Chapitre 02



Je remuais encore une fois ma cuillère dans mon bol de céréales. Cette opération matinale, si peu importante fut-elle, semblait pouvoir m'occuper tout le long de mon petit déjeuner, au point que j'en venais à oublier le temps qui s'écoulait. C'était sûrement là la raison de mes nombreux retards quand j'étais encore à New-York et je sentais que ma mère ne permettrait pas qu'il se passe la même chose à Blueberry Harbour. C'était à peu près la seule chose qui me restait de notre longue discussion de pré-rentrée alors que nous arrangions les derniers tiroirs de la cuisine après la dernière livraison de nos meubles. Enfin, il y avait cette histoire autour de mes notes et de mon comportement. Il ne fallait pas croire que j'étais du genre perturbateur. Disons que j'avais tendance à me croire en cour de récréation dans des classes où rigueur et sérieux étaient de pairs. M'enfin, ce n'était pas un des petits sermons de Sam Green qui allait changer la Carly que j'étais.

En parlant de Sam, celle-ci déboula dans la cuisine, totalement paniquée. Dans une main, elle tenait une petite sacoche et son carton à dessin et dans l'autre, son porte-clés. Ma mère passa devant moi sans même me remarquer, attrapant son thermos de café au hasard sur la table de la cuisine

« Carly, je suis en retard, soupira-t-elle totalement surpassée par les évènements. Madame Potter doit déjà m'attendre dans sa voiture... Est-ce que je suis bien, comme ça ? »

Sam me regardait, tournant inlassablement sur elle-même. Ma mère était toujours adorable le lundi matin. Pleine de vie, habillée coquet, ses boucles blondes relevées en une queue de cheval propre et ce sourire enfantin. Evidemment, il suffisait que vous repassiez le mercredi pour voir que les bonnes résolutions du début de semaines s'étaient déjà envolées avec les beaux habits et les tenues bien soignées. Mais c'était ainsi que ma mère était et ça ne me surprenait plus vraiment au bout de dix-sept ans de vie commune. Je réalisais que Sam attendait toujours sa réponse et que le temps lui était probablement deux fois plus compté que le mien.

« M'man, tu es parfaite ! la rassurai-je en m'étirant. Et tout va bien se passer. Tu es une battante.

- Enfin, je me dis... et si les autres au bureau n'aimaient pas mes dessins ou mes concepts ? s'inquit-elle en se crispant autour de ce qu'elle tenait.

- Ne dis pas n'importe quoi ! la grondais-je. C'est toujours très bien ce que tu fais !

- Oui mais toi, tu es mon plus grand fan... »

J'haussai les épaules et tirai la langue à ma mère. Cette dernière m'adressa un petit sourire et jeta un coup d'œil à sa montre tandis qu'elle tirait sa jupe de tailleur d'un geste nerveux.

« Et toi pour ton premier jour ? me demanda-t-elle sans vraiment me regarder. Ça ira ? Tu ne veux pas qu'on te dépose ? C'est sûrement sur le chemin.

- Oui, ça ira, m'man... soupirai-je. Et non, je vais prendre le bus.

- Sûre ?

- Ouais, ouais. »

Ma mère hocha la tête et disparut de la cuisine. Elle enfila ses chaussures, me cria quelque chose d'important sur le pain pour ce soir et s'en alla, claquant brusquement la porte de la maison. Je me retrouvai seule dans la cuisine, avec des céréales beaucoup trop molles pour avoir encore du goût et un lait tiède. Pamplemousse, qui guettait toujours le départ de ma mère pour faire des choses interdites comme monter sur la table de la cuisine, sauta sur cette dernière. Nous nous dévisageâmes un instant puis je poussai mon bol de céréale molle vers mon chat qui se jeta sur ce dernier sans demander son reste. Il y avait toujours un heureux, le jour de la rentrée.

