Chapitre 43
David Bowie s'égosillait dans la salle de journalisme où nous créchions en cette énième après-midi pluvieuse. Et si la bande-son était aussi incroyable, c'était probablement parce que nous nous trouvions sur ma playlist et que, admettons-le ensemble, je suis une fine amatrice. Ce qui, ma foi, n'était pas donné à tout le monde.
Nora dansait sur son siège, répétant avec les chœurs « modern love » et autres parties choristes qui ne nécessitait pas de grande capacité vocale alors qu'Holly prétendait être imperturbable. Mais fallait pas me la faire, je l'entendais taper en rythme sur son clavier.
« J'en peux plus ! s'exclama tout à coup Nora en fermant le clapet de son ordinateur portable. Ça me rend dingue cette édition de février !
- Tu ne m'avais pas dit que toutes tes rubriques étaient déjà écrites ? s'inquiéta Holly en s'accordant elle aussi un petite pause.
- Si, mais justement, c'est catastrophiquement chiant, se plaignit la directrice du club. On dirait n'importe quel numéro de février avec son édito nul sur la fête des amoureux, ces interviews vus et revus sur la meilleure façon de célébrer l'amour et autres trucs dégoulinants d'amour et... »
Interpellées par autant de négativité, Holly et moi échangeâmes un regard inquiet. Nora adorait l'amour. Elle était amoureuse de l'idée d'être amoureuse. Elle célébrait Eros et Cupidon à longueur de journée, ne répandant autour d'elle qu'optimisme, cœurs en papier et petits chatons mignons. Un trop plein de guimauve qui envahissait nos vies à chaque instant.
« Mais t'étais super excitée ? relevai-je, curieuse. Tu en as fait tout un plat...
- Ouais, bah je suis plus excitée, rétorqua-t-elle en me coupant.
- Depuis quand tu n'es plus excitée par la Saint-Valentin ? lui demanda Holly, quittant définitivement son écran des yeux en fermant à son tour le clapet de l'ordinateur. »
Nora pivota sur son siège, l'air de réfléchir. Puis, quand elle eut fini de dessiner des cercles au sol avec ses pieds, elle se décida à cracher le morceau.
« Je pensais que tu travaillais au café, hier, souffla Nora. Alors j'y suis allée. Et je suis tombée nez à nez avec Leith.
- Mais c'est génial ! m'exclamai-je.
- Ouais, grogna l'intéressée en retour. J'avais l'air trop con, je suis sûre qu'il me prend pour une idiote. En plus, il sait qu'il me plaît. Fin', qui ne le lirait pas sur mon visage ?
- C'est Leith qui te met dans cet état ? releva Holly. Il a dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?
- Pas vraiment, soupira Nora. C'est juste que je sais pas quoi faire avec lui. Je pers tous mes moyens quand il est là. Il me plaît vraiment, vraiment. J'ai l'impression de passer pour une groupie quand je suis avec lui. Je ris nerveusement, je rougis, je couine. »
Nora marqua une pause et passa sa main sur son visage.
« Je couine ! répéta-t-elle abasourdie. Comme une souris. »
Holly se leva de son siège pour se rapprocher de sa meilleure amie et lui posa une main affectueuse sur l'épaule.
« Ce n'est pas grave, ça, souffla-t-elle. Si ça se trouve, Leith ne s'en rend même pas compte. Toi, tu ne vois que ça, mais lui...
- Il ne me voit peut-être même pas. Je reste l'amie de Seth à ses yeux... Et rien de plus.
- Qu'est-ce que t'en sais ? grognai-je. Si ça se trouve, il t'a remarqué mais il le cache bien.
- C'est un peu bateau pour me rassurer, marmonna la jeune femme. De toure façon, je fonce droit dans un mur. »
J'allais répliquer quelque chose de très carliesque quand Holly tapa soudain du poing sur la table. Si j'étais étonnée, Nora avait carrément fait un bond de surprise. Décidément, l'amérindienne ne cessait jamais de me surprendre. Elle tirait une moue farouche, pleine de détermination.
