Chapitre 03


J'accueillis la pause de midi avec une joie non dissimulée. Mon ventre criait famine et mon cerveau demandait désespérément une pause. En quelques heures, j'avais été inondés d'informations au point que j'en avais presque oublié que j'étais nouvelle. Et puis, le silence complaisant des premiers jours et un ventre bruyant ne faisaient vraiment pas bon ménage. En plus de cela, ma matinée ne s'était pas exactement passée comme prévu. Il y avait eu ce moment embarrassant en histoire où je dus aller devant la classe me présenter et répondre aux questions des curieux. Cet exercice, particulièrement désagréable quand on ne l'avait pas prévu, m'avait fait la même sensation qu'une interrogation surprise. Et puis, toutes ses questions... On aurait cru que je devais connaître par cœur la vie de toutes les célébrités qui avaient élus domiciles à New York. Ensuite, il y avait eu ce léger cafouillage de plan et je n'avais pas trouvé la salle de français à l'heure prévue. Une matinée forte en émotion, dirons-nous.

La cafétéria avait été la salle la plus simple à trouver puisque c'était là que se dirigeait la majeure partie des élèves. Elle se trouvait au rez-de-chaussée du bâtiment principal et je dus m'arrêter un instant pour chercher la table idéale pour un repas en toute intimité. C'était une grande pièce, pleine de vie et ensoleillée grâce aux grandes baies vitrées sur le côté. A première vue, aucune table n'avait l'air de m'offrir l'asile et je voyais bien que la plupart d'entre elles étaient déjà occupée par des élèves qui attendaient leurs amis, ce qui m'excluait d'office. Puis, alors que je m'étais résignée à faire la queue au self et que j'imaginai déjà ce moment gênant où je demanderai à un inconnu si je pouvais prendre la place libre près de lui, je vis la place parfaite.

Elle se trouvait à l'entrée de la cafétéria, coincée entre deux paravents et un présentoir de magazine sur la santé. Elle passait presque inaperçue derrière sa muraille de protection le peu de chaise autour démontraient bien que c'était l'endroit le moins fréquenté de toute la cafétéria. Sans revenir sur ma matinée éprouvant, j'avais ressenti le besoin profond de me retrouver loin des regards. Si c'était ça, la vie de nouvelle, je préférais mille fois qu'on m'ignore et qu'on fasse comme si j'étais une partie du paysage. Au moins, tout ça serait fini d'ici quelques courtes heures et je pourrai retourner dans mon lit me morfondre sur mon sort en envoyant des boules de papiers contre le mur.

Je commençai mon repas avec la même motivation que Pamplemousse face à une visite chez le vétérinaire. Dans mon assiette avaient été entassé une sorte de purée étrangement verdâtre, une tranche de porc et quelques carottes. Il ne s'en dégageait pas une mauvaise odeur, mais avais-je vraiment envie d'en tester le goût ? Mieux valait rester sur sa première bonne impression, non ? J'entendis mon ventre protester avec hargne cette décision de Josiane qui avait en horreur les plats non-identifié et décidai de me sacrifier pour lui. Je n'eus pas le temps de plonger ma fourchette dans mon assiette que quelqu'un posa son plateau en face de moi, provoquant un sursaut brusque.

« Je peux m'asseoir ? me demanda l'inconnue qui était totalement une fille à l'écoute de sa voix. »

Je relevai la tête, surprise. C'était venu encore plus vite que je ne l'avais imaginé. D'ordinaire, les premières rencontres se font en sport, à cause de la coopération ans une équipe. Mais je n'étais ni dans un roman, ni dans un film et la vraie vie avait décidé que la nouvelle ne passerait pas inaperçue, même planquée comme elle l'était derrière son paravent. Pendant quelques minutes, j'avais caressé l'espoir d'avoir la paix. C'était peut-être mission impossible mais je n'allais pas me plaindre qu'on vienne me parler. Je n'aimais pas faire le premier pas et j'étais quelque part déjà reconnaissante pour ce geste d'une bonhommie agréable.

Je dévisageai rapidement mon interlocutrice. Son visage rond était encadré par quelques boucles brunes qui dansaient joyeusement sur ses épaules à chacune de ses inspirations. Ses yeux bruns me scrutaient, guettant une réponse de ma part tandis que ses lèvres se plissaient un peu plus à chaque seconde qui passait. Je la vis tirer sur son t-shirt, de plus en plus gênée. Je compris qu'il fallait que je mette fin à son calvaire avant qu'elle ne tourne les talons, mortifiée par ce moment gênant et que je laisse filer l'espoir de rencontrer quelqu'un.

