Chapitre 53


« Debout les marmottes ! s'exclama Finnigan quand le car se fut arrêté au bout d'une allée de gravier.

Emergeant doucement de mon profond sommeil, je me redressais, délaissant l'épaule plus ou moins confortable de Nate pour observer d'un regard encore endormi le reste du car. Sur notre droite, Holly et Nora avaient l'air bien réveillées tandis que derrière nous, James et Alex ronflaient encore doucement. Seth était assis devant, seul. Il se retourna et m'adressa un petit sourire en coin. Nous avions convenu de ne pas nous mettre à côté pour ne pas éveiller les soupçons. Il fallait encore qu'on ait la discussion, histoire de pas avoir les autres sur nos épaules pour rien.

« Bien dormi ? me demanda-t-il en s'étirant. »

A côté de moi, Nate grogna légèrement et sa tête, qui reposait jusqu'à présent contre la fenêtre du car, glissa vers l'avant.

« Mieux que lui, en tout cas, précisai-je.

- Vous n'aviez pas qu'à regarder un film sur ton téléphone... me prévint mon voisin.

- Il ne pouvait pas savoir que ça lui filerait la gerbe... répondis-je sur le même ton faussement suffisant. »

Seth me jeta un coup d'œil un peu sévère. Et un sourire remplaça sa moue boudeuse. Mon cœur rata un battement, je sentis que mon ventre s'agitait bizarrement.

« Toi, t'as tellement bien dormi que t'as bavé, se moqua-t-il en se grattant le coin droit des lèvres. C'est mignon. »

Et il se retourna, me laissant rouge de honte. Finnigan frappa brusquement dans ses mains. Nate sursauta, se cogna l'arrière du crâne contre son appui tête et ouvrit les yeux. Le pauvre semblait complètement déboussolé. Les lèvres sèches, le visage pâle, les yeux rouges de fatigue, il me jeta un regard éreinté.

« On est arrivé ? s'exclama-t-il un peu trop fort. »

Je secouai la tête, amusée. Notre professeur fut plus rapide que moi pour lui répondre.

« Oui, nous sommes arrivés, Nate. Je suis content de voir qu'il y en a au moins un qui est content ! »

Quelques rires se démarquèrent des protestations. Nous n'aurions pas craché sur quelques secondes de sommeil de plus mais il était trop tard pour aspirer au calme, maintenant.

« Il faut encore marcher un peu, nous prévint Emett en remontant l'allée pour s'assurer qu'il n'y avait pas un incorruptible dormeur planqué dans un coin du bus. Je vais donc vous demander de vous lever dans le calme, de descendre du bus en silence et de profiter de cette petite marche pour vous demander pourquoi j'ai emmené une classe de sauvage en voyage scolaire...'

Une main dépassa la lisière des sages.

« Eh, m'sieur, si vous faites référence au fait qu'on a cassé des toilettes sur la dernière station essence, j'tiens à préciser que c'est pas nous ! se défendit Thomas. Y a prescription, hein. Les toilettes comme ça, c'est plus censé exister.

- On s'occupera de votre cas plus tard, Thomas... soupira notre professeur. »

C'est vrai qu'il s'était passé ça, hier. Et puis, Nate avait vomi trois fois. Ça ce n'était pas drôle. Pas contre, la tentative de faire une cabane de James et Alex, ça valait franchement le détour. Pis, Elena avait beau être une peste, elle savait imiter le cochon d'Inde mieux que personne. Ça devait faire beaucoup pour un professeur de littérature en charge d'une classe de fou.

On ne pouvait même pas dire que Hel, la prof de sport, qui avait consenti à l'accompagner dans ce périple, l'avait soutenu. C'était elle qui avait convaincu l'avant du bus de jouer à « dans ma valise il y a... » jusqu'à ce que le chauffeur pique une crise.

« Bref. Soyez prêt à partir dans dix minutes, reprit Finnigan. Vous ferez vos besoins une fois arrivés au camp. »

Il passa à côté de moi, m'adressa un sourire. J'eus envie de lui répondre. Puis je me souvins de la discussion avec Sam et ça me passa. Finnigan fronça les sourcils, regarda ailleurs, l'air gêné. Je me sentis désolée. Mais j'avais besoin de faire le point sur la question avant de lui parler.

Si c'était l'ami de mon père et qu'il ne m'avait rien dit jusque-là, il fallait que je la joue fine pour en apprendre plus. Peut-être qu'il aurait les réponses que Sam n'avait pas su me donner.

