Chapitre 18

« Et là, il me dit tout ça ! déballai-je à Holly. »

Mon amie me jeta un regard légèrement troublé. Nous étions supposées préparer un exposé en histoire du journalisme et je venais d'interrompre pour la troisième notre recherche d'articles. Mais c'était plus fort. Depuis hier, mon cerveau bouillonnait. Josiane croulait sous une tonne d'archives, elle qui cherchait désespérément le meilleur moyen de présenter des excuses à mon voisin. Tout en considérant que ces derniers temps, il séchait les cours et disparaissait subitement dans une salle de classe quand nous empruntions le même couloir. Donc, ça devenait pressant, donc je stressais Josiane qui me stressait en retour. C'était un cercle vicieux.

« Tu dois vraiment l'avoir vexé, souffla Holly en se grattant le bout du nez.

- Merci cap'taine obvious... répondis-je. »

Holly secoua la tête en grimaçant.

« Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? grommela-t-elle. Tu dois bien lui faire des excuses, maintenant !

- Forcément, renchéris-je. Mais, la question c'est comment et quand ? »

Cette fois-ci ma camarade referma le livre qu'elle feuilletait et se pencha vers moi. Ses iris noirs se plongèrent dans les miennes et j'eus l'impression qu'elle me scannait.

« Eh bien si c'était après les cours ? suggéra-t-elle. »

Je voulais bien. De toute manière je ne travaillais pas et après le fiasco de l'opération Leith, je n'osais pas trop me retrouver en présence de mon collègue. J'avais trop peur qu'il finisse par faire le lien entre les idées farfelues de James et les questions que je me posais à son sujet.

Questions qui s'étaient bizarrement évaporées dès l'instant où j'avais compris que j'avais blessé Seth sans le vouloir.

Oh, j'aurais pu prétendre que ça ne changerait rien. Après tout, et comme je vivais dans la vraie vie, je pouvais me faire d'autres amis. Je ne connaissais pas Seth depuis très longtemps, donc qu'est-ce que ça pouvait faire si, tout à coup, nous ne nous parlions plus ? Mais ça m'ennuyait. Je ne voulais pas couper les ponts avec Seth. Il avait beau être ce truc insupportable qu'on labellait comme le « garçon le plus attirant des dernières années », Seth faisait parti de mon monde depuis le jour de mon installation – même s'il avait forcé la porte d'entrée avec violence.

Et puis, dans ma bucketlist des pièges à lui tendre, nous n'étions même pas arrivés au premier tiers.

« Hmpf. Je ne sais pas où le trouver, grognai-je.

- Moi je sais, assura Holly. Parce que j'écoute Nora, quand elle râle et qu'en plus de ça, je sais où tu peux chercher.

- Tu m'intéresse, relevai-je.

- Mais ce n'est pas gratuit, hésita-t-elle timidement. »

Comme l'amérindienne s'était penchée vers moi, elle se recula un peu et se dandina sur son siège. Elle n'avait pas l'air très à l'aise, cependant, quelque chose dans son regard me laissait croire qu'elle était déterminée. Ça me faisait tout drôle. Je ne connaissais pas Holly comme ça.

« Dis toujours, soufflai-je. »

Après tout, c'était Seth, l'enjeu.

« Je voudrais que tu parles de moi avec Alex, souffla-t-elle.

- Alex ? Alexander ?

- Qui d'autres ? »

J'haussai vaguement les épaules.

« Vous êtes amis, n...non ? marmonna-t-elle.

- Si on veut, lui répondis-je en faisant la moue, l'air de réfléchir. Mais pourquoi je devrais lui parler ?

- P...parce que... si c'est lui qui entend p...parler de moi...

- Oui ? l'encourageai-je.

- B...bah, c'est lui qui v...viendras à moi ? proposa-t-elle, très peu sûre de son hypothèse. »

En y repensant, ce n'était pas bête. Si Alex était intrigué par Holly, il l'approcherait de lui-même et ça éviterait à mon amie de mettre en pratique l'engagement d'une conversation. C'était malin, ça me plaisait.