« Euh, oui, murmurai-je, rougissante. Vas-y. »

Elle s'installa et commença à manger sans rien dire. Elle avait l'air de chercher une conversation qui ne contiendrait pas les mots « nouvelle » et « New York » et je n'osais pas la déranger dans cette réflexion si intense. De mon côté, je me demandai comment bien commencer une conversation. Lui demander de décliner son identité risquait d'être trop formel. Ensuite, il fallait lui demander sa classe mais son visage me disait vaguement quelque chose, j'en déduisais donc qu'elle était sûrement une de mes camarades. Nous n'avions toujours rien dit et j'avais déjà fini ma salade, hésitant grandement à débuter mon plat principale. Elle semblait partagée, peut-être encore plus que moi mais ce fut la première à planter sa fourchette dans la purée. Me jetant un petit regard curieux, elle porta la fourchette à sa bouche et préleva une petite partie de son contenu qu'elle goûta du bout des lèvres.

« Oh ! Beurk ! Purée de brocoli... me confia-t-elle, dégoûtée. Quel super repas pour la rentrée... »

Elle laissa retomber sa fourchette dans son assiette et m'invita à repousser la mienne d'un petit sourire crispé. Amusée, je me surpris à desserrer les lèvres pour entamer une discussion.

« Ouais, on va éviter... murmurai-je en ouvrant mon yaourt parfum vanille. Moi, c'est...

- Carly Green, me coupa-t-elle en souriant. Je sais, on est dans la même classe.

- Et toi ?

- Nora Stevenson, j'étais déléguée l'année dernière et je compte bien l'être à nouveau cette année. Enfin, on n'est pas là pour parler de moi, hein ! Bienvenue dans ce monde passionnant qu'est le lycée de St Berry, Carly. »

Et d'un geste, Nora me désigna le reste de la cafétéria.

« Tu as déjà dû faire un tour des lieux mais je veux bien refaire le guide si tu as besoin, m'expliqua-t-elle. C'est chouette que tu sois dans notre classe. Les nouvelles vont vite en ville et j'étais curieuse de te rencontrer. J'espère que tu n'as pas été trop intimidée par les questions qu'on t'a posé en histoire. C'est une petite ville et nous sommes tous très curieux. »

Je secouai la tête, pensivement. Le ton de Nora était jovial et elle semblait se lancer dans de grands discours avec une facilité que je n'avais pas. Comme elle n'avait pas pris de dessert et que je savourai encore mon yaourt à l'arôme chimique, ce fut elle qui poursuivit.

« Après, tu ne devrais pas être trop dépaysée, c'est un lycée comme un autre... soupira-t-elle. Populaires, pas populaires, artistes, scientifiques, comiques du dimanche, sportifs... Une jolie salade de fruits exotiques en soi. Et puis, on ne s'ennuie pas ! Il y a toujours quelque chose à faire et si je suis élue président des élèves, j'organiserai pleins d'évènements ! »

Je ne pus retenir un petit rire. Nora était une espèce de pile électrique. Son extravagance la rendait encore plus jolie qu'au premier regard et j'étais déjà sous le charme de sa personnalité. Il m'en fallait très peu, j'étais du genre à faire confiance aux gens rapidement. C'était mon côté fleur bleue.

« Tu faisais partie d'un club dans ton ancien lycée ? me demanda-t-elle tout à coup, me coupant dans mes réflexions.

- Pas vraiment. Pendant un temps, j'ai fait partie du club de lecture et puis mon emploi du temps ne collait plus...

- Est-ce que le club de journalisme t'intéresserait ? Nous avons lancé des candidatures avant la rentrée mais les élèves sont un peu moins séduits par l'information et les éditos que par les jupes des pom-pom girls et les toiles des artistes... Je le dirige avec une amie, on aurait bien besoin d'une troisième main. »

Je lui souriais, touchée. Ça ressemblait beaucoup à un geste désespérée mais c'était amusant que ce soit vers moi, la personne qu'elle ne connaissait pas, que Nora s'était tournée. Je me sentis tout à coup plus qu'une simple nouvelle et le ciel houleux de ma rentrée parut s'éclaircir.

« J'y réfléchirai, répondis-je doucement. »

Nora me sourit et nous terminâmes le repas sur les dernières choses qu'il fallait savoir pour bien comprendre la vie des élèves de St Berry. Ensuite, elle insista pour me donner son numéro et quand il fut entré dans mon répertoire, nous dûmes retourner en classe. J'avais quelqu'un. C'était encore une relation balbutiante, mais au moins, je n'étais plus seule.

OoOo

Quand la sonnerie de ma dernière heure retentit, j'eus comme le sentiment qu'on me libérait de prison. La bagnarde que j'étais se traîna jusqu'à la sortie, libérée de son poids mais encore trop habituée à sa présence pour m'en réjouir. Arrivée à la grande porte, je saluai Nora qui s'était assise à côté de moi en maths et je m'empressai de rejoindre le bus avant qu'il ne démarre. J'eus à peine le temps de monter avant que les portes ne se referment. Francesca était là, mâchonnant un bâton de glace. Du coin de l'œil, elle me glissa un petit regard. Sans vraiment me regarder, puisque la route demandait toute son attention, elle me lança un sourire.