OoOoO

Le camp était impressionnant. Nous marchâmes effectivement une vingtaine de minutes avant de l'atteindre mais ça valait clairement le détour. Le bus s'arrêtait devant un petit bois et il fallait le traverser pour arriver sur les lieux de notre séjour. Il était encore tôt quand nous arrivâmes et nous pûmes voir le soleil se lever sur le lac. Il se trouvait à bonne distance de la partie camp.

Nous fûmes accueillis par une imposante arche dont le panneau principal avait peint pour annoncer aux visiteurs qu'ils étaient la bienvenue à Lake Pilmont. Puis un chemin de terre descendait vers une petite place autour de laquelle avaient été construits une vingtaine de petits bungalows. Un peu plus au nord, derrière les bungalows et sur le bord du lac, un imposant chalet se dressait de toute sa hauteur, dissimulant en partie une salle en rondins dont on discernait à mesure qu'on plissait les yeux le panneau « cafétaria ».

« Et c'est à sa sœur, ça ? me glissa James en relevant le nez de son téléphone. Incroyable. »

J'acquiesçai. Je me demandais à quoi ressemblait la sœur de notre professeur. Elle devait être au moins aussi grande que lui. Peut-être brune ? Je l'imaginai plus carrée que son frère, aussi. Un peu ronde. Joviale. Je butais brusquement contre l'amérindienne.

« Oh regardez ! s'exclama tout à coup Holly en pointant le ciel du bout des doigts. Des oies sauvages ! »

Alex suivit l'index de sa petite amie du regard puis s'abîma dans la contemplation de la jeune femme plutôt que celle des oiseaux. Nora me jeta un regard désespéré tandis que Seth faisant semblant de vomir devant l'air benêt de notre ami.

« Continuez à vous émerveiller devant un rien, nous prévint Nate. Moi, j'avance. Je veux qu'on ait le meilleur bungalow. »

Ça m'amusa de le voir nous dépasser avec son petit air sérieux, comme s'il calculait déjà son coup. James lui emboita le pas, attrapant Seth qui essayait de convaincre Nora qu'il n'aurait jamais l'air aussi niais avec sa copine.

Dit comme ça, j'allais sonner mièvre. Mais bon sang, ce que j'étais heureuse. Seth et Nora retrouvaient peu à peu la relation qu'ils avaient toujours eus. Holly et Alex filaient le parfait amour et se tenaient maintenant la main en public – ça avait demandé une intervention de Leith, tout de même. James m'avait l'air épanoui dans sa toute nouvelle relation avec Nate. Ils s'entendaient tellement bien qu'on aurait dit le Ying et le Yang. Si différents et pourtant...

Et puis moi, je les avais eux. J'avais des amis précieux qui m'avaient fait une place sans broncher – ou presque.

« Avance ! râla Seth en m'attrapant subitement par la main. »

Nos doigts s'enlacèrent naturellement. Je restais coite, bouchée bée. C'était si désinvolte et pourtant, j'avais presque l'impression que le temps s'arrêtait.

Je vous avais déjà dit que je détestais l'amour ? ça me rendait tellement guimauve...

Pathétique, nota Josiane en relevant le nez pour regarder le plafond de son petit bureau.

Ayez une Josiane, elle vous soutiendra à chaque moment de votre vie.

« Tu fais chier, je profitais de la vue... grognai-je en me laissant tout de même traînée par le garçon pour que nous rejoignions le reste du groupe.

- Tu ne me regardais pas, chaton... souffla-t-il en levant les yeux au ciel.

- Tu n'es pas la seule vue, ici, le taquinai-je. »

Il pila net, se retourna. On aurait pu s'embrasser. Personne ne nous aurait vu. Ils n'étaient pas loin, mais ils étaient tous trop occupés à écouter Finnigan.

« On reparlera de ton ignorance plus tard, marmonna-t-il en se retournant. Maintenant, écoute ton professeur.

- C'est toi qui m'empêche d'être attentive... soupirai-je. Sois un gentil garçon, maintenant, et fiche le camp. »

Seth me tira la langue et rejoignit en quelques enjambées un James particulièrement intéressé par l'écran de son téléphone. J'eus un petit sourire puis je me calai derrière Holly et Alex.

« Qu'est-ce que j'ai raté ? demandai-je à Nora.

- Pas grand-chose. Finnigan nous rappelle que noyer un camarade de classe, même pour rire, ce n'est pas conseillé. Après, je note qu'il a dit que ce n'était pas interdit. Donc si on veut se débarrasser de Seth, ce voyage est notre meilleur occasion.

- Tu exagères toujours, nous chuchota Holly qui se désintéressa un instant des consignes de sécurité prodiguée par Emett. Essayons déjà de le perdre dans les bois, après on verra.

