Chapitre 25
Au départ, il paraissait évident que la comédie romantique était un choix savant. Parce qu'après tout, c'était le meilleur moyen de nous mettre dans de bonnes dispositions pour prendre une décision sur l'avenir de notre relation. Puis, au fur et à mesure que nous approchions du cinéma local, je commençais à me persuader que c'était une mauvaise idée. Tout d'abord parce que Leith considérait les Screams comme des comédies romantiques, et surtout parce qu'il pensait que s'il n'y avait pas d'hémoglobines dans une film, même d'amour, c'était un film raté.
Au départ, ça m'avait déplu. D'une part parce que le cinéma diffusait à nouveau Chantons Sous La Pluie et que c'était le plus beau film du monde, d'autre part parce que je n'imaginai pas à un rendez-vous sans un film romantique diffusé dans une salle presque vide. Puis, je m'étais faite à l'idée que nous n'allions clairement pas concrétiser notre relation devant ce type de récit.
Après, nous avons longuement débattu. Devions-nous voir ce tout nouveau film d'action anglais ou se laisser tenter par le dernier Woody Allen ? J'étais particulièrement fan de ce cinéaste, mais je savais qu'il n'était pas du goût de tout le monde.
Finalement, lorsque nous arrivâmes devant la caissière, nous n'étions toujours pas d'accord.
« On pourrait aller voir le remake de It, me proposa Leith. Ils font une soirée hommage à Stephen King ce soir.
- Non, vraiment pas, grognai-je en repensant à ma peur des clowns.
- Alors... Euh. »
J'haussais les épaules.
« Chantons Sous La Pluie, c'est un très bon film, glissai-je à la caissière qui hocha la tête.
- Oui, mais il n'y a pas de sang... me répondit Leith.
- Non, c'est vrai, affirmai-je.
- Mais, à un moment, une jeune femme sort d'un gâteau ! me défendit la caissière. »
Oh, que je l'aimais cette petite dame.
« Ce sera Jurassic World, se décida Leith.
- Oh non ! Je suis allée le voir la semaine dernière ! Allons plutôt voir la rediffusion des Lumières de la Ville ?
- Vraiment, Carly ?
- Oui !
- Dans ce cas, on peut aller voir It, me glissa-t-il narquoisement. »
Je tressautais. Je pivotais brusquement vers la caissière et sous le regard pas peu fier de Leith, je plaquai un billet sur le guichet.
« Ce sera deux places pour Jurassic World. »
OooO
Leith m'avait laissé choisir nos places, le temps qu'il passe aux toilettes. Je m'étais donc installée vers le milieu, considérant que le centre de la rangée serait l'endroit parfait pour observer d'un regard discret sans que cela ne soit cramé du premier coup.
Au début, j'étais trop excitée pour attendre calmement mon collègue. Je ne savais pas trop ce que je ressentais à l'idée que nous soyons tous les deux assis dans une salle, en rendez-vous, mais j'étais contente de passer du temps avec lui. Puis, la minute d'après, j'eus l'impression que j'allais paniquer. Avec un peu de chance, j'allais réaliser qu'il m'aimait bien, que moi aussi, et nous nous laisserions une chance. Dans le pire des cas, il me rejetait. Et si ni l'un ni l'autre n'était intéressé, nous aurions passé une bonne soirée.
Tout à coup, la porte battante s'ouvrit. Plus ou moins contente que Leith ait fini, je me retournai.
« C'est super que tu sois... dis-je avant de déchanter. Là. »
Ce n'était pas Leith. Ce n'était même pas un inconnu, ce qui m'aurait véritablement arrangé, puisque, la honte passée, j'aurais pu me concentrer sur mon rendez-vous. Mais ce n'était pas inconnu. Ce n'étaient pas trois inconnus. C'était James, Alex et Seth.
Je n'avais pas revu Seth depuis le cours de littérature. Si j'avais réussi à sauver mon honneur devant le reste de la classe, je m'étais défilée à l'instant même où la sonnerie avait coupé Finnigan dans sa lancée. Et puis, après, je n'étais pas allée au travail (parce que je n'étais pas de service) mais ça m'avait donné l'impression que je l'évitais. Où m'évitait-il ? Après tout, il n'était pas là quand ma mère m'avait traîné de force chez les Potter pour dîner. Heureusement, d'ailleurs. Sinon, je serais peut-être morte de honte.
Toujours était-il qu'après un jour cloîtrée chez moi à me tartiner de stick à lèvres, je sentais encore la chaleur des lèvres de Seth.
