Chapitre 56
Le voyage scolaire avait été aussi bref qu'un éclair quand il zébrait un ciel orageux. Alors que nous étions seulement à deux nuits et un jour du départ, toute la classe avait unanimement décrété que le temps était passé trop vite.
Après la course d'orientation, nous avions exploré les plantes médicinales de la région dans une reconstitution du goûter d'Alice au pays des merveilles. Emett et Tess nous avaient ensuite proposé de revisiter Moby Dick dans une course contre la montre sur et autour du lac. Nous avions également exploré Thoreau et son Walden (un essai très intéressant sur l'homme) à travers une journée spéciale organisée par Claire et Tess autour d'activités centrées sur nous et nos relations avec les autres. Ainsi avais-je découvert que si je tombais, James ne me rattraperait pas et qu'en cas d'épidémie, Seth trouverait ça amusant de me tousser dessus pour voir si j'étais une personne à risque.
Josiane avait trouvé ses résultats satisfaisants.
Je lui avais gentiment fait comprendre qu'elle était détraquée.
Ça ne lui a pas plu. Comme par hasard.
Demain, pour notre dernier jour, Emett avait décidé que nous retournerions dans la forêt. J'y allais un peu à reculons mais Josiane fut la première à accepter quand il fut question de construire une cabane à l'orée des bois. Josiane et moi, nous étions de grandes professionnelles de la cabane. Un don, chez les Green. Certes, nous maîtrisions plus les oreilles et les couvertures mais les branches de bois ne nous faisaient pas peur. Rien n'effrayait une Green à moins que ce rien ne soit humain et ait des sentiments.
Du reste, le voyage avait été trépident. Depuis « l'officialisation » de notre relation, Seth ne se gênait plus pour me témoigner de petites attentions devant les autres. Le matin, il m'attendait devant notre bungalow et prenait ma main après m'avoir tendrement embrassé sur le sommet du crâne. Quand nous n'avions rien à faire, il me faisait une place contre lui et brossai silencieusement mes cheveux du bout de ses doigts, chatouillant parfois ma nuque pour me rappeler que je ne devais pas concentrer toute mon attention sur ma lecture.
Au début, Elena me faisait la misère. Elle était en colère contre Seth et trouvait notre relation injuste. Au stade où j'en étais, je ne voulais plus entendre parler d'elle. Nora m'avait conseillé de la noyer pendant l'activité Moby Dick, mais j'avais tenu bon parce que je n'envisageai clairement pas de passer par la case prison. Après avoir eu une longue discussion avec Seth, nous nous mîmes d'accord pour l'ignorer.
La réaction la plus amusante fut celle d'Holly. Elle s'avéra encore plus curieuse que la présidente du club de journalisme quant à ma relation avec mon voisin. Tous les jours, elle s'accrochait désespérément aux petits détails que je voulais bien lui glisser, arguant parfois qu'en tant qu'amie, je devrais tout lui raconter. Sans trop en dire, les questions dépassaient parfois les limites du raisonnables... enfin, vous voyez, non ?
Quoi, ils ne voient pas, Josiane ? C'est clair, pourtant.
Comment ça, tu trouves que je contourne le sujet ? Je fais encore ce que je veux.
Tu m'emmerdes, Josiane. Non, je n'ai pas encore couché avec Seth. Oui, on a exploré deux trois trucs, mais jamais nus comme des vers. C'est super compliqué d'avoir cinq minutes pour soi dans ce camp !
Et ça me regarde, enfin ! Je suis une fille prude, moi.
Et en plus, si ça continue, ce livre va être classé PG-18.
« A quoi tu penses ? me demanda Nora en tapotant sur mon épaule. »
Je me retournais vivement, m'arrêtant brusquement d'écrire sur un petit carnet, m'extirpant à contre-cœur d'une énième dispute avec mon inconscient.
« A rien, mentis-je. Vous êtes prêtes ? »
Holly et Nora portaient toutes les deux de gros pulls. Il faisait nuit noire dehors et seule la lumière des lampadaires éclairait par petites touches l'extérieur, dévoilant à l'occasion sur les murs de la chambre l'ombre furtives de nos camarades qui se rendaient sur la place de rassemblement.
C'était la nuit du feu de camp. Notre dernière soirée avant la fin du séjour. S'il nous restait encore une nuit avant le grand départ, celle-ci serait écourtée par notre voyage qui débutait aux aurores et Finnigan et Hel n'avaient pas spécialement envie d'avoir une bande d'ados apathiques sur les bras.
« Yes, me répondit Nora. On attend plus que toi !
- J'arrive. »
Délaissant mon lit, j'attrapai le pull qui recouvrait mes pieds et l'enfilai.
« T'es pâle, murmura Holly, méfiante tout en m'observant du coin de l'œil. Tu nous fais pas un rhume, à force de te balader à poil par ce temps ? Ce n'est pas l'été non plus.
