Chapitre 58
Nora gara sa voiture devant ma maison. Les mains crispées sur le volant, elle me lança un énième regard inquiet et poussa un soupir presque inaudible. A l'arrière, Holly qui ne pouvait pas se déplacer à cause du bandage sur son pied, évitait consciencieusement de prendre la parole ou de croiser mon regard dans le rétroviseur.
« Tu veux que je t'attende ? me demanda finalement la conductrice.
- Non, c'est bon. Dépose donc Holly chez elle, ses parents doivent être morts d'inquiétude.
- Je peux revenir, tu sais.
- Pas la peine. Seth viendra me chercher. »
Un silence inconfortable pesa sur l'habitacle de la voiture.
« Tu es sûre que c'est une bonne idée ? s'enquit finalement Holly en jouant nerveusement avec les cordons de son imperméable. Tu es encore choquée, ça pourrait être bien de te laisser le temps d'y penser. Tu pourrais dire des choses que tu vas regretter, ensuite.
- Je regrette déjà d'avoir fait confiance à F... à mon père... alors crier sur ma mère et dire des choses blessantes, ça devrait pas être un poids de plus sur mes épaules. Après tout, c'est comme ça que j'ai communiqué avec elle pendant un an.
- Carly... murmura Nora. Je sais pas si c'est une bonne idée... »
On en revenait là. Nora la sage, Holly l'avisée. Elles avaient toutes les deux leur mot à dire sur ce que je ressentais.
Ne fais pas ça, disait l'autre. Tu es en colère.
Pas étonnant que je fus en colère. J'étais même hors de moi ! Sam Green m'avait menti toute mon enfance, m'avait trompé toute cette année et quand elle s'était laissée tenter par la vérité, avait tissé un tissu de connerie supplémentaire. Pas étonnant, donc.
« Vous saviez que c'était important pour moi, non ? marmonnai-je en me concentrant pour ne pas flancher et fondre en larme de fatigue et d'agacement. »
Elles ne répondirent pas. Evidemment qu'elles savaient.
« Je me suis demandée toute ma vie à quoi il ressemblait, s'il était parti parce qu'il ne m'aimait pas ou parce qu'il n'aimait plus ma mère. Si j'étais responsable de l'échec de leur relation. Je me suis demandée si le retrouver me ferait du bien, soulagerait mon besoin permanent d'avoir une figure masculine près de moi pour me sentir en sécurité. J'ai vu le père de Keira être doux et attentionné avec elle. Je les regardais partir les week-ends, tous les deux. Et je me demandais ce que j'avais fait pour ne pas connaître ça. J'ai haï mon père parce que ma mère le détestait. Je ne savais même pas à quoi il ressemblait. »
Mes yeux piquaient. A ce stade-là, je ne savais même plus si c'était la fatigue ou le fait d'avoir sangloté silencieusement dans les bras d'un Seth impuissant pendant la moitié du trajet.
« Maintenant que je sais, ça me dégoûte. »
J'avais presque craché mes mots.
« D'accord... souffla finalement Nora. On te laisse ici, alors ?
- Oui, ça marche, m'adoucis-je. Merci de m'avoir déposée. Rentrez bien.
- On se voit au lycée ?
- Oui, ça marche. »
Prenant mon courage à deux mains, j'obligeai ma carcasse à sortir de la voiture. Nora m'accompagna et m'aida à sortir ma valise du coffre. Puis, dans un élan de douceur, elle m'attrapa, m'enlaça et me serra à m'en briser les côtes.
Mais je vous rassure, en vrai, mes côtes se portent très bien.
J'ai bien compris que tu voulais que je rassure les lecteurs, Josiane.
C'est fait, tu es contente ?
« Tu m'appelles si tu as besoin ? »
J'acquiesçai. Nora remonta dans sa voiture, tourna la clé et le moteur vrombit. Je regardais d'un œil hagard le véhicule qui s'éloignait. Puis, et parce qu'il était temps d'affronter ma mère et ses mensonges, je me dirigeai vers ma maison, les mains tremblantes, la gorge sèche et la boule au ventre.
OoOoO
Mes clés eurent à peine le temps de tourner dans la porte que j'entendis des pas pressés dans l'escalier. Elle avait dû me guetter depuis la fenêtre de sa chambre, qui donnait elle aussi sur la rue. Je poussais le dernier obstacle qui me séparait de Sam Green et pénétrait à l'intérieur de la maison.
« Mon bébé est de retour ! s'exclama ma mère, tout heureuse en me sautant dessus. »
Elle me serra contre elle et, bien décidée à lui faire comprendre que quelque chose n'allait pas, je ne lui rendis pas son étreinte.