En passant par moi, Holly gagnait un autre avantage : elle n'était pas obligée de faire face à Nora. Car, si mes souvenirs étaient bons, Alexander ne figurait pas du tout sur la liste des garçons que nous pourrions fréquenter... Nora et ses listes...

« D'accord, acceptai-je. Je lui en toucherai un mot quand j'aurais l'occasion, c'est promis ! »

Holly me fit un petit sourire rassuré. Elle passa une main dans ses cheveux de jais, toute soulagée et rouvrit le livre devant elle.

« Tu trouveras Seth au port, m'expliqua-t-elle. Son bateau se trouve au bout du quai, juste après les petites cabanes en bois verte. Il y sera probablement jusqu'à ce soir.

- Tu en sais des choses, fis-je remarquer.

- C'est l'avantage de se taire et d'observer, conclut-elle en m'adressant un petit clin d'œil. Et maintenant, l'histoire du journalisme. »

Tout en m'y remettant, je ne pus m'empêcher de me dire qu'Holly avait raison. Si je me taisais un peu plus et que je regardais un peu mieux autour de moi, peut-être que les choses seraient plus simples. Et peut-être que je n'aurais pas involontairement blessé l'idiot qui me servait de voisin.

OooO

Evidemment, il pleuvait. Il pleuvait beaucoup trop, dans le Maine. Il pleuvait le matin quand je me levai, c'était l'averse dès l'instant où je posais un pied à l'extérieur et tout à coup, ça s'arrêtait quand je m'enfermais pour ma matinée de cours. Si ça n'avait tenu qu'à moi, je serais rentrée me blottir sous ma couette à rattraper mon retard dans mes séries Netflix. Mais je devais mettre les choses au clair avec Seth.

D'un pas pressant, cachée sous mon ciré, je dépassais les petites baraques vertes. Il n'y avait pas grand monde à part les pêcheurs et les quais me paraissaient particulièrement vide. Peut-être était-ce simplement une question de météo et de température.

Quand enfin se dessina la silhouette du bateau de Seth, mon cœur s'emballa. Calmons toutes suite nos ardeurs : mon cœur s'emballa de stress. Je détestai devoir m'expliquer avec le reste du monde. Pas que je croyais toujours avoir raison, mais je me rendais toujours malade de blesser celui qui se tenait en face de moi. En l'occurrence, parce que j'étais trop obnubilée par la volonté de réconforter Leith, j'avais injustement utilisé leur rivalité pour faire plaisir à mon collègue. Et Seth l'avait entendu. Et Seth l'avait mal pris.

« Carly ? me héla soudain quelqu'un, un tout petit peu plus loin. »

Malgré le rideau de pluie qui striait mon champ de vision, je n'eus pas trop de mal à discerner la tête de Seth, à peine visible puisqu'elle sortait de la trappe descendant vers la cale.

En quelques pas, je franchis la distance qui nous séparait, n'osant toutefois pas monter à bord.

« Salut ! répondis-je en criant pour couvrir le chant furieux du vent.

- Qu'est-ce que tu fais là ? s'exclama Seth en s'extirpant complètement de son cockpit. »

Il portait l'une de ses salopettes de marins jaunes et un t-shirt. Il n'avait pas l'air trempé mais ce n'était plus qu'une question de seconde au vue de l'averse qui nous tombait dessus.

« Je suis venue te parler ! »

Je me sentais toute bête, plantée là sur le quai alors qu'il pouvait me regarder de haut. Pendant un instant, d'ailleurs, c'est ce qu'il fit. Seth me dévisagea, l'air soucieux. Puis, sans prévenir, il disparut dans sa cale. Un peu déçue, je me préparais à faire demi-tour quand il réapparut.

« Bon, tu embarques ? me demanda-t-il très sérieusement. »

C'était déjà ça.

