Chapitre 29
Discuter avec Nora m'avait remonté le moral, trouver un cadeau à James m'avait préoccupé tout le reste de la journée. Quand j'y repensais, j'aurais dû garder la papier de Seth. Ç'aurait été un chouette moyen de l'aborder. Manque de bol, Elena était venue frapper à ma porte au bon moment. Quand j'y repensais, elle était partout. Comment Seth faisait-il pour la supporter ? Sincèrement, je me serais déjà tirée une balle si j'avais dû passer plus d'une demi-journée, que dis-je... Une demi-heure à ses côtés !
Pfiouh. Je pouvais être tellement Drama Queen quand je m'y mettais...
« Carly ? »
Leith se planta devant moi et secoua ses grandes mains. Lui aussi, il était sorti avec Elena, maintenant que j'y pensais. Peut-être l'avait-elle forcé à boire un philtre d'amour ? Après tout, si Romilda Vayne était prête à ensorceler Harry, pourquoi pas Elena ? Ce genre de fille, rien ne les arrêtait vraiment...
« Si tu devais boire l'Amortensia, répliquai-je en l'ignorant, ce serait quoi ton goût ? »
Leith fronça les sourcils et arrête de gesticuler comme un imbécile heureux devant moi.
« Je ne sais pas, me répondit-il très sérieusement. Peut-être le goût des bières que la table six a commandé il y a déjà dix minutes. »
Ouch. C'est vrai que j'étais au café. Sans demander mon reste, je cherchais deux verres à bières sous le comptoir et scrutait d'un œil hagard le papier sur lequel Leith avait gribouillé la commande.
« Tout va bien ? s'inquiéta-t-il, m'observant remplir le premier verre. »
Je déposai la commande sur un plateau et m'essuyai les mains sur mon tablier.
« J'ai eu un petit coup au moral, répondis-je. »
J'avais décidé que j'arrêtais de mentir à tout bout de champ. Après tout, ça se voyait à des kilomètres à la ronde que je boudais. Autant arrêter de prétendre devant le monde entier que j'étais au meilleure de ma forme. Même les meilleurs avaient besoin de s'approcher du fond pour y voir plus clair à la surface.
Josiane, note-ça. Ce sera l'unique parole de sagesse que je prononcerais aujourd'hui.
« Vous vous êtes disputés avec Seth ? me demanda-t-il.
- Oui. Entre autre.
- Ce n'est pas à cause de moi, quand même ?
- Non, le rassurai-je. C'est beaucoup mieux de rester amis. »
Leith hocha la tête et s'excusa. Les clients allaient finir par s'impatienter si leurs bières n'arrivaient jamais. Je le regardai s'éloigner quand la cloche de la porte sonna. Je jetais un petit coup d'œil, prête à accueillir le nouveau client quand mon sang se figea.
C'était Finnigan.
Ça n'aurait pas dû me faire tiquer comme ça. C'était mon professeur, nous habitions dans la même ville, c'était couru d'avance que nous finirions par nous croiser, surtout si je bossais pour son meilleur ami. Néanmoins, sa réaction, quand j'étais allée le livrer, m'avait légèrement dérangée. Peut-être était-il de mauvaise humeur, et je ne lui avais jamais laissé une véritable occasion de me dire que ce n'était pas le cas parce que j'avais séché les cours. J'espérais vraiment qu'il n'y avait aucun soucis.
Je déchantais rapidement.
Plutôt que de venir s'asseoir à sa place habituelle, Finnigan alla saluer Leith puis s'installa dans un coin où il pouvait me tourner le dos. Il retint mon collègue pour commander et quand il eut envoyé Leith en cuisine, il sortit un paquet de copies et le déposa sur la table.
Sans même me jeter un regard.
Il était mon professeur référent. Et il ne s'était même pas inquiété de ma semaine d'absence. Il n'avait même pas pris la peine de me saluer d'un sourire.
Leith ressortit des cuisines quelques minutes plus tard avec un plateau. Profitant que je n'étais pas loin, je lui fis un petit signe. Puisque mon professeur ne venait pas à moi, je l'approcherai de ma propre initiative.
« C'est la commande de Finnigan ? lui demandai-je. »
Leith hocha la tête.
« Je vais lui apporter, poursuivis-je. Ne t'embête pas avec ça et prends une pause.