Bwah. Rien que d'y penser, j'en frissonnais.
« Oh ! s'exclama Alex en soulevant son chapeau d'enquêteur (si, si, exactement le même que lors de l'échec appelé opération Leith). Mais quelle coïncidence !
- C'est vrai ça ! renchérit James, totalement ironique. Que fais-tu ici, le soir de ton rendez-vous avec Leith ? »
Seth les bouscula d'un coup d'épaule.
« Vous êtes cons ou quoi, l'entendis-je murmurer. »
Parce que je n'arrivais pas vraiment à y croire, je me tournai vers l'écran, pinçais mon avant-bras puis me retournai à nouveau vers la porte.
Les garçons n'étaient plus là.
« Bouh ! s'exclama Alex en s'installant juste à côté de moi. Cette place est libre ?
- Non, elle ne l'est pas me défendis-je.
- C'est parce qu'elle la gardait pour moi ! s'exclama James en s'installant plus vite que son ami.
- Mais arrêtez ! grognai-je en frappant mollement le garçon au bras. Il va revenir et vous allez tout gâcher.
- On a plus le droit de se faire un cinéma en paix, renchérit Seth, l'air indifférent alors qu'il retirait son imperméable pour s'asseoir de l'autre côté. »
Ce n'était pas possible ! Qu'avais-je fait dans ma vie pour mériter un tel retour de karma dans la figure ? Ce qui devait être un rendez-vous décisif tournait à la catastrophe. Et Leith qui n'allait pas tarder à débarquer. Comment allait-il réagir ?
« Des popcorns ? me proposa Seth en agitant mollement son paquet sous mon nez. »
Il ne me regardait même pas. Comment pouvait-il être aussi tranquille quand je paniquais rien qu'à l'idée d'être assise près de lui ?
« Non, le repoussai-je. Arrête de faire ça !
- Quoi ?
- Bah ça ? »
Je l'imitais en train de me tendre les popcorns avant de désigner plus généralement James et Alex qui vidaient déjà leur boisson.
« On n'a vraiment pas le droit d'aller au cinéma entre pote ? se moqua mon voisin.
- Pas maintenant ! grognai-je. Pas aujourd'hui, pas dans ce cinéma, pas à cette séance, Seth.
- Pourquoi ?
- Parce que...
- Parce que quoi ? »
Je ne savais même pas quoi lui répondre. Ce n'était pas vraiment un rendez-vous amoureux, mais ça pouvait le devenir. Je ne savais même pas si je voulais que ça le devienne. Et alors ? Même si Josiane paniquait là-haut, ce n'était pas une raison pour m'empêcher de vivre pleinement ce moment !
« Eh, mais vous êtes-là vous aussi ? s'exclama Leith. »
Il était arrivé. Et je ne savais pas s'il le faisait exprès, mais il avait vraiment l'air surpris de voir les garçons.
Encore un peu et je me persuadais qu'ils étaient tous de mèches.
Bon dieu, non. Chassons immédiatement cette idée de ma tête.
« Oui, mais ils vont changer de place, n'est-ce pas ? m'exclamai-je, la voix s'élevant de deux trois octaves d'un coup.
- Moi je suis bien, se défendit effrontément Seth. »
Si j'avais pu le toucher, je l'aurais massacré façon arme de destruction massive mais pour un individu sur terre, a.k.a Seth l'homme le plus incroyablement insupportable du monde. Rien que ça.
J'anticipais la réaction de James et me tournai fugacement vers lui.
« J'ai l'impression que tu n'aimes pas cette place, James, lui murmurai-je alors que Leith descendait les escaliers pour nous rejoindre.
- Bah... c'est une place... me répondit le garçon. »
Je le chopais par la peau de la nuque et le tirai vers moi sans ménagement.
« Tu n'aimes pas cette place et tu vas la laisser à Leith, lui ordonnai-je. »
James ne demanda pas son reste et se leva aussitôt pour proposer son siège à mon collègue qui s'installa joyeusement à côté de moi. Bon. C'était déjà ça.
« Les pubs ont pas encore commencé ? me demanda-t-il.
- Non, ça va, répondis-je. »
Alex se pencha.
« Non, ça va, ça ne veut rien dire, Carly, me fit-il remarquer. »
J'allais le tuer.
« Aha, oui, aha, ris-je nerveusement.
- Mais c'était mignon, commenta Leith. »
J'avais envie de laisser exploser ma joie mais Josiane me retint au dernier moment.
