Chapitre 49

S'il fallait que j'emmène Rita quelque part, c'était bien chez le libraire. Blueberry's Harbour n'en possédait qu'un et il rivalisait sans peine avec la librairie que je fréquentais quand j'habitais à New-York. Elle se situait en plein milieu de la petite ville, dans un ancien magasin d'appâts et de pêche. Stone, le libraire de la ville était un grand fan de l'ancienne décoration et avait redoublé d'ingéniosité pour caler ses longues étagères entre les trophées maritimes et les tableaux en tous genres qui décoraient les murs.

Il possédait également une impressionnante collection de livre, répartie sur les deux étages, et, pour les plus étranges, soigneusement préservés dans une petite pièce derrière le comptoir. Stone l'ouvrait deux fois pendant le mois. Les manuscrits, parchemins et autres vieux recueils étaient alors consultables et parfois, éligible à l'achat.

« Ah, Carly ! s'exclama-t-il quand nous entrâmes. Et je suppose que je rencontre la tant attendue Rita Green ? »

Walter Stone fit le tour du comptoir, une main tendue vers ma grand-mère, qui, en galante femme, la serra chaleureusement. Walter était un vieil homme quelque peu excentrique dont la penderie appartenait encore au siècle dernier, mais qui savait se montrer d'excellent conseil quand il s'agissait de se tourner vers une littérature moderne.

« J'étais tant attendue ? souligna ma grand-mère, plus flattée qu'elle ne voulait bien le montrer. Ça alors !

- Votre petite-fille m'a parlé de votre goût pour les poètes français et si je puis me permettre, j'ai dans mes rayons de vieilles éditions de la Pléiade. »

Stone savait comment parler à ma grand-mère. Elle lui emboita le pas sans hésiter et je me retrouvais toute seule, comme une idiote à les observer se rendre au deuxième étage.

Je fis donc la seule chose que je pouvais faire dans une librairie : chercher la perle rare. La semaine dernière, j'avais terminé un autre manuscrit de Finnigan. Il avait promis de m'en confier un autre après les examens de début avril et je m'étais retrouvée en mal de lecture.

Quelqu'un poussa la porte. Quand on parlait du loup...

« Bonjour, Monsieur Finni... Emett ? »

A la grimace qu'il faisait, je me souvins qu'il m'avait proposé que nous nous tutoyons en dehors de la salle de classe. C'était lors d'une de mes livraisons. Et je me souvenais avoir accepté, après qu'il ait ajouté qu'il trouvait ça bizarre de vouvoyer ses élèves en dehors de la salle de classe. La plupart, ils les avaient connus dans leur couches culottes.

« Salut, Carly, me répondit-il en hochant la tête, content que j'aie imprimé sa demande. Tu es venue chercher un livre ?

- Pas spécialement, marmonnai-je. Et vous ? »

Finnigan me désigna la caisse qu'il tenait sous le bras.

« Stone m'a prêté quelques manuscrits pour préparer les examens blancs... Ne fais pas cette tête, je ne te dirais pas ce qu'ils contiennent et Walter n'a pas le droit de te dire quoi que ce soit, même sous la torture. »

Je ne pus m'empêcher de bouder. Je n'étais pas spécialement paniquée pour l'examen de littérature. Sans être la meilleure de la classe, je me défendais plutôt bien et si tout se passait comme prévu, les devoirs blancs ne viendraient que confirmer mes certitudes : j'avais au moins un talent scolaire et c'était la littérature.

« Au fait, tu as pu lire ma lettre de motivation pour l'université ? m'enquis-je en parcourant l'étagère des romans policier du regard.

- Oui... elle n'est pas trop mal.

- Pas trop mal ? relevai-je, un peu déçue.

- Elle manque de mordant... Tu as déjà rendu des devoirs plus pertinents. »

J'haussais les épaules.

« J'suis motivée à continuer mes études, c'est déjà bien, non ?

