avec plus de cernes qu'hier, les cheveux bruns maladroitement coiffés et un sourire las.

« Bien dormi ? lui demandé-je en guise de bonjour.

– Pas tellement, répond-il en un bâillement. Et toi ?

– J'aurais préféré ne jamais te revoir, si tu vois ce que je veux dire.

– Quoi, tu me vois dans tes rêves maintenant ? demande-t-il avec un léger sourire.

– Mes cauchemars. »

Il secoue la tête en étirant les lèvres. Pense-t-il que je ne suis pas sérieuse ? J'ai sincèrement envie qu'il s'en aille définitivement de Poudlard mais je n'ai pas la force morale d'assumer tout à fait cette envie et de la mettre à exécution. Je ne sais pas si on peut considérer ça comme de la lâcheté mais clairement, ça me complique bien la vie. Ne serait-ce pas plus simple de laisser Scott se débrouiller seul avec les problèmes qu'il a lui-même créé ? Affirmatif mais je n'ai pas réussi à rester impassible face à ses yeux larmoyants. Qui croirait que ma pitié aurait pu un jour me jouer des tours ?

Il s'installe à côté de moi à la table des Gryffondor, à laquelle il est à nouveau accepté depuis peu. Comme à chaque fois, je me retrouve à regarder mes céréales dans le blanc des yeux et ma cuillère semble me dire que ma vie n'est vraiment pas terrible. Scott, lui, préfère ses habituelles tartines.

« Il faudrait qu'on agisse comme un couple, non ? »

Je le regarde, sceptique. Agir comme un couple, qu'est-ce que ça veut dire ? Il est trop tôt le matin pour que quiconque s'intéresse à notre manière de nous comporter. Si je ne suis pas obligée de le toucher, je préfère autant ne pas le faire.

« Sois pas ridicule, il n'y a personne à convaincre mis à part trois demi-portions qui ont encore la marque de leur oreiller.

– Je ne sais pas, dit-il d'une voix basse un peu déçue. Regarde qui entre, par exemple. »

Je jette un coup d'œil derrière mon épaule. Merlin, je vois ce qu'il veut dire. Comme par hasard, voilà un autre modèle de couple qui est apparemment beaucoup plus proche que nous le sommes.

Coralie Catham, accrochée à la taille de Lorcan Scamander, semble ne pas pouvoir s'empêcher d'émettre un rire sincère si énervant dès le matin. Lorcan lui caresse doucement les cheveux alors qu'ils marchent vers la table de Serdaigle. C'est limite si elle ne s'assoit pas sur ses genoux et si elle ne lui tartine pas son pain pour le nourrir elle-même.

La vision me révulse un peu. Avec une grimace, je commente :

« Ce n'est pas une compétition non plus.

– De toute façon, c'est sûr qu'avec ton enthousiasme, on n'aurait pas gagné. Mais avouons-nous perdants avant de participer, tu as raison, c'est plus sage.

– N'essaye même pas. »

Il cherche à attiser mon orgueil mais ce matin, je ne suis définitivement pas assez fière pour relever un défi de ce genre. Que Lorcan et sa nouvelle amie jouent à s'échanger des miasmes tout seul, je n'ai pas l'intention de partager les miens avec Scott. Même si, au fond, voir le Scamander tripoter discrètement sa jolie blonde, souffle sur les braises de mon âme. Honnêtement, je n'ai plus faim maintenant. Je détourne le regard de cet affligeant spectacle pour me tourner vers Scott qui m'observe du coin de l'œil, un peu suppliant.

« Sérieusement, laisse tomber. Tu vois la différence entre elle et moi ? Elle, elle est contente d'être avec son petit-ami. Moi, je n'ai pas vraiment le choix et ça me donne envie de te buter chaque jour de ma vie.

– Tu crois que j'ai le choix, moi ? Molly, il en va de ma survie, dit-il d'une voix sourde, particulièrement touché.

