Chapitre 44

« J'arrive pas à le croire... souffla Keira. »

Pendant un instant, la connexion figea l'image de ma meilleure amie sur l'écran de son ordinateur. La stupeur gravée sur son visage s'imprima dans mon esprit puis Keira se remit à bouger.

« Bourré ? C'est pas une excuse, être bourré ! s'énervait-elle à présent. »

A court de mots, et parce que j'avais l'impression d'avoir eu cette discussion au moins trois fois aujourd'hui, je haussais simplement les épaules. Que dire de plus ? Oui, ce n'était pas une excuse. Mais c'était la seule chose que Seth avait été capable de me donner et je m'étais arrêtée là.

« Je ne l'imaginais pas comme ça, souffla ensuite ma meilleure amie. Et tu lui as dit quoi ?

- Rien, répondis-je. Je lui ai demandé d'arrêter son petit jeu.

- Tu aurais dû le démonter, comme tu as démonté Luce quand elle t'a renversée sa gouache sur ta robe en velours, en primaire. »

Le souvenir de la pauvre Luce, toute penaude, sa gouache en main, me fit sourire. J'avais neuf ans et ça n'impliquait clairement pas mes sentiments, mais l'engueulade qui avait suivi était pour la plupart des personnes présentes suffisamment mémorable pour que l'histoire me colle aux fesses jusqu'au lycée. N'embêtez jamais Carly Green, qu'ils disaient. Tout ça, c'était révolu, maintenant que je vivais loin de la jungle new-yorkaise. J'étais juste Carly et j'avais mal au cœur.

« Plus sérieusement, tu as fait quoi ensuite ? s'inquiéta Keira. Tu l'as ignoré ?

- Ouais, plus ou moins, me souvins-je. Je suis restée près de Leith pour éviter que Seth ne s'approche de trop.

- T'as un bouclier humain rien que pour toi... remarqua ma meilleure amie, pensive. La chance.

- Tu parles... Leith a senti que c'était tendu, expliquai-je. Vers la fin du service, il m'a coincée dans la remise et m'a presque obligé à avouer. Tu sais comment il est ?

- J'imagine bien.

- Je ne sais pas si j'ai dit grand-chose, mais pour pleurer toutes les larmes de mon corps, ça, je suis douée...

- Oh chaton ! »

Le logiciel de communication frisa à nouveau, étouffant les mots de Keira sous un grésillement désagréable. Pampy qui somnolait jusqu'à présent sur mes genoux se redressa, feula en direction de l'ordinateur et lui asséna un coup de patte avant de déguerpir hors de ma chambre.

« Tu veux pas en parler à ta mère ? murmura finalement ma meilleure amie quand la transmission se fit de nouveau fluide. D'habitude, tu lui dis tout.

- Elle est pas trop à la maison, en ce moment, grognai-je. Viktor et Eva ont toujours une bonne raison de l'attirer à l'extérieur de ses quatre murs. Et puis, comme ma grand-mère arrive dans une semai...

- Isolda Green va mettre les pieds à Blueberry's Harbour ? »

Keira avait toujours eu une sorte d'admiration teinté de respect profond pour ma grand-mère. Pour moi, Isolda était une seconde mère, quoique Sam Green fut la plus raisonnable (et présente) des deux. Mais vous raconter l'historique de mon aïeul maintenant vous gâcherait vraiment la surprise de la découvrir et j'avais, honnêtement, d'autres animaux que mon chat à fouetter.

Josiane, j'ai fait un effort. Plus personne ne pourra m'attaquer pour violence sur Pampy. Maintenant, ils pourront m'attaquer pour violence volontaire sur le règne animal. Et si ça, ça ne nous propulse pas sur la scène internationale, alors je ne sais plus quoi faire !

« Oui, mais si on pouvait juste en revenir à mon soucis principale, ce serait génial ! m'exclamai-je en chassant mon aparté mentale dans un coin de ma tête. »

Ça restait une idée de reconversion professionnel si je ne parvenais pas à entrer à l'université.

« Désolée, c'est juste que je ne voyais pas ta grand-mère débarquer ici... après, on fait tous des choses inattendues dans la vie.

- Keira...

- Oui, oui. Parlons de Seth, se reprit mon amie. Qu'est-ce que tu comptes faire ? L'ignorer ? T'as bien vu où ça t'a mené et tu vas pas t'amuser à te couper la main encore une fois pour qu'il débarque sur son cheval blanc. Surtout qu'il habite sur son bateau et...