OooO

Quand je descendis dans la cale, Seth me balança une serviette et un pull. Puis, sans me parler, il me montra une petite porte sur ma droite et me fit signe d'y entrer. Le message était clair : « va te changer. »

Si de l'extérieur, le bateau de Seth ressemblait à n'importe quel voilier peint en rouge et vert, l'intérieur était un peu plus cosy. Un peu à la manière du café, les murs recourbés et les meubles étaient en bois méticuleusement lustré. La petite chambre dans laquelle j'étais rentrée n'échappait pas à la règle. Le lit était fait, les draps sentaient bons, les rideaux en tissus vert étaient tirés. La pièce, malgré son étroitesse, avait le charme d'une petite chambre de chalet. Si je n'avais pas eu autres choses à faire, je me serais peut-être installée pour bouquiner un peu.

Une fois changée, je retournais dans la pièce principale. Le voilier n'était pas immense mais la pièce était suffisamment spacieuse pour qu'on ne s'y sente pas enfermé. Si peu de lumière venait de l'extérieur (la faute à la pluie), un petit lustre diffusait un doux éclairage tamisé. Il y avait une petite table, une toute petite cuisine, une radio et deux autres portes. Seth m'attendait, assis sur l'une des banquettes et je me glissais sur l'autre, face à lui.

Il me dévisagea silencieusement avant de lancer un petit regard au pull qui me tenait chaud. C'était le sien, évidemment, et cette idée me faisait discrètement rougir. Et il était terriblement confortable. Et beaucoup trop classe. Ça me donnait presque envie de lui piquer. Peut-être que ce serait négociable après réconciliation.

Tu as noté, Josiane ?

« Donc ? murmura-t-il après avoir accroché une nouvelle fois mes pupilles.

- Je voulais m'excuser...

- T'excuser pour quoi ? me coupa-t-il.

- Si tu m'interromps, tu ne sauras pas, grognai-je. »

Un sourire fugace apparut sur le visage de mon voisin et je compris qu'il me taquinait légèrement. Ça me détendit quelque peu.

« Pour avoir dit du mal de toi à Leith, le jour de la réunion, confessai-je. J'ai été bête de dire ça.

- Ah, et dis-moi, Carly, pourquoi as-tu été bête ? insista le garçon qui s'amusait visiblement de ma mine déconfite.

- Parce que... »

Parce que j'ai apprécié ce petit moment avec toi.

« Si je te le dis, tes chevilles surdimensionnées vont continuer à gonfler.

- Elles ne sont pas si gonflées que ça... soupira dramatiquement Seth. »

Je ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel. Puis, comme je savais que ça ne suffirait pas, ou que du moins, ça ne me suffirait pas, je poursuivais mes excuses.

« Je voulais pas le dire parce que t'es un de mes premiers copains...

- Ami, eh !

- Oui bon. T'es un de mes premiers amis ici et même si t'es incroyablement pénible, ça m'a fait bizarre de n'avoir personne sur qui taper quand j'en ressentais le besoin.

- Je me sens tellement honoré d'être ton défouloir, Green...

- Oh ça va. »

Seth me tapota l'épaule.

« Bon ça va, je te pardonne, souffla-t-il. Mais seulement parce que c'est toi. »

On aurait dit qu'il ne m'en avait jamais voulu.

« Je suis quand même vraiment désolée, Seth, insistai-je. Je n'aurais jamais dû prétendre que ça me pesait de passer du temps avec toi. »

Le garçon me jeta un regard surpris. Même s'il faisait le malin, je savais que je l'avais peiné. Mais quelque part, j'étais plutôt satisfaite de savoir qu'il passait l'éponge. Je ne voulais pas qu'il garde de moi l'image de Carly la peste.

« Tu ne m'en veux plus du tout ? m'assurai-je.

- Du tout, sourit Seth.

- Alors je peux garder ton pull ?

- Dans tes rêves. »

OooO

Le cours de littérature se termina sur le rappel fatidique du devoir que nous allions devoir présenter dans deux semaines. Alors que Finnigan précisait qu'il noterait notre prestation aussi sévèrement qu'il noterait l'exposé qui la précéderait, je sentais le regard brûlant de Seth dans mon dos. Nous n'avions pas reparlé de la scène depuis que nous l'avions lu, dans la cale de son bateau. Et puis nous en étions arrivés à la dernière ligne.