« C'était bien ? s'enquit-elle en prenant ma valise, quelque peu déstabilisée par ma réaction. T'en fais une tête ? Il s'est passé quelque chose ? »
Elle ne me laissa pas vraiment le temps de lui répondre et Sam entraîna ma valise vers les escaliers avant de se diriger vers le salon. Sans prendre le temps de me déchausser, je la suivais d'un pas lourd.
Quoi ?
Non, Josiane, je n'essaye pas d'être un zombie.
« Tu ne m'a pas donné de nouvelle, hier... c'est la mère de Seth qui m'a appris pour Holly ! poursuivit Sam. Ce n'est pas dans ton habitude de cacher ce genre de chose à ta mère et...
- Effectivement, la coupai-je. »
Interloquée, ma génitrice se retourna vivement. On se tenait comme deux idiotes dans le salon. C'en était presque perturbant de rejouer cette même scène encore et encore dans chaque pièce de cette maison. A croire que l'appartement à New-York avait été vendu avec l'option « zéro dispute » en plus de l'incroyable vue sur le local poubelle de l'immeuble.
« Effectivement quoi ? s'inquiéta ma mère. Tout va bien, chaton ?
- Effectivement, je ne cache pas ce genre de chose à ma mère.
- Mais de quoi tu parles ? »
L'expression de son visage se déforma au moment-même où elle comprit mon sous-entendu. Ses traits se durcirent, sa moue se fit colère et elle releva la tête.
« Qu'est-ce qu'il t'a dit ? grogna-t-elle. Dis-moi ce qu'il t'a dit.
- Lui ? Rien. J'ai fait le lien toute seule. »
Je fouillais dans la poche arrière de mon jean, en sortait la photo dépliée. C'était amusant de l'avoir avec moi à ce moment-là. Amusant parce que si Tess n'avait pas été là, je ne l'aurais probablement pas prise avec moi. Mais celle qui était à présent ma tante (puisque son frère était mon père, Josiane, suit un peu) avait tenu à ce que je l'emporte avec moi. J'avais cédé.
« Où tu as trouvé cette photo ? éructa ma mère.
- Parce que tu l'as aussi ici ? »
Elle se tut, gênée, et comprit probablement que je n'étais pas allée me servir dans ces affaires, ce qui, sans le vouloir, la désigna comme coupable de me mentir encore.
« Oui, finit-elle par murmurer. Je l'ai aussi. »
Sam ne baissa pas pour autant les yeux.
« Tu te rends compte que tu m'as encore menti ? soupirai-je, exténuée. Qu'au bar, tu aurais pu me dire toute la vérité et que tu ne l'as pas fait ?
- Qu'est-ce que ça aurait changé ? se défendit-elle. Tu as vu comment il te monte contre moi ? »
J'étais presque choquée qu'elle rejette la faute sur lui.
« Mais ça aurait tout changé, maman ! m'écriai-je. Ça m'aurait évité de tout apprendre à l'envers et de détester Emett. »
Je me tus.
« Peut-être que tu voulais que je le déteste... soufflai-je. »
Je savais que j'allais me mettre à pleurer et j'avais du mal à l'accepter. J'avais l'impression d'être faible. Encore une fois.
« Au final, je ne sais pas qui des deux je déteste le plus... murmurai-je sérieusement. Est-ce que c'est lui, parce qu'il aurait pu me dire la vérité mille fois plutôt que je l'apprenne avec cette photo ? Est-ce que c'est toi parce que tu m'as menti encore et encore, que tu lui as défendu de m'approcher, de me parler et de lier une relation avec moi ? »
Un sanglot inopportun souleva ma poitrine. Ma mère avança d'un pas. Je reculais.
« Ou est-ce que c'est moi parce que j'ai été naïve et je ne me suis pas posé les bonnes questions ?
- Tu crois vraiment que tu aurais été prête à l'entendre ? souleva ma mère, réagissant complètement de travers à mes yeux.
- Evidemment ! C'est mieux que de ne rien savoir ! Au fait, ma chérie, tu sais qu'on emménage dans la ville où habite ton père ? Je ne le savais pas, quelle hasard. Tu veux peut-être le rencontrer ?
- Tu sais bien que je...
- Je, moi je, moi, moi, moi ! C'est tout ce que tu as à la bouche dans cette histoire ! m'écriai-je. Moi, Sam Green, n'a pas réussi à garder cette relation. Moi, Sam Green, a tout fait pour ma fille déteste ne serait-ce que l'idée d'avoir un père ! Moi, Sam Green, a tout essayé, tout fait, et presque réussit à garder ma fille rien que pour moi. Et à quel moment tu t'es demandé ce que je ressentais ?