- J'ai compris l'idée, la coupai-je. Non, je vais pas me couper la main... je vais pas l'ignorer non plus. C'est pour ça que ça puait de me mettre dans le crâne qu'il me plaisait.

- Pourquoi ?

- Parce que ça pue de tomber amoureuse de son meilleur ami. »

Keira leva les yeux au ciel. Je savais ce qu'elle allait dire, mais cette fois, je la pris à court.

« C'est arrivé une fois avec Mickael, je ne remets pas le couvert ! la prévins-je. On avait tout pour être heureux, Mickael et moi. On s'entendait bien, on allait au cinéma aux séances de vingt-deux heurs et on se pétait le bide avec du popcorn salé. Il lisait Baudelaire pendant que je récitais Jane Austen... le couple parfait. On s'est embrassé, c'était super. Et le lendemain, il sortait avec cette idiote de Queen. Je recommencerai pas avec Seth.

- Mais Seth et toi, c'est différent ! se défendit Keira. Vous êtes juste deux poules mouillées !

- Pas de couple, pas d'histoire d'amour ! répétai-je, butée. J'ai assez donné !

- Oh tu me souale ! s'exclama-t-elle. T'as qu'à arrêter de vivre, tant que t'y es. Tu prends jamais de risque. Regarde comment tu te pisses dessus avec Seth. Au lieu de le laisser filer, saute-lui dessus.

- T'as les oreilles sales ou tu le fais exprès ? grognai-je, sur la défensive. Je t'ai dit... »

Keira leva les mains en l'air.

« Pas de couple, abandonna-t-elle. J'ai compris. »

Elle voulut rajouter quelque chose mais la communication coupa net. L'écran de mon ordinateur fixe s'éteignit, de la même manière que la lumière de ma chambre. Un frisson parcourut mon échine quand je me rendis compte que la panne d'électricité s'étendait à mon quartier. Dehors, la nuit noire enveloppait la rue tandis que j'apercevais les étoiles en cette soirée sans nuage. C'était rare, de les voir.

Mon téléphone vibra. Keira me signalait qu'elle devait aller travailler mais que cette discussion était loin d'être terminée. Je la rassurai en lui expliquant qu'il y avait une panne dans le quartier et que je la rappellerai probablement demain. Un émoji plein d'amour et ma meilleure amie s'en allait remplir des formulaires pour les urgences de la clinique voisine à nos immeubles.

« Bon. Et maintenant, je fais quoi ? me demandai-je à voix haute. »

Dire que j'étais terrorisé à l'idée d'être seule chez moi, plongée dans le noir complet, était un euphémisme. J'avais toujours eu peur de l'obscurité. Quand j'étais seule, je dormais avec une loupiotte Harry Potter pour garder un point de repère si je devais me réveiller en sursaut. Je pouvais toujours l'allumer, mais je risquais d'user ses piles et je n'étais pas sûre d'en avoir de rechange. Et je préférais nettement la savoir allumée pendant mon sommeil qu'en étant pleinement éveillée.

« Conscience écologique, bonjour ! me moquai-je de moi-même, histoire de me détendre. »

J'entendis Pampy miauler au premier étage. Puis plus rien. Pendant un instant, je crus qu'il était arrivé quelque chose à mon chat. Trop curieuse pour ma propre santé mentale, je m'avançais vers ma porte. Les pas de Pamplemousse résonnèrent dans l'escalier puis je le surpris à gratter nerveusement contre le panneau de bois qui nous séparait. Peut-être qu'il avait senti quelque chose que je ne pouvais pas percevoir ? Après tout, rien ne démentait la possibilité qu'un cimetière indien puisse se trouver sous ma maison et qu'un esprit hantait les lieux à cette date précise qu'était le sept février.

Consciente que je ne pouvais pas livrer mon chat à lui-même, j'ouvris la porte pour le laisser entrer. Il fila se planquer dans son panier, s'enroulant dans un grognement, presque un raclement. Et le silence retomba quand j'eus fermé la porte. Nous étions livrés à nous même.

De : Carly

A : Sam

Tu rentres bientôt ?

Mon message s'envola mais aucune réponse ne vint. Le bois des escaliers, qui était déjà fragilisé par le passage du temps, craqua sinistrement. Mon cœur s'emballa alors que je plaquai mon dos contre la porte. Bon sang. Qu'est-ce que j'allais devenir ? Mourir tuée par un esprit, est-ce que c'était une bonne fin ? Et si...

