Chapitre 32


Cette journée comportait deux objectifs d'une importance capitale. Le premier, c'était trouver un moyen de divertir Keira à chaque instant, de sorte qu'elle oublie toutes anecdotes humiliantes sur mon passé, notamment mes affres et déboires scolaires. Le second, c'était prouver à Keira que Seth ne s'intéressait pas à moi romantiquement.

Pour parfaire ces deux objectifs, je m'étais levée tôt. Ce que j'avais regrettée aussitôt avant de me rassurer : le chemin jusqu'à la fête foraine était long, je dormirais sûrement dans la voiture.

Parce qu'avant d'avoir Keira dans ma poche, il fallait l'amadouer. L'amadouer signifiait lui servir le petit-déjeuner au lit. Pour m'assurer que ma meilleure amie serait de bonne humeur, je lui avais préparé de délicieuses crêpes (ma foi sous-cotées dans ce pays d'amateurs de pancakes), un jus pressé maison, des œufs brouillés et un peu de bacon. J'étais ensuite montée avec mon plateau jusque dans ma chambre, accompagnée de Pamplemousse.

C'était un fin amateur de bacon, bien que je lui aie répété cent fois qu'il n'en aurait jamais. Mais que voulez-vous, un chat, ça ne parlait définitivement pas humain. Non, ne me remerciez pas pour cette précieuse information. Je suis aussi là pour ça.

Toujours était-il que la phase un du plan avait été un franc succès. Aussi, c'était une Keira complètement sous le charme qui était montée avec moi dans le fourgon de James. Il appartenait à ses parents mais ces derniers ne pouvaient rien refuser à la célébrité locale Seth Potter. Si l'avant était assez commun pour une voiture, l'arrière avait été réaménagé pour rendre les voyages plus sympathiques. Aussi, si nous disposions toujours de siège à ceinture, ils étaient néanmoins disposés de part et d'autre des parois, de sorte à ce que nous puissions tous nous voir.

Je m'étais difficilement glissée à côté de cette dernière et Keira s'était immédiatement trouvé une place auprès de son nouveau meilleur ami, Seth. Vous notez l'agacement ? Bon. Parce que ça ne faisait que commencer.

Les premiers kilomètres furent très silencieux. James somnolait, Keira et Seth étaient perdus dans la contemplation du paysage et Nora tapotait son portable nerveusement. A l'avant, Holly haussait de temps en temps la voix pour indiquer le chemin à Alex.

Puis le premier drame survint.

« Je peux mettre de la musique ? demanda Nora au bout d'un moment.

- Tu veux mettre quoi ? répliqua James, avenant. On a la Bluetooth sur la nouvelle chaîne hi-fi.

- Je ne sais pas, répondit-elle alors qu'elle gagnait l'approbation silencieuse de presque tout le monde. J'ai une super playlist avec du ABBA dessus.

- Evidemment, grogna Seth en se tassant sur son siège. »

Mon amie lança à mon voisin un regard noir.

« Est-ce que ça m'étonne que tu critiques ? rétorqua Nora en passant une mèche de cheveux derrière son oreille.

- Au pire, on met Spotify, hein, proposa Holly qui était pacifiste.

- Non, mais je ne voudrais pas empêcher sa majesté d'écouter ce qu'elle veut, surenchérit Seth, piqué au vif.

- Bon, soupira Alexander dont les mains se resserrèrent sur le volant.

- Et si je racontais une anecdote sur Carly comme ça, tout le monde arrête de se disputer ? s'exclama Keira, probablement mal à l'aise. »

Ce qui ma foi, fit l'unanimité et mit un terme provisoire aux tensions dans l'habitacle.

« Génial ! s'exclamèrent Nora et James d'une même voix.

- Je t'ai fait le petit déjeuner, pleurnichais-je. Pourquoi tu me fais ça ?

- Bah, ils ont droit de savoir ! se défendit Keira. Et je savais que tu me manipulais !

- Savoir quoi ? s'enquit Alex. »

Si même lui, il me trahissait, alors j'étais une femme morte.

« Elle ne vous a pas raconté l'affaire Mickey ? s'exclama Keira.

- Non, se moqua Seth en me jetant un regard curieux.

- L'histoire du casier hanté ? poursuivit mon amie d'enfance.

- Pas entendu parler ! répondit James, catégorique.

- Le canard en plastique de la cinquième avenue ? Les tortues ? Le chien de la voisine ?

- Rien de tout ça ! grogna Nora.

