Chapitre 46

S'il fallait comparer l'arrivée de ma grand-mère à un plan d'introduction au cinéma, je suggérais sans hésiter cet insert sur les pieds, à la sortie de la voiture. Mais si. Ce moment précis où la caméra remonte les jambes, épousant la courbure des mollets pour longer le corps filigrane de la gravure de mode qui s'extirpe gracieusement du siège passager, son regard dissimulé derrière de larges lunettes de soleil dont la marque est toujours sur le bout de votre langue.

Ça, c'était ma grand-mère. Rita Green, soixante-cinq ans, artiste peintre et mécène à New-York, femme indépendante et classe, sans une mèche de cheveux de côté. Tout le contraire de ma mère. Sam tenait beaucoup plus de son père, un ancien professeur d'histoire à l'université, aujourd'hui retraité, profitant du soleil des côtes ouest en attendant que ma grand-mère daigne décréter la saison suffisamment chaude pour venir vivre avec lui.

Et après, le monde entier s'étonnait que j'eusse du mal à gérer mes relations... Il fallait juste remonter quelques générations de mon arbre généalogique pour comprendre que les couples et les Greens, ça faisait deux.

Ma mère sortit juste après sa génitrice et se dirigea immédiatement vers le coffre. Tout excitée que j'étais, je me précipitais dans les bras de ma grand-mère, l'étreignant avec prudence. Elle était si fine que j'avais presque peur de l'abîmer, mais bon, en réalité, elle maîtrisait certains arts martiaux mieux que personne. Du coup, si quelqu'un devait s'inquiéter, c'était bien moi.

« Carly ! s'exclama-t-elle en me rendant mon câlin. Qu'est-ce que tu n'as pas changé, darling. »

Ah

« Toi non plus, mamie, la rassurai-je en m'écartant un peu.

- Ah si, tu as changé, en fait, se rattrapa ma grand-mère. Tes cheveux sont encore plus secs qu'à notre dernière rencontre. Et regarde-moi cette peau ! Tes pores sont complètement dilatés...

- J'adore ta salopette, mamie, soufflai-je en levant les yeux au ciel. »

Elle n'avait pas changé. Ça pouvait paraître un peu rude comme comportement, mais c'était sa manière à elle de dire qu'elle était heureuse de me voir. Ma grand-mère pratiquait le « je t'aime, moi non plus » mieux que personne. Mais si elle en était arrivée à ce stade avec vous, c'était qu'elle vous portait vraiment dans son petit cœur. Et croyez-moi, c'était le meilleur endroit au monde après le canapé lors d'une soirée pizza.

« Le trio Green est enfin réuni ! s'exclama joyeusement ma mère en nous rejoignant sur les perrons, l'énorme valise de Rita dans ses mains.

- Je n'allais pas rater les quarante-trois ans de ma fille unique, quand même ! lui répondit ma grand-mère en pénétrant dans notre maison. Surtout que tu m'as négligée, ces derniers temps ! Plus aucun appel ! A croire que votre foutu chat a bouffé votre carnet d'adresse... »

Comme si Pamplemousse avait prédit l'entrée de Rita Green dans son foyer, il apparut à l'entrée de la cuisine. Ils s'échangèrent un regard bref puis Pampy courut se réfugier dans mes bras alors que je refermais la porte derrière nous.

« T'es pas la seule qu'elle a négligé, me moquai-je narquoisement en jetant un coup d'œil amusé à ma mère.

- Eh ! grogna cette dernière. Si c'est pour vous liguer contre moi, tu peux aussi prendre le prochaine avion pour New-York, maman !

- Enfin, chérie, souffla ma grand-mère. Tu sais que ta fille te taquine... Quand est-ce que je rencontre ce fameux Viktor ?

- Il devrait venir manger mercredi soir, expliqua ma mère. Je me suis aussi permise d'inviter ma patronne et sa famille. Son fils s'entend bien avec Carly.

- Oh ! »

Oh non... Mon sang se glaça dans mes veines alors que le regard de ma grand-mère me brûlait le dos. Cette dernière avait toujours eu le don de mettre son nez dans mes affaires amoureuses, d'autant plus qu'elle avait toujours réussi à me faire cracher le morceau plus vite que mon ombre. J'étais une proie facile à ces yeux. M'avoir élevée, avoir changer mes couches puantes et avoir supporté mes premiers rhumes pendant que ma mère finissait ses études, ça avait forcément créé un lien entre nous.

Et ce lien était une poucave. Si Josiane venait à se faire piéger, la capsule de cyanure était prête. A choisir, elle mourrait pour la patrie ! N'est-ce pas, Josiane ?