– Bien, alors, faisons juste semblant quand mon père est dans les parages. Il est allé à Pré-au-Lard ce matin. Il faut qu'on mettre notre plan précisément en place. Qu'on soit vraiment préparés pour quand il reviendra. »

Il hoche la tête, déterminé. Il se frotte le menton, très sérieusement, et glisse légèrement sur la banc, pour s'éloigner de moi. Il doit penser me faire plaisir. Je lève les yeux au ciel. D'accord, la situation entière est absurde de toute manière. Je soupire en me rapprochant de lui, de manière à ce que nos épaules se touchent. Je passe mon bras sous le sien pour me serrer contre lui. Il fait exprès de ne pas me regarder alors que je le fixe avec des yeux amusés. Je pose ma tête doucement sur son épaule, laissant mes cheveux lui effleurer le cou. Il contracte sa mâchoire, je le vois très bien d'où je suis.

« Merlin, j'essayais de faire un effort mais si ça ne t'intéresse pas ... »

Avec l'air faussement vexée, je me détache de lui pour revenir à ma place, et même un peu plus loin, déplaçant mon bol par la même occasion. Il soupire en retenant un rire et alors que j'évite ostensiblement son regard, en mordillant légèrement ma lèvre inférieure. Il m'attrape le bras pour me ramener à lui. Je me laisse faire, jouant le jeu, et atterrit dans ses bras, un sourire contrarié aux lèvres. Il chuchote : 

« Je ne te remercierais jamais assez pour ce que tu fais pour moi, Molly Weasley.

– Ne sois pas idiot, je ne le fais pas pour toi, Reeve. Je le fais seulement pour ma bonne conscience. »

Il hoche la tête doucement, en gardant ce sourire plein de charme, ces yeux qui ont quelque chose de si triste au fond des pupilles. J'ai l'impression que plus grand-chose n'existe autour de nous, qu'on est revenu dans le temps, avant qu'il ne fasse cette terrible erreur qui a pulvérisé la confiance que j'avais en lui. Et, si proche de lui, le cœur hésitant à battre, je baisse la garde. Il me rapproche de lui et pose ses lèvres sur les miennes. Je ferme les yeux. Merlin, quel goût amer. Je pose une main sur son torse. Merlin, je n'y arrive pas. Ma main le repousse doucement mais fermement. Je rouvre les yeux, ils se plongent, sombres, dans ceux du Poufsouffle qui me regarde avec confusion. Il ouvre la bouche, comme pour s'excuser, mais je secoue la tête et recule, remettant un peu de distance entre nous.

J'ai cette impression d'avoir embrassé le diable, et d'avoir quand même un peu aimé.

« On s'en tiendra à se tenir la main, murmuré-je dans un souffle.

– Je suis désolé, répond-il d'une voix embarrassée. Je n'ai pas pu ... 

– Je sais. »

C'est sa manière de me dire qu'il m'aime encore, de continuer à me faire souffrir le cœur et l'esprit. Je me sens perdue. Je jette un coup d'œil autour de nous pour vérifier que personne n'a remarqué le froid soudain qui s'était installé entre nous. Mais personne ne nous regarde. Lorcan a les yeux rivés vers ceux de Coralie. Ils gagnent très clairement la compétition. Je me lève, un peu brusquement, et lui propose d'aller préparer la rencontre avec Percy dès maintenant. Il accepte et, sans même finir sa tartine de marmelade, se lève pour me suivre. On se dirige en silence, naturellement, sans vraiment y réfléchir, vers les bords du lac. Là où nos souvenirs dorment. Généreusement, il enlève sa cape pour la mettre par terre et qu'on puisse s'asseoir sans se salir. Je le remercie d'un regard.

« Par où on commence ? demande-t-il d'un ton hésitant.