- Je veux tout savoir ! glapit Seth. »

Sur ma tombe, je voulais qu'on grave : « Même sa meilleure amie l'avait poignardée. »

OooO

Le second drame se déroule en début d'après-midi. Nous venions de manger et Nora parlait déjà de faire la maison hantée. J'aurais préféré faire autre chose mais tout le monde avait l'air plus ou moins partant. Nous quittâmes donc la terrasse sur laquelle nous avions dévorés nos hot-dogs pour nous diriger vers l'attraction.

La fête foraine était construite sur un large ponton, à la sortie d'une des villes du coin. Elle fermait début décembre, quand les premières neiges demandaient un entretien trop coûteux par rapport à la fréquentation. Nous étions donc les derniers à en profiter, bien que dernier fut un bien grand mot quand on considérait la foule qui se pressait autour de nous.

Mais je parlais d'un second drame, et, pour y arriver, il fallait forcément sauter quelques étapes peu intéressantes. Comme Seth avait compris que j'allais à la maison hantée à reculons, il fit tout ce qu'un bon ami aurait fait. Il m'y traîna de force, prétextant qu'il me porterait comme un sac à patate s'il le fallait. Nous nous retrouvâmes donc au bout de la queue. Et parce que nos amis étaient passés dix minutes avant nous, nous nous retrouvâmes plantés comme des cons à la sortie, abandonnés par notre bande si précieuse d'amis.

C'était ça, le second drame.

A présent que j'étais seule avec Seth, je n'arrivais pas à me sortir les paroles de Keira de la tête. Est-ce que je lui plaisais ? Impossible. Mais, si je ne lui plaisais pas, quel était l'intérêt de m'embrasser alors que nous n'avions clairement mis de côté cette didascalie ?

Keira et ses idées de merde. Maintenant, même Josiane paniquait.

« J'ai faim, grogna Seth en m'attrapant par le bras. »

Il fit glisser sa main dans le creux qui séparait mon bras du reste de mon corps et m'attira contre lui.

« Tu as mangé y a une heure... grognai-je pour cacher ma gêne. »

Je voulus me dépatouiller de cette situation mais mon voisin était clairement plus imposant que moi et ma force ne faisait pas le poids.

« Oui, mais j'ai faim, se plaignit-il. »

Pleurnicher aurait été plus approprié.

« On peut prendre une barbe-à-papa, si tu veux ? finis-je par céder.

- Tu offres ?

- Si ça peut te faire plaisir ? »

Ça lui faisait visiblement très plaisir. Sans me lâcher le bras, il me tira vers le stand le plus proche. Nous commandâmes sous le regard suspicieux du vendeur, puis Seth s'écarta enfin de moi pour dévorer son casse-croûte.

« T'es la meilleure, s'exclama-t-il entre deux bouchées.

- Je sais, me vantais-je. »

Seth s'arrêta, m'obligeant à me retourner pour ne pas le perdre dans la foule. Il prit tout son temps pour détacher un peu de pâte du bâton et le tendit vers moi.

« Tiens, prends-en un peu, me proposa-t-il.

- Non, c'est pas la peine, refusais-je. C'est pour toi.

- Mais si, j'insiste.

- Parce que tu partages ta bouffe, toi ?

- Avec les personnes spéciales ? releva mon voisin. Toujours. »

Je crus que j'allais décéder. Si Keira avait été là, elle m'aurait probablement crié quelque chose comme : « j'avais raison ! Qu'est-ce que tu vas faire ? » A présent, je ne savais plus trop comment réagir. C'était amicale, non, de dire ces choses-là ?

Bon sang, pourquoi est-ce que Keira s'était amusée à me mettre des idées farfelues en tête ?

Je tendis la main pour attraper le morceau de barbe-à-papa mais Seth retira sa main et goba ce qu'il tenait.

« T'avais qu'à être plus rapide, Carly... se moqua-t-il alors que je l'incendiais du regard.

- Je te déteste...

- Elles disent toutes ça !

- Elles disent toutes ça ! répétais-je en grognant. »

Seth fronça les sourcils.

« Qu'est-ce que j'entends ? s'exclama mon voisin, narquois au possible.

- Rien, répondis-je, agacée.

- Tu râles ?

- Je râle si je veux ! l'agressais-je presque. »

Seth eut un petit geste de recul mais il explosa de rire.

« Yeuh, elle est énervée ! poursuivit-il tout attendri alors qu'il m'attrapait de nouveau par le bras.

- Mais j'vais te faire bouffer mon poing ! me débattis-je. Et puis lâche-moi !

- Mais on est bien à marcher comme ça !

- Tu s'ras plus bien quand je t'aurais balayé !

- Toute cette violence, Carly... tu crois que James approuverait ?

- James m'aiderait à te plaquer au sol ! »

Seth hocha la tête. Il avala la moitié de son encas et décida de nouveau à me prêter attention.

« Bon, on fait quoi ? me demanda-t-il.