- Trop de sollicitude, se méfia mon ami. C'est pas dans tes habitudes. »
Je lui assénais un petit coup dans le bras. Leith me lança un regard indigné et fronça un peu plus les sourcils.
« Raconte pas n'importe quoi ! gloussai-je, d'une voix un peu trop aigue. Allez, va prendre ta pause.
- T'es vraiment bizarre, Carly Green...
- Va prendre ta pause où je te fais bouffer le comptoir. »
Leith me céda le plateau et, tout en levant les bras en signe de reddition, se dirigea vers l'arrière-boutique. Ce qui était cool avec les menaces, c'est que ça fonctionnait toujours.
Armée de mon plateau, je me dirigeai vers Finnigan.
« Le café rallongé ? demandai-je. »
Finnigan sursauta sur sa chaise. Je le sentis se raidir et il hocha doucement la tête, sans quitter ses copies du regard. Un peu surprise par cette réaction, je déposai le café devant lui.
« Et la tarte ? »
Il ne leva pas plus le regard vers moi. C'était tout drôle, mais je me sentais presque en trop. Débarrassant le plateau de la part de tarte aux pommes, je restais bêtement plantée à côté de mon professeur. Comme si j'attendais quelque chose.
« Merci, Carly, finit-il par souffler. »
Sans me regarder.
« Je suis occupé, rajouta-t-il. »
Et il se remit à corriger ses copies, feignant mon absence.
Eh beh. Si ça, ce n'était pas le pompon ?
OooO
Ce n'était effectivement pas le pompon.
Le pompon, la cerise sur le gâteau, la goutte d'eau qui faisait déborder le vase, c'était le retour de ma mère.
Elle était arrivée un peu plutôt dans l'après-midi. Parce que j'étais une fille aimante, j'étais même allée faire les courses pour que nous puissions nous faire une bolognaise ou des lasagnes.
Quelle ne fut pas ma surprise, quand, en rentrant, je découvrais ma mère sur le point de partir, dans sa belle robe verte.
« Bonjour ! m'exclamai-je alors qu'elle se faufilait à l'extérieur. Et au revoir ? »
Pendant un instant, je crus que ma mère allait m'ignorer. Heureusement, elle revint sur ses pas.
« Je ne pensais pas te croiser ! murmura-t-elle alors qu'elle déposait ses lèvres sur mon front. Tu as passé une bonne semaine ?
- Oui, ça va, mais...
- Mon voyage était extra ! enchaîna Sam. Un peu long, quand même, mais très enrichissant !
- Cool, et euh... »
Ma mère se recoiffait en jetant des coups d'œil frénétiques à son reflet dans la vitre de notre porte. On aurait dit une adolescente hystérique.
« Au fait, je sors ce soir, me prévint-elle.
- Bah oui, je vois ça, grognai-je. Et tu vas où ? »
On aurait dit ma mère.
Tiens donc...
« Je vais voir Viktor ! s'exclama ma génitrice, toute contente. Il m'a dit qu'il avait une surprise.
- Là, maintenant ?
- Oui. »
Je ne savais pas si c'était le froid de décembre qui me mordait les joues où si j'étais terriblement fatiguée et donc complètement déboussolée, mais mes yeux me piquaient affreusement.
« Et moi ? gémis-je. Ça fait une semaine qu'on s'est pas vue...
- On se voit demain soir.
- Et si j'ai envie de te voir ? Je suis ta fille, j'ai le droit de te voir aussi. »
Je ne savais pas pourquoi, mais je sentais déjà que c'était peine perdue.
« Ecoute, Carly, c'est juste ce soir, soupira-t-elle.
- Non ! m'exclamai-je sur la défensive alors que Sam essayait de poser une main sur mon épaule. C'est presque tout le temps ! Tu viens à peine de rentrer... Et j'ai besoin de te voir.
- Arrête de faire ton enfant, Carly. Tu n'as plus six ans. Tu as survécu une semaine sans moi, tu tiendras bien une soirée de plus.
- Mais j'ai besoin de... »
Cette fois-ci, ma mère se recula. A son regard, je compris qu'elle avait envie de clore cette discussion.
« On a passé notre vie ensemble à New-York, trancha-t-elle. Que tu ne sois pas prête à accueillir Viktor chez nous, je peux le comprendre. Mais que tu décides à ma place de ce que je vais faire et quand je vais le faire, c'est hors de question !