- Et après ? Pourquoi la littérature ? Quelle vocation se cache derrière cet amour du livre ?

- J'en sais rien moi... On n'est pas obligée d'avoir une vocation pour aller à la fac, si ? »

Mon professeur me lança un regard amusé.

« Non, Carly, on a pas besoin... répliqua-t-il, rieur. Mais ça motive, d'avoir un objectif. »

Il déposa son carton sur le comptoir et vint à son tour couver l'étagère du regard. C'était amusant comme sa présence était agréable. Il n'était pas trop envahissant et n'avait pas de leçon à me donner comme Viktor.

Je secouai la tête. J'avais promis à Rita que je ferais un effort. Comparé le petit ami de ma mère à mon professeur de littérature, c'était tomber dans le panneau pieds et mains liés.

« Si t'avais pas été prof, l'interpellai-je alors qu'il feuilletait un Agatha Christie, tu aurais fait quoi ? »

C'était bizarre, le tutoiement. Mais ça me paraissait aussi plus naturel.

« J'aurais été libraire, me confia-t-il. Je serais revenu ici, j'aurais acheté la moitié des parts de Walter et je l'aurais aidé à gérer cette librairie. »

Il rangea soigneusement le livre qu'il avait sorti de l'étagère et se tourna vers moi, tout sourire. Je ne pus m'empêcher de réfléchir à sa réponse.

« Vous n'avez pas toujours vécu ici ? m'inquiétais-je. »

Mon professeur eut l'air de se figer pendant un instant. Il amorça sa réponse mais fut coupé par l'arrivée de Walter et ma grand-mère. Cette dernière tenait dans ses bras deux livres et un tableau. Evidemment, quand il s'agissait de peinture, Rita ne comptait pas.

Elle me chercha du regard, m'adressa un sourire radieux quand elle me trouva puis s'intéressa à mon professeur de littérature.

« Emett ? souleva-t-elle, d'une toute petite voix en terminant de descendre les escaliers.

- Rita ? Quelle surprise ! »

En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, ma grand-mère était à ma hauteur. Elle dévisagea mon professeur tandis que Walter s'effaçait derrière son comptoir, l'air de rien.

« Tu connais mon professeur de littérature ? m'enquis-je, curieuse.

- Evidemment ! s'exclama Rita. Comment tu vas depuis ce temps ?

- On fait comme on peut, lui répondit Finnigan, intimidé. »

Je n'avais jamais vu mon professeur être intimidé. Mais qui ne l'aurait pas été face à ma grand-mère ?

« Evidemment, c'est pas une réponse, grognai-je.

- Emett est...

- Une ancienne connaissance de Sam, s'empressa-t-il de conclure. Mais ça ne s'est pas bien fini.

- On peut le dire... souligna ma grand-mère sans être véritablement amère. »

Je me grattai le menton, sans trop comprendre la situation. Alors Emett et ma mère se connaissaient ? Pourquoi Sam ne m'avait-elle rien dit ?

« Tu as dû lui faire une sacrée crasse, relevai-je, pensive. Maman ne déteste vraiment personne... A part mon père biologique et Trump, à vrai dire. »

Rita leva les yeux au ciel, amusée. Emett ne l'avait pas l'air autant.

« Je vais peut-être vous laisser, se rembrunit-il. On se voit demain en classe, Carly ?

- Ah déjà ? remarqua ma grand-mère. Tu ne veux pas aller boire un café ? Depuis le temps, tu dois avoir des choses à me raconter...

- Je suis désolé, Rita, mais ce sera pour une autre fois ! »

Il tendit une main à ma grand-mère qui la lui serra doucement.

« Je suis contente de voir que ça va, en tout cas, lui souffla-t-elle. Tu devrais peut-être lui parler, non ?

- Elle ne veut pas me voir, chuchota-t-il. Je comprends. »

Je me retins de faire une remarque et saluai mon professeur d'un signe de tête et d'un petit sourire. Il me le rendit, s'excusa une dernière fois et se dirigea vers Walter. Je n'eus pas le temps d'en placer une que ma grand-mère m'attrapait par l'épaule pour me faire sortir de la librairie.