Et si j'appelais Seth ?

Non. Mauvaise idée. Très mauvaise idée. Au cas où tu n'aurais pas suivi, ta dignité, Josiane, ton cœur et toi-même, vous êtes fâchés contre Seth. Mais c'était aussi le seul qui décrocherait à vingt et une heure et qui accourrait, si je le demandais. Parce que Seth restait fidèle à lui-même, et bizarrement prêt à tout pour moi, même quand il merdait.

De toute façon, c'était trop tard pour les regrets. J'avais déjà composé son numéro. Il décrocha après la troisième tonalité.

« Je suis désolée de t'appeler comme ça, mais j'ai vraiment besoin de savoir si ma maison n'a pas été construite sur un cimetière indien ! m'exclamai-je, sentant ma voix qui s'envolait dans les aiguës à mesure que j'avalais l'air autour de moi pour ne pas suffoquer. »

Un silence me répondit.

« Seth ? soufflai-je. »

Je pus compter au moins cinq bonnes secondes avant qu'il ne se décide à me répondre.

« Désolée, Carly... souffla une voix féminine. Mais Seth est avec moi et nous travaillons sur l'exposé.

- Elena ?

- Oui, sweetheart, c'est moi... murmura-t-elle. »

Je pouvais sans peine imaginer son petit sourire satisfait. Ça me fendit le cœur de me la représenter assise à ma place, sur la banquette de la cale d'Astrid, en train de passer un moment privilégié avec mon voisin. Mais n'était-ce pas en partie parce que j'avais choisi Nate que Seth était à présent partenaire avec cette garce ?

« T'as l'air bien bête, avec ton histoire de cimetière indien... ajouta-t-elle sans cacher les accents moqueurs dans sa voix. C'est comme ça que tu les attires dans ton lit ? En les appelant au secours ?

- Espèce de...

- Enfin, j'imagine que tout film d'horreur bon marché à sa propre vierge effarouchée... soupira ma camarade de classe sans me laisse le temps de terminer. Avec un peu de chance, tu survivras à ta nuit. »

Je voulus rajouter quelque chose mais elle avait déjà raccroché. Je me sentis perdre pied. C'était aussi facile de faire semblant, pour lui ? C'était comme ça qu'il gérait la situation ? En se réfugiant dans les bras d'Elena ?

Quel con.

Le vent s'était levé et son souffle caressa le mur nord de la maison, lui arrachant un énième grognement. Tant pis. Seth aurait ma mort sur la conscience...

Ma mère ne répondait toujours pas. M'accrochant au peu de courage que j'avais encore, je tentai de rallumer l'interrupteur. Rien à faire, ma chambre restait aussi sombre que le reste du quartier. Un autre bruit, celui d'un piéton qui trébuchait, me fit sursauter. Quelqu'un ici voulait ma mort et personne n'était là pour me sauver. Pas même Seth.

« Et j'en reviens encore à lui... me maudis-je en me prenant la tête dans les mains. »

Il était partout. Dans mes rêves, en cours, au travail... ce type m'avait envahi sans que j'aie pu m'en rendre compte et je ne savais pas si c'était une bonne chose. Sans m'en rendre compte, j'étais devenue dépendante de ses sourires, de son attention et de sa façon de me faire sentir spéciale. A tel point que j'avais tout foutu en l'air. Mon voisin et moi, on était fait pour être amis. Si on dépassait la ligne, on s'aventurait sur un terrain qu'aucun des deux ne maîtrisait vraiment et je n'avais clairement pas envie de perdre ce truc hors du commun qu'on avait. Si je comptais pour lui, je tenais encore plus à ce stupide énergumène. Je pouvais pas tout foutre en l'air comme avec Mickael.

Surtout si pour Seth, ça ne représentait rien.

« Puis il a Elena... grognai-je. »

Je sortis mon téléphone. Ça faisait bien vingt minutes que la panne d'électricité avait frappé la rue. Quinze après que j'ai envoyé le message à ma mère. Dix, depuis que j'avais appelé Seth pour tomber sur l'autre garce.

Et dire que ça avait été les vingt minutes les plus longues de ma vie, c'était franchement un euphémisme. Puis quelqu'un sonna à la porte.