- J'ai l'impression de parler avec une ado ! répliquai-je sidérée. T'as vraiment pas écouté ce que je te disais ?
- Si, et ça commence sérieusement à me fatiguer que tu aies un avis sur la manière dont je gère mon emploi du temps et mes fréquentations.
- Mais bordel, maman !
- Les gros-mots, jeune fille ! »
Ça me blessait qu'elle ramène tout à Viktor. Oui, c'était un problème. Mais ce n'était pas la question. Tout ce que je voulais, c'était voir ma mère. Lui parler de cette semaine complètement pourrie, de ces soirées passées au téléphone avec Keira, à pleurer puis à rire – de joie et de désespoir. Je voulais juste revoir ma mère.
« Maman, j't'en prie, articulai-je malgré les sanglots que je retenais. Ce soir.
- Non. Grandis un peu. J'ai passé dix-sept ans de ma vie à t'élever, et ça a été génial. Maintenant, il faut que tu acceptes que j'aie une vie en dehors de cette maison.
- Mais...
- Il y a des nouilles au frigo, si tu as faim. »
Elle tourna les talons sans attendre que je lui réponde. Je ne savais pas comment réagir. Lui courir après et faire une scène dans la rue ? Rentrer, laisser les clés dans la porte et faire comme si cette discussion n'avait jamais eu lieu ?
Peut-être juste rester plantée là et pleurer un peu. Et après, prendre une décision réfléchie. J'étais de toute façon trop en colère pour réagir intelligemment.
OooO
J'avais beau essayer de m'occuper l'esprit en cuisinant, je n'arrivais pas à me sortir les mots de Sam de ma tête. Josiane s'était probablement noyée dans mon chagrin et elle n'avait toujours pas envoyé l'équipe de secours réparer la plaie béante que cette dispute avait laissé.
Entre Seth à qui je ne parlais plus, Finnigan qui se remettait à m'ignorer – et même si c'était mon professeur, ça me blessait quand même, et maintenant ma mère, il fallait dire que mon système nerveux était complètement explosé. Peut-être même que j'étais complètement cabossée.
Et le pire, mais alors le pire du pire, c'était qu'en ce moment-même, je n'avais envie de parler qu'à une seule personne et c'était Seth.
Je savais que Keira travaillait, je n'avais clairement pas envie d'aborder ces sujets-là avec Alex et James et Nora et Holly étaient toutes les deux en famille. Je me sentais juste désespérément seule et abandonnée. Même mon chat s'était fait la malle dans je ne sais quel recoin de la maison !
J'eus un hoquet, probablement parce que je m'étouffais à moitié pour retenir les larmes qui menaçaient de dévaler le long de mes joues. Le couteau que j'utilisais pour vider les tomates me glissa des mains et, dans un geste désespéré pour le retenir, glissa le long de ma paume. Sur le coup, je ne ressentis pas grand-chose. Je fus peut-être un peu surprise, parce que ça saignait.
Puis ça s'est mis à me piquer vraiment fort.
« Putain de merde, de bordel de chiotte ! »
Et, comme par magie, toute l'énergie qu'il me restait s'envolât. Complètement éreintée, je me laissais tomber le long de mon comptoir, tenant mollement un bout de sopalin contre ma main, constatant qu'il rougissait plus vite que si je l'avais trempée dans la tomate que je préparai.
Le premier réflexe que j'aurais dû avoir, ça aurait été d'appeler ma mère. Mais je n'en avais pas envie. Je ne savais pas si c'était par fierté ou par peur de la déranger, mais c'était impossible que je puisse la joindre en cet instant précis.
Je fis donc la seule chose que je m'étais interdite de faire depuis tout ce temps.
Il décrocha à la première sonnerie.
« Allô ? hoquetai-je. »
Pendant un instant, j'eus peur que mon téléphone me joue encore des tours. Personne ne répondait. Puis la voix que j'avais désespéré d'entendre à nouveau un jour sonna à nouveau à mes oreilles.
« Tu pleures ? me demanda Seth.
- Seth, j'ai fait n'importe quoi, hoquetais-je à nouveau.
- Tout va bien ? T'as une drôle de voix.
- Je me suis coupée, Seth, expliquai-je tant bien que mal. Ça pisse le sang. »
Je l'entendis vaguement maugréer un « ne bouge pas j'arrive » avant que la conversation ne se coupe. Trouvant un peu de réconfort dans la sollicitude de mon voisin, je parvins à me redresser. Le sopalin que je tenais suintait. Je ne m'étais définitivement pas ratée.