Une fois dehors, je jetai un regard interrogateur à la matriarche Green.

« Si ta mère n'a rien dit, c'est qu'elle ne veut pas en parler, se défendit ma grand-mère.

- Tu déconnes ? râlai-je. Y a quoi de si secret ?

- Carly Green... »

Je soufflais, agacée. La seule personne qui semblait être au courant du pourquoi du comment ma mère ne pouvait pas voir mon professeur de littérature en peinture, c'était elle. Et Rita me trahissait. Jardin secret mes fesses... J'étais sûre que la terre entière était au courant. Ma grand-mère se dirigea vers la voiture sans demander son reste, ce qui me laissa le temps de noter que quelque chose clochait.

« Tu t'entends vachement bien avec lui, pour quelqu'un qui a trahi la confiance de ta fille... relevai-je. Tu trouves pas ça bizarre ?

- Ne joue pas à ça, Carly, grogna ma grand-mère en cherchant ses clés dans son sac. Ça sert à rien de faire la guerre à la terre entière. »

Rita extirpa les clés de la voiture d'une poche de son sac à main et marqua une pause avant de la déverrouiller. Elle se tourna un instant vers moi et m'adressa un sourire. Sur le coup, je crus qu'elle voulait être bienveillante, mais quelque chose dans ses yeux me fit penser qu'elle se replongeait dans le passé.

« A sa place, j'aurais peut-être fait la même chose. »

OoOoO

C'était une magnifique soirée de mars. Il faisait un peu froid et la mer était profondément calme, le ciel dégagé. Je me surpris à me laisser bercer par le clapotis de l'eau contre la coque d'Astrid, enivrée par l'odeur du sweat de mon voisin et les effluves salées de la mer. Je n'avais jamais été spécialement attiré par la mer et je devais avouer qu'elle me laissait particulièrement indifférente, au début. Mais Seth était un enfant des marées et son goût pour l'océan était affreusement contagieux. Aujourd'hui, je ne pourrais pas imaginer une vie loin des plages battues par les vagues du Maine.

Dix minutes plus tôt, Seth m'avait proposée de regarder les étoiles avec lui. Après avoir marchandé son pull et un plaid, j'acceptai finalement de le rejoindre. Nous nous étions allongés sur le pont, à l'avant du voilier. Seth avait insisté pour je ne m'éloigne pas trop de lui parce qu'il trouvait la surface glissante et, comme j'avais pris le meilleur plaid, ajouta qu'il fallait que je le partage avec lui. Pour l'embêter, je voulus refuser mais j'entrevis l'espace d'un instant la scène que Nora me ferait si je ratais cette occasion et je m'abstins.

« A quoi tu penses ? me demanda Seth, après ce qui me parut un long silence. »

Je tournais lentement la tête. Il était là, tout proche. Ses yeux ne me lâchaient pas, il avait son petit air sérieux, de ceux qui, généralement, n'annonçaient rien de bon pour ma santé mentale. Mon cœur s'emballa et je dus fixer un point au-dessus de sa tête pour ne rougir.

« A rien, mentis-je. Et toi ?

- Je me disais que c'était vraiment beau, souffla-t-il en chassant quelques mèches de ses cheveux qui le gênait. »

C'était un geste si anodin, mais ça m'avait littéralement soulevé. J'aurais aimé que mes doigts caressent ses boucles, les recoiffe timidement. J'aurais voulu savoir ce que ça faisait. Est-ce que c'était aussi électrique que quand on s'était embrassé à Nouvel An ? Ou plus doux encore que lorsqu'il se fût blotti dans mon cou, quelques jours plus tôt ?

« Ouais, c'est beau, répondis-je, étonnée de sentir mon souffle se couper. »

Seth me sourit. C'était doux. Il avait l'air heureux.