– Il faudra que j'y aille seule, d'abord, pour préparer le terrain, dis-je en regardant pensivement les reflets du lac. Hier, je leur ai dit que je continuerai mes recherches. Donc, si j'annonce que j'ai quelques révélations, que j'ai bien réfléchi et je fais en sorte de leur présenter ça comme un avantage, ça pourrait passer plutôt naturellement.

– Il faut que ton père s'inquiète le moins possible pour toi, je pense que c'est ça qui risquerait de le mettre le plus en colère. Il faut surtout que tu insistes sur le fait que je veux changer les choses et que je me propose pour les informer. »

Je me prends la tête entre les mains. Non, Percy ne va pas aimer ça du tout. Scott a raison, pour mettre toutes nos chances de notre côté, je dois les persuader que Scott ne représente pas une menace mais bien un atout. Je souffle, sentant une boule de stress se former dans mon estomac. Il faudrait déjà que je sois tout à fait persuadée que Scott ne représente plus aucune menace. Un frisson me parcourt.

« Je n'ai pas parlé de la lettre d'Astrid, hier, quand ils m'ont demandé si je savais quelque chose...

– Ce n'est pas grave, je la prendrai avec moi, pour leur expliquer, quand tu m'auras introduit. J'imagine qu'ils voudront me voir seul.

– Non. »

Je suis catégorique. Il se tourne soudain vers moi, étonné, ne comprenant pas ce refus un peu brutal. Je répète :

« Non. Tu n'auras pas la lettre entre les mains. Surtout pas si tu es seul. Je ne te fais pas confiance, Reeve. Cette lettre, c'est ma preuve que tu es ce que tu es, tu ne l'auras pas. »

Il me regarde, les yeux durs et les sourcils froncés. J'ai cru un instant qu'il allait s'énerver mais il finit par hocher la tête et baisser les yeux vers le lac. Je croise les bras. Après quelques secondes de silence, je reprends :

« Alors, après avoir annoncé ce que j'ai à annoncer, je te fais entrer, c'est ça ?

– Oui. Ensuite, on avisera selon leur réaction. Je sais déjà ce que je vais leur dire de toute manière.

– Ah oui, et tu leur diras quoi exactement ?

– La vérité. »

Je hausse un sourcil suspicieux. La vérité. Cette si belle chose qu'il semble ne pas connaître si bien que ça. Cette chose qu'il ne m'a pas dite en entier, je le sais. Il a gardé pour lui des détails peu glorieux. J'ai comme un doute, pourra-t-il tout révéler à McGonagall et à mon père ? Ça vaudrait mieux pour lui, sinon, ça voudrait dire que je suis en train de protéger quelqu'un de pire encore que ce que je pensais.

On regarde l'eau faire de doux clapotis sous le soleil pâle d'octobre. J'ai peur du moment qui approche. Lui aussi, certainement même plus que moi. Il glisse lentement sa main vers la mienne. Je laisse ses doigts s'entrelacer aux miens. Oui, il a très peur. Je ferme les yeux. J'ai l'impression de sentir son cœur battre à toute allure entre mes doigts. Il murmure, c'est à peine si je l'entends :

« Il rentre à quelle heure, ton père, de Pré-au-lard ?

– Je pense qu'il y passera la matinée.

– Est-ce qu'on parle de notre excursion dans la grotte ? demande-t-il alors, tournant ses yeux vers les miens.

– Tu peux peut-être parler de la grotte en omettant le fait que tu m'y as amenée. »

Je croise son regard. Il hoche la tête, compréhensif. C'est une des choses que Percy ne doit surtout pas savoir. Et je sais qu'il en a conscience. Je ressens une pointe de culpabilité en me disant que je lui demande de me mettre à l'abri et de mettre toute la faute sur lui, uniquement sur lui. Mais je ne laisse rien paraître. Pas de faille dans laquelle il risquerait de s'embarquer. Après tout, n'est-ce pas uniquement de sa faute ? 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top