« Alors, ce premier jour ? me demanda-t-elle de sa voix rocailleuse.

- Je crois que j'ai survécu.

- Va vite t'asseoir, alors. Ce serait bête de te tuer maintenant. »

Je me retournai pour retrouver ma place quand je surpris tous les regards du bus épier le moindre de mes faits et gestes. Evidemment, j'étais bêtement restée debout à attendre que la conductrice veuille bien m'adresser la parole. Je me sentis rougir et me glissai vite à la même place que ce matin, loin de tout. Maintenant qu'on savait que j'étais nouvelle, on faisait attention à moi. Mortifiée par cette soudaine timidité qui ne me ressemblait pas, je prenais mon téléphone et mon baladeur pour me réfugier dans mon univers. Puis je vérifiai mes messages que je n'avais pas ouverts de la journée. Keira m'avait harcelé d'une quinzaine de message. Les trois premiers me décrivaient sa classe en détail, de ses camarades et de ceux qui lui demandaient où j'étais passée. Ensuite, les messages se concentraient sur le déroulement de sa journée et de la manière dont elle avait réussi le test de rentrée de la très sadique Kmittel, notre ex-professeure de physique. Enfin, le dernier message s'inquiétait à mon sujet, voulait savoir dans quel état j'avais fini ma journée et si j'étais toujours vivante après cette rentrée sans elle. Ma réponse vint naturellement.

Carly. :

Tout va bien, je suis encore en vie. J'ai survécu à la rentrée. Ma classe à l'air cool, y a même mon voisin dedans mais je ne sais pas si je pourrais lui parler. Une fille est venue me parler. Elle est sympa.

J'eus aussitôt une réponse.

Keira. :

Ouf. J'avais peur que ma meilleure amie ait connu un terrible destin en cette fatidique journée. J'espère qu'elle saura me remplacer dignement et faire de ta vie un véritable paradis.

Carly. :

Un véritable paradis ? Sur l'échelle de la catastrophe, tu es le Titanic, Keira.

Keira. :

Tout de suite les grands mots... Je suis juste originale. C'est tout.

Carly. :

C'est comme ça que je t'adore. On se retrouve ce soir pour un petit skype ?

Keira. :

Ça marche. Je dois aller bosser de toute manière ! A tout'.

Je voulus lui répondre mais mon message ne s'envoya jamais, même après quelques tentatives et je finissais par laisser tomber. Cette conversation avait presque fait passer le voyage du retour plus vite et je dus bientôt me lever de mon siège. Une partie de la population du véhicule avait déjà quitté le navire et j'étais presque la dernière à descendre. Quittant mon siège, j'en profitai pour saluer Francesca et quand les portes s'ouvrirent, je quittais à mon tour le bus pour mieux le retrouver demain. Le chemin à pied me parut moins éprouvant quand je marchai et je me félicitai de ne pas avoir à courir comme ce matin. Puis ma maison apparut, et celle de Seth aussi, et je notai qu'il n'était pas rentrée. Il n'y avait aucune trace de son vélo. Haussant les épaules, je me précipitai vers ma porte. Je voulais retrouver ma chambre, mon chat et végéter.

OoOoO

Ma mère m'avait prévenu qu'elle rentrerait tard et je dus me rendre à l'évidence que j'allais encore devoir manger seule. A New-York, c'était monnaie courante. Ma mère aimait tellement son travail qu'elle pouvait disparaître des journées entières dans ses bureaux et dans la pièce qui lui servait d'atelier quand elle était à la maison. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Elle faisait ce qu'elle aimait. Tant qu'elle était heureuse, j'étais une enfant comblée et ce n'était deux ou trois soirées par semaine seule qui allait me refroidir. Et puis c'était l'occasion pour moi de tester la nouvelle recette que Keira m'avait envoyé.

Un repas satisfaisant plus tard, j'étais prête à ne rien faire jusqu'à ce que l'heure d'aller au lit m'attire dans ma chambre. Pampy s'était joint à moi pour une séance de zapping dont seul moi avais le secret. Nous nous installâmes donc dans le canapé ensemble, en bon maître et bon chat, et je pris la décision de commencer mon zapping sur la chaîne locale. C'était encore les informations et j'hésitai grandement à changer de chaîne quand je fus attirée par le reportage qui était en train de passer.