Par réflexe, je bondis vers mon lit, m'éloignant le plus possible de ma porte. Mais qui pouvait bien se pointer à cette heure-là ? Ma mère m'aurait prévenue qu'elle rentrait. Eva et son mari n'habitait plus dans le quartier et ne reviendrait que lorsque les travaux se termineraient. Seth était avec Elena.

On sonna encore. Pampy redressa la tête et de son petit regard scintillant dans l'obscurité, m'intima d'aller ouvrir. Ce n'était pas grâce à lui que je survivrai... N'écoutant que mon chat – puisque mon courage s'était fait la malle, je sortis de ma chambre et descendais l'escalier. Dire que je faisais tout ça prudemment, c'était réduire l'impact de mes actions.

Actuellement ? J'étais un ninja.

J'atteignis la porte, jetant un coup d'œil par la petite fenêtre en verre trouble. C'était une silhouette, définitivement celle d'un garçon. Maintenant, allez savoir qui cela pouvait être.

« Tu m'ouvres ? s'exclama soudain une voix grave et hachée. »

Mon sang ne fit qu'un tour alors que mon cœur s'affolait. Bon sang.

« Seth ? l'appelai-je en ouvrant la porte. »

Il était là. Ses cheveux bruns en batailles étaient secoués par le vent. Il avait l'air épuisé et son torse se gonflait rapidement, comme s'il était essoufflé.

« Mais...

- J'ai acheté des bougies, en chemin, s'exclama-t-il en forçant son passage à l'intérieur. Ça va durer toute la nuit. »

Je fermais la porte derrière lui, me retournant pour lui faire face. Je ne devais pas vraiment cacher ma surprise puisqu'il m'observait d'un œil inquiet.

« Tu n'étais pas en train de faire ton exposé ? lui demandai-je.

- Si tu m'as appelé, c'est que tu as une bonne raison d'avoir besoin de moi. »

Il était très sérieux, presque grave.

« Et je suis pas ce genre de mec. »

Ouais, juste le genre à dire : « j'étais bourré » pour se défiler. A part ça, c'était vraiment un type cool. Je voulais ajouter quelque chose mais Seth me coupa.

« J'ai déconné hier, m'expliqua-t-il. J'ai dit de la merde et je m'en veux. Mais Carly, faut pas que ça bouge, toi et moi.

- Ouais, hein... acquiesçai-je, me surprenant à le faire à contre-cœur.

- Faut qu'on reste amis, c'est trop précieux. »

J'hochai la tête, lentement, mais sûrement.

« Amis, alors ? soufflai-je, sans comprendre pourquoi ça faisait aussi mal de le formuler.

- Amis. »

Nous ne brisâmes pas la distance qui nous séparait. C'était presque mieux comme ça. J'étais comme soulagée et en même temps, je n'arrivais pas à expliquer pourquoi j'avais envie de pleurer. J'observai curieusement Seth, espérant qu'il allait se raviser. Mais il se contentait de regarder ses pieds, l'air de réfléchir à ce que nous venions de dire.

« Bon, marathon flemme sur ton canapé ? me proposa Seth, d'une toute petite voix. »

Il me souriait.

« Oui... de toute façon, on a plus le câble. »

Je lui fis signe d'avancer et tout en lui emboîtant le pas, je ne parvins pas à chasser cette question qui tournait en boucle dans mon esprit.

Pourquoi avoir planté Elena pour me retrouver, s'il voulait seulement qu'on soit amis ?

NB.

Aujourd'hui, c'est un des plus beaux jours de ma vie, héhé. Alors je poste, comme ça, ce sera encore plus beau ! J'espère que vous allez aimer ce chapitre, que vous en profiterez et que vous saurez me pardonner de ne pas avoir répondu à vos commentaires très vite ! :( Et puis, d'abord, j'ai tout arrangé entre Seth et Carly !

Et en plus, rien que pour vous, je serais exceptionnellement dans les temps pour vous poster le chapitre de la Saint Valentin, haha ! Et ça, c'est assez incroyable ! :3

Bref, je suis super heureuse d'aller voir mon chanteur préféré ce soir dans une petite salle, presque en tête à tête avec lui et j'espère que vous passerez une aussi belle journée que moi ! :)

Sur ce, à très vite ! Bon courages à celles et ceux qui sont en vacances vendredi et bon courage aux autres, qui comme moi, triment encore une semaine et qui n'en peuvent déjà plus !

E.


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