« Tu sais quoi ? lança-t-elle à l'adresse de la présidente du club.
- Quoi ?
- Je ne te laisserai pas te morfondre comme ça !
- Ouais ! m'exclamai-je, consciente que j'étais une cheerleader exceptionnelle quand il s'agissait d'encourager mes amies.
- On va faire une sortie de groupe pour la Saint Valentin !
- Ouais ! répliquai-je en levant les bras.
- Et Carly va inviter Leith !
- Je le ferai ! Et j'inviterai aussi James et Alexander !
- Ouais ! m'appuya Holly. Et on va t'aider à pécho ton Leith !
- Ouais ! m'exclamai-je. »
Nora qui s'était déridée un peu se prit au jeu à son tour.
« Et toi, tu vas conclure avec Alex parce que vous me donnez envie de sacrifier des chatons à Aphrodite à force de vous tourner autour ! s'exclama-t-elle, toute contente.
- Non ! répliqua Holly en déchantant légèrement.
- Si, si ! défendis-je l'idée de Nora. Mes chéries, le quatorze février sera notre soirée ! »
Holly et Nora me coulèrent un petit regard suspect.
« Tu t'es enfin décidée à pécho Seth, alors ? me lança Nora, un sourire mielleux aux lèvres. »
Cette fois-ci, mon majeur fut plus rapide que ma langue, et c'était peut-être pour le mieux.
OoOoO
« C'est ça ton plan ? me demanda Seth alors que nous sortions du lycée ensemble. C'est nul.
- Bah quoi ? m'exclamai-je, presque vexée. Au moins, je viens avec une proposition. Si ce soir-là, tu files un coup de main à Nora, elle sera sûrement plus encline à ouvrir le dialogue avec toi.
- Et tu veux que je fasse quoi ? grogna mon voisin. Que je les aide à se retrouver en tête à tête ?
- Par exemple. »
Seth me tint la porte du local à vélo (oui, j'avais enfin récupéré une selle et Seth me l'avait soudée pour qu'elle ne s'envole plus jamais) et je passais devant lui.
« Et tu t'es pas demandée si je n'avais des plans le quatorze ? s'inquiéta-t-il un peu sèchement. »
Je n'en revenais pas qu'il me parle sur ce ton, mais l'idée qu'il puisse sortir avec quelqu'un ce soir-là chassa mon agacement plus vite que je ne l'aurais imaginé.
« Parce que tu as des plans ? lui demandai-je sur le même ton. Tu vas bosser sur ton exposé avec Elena, peut-être ? »
Mon voisin me coula un regard légèrement agacé.
« Je n'aurais pas eu besoin de me mettre avec elle si tu n'étais pas allée te mettre en groupe avec Nate.
- T'es jaloux ? relevai-je, presque sur les fesses devant sa mine boudeuse. Sérieusement ? T'as pas le monopole de Carly Green pour ce qui est de la littérature.
- T'as pas le monopole de Seth Potter non plus, me reprit-il.
- Tu aurais pu te mettre avec Alex, soulignai-je. Le pauvre, il se tape l'exposé seul vu que son partenaire s'est fait renvoyer la semaine dernière... »
Seth voulut dire quelque chose mais il eut l'air de s'en rendre compte tout seul que ça n'avait aucun sens et se ravisa. Nous sortîmes nos vélos du local et nous prîmes le chemin du café où nous devions tous les deux prendre du service. Nous faisions la fermeture ce soir, ce qui promettait pas mal vu l'état de notre discussion. Encore plus houleuse que la mer en contrebas.
« Le bowling, lâcha soudain Seth alors que je songeais à la courbure de son dos qui épousait celle de la côté que nous dévalions prudemment.
- Hein ? soufflai-je.
- On pourrait faire la Saint Valentin au bowling ? me proposa-t-il. Nora adore ça, même si c'est une bouse à ce jeu... Et Leith se débrouillait pas trop mal.