- Je crois qu'elle va bien, maman... se moqua Nora en tirant la langue à sa meilleure amie. Elle est rousse, elle est forcément blanche comme un cul.
- Appelez-moi Blanche Feu, fis-je preuve d'autodérision. Et menez-moi au banquet, manants. »
Holly siffla.
« Tu vois, quand je m'inquiète pour les autres, ils finissent toujours par ne plus se sentir. »
Je me reniflai sous l'œil hagard des filles.
Merci de me signaler que cette blague est à tomber par terre, Josiane. Je sais que je suis à mourir de rire.
« Bon, dépêchez-vous, s'impatienta Alex qui nous attendait à l'entrée du bungalow qui était, jusque-là, resté très discret. Nate, James et Seth sont partis les premiers et ils vont se jeter sur les patates douces.
- On arrive ! grogna sa petite amie. Si sa majesté Blanche Feu veut bien remuer son popotin vers la sortie... »
Glissant mon appareil photo jetable dans une poche de mon pantalon, je bombais la poitrine et de mon port le plus altier et quittais royalement notre chambre.
« Mais je me permets, manante, je me permets.
- Que quelqu'un lui coupe la tête... s'esclaffa Nora, sur mon passage.
- Je t'ai entendu.
- Et ?
- Bah je vais manger tes chamallows.
- C'est une menace, poupée ?
- C'est une déclaration de guerre, chérie. »
Nora me défia d'un regard insolent.
« Celle qui arrive la première au feu de camp prélève cinquante pour cent de la part de l'autre, décida-t-elle. »
Je n'étais pas assez folle pour lui laisser un créneau. Surtout qu'il s'agissait de nourriture. L'ignorant, je m'appuyais sur l'épaule d'Alex. Il comprit que j'allais l'utiliser pour ralentir mon amie mais n'eut pas le temps de protester que je le poussais déjà derrière moi, obligeant Nora à l'attraper pour que ce dernier ne tombe pas.
Cinquante pour cent de l'assiette de mon amie ?
Considérez que c'était déjà gagné.
OoOoO
« Seth m'a attrapée, me plaignis-je en regardant Nora attraper mes poivrons grillés dans mon petit bol en carton. C'est pour ça que tu as gagné.
- Tu as poussé Alex pour me retarder, observa la présidente du club de journalisme. Je crois que nous sommes quittes. »
J'opinai et prélevai un peu de sa viande pour la grignoter. Après nous être disputées, nous nous étions finalement mises d'accord pour reconnaître l'égalité. Sous les yeux amusés de nos camarades et de nos encadrants, nous nous partagions donc soigneusement chaque ingrédient qui avait le culot de tomber dans notre assiette.
La soirée était déjà bien avancée. Holly et Seth avaient rejoint une partie de volley, sur le terrain de tennis, James et Alex aidaient à ranger le buffet salé pour que nous puissions installer le sucré et Nate avait retrouvé des amis « plus intéressants » et je ne faisais que citer ses propos outrageant. Il n'y avait donc plus que Nora et moi autour de ce feu gigantesque qui ronflait et crépitait, bourdonnant dans le silence confortable que nous avions accueilli le temps de savourer notre repas.
« J'ai été acceptée à Yardley, m'annonça tout à coup Nora alors qu'elle mastiquait son morceau de bœuf. »
Un peu surprise de cette déclaration, je me tournai vers elle. Mon amie était impassible. Comme si cette nouvelle qu'elle guettait depuis des mois ne lui faisait ni chaud ni froid.
« Tu n'es pas contente ? m'enquis-je. »
Nora eut un peu de mal à déglutir.
« Si, en vrai, je suis heureuse. »
Elle jeta une coquille de pistache dans le feu. Cette dernière fut avalée par les flammes et un petit pop marqua sa destruction dans le brasier.
« Mais ? insistai-je, voyant bien que Nora ne crachait pas le morceau.
- Je sais pas. Ça me fait bizarre de quitter tout ça. J'ai grandi avec Holly et les garçons. Je vais tous les quitter d'un coup. »
J'étais trop bien placée pour la comprendre.
« C'est pas pour autant que tu tournes complètement la page, tu sais ? »
Nora pencha la tête sur le côté, comme si je lui parlais dans une autre langue.
« Et si je ne me fais pas d'amis, là-bas ? Si je ne trouve pas ma place ? Si je ne suis pas à la hauteur ? »
Elle poussa un gémissement plaintif et s'affala dans l'herbe, braquant son regard sur la voie lactée. Posant mon assiette encore remplie sur le côté, je m'allongeais à mon tour à côté d'elle.