« Bon, ce n'est pas tout matou, mais moi, j'ai cours... »

Débarrassant rapidement le reste de notre petit-déjeuner, je filai à l'étage pour finir ma toilette. J'avais trouvé dans mes valises un vieux t-shirt que je n'avais pas mis depuis la rentrée dernière selon les anciennes photos de mon téléphone. Pour moi, c'était la dernière année au lycée. Mais c'était aussi la première sans Keira. Alors si j'avais ce t-shirt sur moi, c'était un peu aussi comme si Keira avait été avec moi en ce jour fatidique de début septembre.

Ce petit moment de nostalgie fut suivi d'un instant de panique général quand je découvris que j'allais rater mon bus. Totalement confuse, je me précipitai dans ma chambre, attrapai mon sac préparé la veille et dévalai les escaliers. Sans faire attention à Pamplemousse qui essayer de noyer le dernier cornflake dans la dernière goutte de lait, je me saisis de mes clefs et ouvrait la porte à la volée. Je n'avais peut-être personne à qui crier « bonne journée » mais j'étais amusée de voir que la même scène se produisait en face chez mon voisin. Puis, alors que le bus scolaire dépassait ma nouvelle maison, j'oubliai toute dignité et m'élançai sur le trottoir pour ne pas rater mon bus.

Finalement, j'eus le bus juste à temps. Ce n'était pas étonnant, j'étais une experte en sprint depuis ma plus tendre enfance. En même temps, le bouledogue enragé de ma voisine du troisième était un excellent entraîneur. Arrivée devant la porte coulissante, mon cœur rata un battement. C'était un peu ma première épreuve de la matinée. Pas la plus effrayante. Mais je ne pouvais pas cacher mon angoisse.

« Toi, tu es nouvelle ! s'exclama la chauffeuse, une brune plutôt âgée dont le regard noir était pétillant de vie. Alors, si tu n'as jamais pris le bus de ta vie, je te signale qu'il faut monter pour que je puisse vous amener à l'heure en cours. »

Puis elle m'avait lancé un petit clin d'œil espiègle et je ne pus m'empêcher de sourire. La pression ne s'était pas complètement envolée mais je me sentais déjà mieux. Je grimpai dans le bus et présentai à la conductrice le badge de mon nouvel établissement. Elle me le piqua et inspecta ma photo puis releva son visage bienveillant vers moi.

« Carly Green, hein ? souligna-t-elle. C'est un joli prénom, Carly. Je connaissais un canari qui s'appelait Carly.

- Ah, je suis honorée ! murmurai-je. J'ai toujours voulu être réincarné en canari.

- Eh beh, y en a qui font de l'humour dès le matin, hein ! répondit la conductrice en me souriant. Installe-toi, je ne voudrais pas nous mettre tous en retard, maintenant. »

Je lui souriais poliment et m'engageai dans l'allée principale du bus. La plupart des élèves déjà présents étaient entassés au fond du bus, sagement rangés en petits groupes d'intérêts. Personne n'avait remarqué ma présence dans le véhicule et j'en profitai pour me glisser à un place libre où personne ne pourrait me remarquer. Posant ma tête contre la fenêtre, je vis Seth Potter filer à toute allure sur son vélo et un petit sourire éclaira mon visage. Si jamais nous n'arrivions pas à nous entendre, j'avais déjà une petite idée de ma vengeance.

J'attrapai finalement mon baladeur MP3 et posai mon casque sur mes oreilles. J'avais besoin d'une musique qui allait me donner la pèche pour survivre à cette première journée. Keira avait installé sur mon baladeur ses chanteurs et groupes préférés et j'étais loin de partager ses goûts. Puis, au hasard, entre deux chansons d'un boys band mondialement connu, je trouvai la pépite. C'était le genre de musique qui avait le don de me donner la pêche. Avec ça, je pouvais affronter un sumo et un ninja en ne m'aidant que d'un seul doigt et, si jamais vous auriez aimé essayer, je pouvais vous garantir que ce n'était pas une mince affaire.

