Chapitre 16

James m'écouta attentivement, s'imprégna de mon discours et huma l'air. En ce bel après-midi de début octobre, nous nous étions installés dans la cour à l'arrière de la cafétéria pour discuter « affaires ».

« Donc, tu voudrais que j'enquête pour toi ? me demanda-t-il, très sérieusement.

- Non, je me disais juste que, puisque tu es un garçon et que...

- Seth est un garçon aussi, répondit son meilleur ami du tac au tac.

- Oui mais, Seth, il agit bizarrement depuis samedi et puis je veux pas le mêler à ça. »

James se gratta le menton.

« Mouais, murmura-t-il. Mais moi, j'y gagne quoi ?

- Ma reconnaissance éternelle ? proposais-je en haussant les épaules.

- Pas assez. »

Je grattai d'un geste nerveux la peinture déjà écaillée de la table où nous étions assis. Evidemment, ce n'était jamais assez. Il leur fallait toujours plus, aux mecs. Et moi, à part vendre Pampy – ce que, bien évidemment, je ne ferais sous aucun prétexte – eh bien, je n'avais rien d'intéressant à proposer.

« Tu as un compte Netflix, Carly ? me demanda sournoisement James. »

Oh le fieffé coquin. Il ne perdait pas de temps. Mais c'était comme ça que je les préférais. Direct et dur en affaires. Cette fois-ci, je fis mine de réfléchir. Après tout, maman avait son compte, j'avais le mien. Il restait encore trois emplacements vides. Au prix de l'abonnement, en faire bénéficier James ne me paraissait pas si mal. Mais si Keira venait à l'apprendre, il me faudrait peut-être envisager de quitter l'Amérique. Je n'avais jamais partagé de compte Netflix avec ma meilleure amie et c'était l'un des rares sujets sur lesquels nous évitions de deviser. Sinon, ça tournait mal. Mais c'était encore une autre histoire et James paraissait plus au moins sûr de son coup puisqu'il attira mon attention en me souriant narquoisement.

« Si tu partages ton compte Netflix avec moi, tu pourras m'appeler chevalier servant pour le restant de tes jours, insista-t-il, sûr de ses arguments. J'exécuterais pour toi les plus sales besognes, dans la limite du stock disponible, évidemment. Je pourrais même convaincre Alex de participer. »

En parlant d'Alex, ce dernier était entré dans mon champ de vision. Il marchait vers nous, son plateau dans une main, son déjeuner dans l'autre. Il s'installa près de moi comme si nous avions été amis depuis toujours et claqua sa main dans la mienne avec de cogner son point contre mon épaule. Depuis quand est-ce que nous étions devenus des intimes ?

« De quoi vous parliez ? demanda-t-il en sortant son sandwich et en y mordant à pleine dent.

- Carly veut que j'espionne Leith, expliqua très sérieusement James.

- Tu ne veux pas demander à Seth, plutôt ? répondit le blondinet. »

James lui fit les yeux ronds et Alex avala difficilement la bouchée qu'il mastiquait jusqu'à présent avec joie.

« Qu'est-ce qu'il se passe entre Seth et Leith ? m'enquérais-je.

- Il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas savoir, chérie, me répondit calmement James alors que je m'indignais du surnom qu'il venait de me donner.

- Ne m'appelle pas chérie et...

- Enfin bref, me coupa Alex. Qu'est-ce que tu lui demandais, en échange ?

- Le mot de passe de son compte Netflix.

- Je suis là et...

- Ah, oui. C'est intéressant. C'est parce que Seth ne veut pas partager avec toi que t'essaye de gratter à tous les râteliers, renchérit Alex sans me regarder.

- Clairement. »

Je tapais sur la table, pour attirer l'attention des deux garçons.

« Bon, James, si la mission est une réussite, tu auras mon mot de passe, grognai-je. Est-ce que tu veux bien me rendre service ? »

James hocha lentement la tête et se tourna vers Alex, tout satisfait.

« C'est une mission pour nous, James Holmes, s'exclama Alex, tout content.

- Tout à fait, Alexander Watson.

- J'ai tout à fait hâte.