- Mais tu...
- Evidemment que je le détestais ! crachai-je. Tu m'as toujours fait croire qu'il nous avait abandonné. Qu'il était parti avant que je naisse et qu'il n'avait jamais cherché à prendre contact avec moi. Et puis quoi encore ? Quand je vois ton comportement vis-à-vis d'Emett, pas étonnant qu'il n'ait pas réussi à me parler avant cette année. T'imagine sa tête quand il a vu mon nom sur la liste des nouveaux élèves ? »
Il fallait que je respire. Respire, ma pauvre fille. Ne va pas non plus mourir d'asphyxie parce que tu es en colère.
« Oh tiens ! Voilà l'enfant que je n'ai jamais connu ! Incroyable ! Sait-elle seulement que je suis son père ? Ah non.
- Mais tu délires, ma parole ! Calme-toi un peu !
- Comment tu veux que je reste calme ! Il était sous mon nez pendant un an ! Tout ce que j'espérais, c'est que tu te lèves un matin et que tu me dises : Emett, c'est ton père. Et maintenant que tout est entouré de mensonge, ça gâche tout ! Qu'est-ce que je vous ais fait pour mériter ça ? »
Ma mère tapa du pied.
« Tu as fini ? s'exclama-t-elle. Ça y est, mademoiselle connaît la vérité et pense que tout lui est dû ! Je ne t'ai pas menti ! J'ai juste déplacé la vérité.
- Je ne t'ai pas menti ? répétai-je, hébétée, en larme. J'ai déplacé la vérité ? Il va falloir que tu arrêtes de me prendre pour une conne !
- On peut avoir cette discussion à un autre moment ? me coupa-t-elle. Là, j'ai pas la force. Je ne sais pas par où commencer. »
Et puis quoi encore ?
« Tu n'as pas l'impression d'abuser ? J'attends la vérité depuis dix-huit ans !
- Mais je n'ai pas envie de te l'avouer ! s'écria ma mère, toujours plus fort.
- Pourquoi ? sanglotais-je, dépitée. Pourquoi, putain ? »
Cette fois-ci, ma mère baissa les yeux et regarda ailleurs.
« Parce que j'ai honte de moi, Carly. »
Et voilà que j'étais encore déstabilisée. Ça ne pouvait jamais être simple, hein ? Il fallait toujours que je sois perturbée par la sincérité des autres, même quand ces derniers étaient de petits menteurs.
« Honte de quoi ? grognai-je.
- Honte d'être celle qui n'a pas su garder ton père. »
Je serrais les poings. On y arrivait enfin.
« Qu'est-ce qui s'est passé, maman ? »
Sam secoua la tête, ses yeux s'embuèrent.
« Je peux pas. Je peux pas en parler maintenant.
- Pour moi, s'il te plaît ? la suppliai-je.
- Même pour toi. »
Ça m'avait heurté de plein fouet. C'était si choquant ? Mes prudes et naïves oreilles ne parviendraient pas à le supporter ?
« Tu m'appelleras, quand tu seras prête, décidai-je.
- Où tu vas ? s'agaça-t-elle.
- Je peux pas rester ici... avouai-je. Pas tant que tu ne pourras pas m'en parler.
- Carly... »
Je me retournai, refusant d'entendre ses supplications pour que je reste.
« Prends ton temps, pense-y. Mais moi, j'ai besoin de la vérité et de toute la vérité. Je veux savoir si je peux avoir une mère et un père. »
J'attrapai ma valise et la tirai vers la porte. Ma mère s'arrête sous l'arche qui séparait le couloir et le salon.
« Je veux juste savoir. »
Hello !
Je suis de retour (pas pour longtemps, dites merci à la connexion WIFI aléatoire de la région...). Néanmoins, j'étais plutôt impatiente de vous poster ce chapitre ! On touche le bout (j'ai l'impression que je passe ma vie à dire ça...) et je suis plus ou moins satisfaite de la manière dont va se clore l'histoire. J'ai, d'ailleurs, décidé de vous réserver deux surprises ! L'une est sûre, l'autre, je risque de galérer mais si tout va bien, elle sera possible !
En tout cas, j'espère que ce chapitre vous a plu ! Carly traverse pas une période facile mais vous la connaissez, elle voit toujours (OU PAS) le bon côté des choses. Et puis, si ce n'est pas elle qui vous contente, ce sera nos autres compagnons !
On arrive presque à 20.000 lectures ! Je suis toute excitée !
Passez un bon été, profitez bien de chaque moment que vous avez et je vous dis à bientôt pour la suite !
Votre dévouée,
Elwyn.
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