« Tu vas faire quoi, l'année prochaine ? m'interrogea-t-il en rompant le contact visuel pour regarder le ciel.

- Je vais postuler dans la même université que Leith... elle a le meilleur département de littérature de l'état. Et toi ?

- Je sais pas encore. »

Je mis un temps à réagir, et, prenant mon courage à deux mains, je me tournais complètement vers lui. Le temps que je réfléchisse à une réponse, il m'imita sans rien dire, s'allongeant à son tour sur le flanc.

« Je ferais le tour du monde avec Astrid, me confia-t-il. J'partirai d'ici un matin et quand j'reviendrais... »

Il se tut, regarda ailleurs le temps d'un instant et replongea son regard dans le mien.

« Quand je reviendrais, tu seras là ? »

Mon petit cœur était en train de faire ses valises. Josiane posait sa démission.

« J'vais pas t'attendre cent ans, Potter, murmurai-je doucement, dissimulant mon trouble derrière un sarcasme.

- Fais le tour du monde avec moi, alors... »

Il me scrutait, comme s'il était véritablement sérieux et qu'il attendait que je m'engage ou non.

« Finis tes études, d'abord, me moquai-je, trop perdue pour lui répondre sincèrement.

- T'es pas drôle, souffla-t-il. Gustave a déjà signé, lui.

- Tu as jeté Gustave à l'eau, lui rappelai-je. »

Seth se pencha vers moi. On aurait pu s'embrasser. J'en avais désespérément envie.

« Alors... promets-moi qu'on fera le tour du monde ensemble, toi et moi, murmura-t-il. »

Une légère brise vint balayer ses mèches rebelles. Sa main apparut de sous le plaid et il me tendit son petit doigt.

« Promis, répondis-je. »

Je lui tendais mon petit doigt et Seth l'attrapa avec le sien. Nous restâmes comme deux idiots à rien dire. On se regardait, les mains toujours liées par notre promesse. J'avais l'impression que le temps s'était arrêté.

« Carly ?

- Hm ?

- On peut faire genre on est pas des amis pendant cinq minutes ? »

Je déglutis. Un frisson me parcourut l'échine. Je pouvais entendre mon cœur battre à tout rompre.

« On peut. »

Sans lâcher mon auriculaire, Seth fit disparaître la distance qui séparait nos deux visages mais ne déposa pas ses lèvres contre les miennes.

« Juste cinq minutes ? s'inquiéta-t-il. »

J'eus la sensation que j'allais faire une bêtise. Comme si c'était trop précipité. Comme si je n'étais pas prête à complètement sauter le pas. A dire oui à Seth comme j'avais dit oui à Mickael pour me retrouver avec le cœur brisé. Au final, l'année dernière, à la même période, Mickael me promettait le grand amour sans vraiment le vouloir... Et si j'avais envie de croire que ce serait différent avec Seth, je n'arrivais pas à chasser le mauvais pressentiment qui me nouait l'estomac.

« Je sais pas, murmurai-je. Je sais pas. »

Il hocha doucement la tête et finit par écraser ses lèvres contre les miennes. C'était presque inespéré. Cette sensation, cette caresse. Ce moment.

Et l'horrible sensation que je n'aurais pas dû.

Pas encore. Pas tout de suite.

Pas maintenant.

Hello !

J'espère que tout le monde va bien et que vous ne devenez pas fou avec cette quarantaine. Ce chapitre s'inscrit officiellement dans mes chapitres préférés et j'espère qu'il vous plaît autant qu'à moi !

Je sais que Carly est compliqué, ne me détestez pas trop mais je vous promets, vas y avoir plein de choses qui vont se passer et ça sera encore plus compliqué ! Nan, je plaisante ! Ou pas. Je sais pas trop quoi écrire du coup, je vais arrêter d'écrire de la merde et je vais vous souhaiter une très belle journée à tous !

Prenez soin de vous !

Elwyn.

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