Seth toquait déjà la porte de la cuisine. Me frayant un passage jusqu'à cette dernière, je mis un temps fou à l'ouvrir.
La suite était un peu floue, mis je sentis bien que mon voisin m'avait saisi le bras tout doucement, l'air inquiet. Seth entra dans la cuisine, me poussa avec lui vers la table et m'obligea à m'installer. Il avait une petite trousse de secours avec lui.
« Qu'est-ce que tu faisais ? me demanda-t-il, très concentré sur ce qu'il faisait. »
Ça me faisait du bien de sentir à nouveau un contact entre Seth et moi.
« Des lasagnes... marmonnai-je. »
Je n'arrivais pas à m'arrêter de pleurer, aussi, je n'étais pas sûre que Seth eût réellement compris ma réponse. Il hocha quand même la tête.
« T'es un danger public, se moqua-t-il alors qu'il préparait un coton pour désinfecter la plaie. »
Mais qu'est-ce que j'étais contente de le revoir...
« Aïe ! C'est super douloureux ! me plaignis-je.
- Fais pas ton enfant, murmura-t-il. J'ai presque fini. »
Son pouce faisait des petits gestes circulaires sur le dos de ma main pendant qu'il continuait à appliquer le coton désinfectant sur la paume.
« T'as une sale tête, Green, ajouta-t-il. »
Il déposa le coton et déposa une compresse avec un peu d'adhésif. Je ne savais pas trop quoi dire, mais ça m'avait fait sourire. Mon voisin banda le pansement et rangea ses affaires. Et, alors que je m'attendais à ce qu'il rentre chez lui, il se leva et termina de découper ma tomate.
« Pourquoi ? lui demandai-je d'une toute petite voix.
- Pourquoi quoi ? me répondit-il en versant la tomate dans le coulis qui mijotait sur le feu.
- Pourquoi tu restes ?
- Tu veux que je m'en aille ? s'enquit-il sans me regarder. »
Je n'avais même pas besoin de réfléchir.
« Non, répondis-je. »
Ses épaules s'affaissèrent, comme s'il était soulagé. Il termina silencieusement de cuisiner et revint s'installer avec moi quand il eut mis les lasagnes au four. Je me sentais un peu bête. Il suffisait que je l'appelle pour qu'il rapplique. Si ce n'était pas ça, un ami... Après tout ce qu'il s'était passé – ou plutôt, suite au vide intersidérale de notre relation ces derniers temps, je pouvais me considérer chanceuse qu'il ait décroché.
« Bon, c'est quoi ces larmes de crocodiles ? s'exclama Seth en se penchant pour les essuyer avec ses doigts.
- Te moque pas ! grognai-je. J'suis à bout, okay.
- A bout de quoi ? Je viens de te faire les meilleures lasagnes du monde. Tu peux qu'aller bien.
- Mais je les mérite pas... »
Seth leva les yeux au ciel, comme si je l'agaçai. Il frotta mon crâne, ébouriffant mes cheveux et se retourna pour déposer le plat qu'il avait soigneusement complété au four.
« C'est clair qu'on a plein de chose à se dire, mais pour l'instant, profite juste.
- J'te mérite pas... ne pus-je m'empêcher de rire.
- Pas grand monde me mérite. »
Et nous échangeâmes un sourire.
Peut-être le plus sincère et le plus heureux depuis le début.
Hey !
Vous l'attendiez tous ? Le voilà ! Seth et Carly se sont enfin réconciliés et je trouve ce moment tellement pipou que je voudrais voir une sitcom sur ce bouquin rien que pour observer Seth appliquer le pansement sur la main de Carly, haha.
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Vous a-t-il plu ?
On se rapproche des chapitres de Noël qui sont déjà écrits et qui vous attendent au chaud (prochain chapitre lundi !). Moi, j'ai tout tout hâte que vous lisiez la suite, surtout le chapitre de Nouvel An, mais pas de spoil, c'est promis !
En attendant, n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire (je réponds moins vite, je suis en période d'examen, mais je les lis tous et ça me fait chaud au cœur) et puis, à laisser un vote, et surtout, à partager cette histoire autour de vous !
A très vite, alors !
E.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top