« Et sinon, ça va les cours ? demandai-je à Leith.
- Oui, c'est chouette. J'ai bientôt fini mes dossiers, après, ça sera un sale moment de passé.
- Moi, elle ne me demande jamais comment se passent les cours, commenta James en boudant sur son siège.
- Bon, marmonnai-je. Je ne t'ai pas adressé la parole, si ? »
James secoua la tête et se rembrunit sur son siège pendant qu'Alexander déposait des popcorns sur son bras, l'air tout à coup très passionné par ce qu'il faisait.
« Pas très agréable, dis donc, souligna Seth. »
Leith se pencha, légèrement mécontent et je ne pus m'empêcher de ressentir un rush d'adrénaline à l'idée que les deux garçons se parlent.
« T'es là toi ? demanda Leith.
- Oui, je suis là, répondit Seth.
- On est tous là ! s'exclama joyeusement Alex. Wouhou ! »
Si je devais tuer quelqu'un en dernier, ce serait probablement Alexander. Avec lui, les situations les plus horribles pouvaient se montrer presque comiques. Si ça n'avait pas été aussi dramatique, sa remarque m'aurait fait rire.
« Et si... commençai-je mais les lumières s'éteignirent et je ne poursuivis pas. »
Autant regarder ce foutu film. Après, Leith m'emmènerait manger et nous passerons la soirée dont j'avais si longtemps rêvé.
OoOoO
Je ne me rappelais pas avoir autant détesté un Jurassic Park. Il était vrai que les derniers jouaient beaucoup sur la nostalgie des premiers et qu'ils manquaient d'une véritable substance narrative, mais cette fois, ce n'était pas le film qui me faisait froid dans le dos.
Nommons tout de suite les deux antagonistes de cette soirée. Leith, à ma droite, bien décidé à se blottir contre moi, quitte à foutre sa tignasse dans mon champ de vision et Seth, à ma gauche, plus plaie que ça, ce n'était pas possible. Dès que Leith semblait s'approcher un peu trop de moi, mon voisin me donnait un coup d'épaule, prétextant qu'il s'installait un peu mieux et mon collègue se retirait, pensant -à tort- qu'il me gênait. Et puis, moi qui rêvais que Leith prendrait ma main, je commençai lentement à faire une croix dessus. Et ce n'était pas comme si je lui avais tendu la perche plusieurs fois.
J'étais peut-être maudite ?
« Carly... chuchota tout à coup Leith.
- Hm ? grognai-je, quittant l'écran des yeux pour croiser le regard de Leith. »
Je n'étais pas sûre, mais il avait l'air de me dévorer du regard. Je ne savais pas si ça me flattait, mais j'appréciai la petite lueur dans ses prunelles quand il observait les miennes.
On aurait pu s'embrasser.
On aurait réellement pu s'embrasser si, tout à coup, Seth n'avait pas renversé le contenu de son gobelet sur mes genoux.
« Okay, grognai-je. Ça suffit. »
A la surprise général du reste de la rangée, je me levais et me tournai vers Seth.
« Debout, lui ordonnai-je. Suis-moi. Je reviens, Leith. »
Seth ne se fit pas prier et m'emboîta le pas. Je ne pus m'empêcher d'ouvrir la porte de la salle avec force et fut presque décrédibilisée quand je fus emportée par la violence de mon geste vers l'avant. Heureusement, Seth regardait ses pieds. Autant pour moi. Ses pieds étaient toujours plus intéressants que moi.
« A quoi tu joues ? m'agaçai-je quand nous fûmes dans le couloir. »
Mon voisin fourra ses mains au fond de ses poches et me jeta un regard rapide avant de s'intéresser aux affiches sur les murs.
« Je suis venu voir un film, et...
- Et ça ? C'est quoi ça ? l'interrompis-je en lui montrant l'état de mon jean.
- Un accident. »
Il avait répondu avec tellement de nonchalance que s'en était presque insolent.
« Mes fesses que c'était un accident ! éructais-je. T'es venu me pourrir la soirée ?
- Mais pas du...
- Arrête ! grognai-je. Tu savais très bien que je serais ici avec Leith, ce soir.
- Oui, mais ça n'empêche que je voulais vraiment voir ce film.
- Il est en salle depuis deux semaines, m'exclamai-je. Si tu n'as aucun autre argument pour te défendre, tu prends tes affaires et tu te casses ! »
Je voulus retourner dans la salle mais Seth me retint en attrapant mon poignée.