Il lui donne un baiser.

Il lui donne un putain de baiser.

Josiane ! Les gros-mots !

Comme je n'étais pas tranquille avec cette idée-là et la blague que Seth s'était permise de laisser traîner sur la possibilité que je devienne accro à lui comme les autres filles après notre première répétition, j'avais décidé de m'assurer qu'en oubliant la didascalie, nous ne risquerions pas de flinguer notre note.

Aussi, quand la cloche sonna la fin du cours, je fus la première debout, toutes mes affaires au fond du sac, mon devoir fait la veille en main. En quelques pas, j'avais rejoint le bureau de Finnigan et mon professeur me lança un regard un peu surpris. Il attrapa le devoir que je lui tendais et le plaça dans un coin de son bureau.

« C'est la première fois que tu me rends un devoir avec autant d'entrain, se moqua-t-il sans cacher son étonnement. Est-ce que tout va bien ?

- Oui, Monsieur Finnigan, répondis-je un peu trop vite. Enfin non. Enfin, si, techniquement, ça va. C'est que y a autre chose qui va pas. Mais en soit c'est pas drama...

- Viens-en au fait, Carly, me pressa mon professeur. »

Je jetai un rapide coup d'œil aux élèves qui déposaient leur rédaction sur la mienne et poussai un petit sourire.

« Est-ce que je dois vraiment embrasser Seth ? demandai-je de but en blanc. »

Finnigan fronça les sourcils et je tiltai. Je vis mon professeur de littérature rougir légèrement, visiblement gêné par la question. A l'air penaud qu'il jeta à Seth qui rangeait encore ses affaires en discutant avec Alex, je compris ce qui lui traversait l'esprit. Evidemment, il fallait que je précise. Mais quelle idiote je pouvais être, parfois.

« Euh, je veux dire dans la pièce, me rattrapai-je. Parce que, euh, à la fin de la pièce, il y a écrit : il lui donne un baiser. Non, parce que dans la vraie vie, je ne vous demanderai pas votre avis pour embrasser Seth. Parce que, euh, vous êtes pas mon père et euh...

- C'est bon, Carly, souffla Finnigan qui se remettait de ses émotions tout en ayant l'air un peu amusé maintenant qu'il comprenait. Tu peux t'arrêter là.

- Du coup ? Est-ce que ça va impacter notre note si on ne respecte pas la scène à la lettre. »

Finnigan secoua gentiment la tête.

« Non, bien sûr que non, Carly, me répondit-il. Vous trouverez bien une solution.

- Ouf.

- Mais, si je puis me permettre, me retint-il encore quelques secondes alors que je m'éloignai du bureau, n'oublie pas que c'est du théâtre, Carly. C'est un faux baiser. ».

Oui, bah, quand même.

« Evidemment, monsieur, dis-je avant de m'extirper de la salle de classe. »

La porte se referma derrière moi et je me retrouvai nez à nez avec Seth. Il m'avait attendu, puisque nous devions nous rendre au café ensemble.

« Alors, qu'est-ce que Finnigan a dit ?

- On fait ce qu'on veut, répondis-je pendant que nous nous dirigions vers mon casier. »

Seth rentra les mains dans ses poches et opina du chef.

« C'est qu'un baiser, comme dit. »

Oui. Qu'un baiser.

Seulement, pardonnez-moi, mais je n'avais qu'une seule chose à dire :

Il lui donne un baiser.

Evidemment, ça ne pouvait pas être plus cliché.

NB.

Encore un chapitre inédit ! Et, honnêtement, un de mes préférés (oui, on dirait que je dis ça systématiquement mais okay, hein). Celui-là est vraiment chouette et j'espère qu'il vous plaira autant qu'à moi !

N'hésitez pas à partager, commenter, voter ! ♥

Elwyn

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