La présentatrice du journal nous expliquait à grand recours de sourire Colgate que la fête d'automne serait cette année sur le port et qu'on aurait l'occasion d'assister à frégate. Derrière elle, sur l'écran de retransmission se dessinaient les silhouettes longilignes des bateaux du port rongées par la lumière d'un ciel de fin d'été. Toujours souriant, la présentatrice poursuivit son petit topo en attirant l'attention sur le gagnant de la dernière frégate organisée par la ville et qu'elle ne fut pas ma surprise de voir l'envoyée spéciale, encore une femme aussi souriante que sa consœur, en compagnie de mon voisin.

Je réprimais un petit rire. Incroyable, Seth Potter était une véritable célébrité locale. Pas étonnant qu'il s'offusque que je ne le reconnaisse pas. Je décidai tout de même de changer de chaîne avant qu'il ne parle, d'une part parce que sinon, ce n'était pas une soirée zapping et d'autre part parce que je trouvais que cette coïncidence me plongeait beaucoup trop dans une espèce de roman à l'eau de rose pour que je puisse en supporter une minute de plus. Je voyais déjà le pitch : elle déménage et rencontre l'homme de sa vie qui est la star de la ville. Avec ça, j'étais sûre de faire un carton.

Je tombai finalement sur une chaîne de clip et décidai d'ouvrir le journal à la recherche d'un petit boulot. M'intéressant à la télé d'une oreille distraite, je parcourais d'un regard les petites annonces. Dans mon ancienne et paisible vie, j'avais été embauché par une petite librairie en intérimaire. Les patrons étaient vraiment sympathiques et les affaires marchaient bien. Nous avions une petite clientèle et tous les employés se connaissaient personnellement. C'était comme une famille et ça aussi, ça me manquait. Travailler avait aussi rudement changé ma manière de faire les choses. J'étais toujours aussi désordonnée mais au moins, toutes les bibliothèques de la maison étaient soigneusement rangées. Plus sérieusement, ce petit boulot avait fait ressortir le meilleur de moi-même tous les jours, je m'étais investie jusqu'au bout et présent ma démission avait été un véritable déchirement. A présent, j'allais devoir me passer de la délicieuse odeur d'un ouvrage neuf et de mes excuses pour lire toute la journée, même au travail.

« Baby-sitter ? relevai-je, pensive. T'en pense quoi, Pampy ? »

Mon chat miaula pour désapprouver. A traduire littéralement par quelque chose du genre : « ne vas pas t'occuper d'enfants quand tu n'es même pas capable de changer une litière sans en renverser la moitié de son contenu à côté de la poubelle. » Ce chat était un amour. Et puis, de toute manière, je n'étais pas faite pour m'occuper d'enfants. Je préférai quelque chose de plus sociale. Pourquoi pas un petit boulot dans un café ou un magasin ? Je parcourus donc le reste des petites annonces d'un œil hagard quand tout à coup, je la vis. La petite annonce qui allait sauver mes soirées passées seule à la maison. Un café recrutait en ville un employé à mi-temps pour assurer le service en fin de journée et pendant le week-end. Ce n'était pas comme vendre des livres mais j'étais à peu près sûre que circuler entre des tables avec un plateau garni et circuler entre les clients avec des cartons pleins de livres revenait sensiblement à la même chose.

P;Ӡ]

Et oui, j'ai changé d'avis ! Je poste le vendredi finalement. Pourquoi donc ? Parce que le samedi est une des journées les plus chargées de la semaine et demain j'ai une réunion pour un projet et beaucoup, beaucoup de rangement. Du coup, je me suis dit, je vais poster le vendredi, en revenant de la danse comme ça je peux écrire pépère pendant le week-end. 

Voilà donc le chapitre 3 ! 

Est-ce que le personnage de Nora vous plaît  ? J'ai essayé de retravailler le style suite à la remarque d'une lectrice (que je remercie d'ailleurs pour ces commentaires instructifs). Il n'y a pas vraiment d'action dans ce chapitre mais ne vous inquiétez pas, ça vas pas tarder à bouger. Enfin... rien de folichon, hein. 

Bref, j'ai hâte d'avoir vos retours (constructifs ou non) ! Je tiens à remercier ceux qui ont voté et commenté les précédents chapitres et qui par la même occasion, ont ajouté l'histoire à une liste de lecture ! 

Si vous êtes tout frais, n'hésitez pas à laisser un commentaire, un petit vote et après tout, pourquoi ne pas partager cette histoire ? ;)

A bientôt ! 

E.


P.S. : Promis, après je me tais. Je ne suis pas sûre de pouvoir poster la semaine prochaine. J'accueille des correspondantes norvégiennes chez moi et je risque de ne pas traîner souvent sur la plateforme. Mais au cas où, je réponds toujours aux commentaires (le plus vite possible, cela va de soi !). Du coup, je me rattraperai, c'est promis !

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à m'envoyer un MP ! :)

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