- Fréquenter Alexander, ça ne te réussit pas... remarquai-je. »

Quelqu'un toussota et une tête brune apparut juste à côté de nos professeurs. Emett posa une main sur son épaule.

« Je vous présente Tess, s'exclama-t-il tout joyeusement. Et je vous laisse entre ses mains pour la suite. »

La sœur de Finnigan (il n'y avait physiquement aucun doute sur la question), s'avança d'un pas.

« Bonjour à toutes et à tous ! s'exclama-t-elle. »

Contrairement à son frère, elle avait un accent chantant quand elle parlait. Un peu brute, mais délicieusement mélodieux.

« Je ne vais pas me représenter et je vais tout de suite passer à ce qui vous intéresse. Ici, je ne gère que l'équipement, le logement et les repas. Pour le reste, embêtez donc vos professeurs, surtout mon frère. Je suis sûre qu'ils apprécieront de vous avoir sur le dos du matin au soir. »

Josiane hochait la tête, complètement à fond.

Evidemment, elle était la première dehors quand il s'agissait de faire chier le monde.

« J'ai mis à votre disposition les bungalows que je réserve habituellement au camping. Vous aurez donc la possibilité d'être entre six et quatre par maisonnée. Attention : ils sont propres et ils le resteront pendant ces deux semaines. On enlève ses basket pleines de boue où on vient chercher au chalet le matériel nécessaire pour les nettoyer. Je vais vous confier une paire de clé. Ne la perdez pas. Sinon, c'est votre âme que j'irais perdre au fond du lac.

- Mortel ! chantonna Alex. Moi aussi, je veux que mon âme se perde au fond du lac.

- Pour ce qui est des temps libres, n'hésitez pas à passer au chalet ou à la cafétaria. Soyez juste conscient que tout vous est gentiment prêté. On est clair ? »

Je n'entendis personne répondre par la négative.

« Tant mieux, vous allez donc pouvoir choisir vos bungalows, s'exclama-t-elle. »

Elle nous désigna les petites huttes d'un signe de la main.

« Que les jeux de la faim commencent... ricana-t-elle. »

Je n'avais pas saisi la référence, sur le coup. Nate, lui, l'avait tellement bien comprise qu'il courait déjà vers le bungalow de ses rêves. Et je vous jure sur la vie de Josiane : il a balancé son sac à dos dans les jambes de Junior pour obtenir celui qui se trouvait juste à côté du lac.

OoOoO

« Je ne t'imaginai pas si romantique... murmurai-je en passant une main dans ses cheveux. »

Ça me faisait bizarre de devoir autant tendre les bras, même quand il est assis. Il me paraissait si grand, qu'importe la situation. Seth attendit que je me sois correctement réinstallée sur ses cuisses pour me répondre.

On s'était retrouvé en début de soirée. Seth avait profité que Nate s'occupait de tout pour se faufiler à l'extérieur de son bungalow et avait repéré un petit coin tranquille, derrière une paire de buisson. Je l'avais rejoint une dizaine de minutes plus tard, après avoir prétexté un repérage des lieux aux filles. Elles devaient bien se douter de quelque chose puisqu'elles gloussaient comme des dindes. J'osais juste espérer qu'elle ne me ferait pas la misère quand je reviendrais.

« Je ne t'imaginai pas aussi jolie... murmura-t-il, tous en replaçant une mèche rousse derrière mon oreille droite. Mais c'est beau de le découvrir. »

Je dus rougir puisque son sourire s'agrandit un peu plus. Il était beau, à la lumière du coucher de soleil.

« Alors, tu veux bien que je sois ton petit ami ? s'inquiéta-t-il. Je sais que notre premier date était un échec, mais si tu me laisses l'occasion de me rattraper, je... »

Sans trop savoir ce qui me prenait, je me redressai et le fis taire d'un baiser léger.

« Oui, je veux bien... murmurai-je. Mais si tu promets que tu continueras à me traiter comme ta voisine agaçante, mais reconnaissons-le, indispensable. »

Il m'observa un instant sans rien dire.

« Je te promets. »

Nous échangeâmes un regard complice et Seth se pencha pour m'embrasser encore une fois. C'était la première fois qu'on s'embrassait sans que ça n'ait l'air désespéré. Celui-là, il était doux. Il n'avait pas l'air d'être inespéré, il avait l'air parfaitement à sa place. C'était comme si le monde tournait correctement, à partir de maintenant. Il n'y avait que Seth et moi, les autres pouvaient bien attendre. Ce n'était pas comme à Nouvel An où nous avions le sentiment de braver tous les interdits. Ce n'était pas comme le soir de la tempête où nous refusions de regarder la réalité en face. Pour la première fois, ça sonnait étrangement juste.