- On retrouve les autres ? »

Il jeta un regard autour de lui et fronça les sourcils.

« Honnêtement ? La flemme.

- Ah, répondis-je simplement. Tu veux faire quoi alors ?

- Y a rien qui te tente ? »

Maintenant que j'y pensais, nous n'avions pas encore testé les stands de chamboule-tout et autres activités plus reposantes que les manèges.

« On peut faire le tour des stands ? proposai-je.

- Ah, oui tiens. Je suis un pro du chamboule-tout.

- Chaton, tu ne m'as pas encore vu jouer.

- Ne m'appelle pas chaton, grogna-t-il.

- Okay... chaton.

- Je te déteste ! »

Je ne pus m'empêcher de lui lancer le regard le plus provocateur possible.

« Ils disent tous ça, l'imitai-je malicieusement. »

Un large sourire illumina le visage de Seth.

« Oh toi... me menaça-t-il. Tu ne payes rien pour attendre.

- Chaton, je t'aie attendu toute ma vie et maintenant que tu es là, j'suis franchement déçue. »

Seth se figea sur place. Son sourire se fit plus large encore. Il se tourna vers moi, l'air triomphant.

« Quoi ? grognai-je. J'ai du hot-dog dans les dents ?

- Non, du tout, me répondit mon voisin, mieilleux. C'est juste que je suis en train d'imprimer ce que tu viens de dire. »

Je me mordis la lèvre. Quand on parlait de second drame, est-ce que ça n'en était définitivement pas un ?

« Alors ? Tu m'as attendu toute ta vie ? »

Bon dieu que ça allait me suivre jusqu'au tombeau.

Nota bene. A rajouter sur l'épitaphe : « Carly, qui ne savait pas se taire et qui ne tournait définitivement pas sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. »

OooO

« Seth ? »

Mon voisin cessa de regarder par la vitre de notre cabine et me jeta un petit regard curieux.

« Oui ? »

Ses prunelles étaient plus sombres que d'habitude. Sur son visage défilait lentement le reflet des ampoules colorées accrochées au squelette de la roue, laissant dans ses cheveux d'étranges reflets. Je n'avais jamais vraiment fait attention à ce détail, mais Seth avait toujours eu ce physique assez adulte. S'il n'ouvrait pas la bouche, ou qu'il restait calme, on pouvait facilement lui donner trois ou quatre ans de plus. C'était un peu stupide, dis comme ça. Mais son visage, la manière dont ses traits brutes dessinaient sa figure un peu sévère, mais toujours animée par les émotions qui le traversaient, sa carrure fine mais ferme, la barbe naissante sur ses joues... Il avait déjà quitté le monde de l'enfance. Ça me fascinait.

« C'est beau, la mer, me défilais-je.

- Il fait tout noir, releva-t-il.

- Oui, mais on la voit quand même un peu, me défendis-je parce qu'il avait percé ma tentative de fuite à jour. »

Seth eut un petit rire tout doux et hocha la tête. Il dut se perdre un instant sur les petites touches multicolores qui caressaient la lisières des flots sur quelques mètres autour du ponton.

« C'est vrai, m'accorda-t-il. »

L'intérieur de la cabine retomba dans le plus profond des silences. Nous arrivions à peine au sommet de la roue.

« Seth ? »

Cette fois-ci, il ne m'avait pas quitté du regard.

« Oui, Carly ? »

Je déglutis. Il fallait bien que je lui demande, un jour ou l'autre. Cette histoire de baiser me trottait encore dans la tête et j'avais réellement besoin qu'il me rassure.

« Tu sors avec Elena ? lui demandai-je brusquement.

- Hein ? »

Il fronça les sourcils, et, comme s'il s'était soudain senti mal à l'aise, chercha à étirer ses longues jambes.

« Non, pourquoi ? me demanda-t-il.

- Je ne sais pas, répondis-je. Il y avait une rumeur et...

- Dis donc, voisine... se moqua-t-il doucement. Se pourrait'y pas que tu sois un peu jalouse ? »

Mes joues rouges auraient dû me trahir. Heureusement, les ampoules se mirent à clignoter à l'extérieur, illuminant nos visages de cyan, de bleu, de rose et de mauve.

« N'importe quoi, grognai-je.

- Si je sortais avec quelqu'un, tu serais la première au courant, me confia-t-il tranquillement. Bon, peut-être pas si je veux rester ami avec James et Alex, mais quand même.

- Nan, mais okay, le coupai-je. Pas la peine de te justifier, hein. C'était qu'une question. »

Seth fit la moue. Il devait probablement réfléchir. Il se caressa vaguement la lèvre inférieur du bout des doigts. Ce geste désinvolte de sa part me fit tout drôle.