C'est vrai que le ciel était beau, ce soir. D'un noir bleuté profond, quelques timides étoiles avaient pointé le bout de leur nez un peu plus tôt dans la soirée. Et plus tard, au fil que la lune décrivait son ascension dans le ciel, d'autres les avaient rejoints. A New-York, je n'avais jamais vu un ciel pareil. Trop de lumière, trop de pollution, trop de nuages. A Blueberry's Harbour, j'avais vu mes premiers ciels étoilés. Ici, je me réveillais parfois la nuit pour les observer, blottie contre Seth, comme cette fois-là, sur son bateau.
« Pourquoi tu ne te ferais pas d'amis ? relevai-je au bout d'un temps à écouter Elena chanter.
- Parce que ce n'est pas comme dans les Sims. Normalement, j'appuie sur la personne qui m'intéresse, un menu apparaît et j'ai plus qu'à lui demander comment s'est passée leur journée. Les humains, les vrais, c'est quand même vachement plus compliqué.
- T'as un point, me moquai-je gentiment. Mais honnêtement, tu les attires à toi, les autres. Je ne me fais aucun doute là-dessus. Ta place, tu te la feras de la même manière que tu as su trouver la tienne ici. T'es faite pour ça. Les grandes études de journalisme, les clubs, la vie de campus. Tu transpires l'étudiante yardlaise à plein nez.
- Tu dis ça pour me rassurer... souffla-t-elle, bien qu'un sourire pointât le bout de son nez sur ses lèvres.
- Peut-être, répondis-je. Qu'est-ce que tu crois que je me suis dit, quand il a fallu que je quitte Keira, que j'emménage loin de tout ce que j'avais connu et que je recommence tout à zéro ? Aucun ami, aucune place, aucune idée de ce que j'allais devenir... Je pensais que j'avais encore un an devant moi pour me poser la question, et d'un coup, je dois faire des choix, prendre des initiatives, accepter d'avoir peur quand j'étais habituée à ce que tout se passe comme toujours... donc facilement, finalement. »
Je me tus un instant.
« Et je suis là, soupirai-je. J'ai accepté l'idée que j'aimais des êtres humains complètement barjos, j'aime mon voisin et c'est un idiot. J'ai cassé mon portable le jour de mon arrivée, j'ai découvert ce que c'était de ne plus être la seule personne aux yeux de ma mère et je n'ai pas su l'accepter. L'année prochaine, je vais à la fac du coin, je vais étudier sans trop savoir ce que je veux faire de ma vie mais tant pis. Déménager à Blueberry, ça m'a au moins appris quelque chose... le changement, ce n'est pas la fin du monde. C'est le début d'une grande aventure. »
Je détournais le regard du ciel pour observer Nora. Elle me scrutait très sérieusement.
« Dis, celle-là, tu l'as piquée à Dumbledore, non ? me demanda-t-elle sur le même ton.
- Non, c'est cent pour cent de moi ! m'indignai-je. Je t'avais jamais dit que j'étais une poète ?
- Poète de comptoir... se moqua la présidente du club de journalisme. Mais une très bonne amie. »
Nous nous redressâmes et Nora tendit ses bras vers moi. Acceptant avec plaisir son étreinte, je l'attirai contre moi pour la serrer doucement.
« On viendra te voir, lui promis-je. Et on te fera tellement honte que tu regretteras de nous avoir parlé un jour.
- J'y compte bien. Faites moi honte tant que vous voulez, mais venez voir votre vieille mamie Nora de temps en temps. »
Elle marqua une pause et eut un sourire narquois.
« Et amène donc ton ami serveur, si tu en as l'occasion, ajouta-t-elle, espiègle. Je ne sais pas s'il y aura de beaux garçons à Yardley...
- Je te l'emballerai dans du papier cadeau et tu pourras le sacrifier lors d'une de tes soirées avec ta sororité. »
Nous rîmes.
Et, d'un commun accord, nous nous tûmes à nouveau parce que le feu était beau, qu'Elena chantait bien et que les rires qui provenaient de la berge nous berçaient doucement.
Ou alors, on s'était tue parce qu'on savait qu'aucun mot ne remplacerait l'importance de ce moment sur la longue route de notre amitié.
Coucou !
Devinez qui n'a aucune excuse pour cette longue pause et ce long retard ? x).
C'est moi.
Mais je suis quand même contente de revenir avec le chapitre 56. Je vais essayer d'être plus productive ces prochains temps, surtout que finalement, le roman touche bientôt à sa fin ! :o Mais si tout va bien, il sera fini cet été, peut-être courant juillet ! Je vous tiens au courant de tout ça en essayant de poster le plus possible !
J'espère que ce chapitre, plus calme et contemplatif vous aura plu. J'avais, je pense, besoin d'écrire ce passage au regard de ce que je ressens en ce moment tout autour de moi et par rapport à mon propre avenir ! Le doute est humain, mais l'espoir l'est aussi.
ça aussi, c'est probablement de Dumbledore. Que voulez-vous ? On ne change pas une équipe qui gagne !
A très vite, j'espère,
Elwyn.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top