« Tu t'entends bien avec un garçon ? releva ma grand-mère.

- Incroyable, n'est-ce pas ? rougis-je. »

C'est vrai qu'à New-York, à part Mickael, je n'avais pas fréquenté la gente masculine de très près.

« Pleins, maman, se plaignit ma mère. Je n'arrive même plus à les compter !

- Mais enfin, m'indignai-je. Ce sont tous des amis ! »

Ma mère haussa les épaules et fit signe à sa génitrice de prendre les escaliers. Rita aurait préféré une chambre d'hôtel mais Sam avait été catégorique. Si sa mère devait venir, elle coucherait à la maison. Comme nous n'avions pas de chambre d'amis – le projet avait été avorté pour en faire un atelier, ma grand-mère allait emprunter ma chambre. Je la lui cédais de bon cœur, trouvant dans le réconfort du canapé-lit du salon l'étrange souvenir de cette soirée où Seth était venu à la maison pour me dire qu'il ne voulait que rien ne change.

Et depuis, tout était encore plus ambiguë.

J'entendis les rires de mes deux ancêtres (ne le répétez pas à Sam où je suis condamnée à dormir dans l'abri de jardin jusqu'à ma majorité, et c'était hors de question) et j'eus un petit sourire. Le trio Green, c'était vraiment quelque chose et avoir un mois notre Rita à la maison, ça allait vraiment nous faire du bien. Du moins, tant que Seth ne passait pas cette porte. Ce qui me laissait un peu plus de vingt quatre heures pour profiter et ça, c'était quand même cool.

« Heureusement que j'ai accouché le vingt-huit et pas le vingt-neuf... sinon, tu aurais attendu tous les quatre ans pour avoir ton anniversaire, se moqua ma grand-mère en descendant l'escalier. »

Elle s'était changée. Rita avait ce genre de rituel bizarre où chaque tenue correspondait à un temps de la journée. Elle avait donc tronqué sa salopette de voyage pour une combinaison en jean, cintrée à la taille par une petite ceinture de cuir. Quand je vous disais qu'elle ressemblait à une gravure de mode.

« Mais je n'ai rien dit ! s'exclama ma mère en la suivant, hallucinant comme à chaque fois qu'elles avaient ce genre de discussion.

- Si, tu as encore dit que tu aurais préféré être née en mars !

- Parce que mars, c'est le début du printemps !

- Acoquine-toi avec l'hiver, qu'on en parle plus ! »

Je jetais un coup d'œil à l'horloge de mon téléphone. Il n'avait même pas fallu une heure pour qu'elles se chamaillent pour rien. Mais s'il n'y avait rien, c'était qu'il y avait déjà quelque chose. Et ça, je vous laissais quatre heures pour y réfléchir...

« Bon, qu'est-ce qu'on fait ? leur demandai-je en laissant Pampy s'enfuir de mes bras pour trouver refuge dans son arbre à chat.

- Je vais commencer par m'occuper de toi, ma pauvre enfant ! se moqua ma grand-mère. Regarde cette tignasse ! On dirait de la paille.

- J'adore t'avoir à la maison, répondis-je dans le vide alors que ma mère se moquait de moi et s'installait tranquillement dans son fauteuil, son ordinateur sur les genoux.

- Faites donc tous vos rituels beauté qui ne m'intéressent pas ! soupira ma mère en ouvrant internet. Je me charge de la playlist. »

Discuter n'aurait servi à rien. Rita Green était encore plus têtue que Nora. Elle sortit du petit sac qu'elle avait descendu tout un tas de produits dont j'aurais souhaité ne jamais connaître l'existence et me fit signe de m'asseoir par terre.

« D'abord, le masque d'argile, s'exclama ma grand-mère, tout heureuse. »

J'avais toujours été la poupée de ma grand-mère, mais ça, c'était amusant. Nous faisions ce genre de chose ensemble, le reste je le faisais avec Sam. Une fois la figure recouverte de la texture kaki, je sortis mon téléphone.

« J'ai promis à mes copines que j'enverrais un selfie, marmonnai-je en grattant un peu le masque sur mon menton.

- Touche pas ! grogna Rita en me tapant sèchement sur la main avant de sourire à l'objectif de l'appareil. J'espère que tu ne leur as pas dit que j'avais presque soixante-six ans...

- Non, bien sûr que non ! la taquina ma mère. Elle pense que tu es sa tante !