« Qu'est-ce qui t'as pris en cours ? finis-je par lâcher alors que nous entamions la descente. »

C'était la grande roue la plus longue du monde.

« Quand ? s'inquiéta Seth.

- Le jour de notre exposé. »

Il parut surpris que je revienne là-dessus. Après tout, ça allait faire un mois. Comme il avait l'air de faire semblant de ne pas comprendre, je me sentis obligée de préciser.

« Tu sais, quand tu m'as embrassée ? »

Seth hocha la tête. J'aurais aimé qu'il me réponde tout de suite. Le silence qui s'installait me troublait, m'inquiétait, voir même, me paniquait. Même mon cerveau n'arrivait plus à accepter l'idée rationnelle que ce geste ait pu être tout à fait en accord avec la didascalie qui clôturait notre scène.

« Je sais pas, me répondit-il enfin.

- Tu sais pas ? m'agaçais-je sans le vouloir. »

Sur le coup, c'était Seth qui semblait paniquer. Il fit la grimace et se pencha vers moi. Je fis un geste de recul, un peu par fierté je devais l'admettre, et me tassais sur la banquette.

« C'est tout ce que ça signifie pour toi ? m'enquis-je. On avait convenu qu'on le ferait pas !

- J'ai changé d'avis, se défendit Seth.

- Comme ça ?

- Oui, comme ça. Et ça ne signifie pas rien pour moi !

- Alors ça veut dire quoi ?

- Je ne sais pas, j'ai pas pris le temps d'y penser vraiment... »

Je ne savais pas si ça me vexait, mais ce n'était clairement pas plaisant à entendre.

« Carly ? »

Je refusais de le regarder.

« Quoi ? »

Il attendit que je daigne plonger mon regard dans ses iris pour poursuivre.

« On est amis, hein ? s'inquiéta-t-il.

- Oui, évidemment ! Mais t'embrasse pas Nora, que je sache ? »

Ok. Mauvais exemple.

« Enfin, c'est pas la question, me rattrapai-je.

- T'as jamais été troublé par un ami ? répliqua Seth sans s'attarder sur ma bourde.

- N... non, affirmai-je sans vraiment m'en convaincre. »

Est-ce qu'on parlait de Leith ?

« Moi si, rétorqua mon voisin. »

La cabine s'immobilisa. Tout était beaucoup plus illuminé en bas. C'était un peu moins magique, ce jaune saturé qui envahissait la cabine et nous éblouissait presque. Tout à coup, tout devenait trop bruyant. A l'extérieur, notre groupe d'amis nous attendait.

Tout en moi me suppliait de les rejoindre avant que la situation ne dérape.

« J't'ai embrassé, affirma Seth.

- Oui, j'étais au courant, répondis-je alors que les portes se déverrouillaient. »

Je voulus sortir pour clore cette discussion qui foutait encore plus le bordel dans mes certitudes mais Seth me retint par la main. Je me retournai pour lui demander de me lâcher. A la place, son regard sérieux m'empêcha de formuler quoique ce soit d'intelligent. Il respirait à peine, son visage était tendu. Même sa poigne, autour de mon poignet, semblait s'accrocher désespérément à moi.

Mon cœur s'accéléra, peut-être parce que j'étais surprise de le voir comme ça.

Et survint le troisième drame.

« Et pour toi ? me demanda-t-il d'une voix grave. Il veut dire quoi ce baiser ? »

Hey ! :D 

Poster avant un partiel d'économie... Ce que je peux avoir la flemme... Mais bon ! J'aime beaucoup ce chapitre. D'ailleurs, sachez que la musique en tête vient d'un film absolument dément que je vous conseille : J'ai perdu mon corps. Allez le voir au cinéma ou regardez-le légalement très vite parce qu'il est vraiment incroyable ! Et sa bande-son, s'il vous plaît ! Sa bande-son ! :o En tout cas, je trouvais qu'elle collait à merveille avec le moment dans la grande roue.

On en revient à nos moutons ? Comment avez-vous trouvé ce chapitre? Je l'aime beaucoup. Je l'adore même. Mais les copains et les copines, ça va tellement se corser dans les prochains que je sens qu'on va essayer de me tuer entre temps... Mais c'est pas grave ! Que serait la vie d'une auteure si je ne la vivais pas dangereusement ?

Si ce chapitre vous a autant émoustillé que moi (attendez le 35 avant de monter aux carreaux pour me destituer), n'hésitez pas à commenter, à laisser un vote derrière vous et on se revoit vite !

Ah et oui ! Aidez-moi à faire connaître Carly un peu plus encore ! Partagez ! ♥ (s'il vous plaît !)

Elwyn.

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