XIII Capitaine France
« Désormais, nous savons quand aller où, récapitula Molière. Or, nous ignorons qui nous y trouverons, alors autant définir tout de suite comment nous allons nous y rendre. L'annexe d'Hippolyte est-elle toujours ouverte ?
- À mon grand regret, oui, informa Jean Racine. Allez-y, filez. J'espère ne pas vous revoir de sitôt. »
Le biker salua son collègue écrivain et me fit signe de le suivre. Je n'avais pas hâte de connaître "l'annexe d'Hippolyte", ce personnage m'ayant paru beaucoup trop gênant lors de notre unique entrevue. Nous traversâmes l'arbre d'un bout à l'autre, et entrâmes dans une petite cave humide et poisseuse, où le fils de Thésée limait une lame, au seul moyen de sa main.
« C'est mon aptitude, déclara Hippolyte, songeur. Je peux fabriquer toutes les armes de chasse à partir de presque rien, ou des parties de mon corps. »
Je regardai tout autour : des centaines de poignards recourbés, de javelots et de filets de chasse se mêlaient à des armes modernes forgées avec un style antique. Molière interrogea le personnage de Racine :
« Tu es donc la seule personne à ne pas avoir été convertie au pacifisme hippie dans ce fichu Arbre ? »
Le chasseur se tut un moment, avant de désigner d'un regard un voile gris. Molière souleva le drap sous lequel Armande patientait avec élégance.
« Je l'ai repeinte, et y ai ajouté quelques modifications, précisa Hippolyte.
- À savoir ?
- Tu le découvriras bien par toi-même. J'imagine que tu vas te lancer dans une nouvelle expédition punitive. J'ai quelques armes en stock qui seraient susceptibles de t'intéresser.
- Je t'écoute. »
Puis, comme un enfant qui présente ses peluches, le personnage mythologique nous fit faire connaissance avec plusieurs de ses menues créations.
« Premièrement, j'ai pris la liberté de te confisquer ton fusil à double-canon. Légèrement trop démodé, il lui fallait une petite mise à jour. »
Le chasseur tendit au dramaturge un tout nouvel objet : à trois canons désormais, le fusil était vêtu d'un élégant revêtement de marbre blanc type colonne grecque, et un drôle de dispositif-poussoir avait été installé à côté de la gâchette.
« Trois coups, balles explosives, cadence, visée et recharge améliorées. Le nec plus ultra du démontage de crânes.
- Et le bouton, m'enquis-je ?
- C'est pour tirer les trois balles d'un coup. »
Je ne me rappelais pas avoir jamais vu autant d'armes dans ma vie. Enfin... si c'était pour régler leur compte à de dangereux assassins comme Harpagon, cela pourrait s'avérer fort utile.
« Ensuite, voici la fameuse bombe artisanale. Alors pas de panique, il ne s'agit que d'un système non-létal. Il te suffit de la lancer et une nova de colle immobilisera tous ceux qui sont à la portée de ce petit paquet.
- Je préfère ne pas savoir avec quoi tu as créé pareille arme, commenta Molière en prenant trois de ces paquets verdâtres mous et gélatineux en poche. »
« Pour toi, poulette, me lança l'armurier, j'ai le bijou parfait. »
Hippolyte brandit à mon attention un petit foulard enveloppant un objet mystère. Je déballai cet impromptu cadeau, pour découvrir un minable pistolet à billes. Je tendis une moue de déception au beau-fils de Phèdre, qui se justifia amplement :
« Le lanceur est inutile en soi. Tout l'intérêt est dans les billes, qui sont chargées à plus de quatorze mille volts. Eh oui, désormais deux êtres peuvent lancer la foudre en ce monde. »
Bouche-bée, je contemplai le pouvoir que venait de m'offrir le chasseur avec un tout nouvel œil.
« Et comme la meilleure attaque est la défense, finit Hippolyte, voilà ma dernière trouvaille. À dire vrai, je ne l'ai pas créé, il a été caractérisé par La Bruyère, il y a un siècle environ. »
Je restai coite : un large bouclier circulaire nous faisait face, décoré de cercles concentriques bleus, blancs et rouge.
« Jean de La Bruyère m'avait accordé une faveur. Je lui ai demandé d'insuffler un caractère dans ce bouclier. N'importe lequel.
- Et qu'a-t-il choisi ?
- Le caractère du rhéteur. Ainsi, ce métal est capable d'absorber toute offense qu'on lui fait et de la renvoyer. Un certain Stanislas qui était de passage au Soi-Roleil quelques décennies auparavant a trouvé l'idée sympathique et en a composé une série d'ouvrages. Il a appelé ça Capitaine Amérique.
- Le concept est vendeur, en effet, confirma le dramaturge. Mais c'est beaucoup moins classe qu'une fiction dans laquelle Molière serait un biker. Et grâce à toi, mon cher Hippolyte, l'humanité va assister aux commencements du Capitaine France. Et c'est moi. »
Molière biker enfila son nouveau bouclier en bandoulière, désormais armé jusqu'aux dents. À nous la baston.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top