Ce n'était pas un baiser volé au détour d'une soirée un peu arrosée. Ce n'était pas un hasard.

C'était juste lui et moi, à notre place.

« Tu crois qu'ils s'en doutent ? lui demandai-je quand il voulut bien délaisser mes lèvres.

- Qui ? Alex et tout le tintouin ? s'inquiéta mon voisin. A mon avis, ils savaient avant nous que toi et moi, ça ferait des étincelles. »

Je ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel. Mais quelle arrogance, bon sang.

Même Josiane, pourtant sous le charme, était sur les fesses.

« Il t'arrive d'être humble, dis-moi ? plaisantai-je en me rallongeant sur ses cuisses. »

Seth cueillit une marguerite et se débattit un instant avec mes cheveux avant d'arriver à la glisser derrière mon oreille gauche.

« Humble ? C'est quoi, être humble ? »

Il plaisantait, hein ?

« Je vais peut-être changer d'avis... soupirai-je. Je peux pas sortir avec un type dont les chevilles enflent pour un oui ou un non.

- Je te trouves bien précieuse, grogna-t-il. Je préférais quand tu faisais mine de pas comprendre que je te draguais.

- Quoi ? hallucinai-je, me redressant sur les coudes. Je ne le savais vraiment pas ! »

Seth me jaugea du regard. Il n'avait pas l'air de me croire .

« Enfin, Carly, c'était évident, non ? s'inquiéta-t-il quand il comprit que j'étais quand même un peu sérieuse.

- Evident pour une fille qui a l'habitude... marmonnai-je.

- Mais j'étais jaloux ! Et le coup du cinéma ? Dis-moi que le coup du cinéma, tu l'as saisi.

- Je pensais que tu voulais juste que j'évite de sortir avec Leith... Vous avez cette espèce de rivalité malsaine, tous les deux...

- Change pas de sujet ! s'exclama-t-il. Et Nouvel An ?

- Tu as fait passer ça pour un oubli...

- Okay, mais, euh... j'étais super jaloux de Nate !

- Nate est gay. »

Seth fronça les sourcils.

« Ah bon ?

- Oui, patate.

- Alors, euh... j'ai un super exemple ! Dans ton lit, le soir de la tempête.

- C'était tellement pas clair que j'ai cru que tu m'utilisais !

- Mais Carly, putain !

- Je préférais quand tu m'embrassais. Au moins, t'es clair avec toi-même dans ces moments-là. »

Il avait l'air tellement outré que je crus presque l'avoir vexé. Puis un large sourire remplaça sa moue suspicieuse et ses yeux pétillèrent. J'en eus le souffle coupé. Mais bon sang ! Qu'allait-on faire de moi ?

« Tu m'as tapé dans l'œil très tôt, pourtant... murmura-t-il, l'air espiègle. Dans tous les sens du terme.

- C'est toi qui roulais comme un dingue sur mon trottoir. »

Le temps d'un instant, je fus replongée quelques mois en arrière. Bien des choses avait changé depuis.

« Tu veux savoir quelque chose ? me répondit-il, l'air tout de suite plus sérieux.

- Quoi ?

- Depuis que t'es arrivée dans ma vie, j'ai qu'une seule idée en tête.

- Te laver les cheveux plus souvent ? »

Il fronça les sourcils, un peu déstabilisé.

« Non !

- Alors quoi ? Te remettre au tricot ?

- Tu me fatigues. »

Je lui mis un petit coup de poing dans l'épaule.

« Mais crache le morceau, à la fin ! m'agaçai-je.

- J'ai juste envie de te rendre heureuse. »

Oh le con.

Coucou ! J'avais disparu mais coucou je suis de retour.

Je me faufile ici pour vous dire que j'aime bien les dialogues de fin de ce chapitre, héhé. Les joutes verbales qui n'ont aucun sens, ce sont vraiment mes préférées !

J'ai eu une semaine pleine de stress et d'examen (universitaire, hein) du coup, j'ai pleins de retards sur mes lectures ! Promis, je vais rattraper ça rapidou pilou (cette expression est nouvelle, feel free to use it and tag me on the social network... faites-moi également taire, siouplait).

J'étais super touchée par vos retours sur les derniers chapitres, du coup, je voulais en profiter encore pour vous remercier d'être les super lecteurs que vous êtes ! ♥

D'ailleurs, question bête ! Si je vous proposais de faire une FAQ où vous pouvez me poser une question (à moi ou à vos personnages préférés), seriez-vous chaud à participer ? Je vois ce format sur un site de bande-dessinée en ligne et ça me tente trop haha !

Plein d'amour et de guimauves (et moins d'attente pour le prochain chapitre siouplait)

Elwyn.

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