- N'importe quoi ! soufflai-je en levant les yeux. Maman, change. Tu sais que je déteste cette chanson. Et mamie, arrête de sourire comme une idiote. »

J'appuyai sur le capteur et la photo apparut figée sur mon écran. Elle était assez sympa. On ne pouvait pas dire que j'étais à mon avantage dans cette tenue, mais je me trouvais plutôt mignonne, pour une fois. Il était vrai, j'avais un masque vert sur l'entièreté de mon visage, mais j'avais un joli sourire. Et puis, je n'avais pas l'habitude de me voir avec les cheveux tirés en arrière comme ça. D'habitude, je les lâchais toujours quand je prenais une photo. Ça m'épargnait de voir mes oreilles.

Je détestais mes oreilles.

« A qui tu l'envoies ? s'enquit Rita.

- T'es sourde ? relevai-je, d'humeur cynique. Je t'ai dit, à mes copines.

- Seth, c'est ta copine ? souligna ma grand-mère, sur le même ton. »

Je jetai un rapide coup d'œil à l'écran de mon téléphone. La photo que j'avais légendé d'un : « Rita est à la maison et c'est déjà le bordel sur ma face... » avec deux smileys pleurant de rire était frisée entre la conversation des filles et celle que j'avais avec mon voisin. Paniquée à l'idée que Seth me voit avec cette tête, je fis tout ce que je pus pour annuler l'envoi mais mon vieux cellulaire portatif m'avait déjà abandonnée.

« Je suis tellement finie... pleurnichai-je. »

OoOoO

« Woua, Carly !

- C'est très gênant de vous avoir tous les trois d'aussi près. »

Nate, Holly et Nora se reculèrent à contre-cœur. Mon champ de vision s'élargit brusquement et je n'eus plus l'impression qu'il me fallait loucher pour regarder mes amis dans les yeux. Enfin en pleine possession de mon espace vitale, je pus me remettre à astiquer le comptoir du café.

« A tous les coups, c'est de l'argile biologique, songea Nora. Je ne sais pas où elle l'a trouvé, mais je veux la marque !

- Tu sais que l'eye-liner, ça te met vraiment en valeur ? ajouta Holly sans écouter son amie.

- Je veux la même peau... soupira Nate, désespéré. Prête-moi ta grand-mère ! »

Je secouai la tête, dépitée.

« Je ne vous ai pas fait venir pour parler des soins de beauté de la matriarche Green ! soupirai-je en suspendant un instant mon geste.

- Bah qu'est-ce qu'on fout ici ? m'interrogea Nora.

- On est en plein conseil de guerre ! m'indignai-je. C'était noté dans mon message.

- Depuis quand tu organises des conseils de guerre ? s'inquiéta Nate. C'est autorisé par la loi, au moins ?

- Je suis pacifiste ! se défendit Holly.

- Mais n'importe quoi ! soupirai-je. Je voulais vous parler de Seth. »

Nora jeta un petit coup d'œil derrière elle. Leith était trop occupé aux cuisines avec son père et mon voisin ne travaillait pas ce mardi. Puis ses yeux dérivèrent jusqu'à Nate et mon amie haussa les sourcils de surprise.

« Evidemment que je suis au courant, glissa Nate un peu indigné. Je suis au courant de tout ! »

Il remonta ses lunettes en même temps que les membres du club de journalisme acquiesçaient.

« Et qu'est-ce que tu veux nous dire, par rapport à Seth ? s'inquiéta Nora.

- Je... »

J'étais rouge comme une tomate.

« Je crois que je suis amoureuse de lui, avouai-je.

- Oh tient ! s'écria Nora, surjouant la surprise sans s'en cacher. Je croyais que tu ne cracherais jamais le morceau !

- Moi, elle me l'avait dit, se vanta Nate.

- C'est chouette que tu l'admettes enfin, souffla Holly. Ça va enfin pouvoir avancer.

- Mais il veut qu'on reste ami et j'ai dit oui. »

Nora en tomba presque de son tabouret. Holly se pinça l'arrête du nez et Nate poussa un soupir de dépit.

« Quand je t'ai dit de lui en parler, je ne t'ai pas demandé de le servir sur un plateau d'or à Elena... ajouta-t-il.

- J'ai pas fait exprès, me défendis-je. C'était le plus simple sur le moment !

- M'enfin, tu peux pas dire que vous allez juste être amis et te comporter avec lui comme un petit couple ! »

Nora faisait probablement référence à la soirée de la Saint-Valentin. Si seulement elle savait que Seth m'avait quitté en me prenant dans ses bras et en m'assurant que j'étais la meilleure pote avec qui passer la fête des amoureux, peut-être ne tiendrait-elle pas un tel discours.

« J'ai vraiment besoin d'aide... soufflai-je. Comment on fait pour sortir de la friendzone ?