- Oui, moi aussi, je meurs d'impatience. »

Je me pinçais l'arrête du nez. Est-ce que j'avais bien fait de leur faire confiance ? C'était peut-être un peu tard pour me poser la question. Alex termina d'avaler son repas, se leva, suivit de James et les deux garçons me saluèrent gaiement avant de me dire qu'ils me reverraient sûrement tout à l'heure. Sans que je ne comprenne vraiment ce que ça voulait dire puisque nous avions terminé notre journée de cours, je les laissais filer.

Quelques secondes plus tard, Nora et Holly remplaçaient les deux garçons.

« Qu'est-ce qu'ils te voulaient ? me demanda Nora, suspicieuse.

- Rien, mentis-je. »

J'avais le sentiment que garder Nora en dehors de tout ça me faciliterait peut-être la vie. Elle n'aimait pas trop James et Alex, autant ne pas les mélanger. Comme je n'avais pas l'air plus troublée que ça, Nora n'insista pas et sortit de son sac un petit cahier. A sa couverture, je reconnus son notebook qu'elle remplissait de croquis à chaque réunion du club.

« Félicitations pour le dernier article, s'exclama Holly. Le week-end t'a visiblement inspirée. »

J'haussais les épaules.

« Ça allait, répondis-je. Et vous, qu'est-ce que vous avez fait ?

- J'avais une réunion familiale, expliqua Nora qui cherchait quelque chose dans son carnet, oubliant presque notre présence.

- Pas grand-chose, répliqua Holly. Mes parents voulaient faire une dernière sortie avant de rentrer le bateau. On a croisé Seth, d'ailleurs. »

Cette fois-ci, Nora daigna relever le nez de son cahier. Je crus qu'elle allait encore le critiquer quand je fus surprise de déceler dans son regard une once d'inquiétude.

« Il a passé son week-end sur le bateau ? demanda-t-elle d'une toute petite voix. »

Holly mit un temps à répondre. Elle semblait réfléchir à la question.

« Il avait l'air, pourquoi ? finit-elle par dire.

- Quand Seth est contrarié, il passe tout son temps sur son voilier. Est-ce que tu sais ce qui s'est passé ? Après tout, c'est ton voisin ? »

Il fallut un temps pour réaliser que Nora me parlait.

« Non. J'ai pas eu le sentiment qu'il était contrarié quand on est allé au travail ensemble, expliquai-je. Après, je ne l'ai pas revu.

- Bon...

- Depuis quand tu t'inquiètes pour Seth, demanda tout à coup Holly. »

Nous nous tournâmes toutes les deux vers Nora. La question de notre amie était tout à fait légitime. Pour quelqu'un qui n'appréciait pas Seth, c'était une drôle de manière de réagir. Nora se renfrogna.

« L'habitude, grogna-t-elle, signifiant qu'elle ne voulait pas plus de question.

- Tu sais, souffla Holly malicieusement, si tu t'inquiètes tant, tu pourrais aller lui parler...

- L'habitude, j'ai dit ! s'exclama Nora un peu plus sévèrement et Holly leva les mains en l'air, en signe de reddition. »

Puis, tout à coup, elle tira un papier de son carnet et l'exhiba fièrement devant nous.

« Voilà ce que je cherchais ! s'exclama-t-elle joyeusement.

- Qu'est-ce que c'est ? demandai-je curieusement.

- Comme tu l'as si bien fait remarquer, il y a une soirée le 31 octobre, renchérit Nora. Et ça, c'est la liste des garçons fréquentables que nous pourrions recruter.

- Est-ce qu'on a l'air aussi désespérée ? souligna Holly en rougissant de honte. Je veux dire... On peut y aller entre copine, non ?

- On peut, la reprit sa meilleure amie.

- C'est même conseillé, ajoutais-je, me rangeant du côté de l'amérindienne.

- On peut aussi tirer notre épingle du jeu ! insista Nora. Et prouver à certaines personnes que notre vie amoureuse n'est pas un désastre. »

Holly poussa un soupir et répondit d'un haussement d'épaule au regard curieux que je lui lançais.

« Ok, soupira-t-elle. Qui t'a encore dit des choses déplaisantes ? »

Nora leva son index en l'air et pointa une tablée animée à l'intérieur de la cafétaria. A la tête de celle-ci, la fille qui avait essayé de se mettre en groupe avec Seth pour la littérature. Evidemment, il fallait que ce soit...

