Chapitre 17

J'astiquais le comptoir depuis une bonne dizaine de minute quand la porte du café s'ouvrit. La clochette qui annonçait l'arrivée des clients tinta joyeusement et l'air frais de l'automne s'engouffra dans la pièce, s'infiltrant jusque sous mon pull. J'eus un léger frisson. De toute manière que je tombe malade ou pas, j'avais l'air de constamment sortir d'un rhume ces derniers temps. Peut-être que j'étais malade et que je ne le savais pas encore. Fut un temps, un mois sans rhume était un mois triste en évènement.

« Qu'est-ce que, j'entendis tout à coup Leith murmurer alors qu'il levait les yeux de la caisse enregistreuse. »

Je fis de même – sauf que moi, j'arrêtai de frotter ce foutu comptoir, et remarquai que nos clients ne passaient pas inaperçus. En réalité, ils auraient déteint dans n'importe quelles situations. Les nouveaux venus étaient tous les deux dissimulés sous de longs imperméables de marin rouge et jaune, dont le col avait été sciemment remonté. En plus de cela, ils s'étaient parés d'une paire de lunettes de soleil (quand la luminosité extérieure n'était pas franchement au top de sa forme) et de larges chapeaux de tissu marron.

Sans nous prêter attention, ils s'installèrent à une table collée contre le mur. Leith chercha de la main son calepin mais je fus plus rapide. Il fallait que je m'assure de quelque chose.

« J'y vais, m'exclamai-je sur un ton pressant. »

Leith fut surpris mais accepta et retourna à ses occupations. C'est-à-dire : taper de façon aléatoire sur les touches de la caisse jusqu'à ce que cette dernière cesse complètement de fonctionner.

Ignorant mon collègue, je m'approchais de nos clients et mes doutes se confirmèrent. Cachant tant bien que mal mon amusement derrière mon agacement, je les fis sursauter en toussotant, une fois arrivée à leur hauteur.

« Mais qu'est-ce que vous foutez ! grognai-je à voix-basse.

- Shh, Carly... me répondit James en me faisant signe de parler plus doucement encore. On va se faire griller si tu parles encore plus fort.

- Vous vous êtes grillés tous seuls, rétorquai-je. Mais qu'est-ce que c'est que cette tenue, enfin ?

- On est des espions, okay, se vexa Alex. En plus, le jaune me va à merveille. »

Je ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel.

« Il était temps, quand même ! gloussais-je. Ça fait quoi ? Une semaine que je suis venue te chercher, James ?

- Oh, bah, eh, grogna ledit James. Ça fait une semaine que je prépare cette journée. Tu vas pas en plus te plaindre des délais ?

- Ouais, hein ! l'appuya Alex. »

Je soupirais. Bon. Ils devaient probablement savoir ce qu'ils faisaient.

« Je vous sers quoi ? demandai-je, finalement.

- Je prendrais bien une bière, annonça James.

- Tu ne peux pas, répondis-je.

- Si, je peux.

- Non, tu n'es pas majeur. »

James se renfrogna.

« Ouais, mais là, je suis pas James, grogna-t-il. Et Alex, c'est pas Alex.

- On est sous couverture, insista son compère.

- Je m'en moque. Vous serez sous couverture avec autre chose que de l'alcool.

- Bah je veux un milkshake au chocolat, céda James devant mon regard déterminé. Mais avec un extra chantilly.

- Et moi, je veux la même chose, mais sans la chantilly, renchérit Alex.

- Très bien, soupirai-je, amusée. »

Je les laissais et retournai au comptoir. Leith me jeta un regard interrogateur.

« Ce sont des touristes, répondis-je le plus naturellement possible.

- Ah, bon. »

Je donnais la commande à Leith qui la rentra dans la caisse enregistreuse et m'attelai à préparer les boissons de mes deux amis. Pendant que je m'activai, je sentais le regard brûlant de James et Alex sur le moindre de mes faits et gestes. J'aurais peut-être dû demander à Holly et Nora finalement. Ça m'aurait épargné ce spectacle. Quoiqu'en y réfléchissant, il y avait un côté plus qu'inédit à assister à une telle scène.

« Comment ça va ? me demanda Leith, tout à coup. T'as l'air ailleurs, ces derniers temps. »

Je m'arrêtais un instant de mélanger le lait et le chocolat pour croiser le regard de mon collègue. A vrai dire, je venais tout juste de digérer l'épisode Viktor. En soit, ce n'était rien de dramatique, mais ça m'avait vraiment secoué. Je m'étais débarrassé du poster pendant le week-end, après l'avoir longuement considéré. L'accrocher au mur, ça voulait dire que j'acceptai le rôle que pourrait prendre Viktor un jour. Mais je ne m'étais pas sentie prête et je l'avais finalement jeté. Dans un geste un peu désespéré, j'avais également raccroché mon poster délabré. Sans avoir connu mon père, je voulais quand même garder le sentiment qu'il était là, quelque part. Je ne voulais pas passer à autre chose.

« Carly ? me rappela Leith.

