V Qui se sent morveux se mouche

Avertissement : cet épisode contient une scène peu ragoûtante.

Molière me chuchota : « Qu'est-ce que je t'avais dit ? Lully ne se trompe jamais. »

Harpagon-Louis de Funès nous esquissa la pire grimace de sourire qui fût, avant de minauder :

« Molière ! Mon cher ami.

- Garde ces manières pour toi, tonna l'ancien chef de l'Illustre Gang. Il est temps de régler nos comptes. Dans tous les sens du terme. Tu sais combien tu me dois.

- Mais ne le provoque pas ! Mis-je en garde le dramaturge. Tu n'as pas peur de son pouvoir ?

- Meuh non, évita Molière. C'est de la camelote, ce que je lui ai donné.

- Silence ! Hurla Harpagon. Pas de messes basses ! »

Puis, sortant une pièce de un centime de sa poche :

« Tu sais ce qui se passera si je la laisse tomber ? Toi et ton amie allez mourir dans d'atroces souffrances.

- C'est ça ! Ironisa l'écrivain.

- Donc, comme je n'ai vraiment pas envie de perdre ne serait-ce qu'une once d'argent, vous allez me laisser m'en aller bien tranquillement. »

Molière fit mine d'être en profonde réflexion pendant quelques secondes, avant de sortir son fusil à double-canon de son gilet, annonçant :

« De toute façon, il n'y aura besoin que d'un coup. »

Le visage de l'Avare se décomposa : il n'avait sûrement pas prévu cette éventualité. Il glapit quelques « Non ! » hâtifs mais Molière avait déjà troué ses viscères. Harpagon s'étrangla, devint rouge de sueur puis émit des gémissement plaintifs. Il ne tombait pas. Son créateur leva les sourcils : Louis de Funès pleurait désormais comme un bébé. L'Avare finit par déboutonner sa veste de cuir, pour nous en dévoiler l'intérieur : la doublure du manteau était intégralement tapissée de pièces de deux euros, déformées par le tir de fusil.

Un léger « zut ! » fit écho dans mon esprit : Harpagon semblait en pleine métamorphose. Les yeux striés de veines éclatées, un filet de sang à chaque narine, salive dégoulinante, teint écarlate qui se noircissait encore... ce simple personnage devenait un monstre.

Molière rangea son arme avec empressement lorsqu'un groupe d'agents de sécurité fit son apparition, puis l'écrivain musculeux pointa Harpagon du doigt, tout en me susurrant :

« T'inquiète, le bougre bluffe. On ne risque rien. »

Un des gardes s'affola à la vue de l'état de l'Avare. Il s'en approcha peu à peu pour au final le prendre par le bras :

« Vous autres, appelez les secours, on a un malaise, et pas un petit. Monsieur, vous allez bien ? Êtes-vous capable de m'entendre, de me comprendre ? »

Certainement pas puisque depuis ma position, je pouvais observer qu'un mélange de sang et de cérumen s'écoulait des deux oreilles du cupide. Pouvait-on réellement avoir une telle réaction juste pour quelques euros ? Visiblement, Harpagon, comme possédé par une étrange entité, psalmodiait une série de mêmes mots que l'agent de sécurité avait du mal à entendre :

« Que dites-vous ? Vous vous mourez ? Mais non monsieur, les secours arrivent. »

Puis on entendit plus clairement l'appel d'Harpagon :

« Je me meurs, je suis mort, je suis enterré, je me meurs, je suis mort, je suis enterré, je me meurs...

- Il est content ; il fait son petit numéro, commenta Molière. »

L'appel devint un cri de plus en plus assourdissant, jusqu'à ce que je sois contrainte de me boucher les oreilles pour éviter la rupture de mes tympans. Que quelqu'un le fasse taire ! N'importe qui ! Que quelqu'un fasse quelque chose !

Je vis le garde tenter de secouer Louis de Funès. Puis, d'un coup, d'un seul, tout devint rouge. Et calme.

Je frissonnai d'épouvante : le monstre que Molière avait écrit se tenait bras tendu vers le plafond, main couverte d'un liquide rouge et visqueux. Non... non... c'est un cauchemar, je dois rêver ! Je m'effondrai au sol, desséchée : à côté d'Harpagon, le garde se tenait debout, immobile. Mais sa tête avait volé en éclat, en un seul coup furieux de l'Avare. Parce que nous avions touché à sa fortune. Les larmes me montèrent aux yeux, tandis que le cadavre de l'agent de sécurité s'écroulait. Je levai les yeux vers Molière qui décollait un bout de cervelle de sa veste d'une pichenette. Il m'avertit :

« Désolé Madeleine, mais je crois que les pouvoirs d'Harpagon ont légèrement changé depuis notre dernière rencontre. Trouve-toi une arme. Cache-toi. Moi, j'ai une dette à faire payer. »

De son côté, le meurtrier contempla les dépouilles de ses pièces de deux euros, avant d'aboyer :

« Tout ça c'est de ta faute, Molière ! Je vais t'arracher la langue et te la foutre dans le fondement pour que tu puisses goûter à ta vraie valeur !

- Je t'attends. »

De l'écume de salive moussait aux quatre coins de la bouche de Louis de Funès, qui s'élança à grandes enjambées. Le carrelage se brisait à chacun de ses pas, tandis que Molière conservait sa garde, plus sérieux et concentré que jamais. Ils étaient séparés de dix mètres... cinq maintenant. Plus que trois ! Deux. Un. Plus rien.

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