« Elena... grogna Nora. »

OooO

Quand je n'avais pas cours, j'aimais bien prendre une heure pour m'enfermer dans la bibliothèque du lycée. C'était une habitude que je partageais avec Keira mais qui agaçait visiblement Nora à la longue et qu'Holly souhaitait éviter, sûrement parce qu'elle se trouvait trop maladroite dans un environnement où l'ordre et le silence étaient maîtres.

C'était donc seule que je m'étais installée dans les petits poufs, à l'arrière de la pièce, devant la baie vitrée qui donnait sur la mer. J'avais emporté avec moi le livre que j'avais récupéré chez Finnigan. C'était la première fois que je l'ouvrais et je fus tout heureuse de découvrir le titre, écrit à la plume par son auteur, signé d'un petit mot à l'adresse de mon professeur. Ça rendait l'objet encore plus authentique.

« Dis-moi tout... lus-je à voix-basse. »

C'était un titre intriguant. Finnigan n'avait rien voulu me dire quand je lui avais demandé un petit résumé.

« Tu découvriras par toi-même, avait-il insisté devant ma curiosité dévorante. »

Et je m'apprêtais d'ailleurs à le découvrir quand tout à coup, mon regard fut attiré par le paysage extérieur. En bas, sur les flots légèrement agités, dansaient les voiles. A New-York, ce n'était pas une chose qu'on observait régulièrement. Ici, ce spectacle était récurrent. C'était un sport local d'après Jack. Une sorte de ballet aquatique, une danse appréciable depuis les hauteurs de la ville.

Lors de la fête du village, chaque voilier se paraît d'une couleur, et respectant méticuleusement une chorégraphie enseignée depuis des décennies, naviguaient au gré des vents. Ensuite, il y avait la célèbre course, mais ça, ça devait être moins amusant.

Une question me chatouilla l'esprit. Est-ce que Seth était parmi eux ? Voguait-il en ce moment même dans la baie, quel était son voilier ? celui qui caressait presque l'eau tant il était battu par les vents ? Ou celui, un peu plus stable, qui manœuvrait agilement pour revenir vers le port ?

L'inquiétude de Nora me revint à l'esprit. Si elle dépassait son amertume pour le garçon, c'était qu'il devait être vraiment contrarié. Peut-être s'était-il disputé avec ses parents ? Avec un peu de chance, il serait au travail ce soir et je pourrais lui demander, mais ce n'était pas sûr. Le lundi, Seth avait entraînement avec l'équipe de natation du lycée. Il m'en avait rapidement parlé, une fois. Ça ne m'avait pas beaucoup intéressée, sur le coup. J'étais beaucoup plus intriguée par sa passion pour la voile.

Je secouai tout à coup la tête. Qu'est-ce que je pouvais digresser, quand je m'y mettais... Une autre idée vint me troubler l'esprit. Je m'inquiétais pour Seth parce qu'il était ce qui se rapprochais le plus d'un ami... n'est-ce pas ?

Oui. Mais alors, c'était un ami incroyablement arrogant, à l'égo surdimensionné, très ennuyant et puis par marrant du tout.

« Alors... maugréai-je en fixant le livre entre mes mains. Dis-moi tout... ».

OooO

Viktor était resté pour le repas. Quand j'étais rentrée, ils venaient tout juste d'ouvrir leur deuxième bouteille de vin et de finir les bolognaises que je m'étais préparée pour mes repas de la semaine. Ce qui expliquait probablement pourquoi ma mère m'accueillit avec un sourire extatique. Parce qu'elle devait se faire pardonner l'acte le plus horrible qui soit : se servir dans ma réserve de nourriture.

« Je suis trop contente que tu sois là, s'exclama-t-elle en me serrant dans ses bras.

- Je suis très contente d'être rentrée... répondis-je, un peu surprise.

- Va voir Viktor, il a quelque chose pour toi. »

Cette phrase ne me rassurait pas mais je fis quand même bonne figure et me rendait au salon. Le petit ami de ma mère avait l'air tout aussi pompette qu'elle – normal, après la deuxième bouteille. Néanmoins, quand il me vit, il m'adressa une sorte de sourire grimace et se leva pour fouiller dans son sac.

« J'ai trouvé ça en ville ! s'exclama-t-il. »

Il me tendit un rouleau de papier, probablement un poster.