- Euh, ça va ! m'exclamai-je un peu abruptement, perdant le contrôle de la brique de lait que je tenais dans la main. »

Le comptoir se retrouva inondé en moins de temps qu'il fallait pour le dire. Rouge de honte et désolée, je me débarrassais de mon tablier pour éponger une partie des dégâts quand une main surgit dans mon champ de vision. Je pensais me retrouver nez à nez avec Leith mais le regard que je croisais était celui de Seth.

« Fais un peu plus attention, grommela-t-il assez sèchement. »

Quand est-ce qu'il était arrivé ?

« P...pardon, marmonnai-je en me redressant.

- Ne t'en fais pas, ce n'est rien, Carly, me rassura Leith. Je vais finir les milkshakes. »

Il jeta un regard noir à Seth qui lui répondit de la même manière. En deux semaines, c'était ma première interaction avec Seth. On ne s'était pas parlé depuis le début du mois. Comme si tout à coup, une sorte de malaise s'était installé. Mais je m'étais tellement interrogée sur mes propres problèmes que j'avais rangé Seth dans un coin de la tête, quitte à ne même pas remarquer ses absences répétées en cours.

« Va te changer, m'ordonna-t-il soudain, une fois qu'il eut essoré l'éponge.

- Non, c'est bon, je vais juste changer de tablier, répliquai-je sur le même ton.

- Laisse-la vivre, grogna Leith à mi-voix. »

Seth posa un peu brutalement son éponge à côté du lavabo.

« T'as un problème, s'inquiéta mon voisin en foudroyant notre collègue du regard.

- Mon problème, c'est ta façon de parler aux autres employés... répondit Leith. Tu viens seulement de prendre ton service, tu pourrais t'écraser et aller servir les clients. »

Et pour illustrer ses mots, Leith poussa le plateau destiné à James et Alex vers Seth. Ce dernier allait l'attraper, défiant son homologue du regard quand je me jetais dessus.

« Non ! m'exclamai-je avec un peu trop de conviction. »

Leith et Seth me jetèrent un regard surpris. Rougissante, j'attrapai le plateau et le tirai vers moi.

« C'est ma commande, je m'en occupe, répondis-je à Leith. »

Puis, en passant à côté de Seth, je me permis d'ajouter :

« J'irais me changer ensuite. »

Quelques tables plus loin James et Alex n'avaient perdu aucune miette du spectacle. Quand j'arrivais à leur hauteur, ils étaient en train d'échanger une conversation à l'aide de talkie-walkie. Malgré toute la tension que je ressentais depuis l'accident du lait, ces deux lurons parvinrent à me faire esquisser un sourire.

« Filez avant que Seth ne vous reconnaisse, leur intimai-je tout en déposant leur commande sur la table.

- Ah non ! me répondit Alex. L'opération ne peut pas avorter aussi rapidement !

- On est pas des détectives moisis, me prévint James. »

Puis il alluma son talkie-walkie et pressa le bouton de communication.

« Alex, c'est toi qui payes les consommations, dit-il alors que sa voix retentissait dans le boîtier de son compère. A toi.

- C'est de l'arnaque, répondit Alexander. A toi.

- Ouais, mais j'ai payé les chapeaux. A toi.

- Vous me désespérez, soufflais-je. Essayez d'être plus discret, Leith se pose des questions et... »

Je sentis une drôle de présence derrière moi.

« Mais qu'est-ce que vous foutez là ? s'exclama Seth entre la surprise et l'agacement. »

Alors que James brodait un tissu de mensonge pour justifier sa tenue et sa présence au café, je jetais un regard rapide par-dessus l'épaule de mon voisin. Leith n'était pas dans la pièce. Il avait du filer en cuisine. Ce qui signifiait que le plan de mes « amis » - je suppose – n'était pas totalement tomber à l'eau.

« Et tu connais toute l'histoire, affirma Alex.

- Donc vous repérez les lieux pour la soirée du 31 ? s'assura Seth. Et vous testez votre déguisement ?

- Exactement, approuva James.

- Vous vous foutez de moi ?

- Exactement, répéta bêtement le garçon. »

Seth se pinça l'arrête du nez. Il avait l'air prêt à exploser. Quant à moi, je ne savais plus où me mettre. Et tout ça, au final, c'était mon idée. Si je n'avais pas demandé à James de me venir en aide, cette situation ne serait jamais arrivée et je serais probablement en train de plaisanter avec Leith. Un peu d'espoir me revint quand Leith passa la porte de la cuisine. Aussitôt, je m'éloignais de la table et de Seth pour reprendre mon poste derrière le comptoir. Après tout, si Seth était intelligent, il n'y avait aucune raison que notre super plan capote.

« Pourquoi est-ce que James et Alex sont là ? me demanda le serveur du tac au tac. »

Je me raidissais. Seth m'avait intercepté avant que j'aie le temps de parler à Leith et ce dernier avait tout entendu.

« James et Alex sont là ? releva-t-il. »

Il fronça les sourcils et dévisagea les types en imperméables.

« Putain, ils ont failli m'avoir ! s'exclama-t-il, tout heureux. Ces mecs sont des génies. Tout ça pour gratter des boissons alcoolisés.