- Tu penses qu'il pourrait lui montrer sa botte secrète ? relevai-je, machiavélique. »
Seth me jeta un regard indigné. Toute trace de colère avait disparu de son visage mais le sourire en coin qu'il me lançait alors que ses yeux se plissaient de dégoût me surprit légèrement et je me sentis rougir.
« Ew... S'il veut montrer son engin à Nora, qu'il le fasse quand ils seront tous les deux... grogna-t-il d'une petite voix.
- Oh Seth... m'exaspérai-je. T'es pas possible... »
Son sourire s'agrandit et Seth s'intéressa à nouveau à ce qu'il se passait devant lui. Nous arrivions à la lisière du centre-ville et empruntions la promenade de bord de mer pour rejoindre le café de Jack Thorne. S'il pleuvait toujours, c'était une pluie plus douce, presque tiède tant il faisait froid en contraste. La mer n'était pas spécialement déchaînée mais de larges vagues se formaient à sa surface pour s'écraser plus ou moins brutalement sur les digues de la jetée. Au loin, les bateaux amarrés se balançaient doucement.
Et sans trop savoir comment j'étais passée des voiliers à l'image de Seth me serrant dans ses bras, je me souvins de la façon dont la poitrine de mon voisin se soulevait au fil de sa respiration profonde et comment son cœur battait lentement sous ma main jointe à la sienne. Un frisson bizarre me parcourut l'échine et une pensée noire s'insinua, ce qui raviva mon agacement. Avec combien de filles s'était-il déjà amusé à faire ça ? Le faisait-il avec Elena en ce moment-même ? Les rumeurs allaient toujours et maintenant, Elena ne prenait même plus la peine de les commenter. Elle se contentait de me sourire au détour d'un couloir, trop fière d'avoir eu ce qu'elle avait toujours voulu. Seth.
« Tu offrirais quoi à une fille pour la Saint Valentin ? me demanda tout à coup Seth alors que nous dépassions la place du marché.
- Quoi ? »
J'étais abasourdie. Est-ce qu'il se rendait compte qu'il me posait cette question alors que tout entre nous était devenu super ambiguë ? S'attendait-il à ce que je l'aide à conclure avec sa camarade d'exposé ? Mais pour qui me prenait-il ? Son jouet ?
« J'en sais rien, Seth, répondis-je sèchement. T'as pas dragué suffisamment de filles pour le savoir ?
- Pourquoi tu t'énerves ? C'était juste une question.
- Je m'énerve pas, je te réponds, grognai-je. T'as qu'à demander à Elena. Elle saura sûrement ce qu'elle veut.
- Mais pourquoi t'en reviens toujours à Elena ? s'agaça Seth. Elle ne t'a rien fait à ce que je sache. »
Pas faux. Enfin, du moins, ça ne l'était pas quand on considérait que je ne pouvais décemment pas l'attaquer sur sa pseudo relation quand je n'étais même pas sûre qu'il se passait quelque chose de réel entre nous.
Josiane ? Une porte de sortie ?
« J'en sais rien, c'est pas ta nouvelle pote ? marmonnai-je, pas très fière de ma répartie. »
Je m'enfonçais, ça en devenait ridicule.
« Et tu veux pas inviter Nate à ma place à la Saint Valentin ? s'exclama Seth, sur le même ton que moi.
- Non ! grognai-je. »
Nous nous arrêtâmes un peu brutalement devant le café et nous entreprîmes de garer nos vélos. Nous nous regardions à peine. On aurait dit une véritable discussion de sourd. Et plus j'y pensais, plus les mots de Nate tournaient dans ma tête. « Il faudrait peut-être que tu lui parles », m'avait-il dit. Et s'il avait raison ? On était en train de s'engueuler parce qu'on n'arrivait pas à communiquer. Pourquoi est-ce que je n'étais plus franche avec lui ? Pourquoi est-ce que je ne lui disais pas simplement ce que je ressentais ?