« Ta mère m'a dit que tu avais abîmé le tien, poursuivit Viktor, tout heureux. »

J'attrapais le poster. Tirant nerveusement sur l'élastique, je ne pus m'empêcher de ressentir une sorte de pincement au cœur, un vide dans l'estomac. Ça, ce n'était pas bon signe. Vraiment pas. Et ma sensation se confirma quand je découvris l'image. C'était la réplique exact du poster de mon père.

« M...merci, soufflai-je alors que ma tête me tournait. »

Je le remballais et repassai l'élastique autour du rouleau. Ma mère jaillit derrière nous.

« C'est génial, Carly ! s'exclama-t-elle. Comme ça, tu peux remplacer celui de ton père par un nouveau.

- Ah... ouais... soufflai-je, un peu à court d'air. C'est...

- Tout à fait ce qu'il te fallait, n'est-ce pas ? me coupa Viktor, sûr de lui. J'ai un don pour les cadeaux.

- Euh, ouais... »

J'avais envie de disparaître. Si l'intention était louable, j'avais l'impression que Viktor détruisait encore un peu le souvenir de mon père. Qu'il construisait ses propres souvenirs sur les restes d'un homme que je n'avais pas connu. Ça me rendait malade de me dire que c'était aussi facile de remplacer les choses.

Que c'était si facile d'accepter Viktor dans ma famille.

En acceptant à contre-cœur une pomme empoisonnée.

« Carly ? s'inquiéta ma mère. Tout va bien ? »

J'hochais la tête, bien que ça n'arrangea pas cette impression que la terre tournait dangereusement autour de moi.

« Ouais, répondis-je. Je vais monter.

- Mais tu n'as pas mangé, s'exclama Sam, surprise.

- J'ai pas faim. »

Je soulevai légèrement le poster dans ma main.

« Merci, Viktor. »

Et sans demander mon reste, je fuyais la pièce et tous les sentiments contradictoires qui venaient de me hanter pour un simple cadeau. Un cadeau dont je ne voulais pas vraiment.

« Désolée, entendis-je ma mère murmurer. Elle réagit bizarrement parfois.

- Ne t'inquiète pas, lui répondit Viktor, à voix basse. Je ne vais pas me vexer pour si peu.

- Désolée quand même pour ma fille...

- Si c'était la mienne, ça ne serait sûrement pas arriver, ça c'est clair. »

Ma mère devait déjà être trop pompette pour réagir puisqu'elle se mit à rire.

Encore heureux que je n'étais pas sa fille.

Pour rien au monde je ne l'aurais voulu.

Note d'auteur

Hello ! :) Vous l'aurez compris, encore un chapitre inédit !

Je me suis beaucoup amusée à écrire ce dernier. Déjà parce que James et Alex sont deux de mes personnages préférés et qu'il laisse entrevoir une part de Carly un peu plus "sérieuse". Pour ceux qui seraient arrivés jusqu'ici, vous savez tous que Carly est un peu longue à la détente. Comme le dirait une amie, c'est un peu de l'ignorance mélangée à de la mauvaise foi. Parfois, ça agace, mais j'aime bien mon héroïne naïve comme ça, parce que je l'ai été aussi et que si je l'ai été, c'est que je ne suis pas seule à l'avoir été.

En ce qui concerne Viktor, j'espère que vous comprendrez aussi sa réaction. J'essaye de m'imaginer à sa place, et pour une fois, même si on tire vers le drama, je trouve que ça corrige un peu cette relation totalement bâclée dans la première version (les anciens savent, les nouveaux ont de la chance...).

J'ai hâte de vous poster le prochain chapitre, qui est officiellement devenu l'un de mes préférés.

Je vous remercie tous de me suivre jusqu'à ce chapitre 17, pour certains comme   @CoeurAmande, qui sont là depuis le début et qui revienne me faire coucou. Vous ne savez pas à quel point ça me fait plaisir de savoir que Carly et sa bande de gais lurons continuent à vous faire passer de bons moments (ou de très mauvais, si ça se trouve, haha).

Je m'arrête ici, n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire (les critiques sont évidemment la bienvenue, signalez-moi les horribles fautes d'orthographes aussi), à voter et surtout à faire vivre cette histoire au-delà de votre application (vos amis, votre famille, ils sont tous la bienvenus! )

A très vite,

E.

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