- Je suis contente que tu le prennes aussi bien, maugréais-je en trouvant que cette idée était de plus en plus débile alors que Seth me fusillait du regard.

- J'vais le raconter à mon père, il va adorer ! »

Puis il se tourna vers James et Alex, tendus comme des piquets.

« Eh, les mecs ! Ce déguisement, il est top ! »

Leith disparut alors que James levait les pouces en l'air, prétendant qu'il avait été flatté. Puis Alex attrapa son talkie-walkie et l'alluma.

« Agent James Sherlock ?

- Oui, agent Alex Watson ?

- Je crois que notre mission ici était un échec.

- Totalement.

- Mais nous n'abandonnerons pas.

- Pour le compte Netflix.

- NETFLIX. »

James et Alex se levèrent brutalement, se débarrassèrent de leurs imperméables et filèrent plus vite que la lumière. J'entendis la porte de la cour se fermer et les voix de Leith et Jack s'étouffer derrière le mur de la cuisine. Ils étaient tous les deux sortis pour prendre une petite pause.

Il ne restait dans la pièce plus que Seth et moi et comme nous étions dans des heures creuses, personne n'allait entrer dans le café pour sauver ma peau.

« C'est quoi ce bazar ? me demanda Seth, sur un ton légèrement agressif.

- Quel bazar, me défendis-je, piquée au vif par sa manière de s'adresser à moi depuis le début de son service. »

Déjà qu'il débarquait toujours de nulle part, il pouvait au moins faire un effort et se montrer sympathique. Ça faisait une semaine qu'on ne s'était pas parlé. Je ne m'attendais franchement pas à ce genre de réaction. Nous nous défiâmes du regard.

« Ils étaient en mission pourquoi ? me demanda Seth, un peu plus calmement.

- Ils faisaient du repérage...

- Arrête de me prendre pour un imbécile. »

Je ne l'avais jamais vu aussi tendu.

« Je ne te prends pas pour un imbécile, rétorquai-je. Et puis, qu'est-ce que t'as à m'agresser comme ça ? Je suis pas ton défoule-nerfs !

- Non, clairement, s'exclama Seth en haussant le ton. D'ailleurs, je sais même pas si t'es digne de confiance.

- Digne de... quoi ? »

Seth se rembrunit.

« J'pensais que t'écoutais pas Nora, reprit-il sans me regarder. J'pensais que tu faisais la différence et que j't'avais prouvé que j'étais pas juste un con.

- Mais qu'est-ce qui te prends, hallucinai-je. On se connaît à peine, Seth. Je ne vais pas te juger d'après tout ce que Nora me dit ! »

Il croisa les bras sur son torse et son regard dériva au-dessus de mon épaule. Seth se mordait la lèvre inférieur, comme pour contenir des mots qu'il ne pensait pas mais qui l'aurait soulagé. On aurait dit moi dans ma prime jeunesse. Je me mordais toujours la lèvre quand je voulais insulter quelqu'un.

« Qu'est-ce que je te fais ? insistai-je. C'est toi qui es bizarre !

- Bizarre ? répliqua Seth. C'est toi qui m'as percuté alors que tu venais à peine d'arriver.

- C'est toi qui n'arrête pas de me chercher ! J'ai eu une retenue à cause de toi !

- Tu as crevé les pneus de mon vélo. »

Oui, je l'avais fait. Et ce n'était pas l'envie de recommencer qui me manquait.

« Et donc ? relevai-je.

- Et donc, je pensais qu'on s'entendait bien, s'exclama-t-il. Je pensais que tu m'aimais bien.

- Oh je t'en prie ! grognai-je. Tu pensais quand même pas que j'allais me coucher à tes pieds comme les autres filles juste parce que tu me servais quelques blagues sur un plateau ?

- On ne parle pas de ça du tout ! »

Seth s'était reculé d'un pas, hors de lui. Il défit son tablier et me le fourra dans les mains d'un geste rageur.

« Tu vois, le problème avec toi, Carly, c'est que tu réfléchis pas. Du coup, tu blesses les autres et tu n'es même pas capable de t'en rendre compte.

- Parce que toi, tu n'as jamais blessé personne dans ta vie ? fis-je remarquer, vexé.

- Ne t'aventure pas sur ce terrain, Carly Green. »

J'allais répliquer quand il tourna brutalement les talons.

« Où est-ce que tu vas ? m'exclamai-je.

- Je vais prendre l'air.

- Joue pas l'enfant, Potter ! »

Il tira la porte d'un coup sec. Les clochettes tintèrent et Seth me jeta un dernier regard sévère.

« Je ne voudrais pas t'imposer ma présence. Ce serait trop demandé de faire avec. »

Il claqua la porte et tout à coup, je fus frappée d'une épiphanie.

Mais qu'est-ce que je pouvais être con parfois.

N/B

Bon. La mission James/Alex a été un échec, mais ça, ce n'est qu'un détail. x)

J'espère que ce chapitre vous a plu ! Si c'est le cas, n'hésitez pas à faire tourner l'histoire autour de vous, à voter, à me laisser un commentaire et/ou une petite critique, c'est toujours la bienvenue !

La suite arrivera probablement en milieu de semaine !

E.

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