Peut-être parce que là-haut, Josiane panique à chaque fois que la possibilité qu'il me rejette m'effleure l'esprit.
« Ecoute, Carly, murmura soudain le garçon en soupirant. J'ai l'impression qu'on s'est aboyé dessus pour rien.
- Ouais... admis-je prudemment. Désolée »
Mais comment lui expliquer que j'étais partagée entre l'envie de me jeter dans ses bras pour pleurer de frustration et celle de lui écraser la plat de ma main en plein milieu de la figure ?
« J'sais pas c'qu'on a, souffla Seth. Mais c'est pas nous et ça fait bizarre.
- C'est pas nous depuis que tu m'as embrassée, Seth... soufflai-je en relevant les yeux. »
Le garçon me lança un petit regard surpris. Il ne s'attendait peut-être pas à ce que je remette ça sur la table, mais ça m'avait échappé tout seul. Probablement l'inconscient de Nate qui avait poussé Josiane à ouvrir les vannes. Ce qu'elle pouvait-être manipulable, celle-là...
« Tu m'as embrassé en retour, me répondit-il, hésitant.
- Oui, mais c'est toi qui as commencé, grognai-je. Si t'en avais pas envie, fallait pas le faire.
- J'étais bourré, Carly... marmonna-t-il presque à contre-cœur. Je contrôlais plus rien... »
Il avait rajouté quelque chose mais Josiane était restée coincée sur sa première déclaration. Ah. Donc il était juste bourré ? Quelle conne j'avais été de croire qu'il avait des sentiments pour moi. Comment aurait-il pu ? J'étais juste sa pote.
« T'étais vachement bourré quand t'es venu dormir à la maison, remarquai-je quand même, m'accrochant à l'espoir qu'il me dise qu'il mentait. »
Seth haussa les épaules et son regard se défila sous l'inquisition du mien.
« J'aurais pas dû, murmura-t-il. »
Josiane gisait sur le panneau de commande.
Avec elle gisait ma dignité.
Et pour constater les dégâts, mon cœur les toisait de haut tandis qu'une partie de moi secouait tristement la tête, comme si elle avait toujours su ce qui allait arriver.
« La prochaine fois, Seth Potter, tu t'abstiendras de m'embrasser ou de t'approcher de moi et de mon lit. »
J'avais presque craché ces mots. Mais j'étais en colère. Si en colère que je sentais les larmes me piquer les yeux et que la seule chose à laquelle je pensais, c'était fuir.
« Maintenant, si tu veux bien arrêter de jouer avec mes sentiments et tout foutre en l'air, je vais aller travailler, décidai-je. »
Seth était confus. Je le voyais à sa façon de me regarder, comme s'il était partagé entre deux émotions complètement contradictoires. En tout cas, j'avais enregistré une chose : Seth regrettait de m'avoir embrassé. Très bien. Moi, je regrettai d'avoir cru ne serait-ce qu'une seule seconde qu'il pouvait être sincère.
Saint-Valentin ou pas, cette année, ça n'allait clairement pas être ma soirée.
Hello ! Et aujourd'hui, notre image de fin de chapitre, c'est une cover !
Et ce n'est pas n'importe laquelle. C'est @CoeurAmande qui l'a réalisée pour moi et qui m'a donné l'autorisation de vous montrer son travail. Ce geste m'a profondément touché ! Je sais que je le dis souvent (et on dirait une grand-mère à radoter autant), mais votre présence en vote/commentaire, ça veut dire beaucoup pour moi. J'ai l'impression de vivre une vraie aventure humaine à vos côtés, de vous découvrir derrière vos commentaires et vos remarques et de grandir en même temps que Carly et Seth ! Alors, un grand merci. MAIS genre un GIGA grand merci.
(du coup, comme je vous ai donné pleins d'amour, vous pouvez pas m'en vouloir pour la fin de ce chapitre.... *héhé*)
A très vite,
Elwyn.
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