« Pourquoi tu vas au cinéma avec cette enflure ? marmonna-t-il.
- Parce qu'il m'a invitée, lui répondis-je, décontenancée. Qu'est-ce que ça fait ?
- Pourquoi t'y vas pas avec moi ?
- J'en sais rien, me défendis-je. C'est quoi ces questions ? »
Seth haussa les épaules.
« Tu peux pas supporter que je sois amie avec Leith ? insistai-je. Ou c'est quoi ? »
Il ne me répondit pas, ce qui acheva de m'agacer.
« Si t'as rien à dire, tu me lâches. »
Ses doigts se desserrèrent autour de mon poignée puis son bras retomba le long de son corps. J'eus l'impression que quelque chose venait de se rompre. L'impression qu'il venait de se passer un truc vraiment important mais que nous faisions tous les deux marche arrière. J'aurais aimé pouvoir y faire attention mais j'étais trop en colère pour lui accorder de l'importance.
« Tu viens de gâcher mon putain de rendez-vous, Seth, grognai-je. C'était mon premier et tu l'as foutu en l'air. »
Et je le plantais sur place, bien trop énervée pour l'écouter une minute de plus.
OoOoO
Le repas qui avait suivi la séance avait été drôlement bizarre. Leith savait que j'étais en colère et, chose que j'appréciais, avait soigneusement évité le sujet tout au long de notre dîner. Il n'avait pas commenté l'apparition soudaine de Seth, Alex et James, ni la disparition tout aussi brutale de mon voisin avant la fin du film. Il avait récupéré ses affaires et été parti sans rien dire. Nous n'avions pas mangé grand-chose. Lui parce qu'il s'était gavé de popcorn, moi parce que toute cette histoire m'avait coupé l'appétit.
Je devais prendre le dernier bus pour rentrer et comme l'heure avançait rapidement, Leith me proposa de me déposer à l'arrêt. Nous marchâmes en silence. Si je réfléchissais à notre relation, je ne pouvais pas m'empêcher de repenser encore et encore à Seth.
Il s'était définitivement passé quelque chose dans ce couloir. Je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus, mais je savais que quelque chose clochait dans le comportement de mon voisin depuis ce vendredi où il avait trouvé intelligent de m'embrasser sans me demander mon avis.
Peut-être regrettait-il ce geste ?
« Carly ? »
Oups, retour à la réalité Josiane.
Nous étions devant l'arrêt de bus. Leith se tenait devant moi, dans une position qui m'était familière. Les mains dans les poches, il s'appuyait à la vitre de l'arrêt.
« Merci pour ce soir, c'était sympa, soufflai-je.
- Ouais, c'était cool. »
Leith s'approcha, sans pour autant me quitter du regard, et se pencha doucement vers moi. Prise de panique, je fis ce qui me semblait le plus naturel et le prenais dans mes bras.
Putain, Carly.
Leith me rendit mon étreinte. C'était tendre, mais ça ne m'électrisait pas. Ça ne me laissait pas pantoise. C'était juste un câlin.
« Tu sais quoi, marmonna-t-il, gentiment. T'es vraiment quelqu'un de bien. Mais toi et moi...
- C'est trop bizarre, hein ? conclus-je. Je suis d'accord. »
Leith poussa un petit soupir soulagement, et, étrangement, ça me rassura.
« J'arrive pas à me dire qu'on pourrait être un couple, poursuivit-il. J'dis pas que tu me plais pas, hein... Mais pas comme ça.
- Oui... J'crois qu'on est fait pour être amis.
- Oui, c'est mieux comme ça. »
Oui, c'était beaucoup plus simple.
Et pour la première fois durant cette horrible soirée, je fus soulagée.
Véritablement soulagée.
Pfouh. On rentre dans les chapitres qui me fendent le cœur. Déjà, ce chapitre est une tornade d'émotions... heureusement que ce bon vieux Alex est là... Je l'aime d'amour. Carly devait l'aimer un peu moins pendant ce chapitre. Mais c'est pas grave, parce que de toute façon, elle fait de la merde (oui, je me dédouanes de mes idées sur des personnages fictifs.). Enfin bref, armons-nous de nos mouchoirs, préparons-nous pour le grand saut, quelques chapitres zinédits vous attendent, et croyez-moi, j'ai PAS du tout aimé les écrire (mais, avec la merde que Carly fait, fallait bien qu'on en passe par-là).
A très vite, donc !
E.
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