- T'as qu'à aller à un concert avec lui, rater ta chance et refaire la Saint-Valentin, proposa Holly. Ça a super bien marché avec Alexander, et je crois bien qu'il va m'inviter à sortir après son prochain match de foot. J'espère qu'il le gagnera, comme ça, ça fera comme dans les films. »

Ce fameux match, c'était vendredi, à la fin de la semaine. Nous devions tous y aller pour encourager Alex et James. Même Leith avait promis qu'il viendrait. Au départ, je n'y avais pas trop cru, il semblait réticent. Mais les mots « Nora » et « popcorns gratuits » avaient fini par avoir raison de lui.

« Il faut éliminer la concurrence ! s'exclama Nora en taper du point sur la table. Elena est encore en lice et elle sera prête à tout pour te piquer ta relation avec Seth.

- Sur le coup, je suis pas violent ou complotiste, mais je suis Nora, la soutint Nate. Continue à faire amie-ami avec lui et Elena va venir te le piquer juste sous ton nez.

- Je préférais presque l'option du concert, grommelai-je. Et comment je fais pour Seth ?

- Tu pourrais lui déclarer tes sentiments, souleva le garçon, jouant à nouveau avec ses lunettes dont les montures étaient décidément trop larges pour son crâne.

- Hors de question ! s'interposa Nora. C'est beaucoup trop direct et jusqu'à présent, tout le monde a pu constater que le direct avec Seth était voué à l'échec.

- Pas faux, souligna Holly. En plus, il sait très bien qu'il se passe quelque chose entre vous. Donc s'il avait voulu passer à la vitesse supérieure, il l'aurait déjà fait.

- Tu crois qu'il ne veut pas ? m'inquiétai-je. »

Je n'y pensais pas toujours, mais parfois, le fait que Seth était publiquement connu comme un charmeur et un coureur de jupon me revenait. Il ne l'avait plus tellement fait depuis l'accident de Julie ou Julia... et même si le prénom de ce personnage tertiaire n'était pas essentiel à la continuité de cette histoire, il continuait de me hanter comme une évidence. Peut-être que j'étais une distraction de plus pour Seth. Comme je l'avais été pour Mickael.

« Je crois qu'il a peur parce qu'il y a Elena pas très loin, me confia doucement Nora à la place d'Holly. Il l'a vraiment beaucoup aimé et maintenant que tu es là, ça doit le perturber un peu de se dire qu'on peut aimer autrement et plus sincèrement. A sa place, j'aurais les ch'tons aussi.

- Hm, j'suis pas convaincue. »

Nate avala une gorgée de coca et poussa un nouveau soupir. Quand il releva les yeux, il avait l'air déterminé, très loin du garçon timide que je connaissais.

« Le voyage scolaire, c'est quand ?

- En avril, je crois ? m'enquis-je. La première semaine ?

- Okay. A la soirée dansante du voyage, il faudra que tu parles à Seth. En attendant, on va éliminer Elena du jeu et toi, tu vas faire ce que tu sais faire de mieux.

- Qu'est-ce que je sais faire de mieux ?

- Plaire à Seth tout en étant complètement à côté de la plaque. Puisque t'es pas douée, autant l'exploiter jusqu'au bout. »

Et ça, chers lecteurs, c'étaient la brochette de mains dans laquelle je venais de faire reposer mon avenir amoureux.

Hello !

Malgré tout les problèmes de cette semaine, je suis super contente de parvenir à publier ! :D Je n'étais pas chez moi la plupart du temps, fac et travaux à la maison oblige. Et pis, comme si ça suffisait pas, je suis tombée malade. Je vous annonce officiellement l'arrivée de mes deux petites otites. Elles sont toutes les deux en bonne santé et ressemble comme deux gouttes d'eau à leur maman, l'angine. A part ça, je vais bien... x)

Tant que ça ne m'empêche pas d'écrire comme je l'imaginai déjà ! Dans tous les cas, voici un chapitre de transition, qui va doucement nous amener vers ce que j'appellerai de nouvelles intrigues (pas si nouvelle que ça, mais disons que quelques lignes secondaires vont devenir plus importantes pour notre plaisir à toutes et tous !). Pis je suis trop heureuse de vous introduire le personnage de Rita. Vous verrez, elle déchire.

Je vous souhaite à tous de bonnes vacances (si vous y êtes enfin comme moi où si vous vous êtes en pleins dedans) et bon courage à ceux et celles qui n'en ont pas ou très peu ! Je vous soutiens de toutes mes oreilles (ah non, pardon, celle-là sont décédées). Bah du coup, je vous soutiens de tout mon coeur !

A très vite !

Elwyn.

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