Me laissant aller un peu plus contre la vitre, j'essayai de sortir de mon esprit le manque que je ressentais. A cette heure-là, ma meilleure amie aurait dû se trouver à côté de moi. Nous aurions regardé certaines filles se remaquiller et quelques garçons rire bêtement puis nous aurions fantasmé sur David Tenant et son incroyable prestation dans Doctor Who. Le trajet aurait défilé à une vitesse vertigineuse à tel point que nous aurions presque été déçues d'être arrivées au lycée. Il aurait bien fallu se lever, quitter notre siège et la chaleur de l'habitacle pour l'extérieur sauvage. Puis Keira m'aurait tendu le bras et nous nous serions jetées ensemble dans la cambrousse lycéenne, prêtes à tous les mauvais coups pour survivre un jour de plus.

Aujourd'hui, j'étais seule. Pas de Keira pour me rassurer, pour affronter avec moi les dangers de la jungle et les curieux. Je n'avais qu'un plan pour me guider, un morceau de papier à qui on ne pouvait même pas se confier en cas de grandes crises existentielles. Enfin. C'était la dernière ligne droite avant l'université, ça valait bien le coup de se lancer à l'aveuglette dans une mer pestilentielle d'adolescent en crise.

OoOoO

Je m'étais installée à l'avant dernier rang de ma salle de cours, près de la fenêtre. C'était un peu la place que j'affectionnai le plus. Il fallait savoir qu'une de mes activités favorites quand je décrochai en classe était de regarder dehors. Pas pour voir de misérables petits points flous dans la cour mais pour observer le ciel et rêvasser. Je prenais alors un temps pour me souvenir des grandes lignes de mes dernières lectures. Je devenais Cathy dans les Hauts des Hurlevents, à la recherche désespérée de mon amour perdu Heathcliff et je parcourais les nuages, riant au vent, libre. Jusqu'à ce que mon professeur me ramène doucement sur terre et que je comprenne que j'étais toujours en classe.

Amusée – voir dépitée – par mon propre comportement, je regardai les dernières places se remplirent doucement tandis que je découvrais mes compagnons pour une l'année. C'était amusant de voir la manière dont ils se saluaient tous, signe qu'ils se connaissaient tous depuis leur plus tendre enfance et que je relevai plus de l'inconnu au bataillon que du nouveau soldat qui allait très vite se fondre dans la masse. Ce fut autour de mon professeur d'entrer. Ce dernier ne nous salua pas, rejoignit rapidement son bureau et prépara ses affaires en prenant son temps. Il n'avait pas l'air de se préoccuper de nous jusqu'à ce qu'il se dirige vers la porte où visiblement, un élève faisait barrage, trop occupé à crier quelque chose à quelqu'un dans le couloir.

« Potter... soupira-t-il dépité en se pinçant l'arête du nez. Si vous pouviez arrêtez de boucher l'entrée de ma salle avec votre insolente silhouette, je vous en serai gré. »

Nota bene : ma vie ressemblait de plus en plus à un roman à l'eau de rose et ça ne me plaisait pas du tout. Instinctivement, je repensai à notre fortuite rencontre et me tassai sur ma chaise. Avait-il déjà raconté à toutes ses connaissances à quel point j'étais maladroite ? Avait-il déjà signé mon arrêt de mort social ? C'était peut-être pour ça que personne n'était venu me parler et...

« Salut les jeunes, s'exclama-t-il enjoué. Pour ceux que j'ai eu l'année dernière et que j'ai le malheur de retrouver cette année, pas la peine de me présenter. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis le professeur Emett Finnigan et j'enseigne la littérature à tous les élèves qui voudront bien m'écouter vanter les mérites des plus grands auteurs. J'espère que vous avez choisi ce cours pas intérêt parce que je n'aime pas le troubles fêtes. J'enseigne aussi l'anglais et la philosophie, donc s'il m'arrive de confondre mes matières, qu'à cela ne tienne, nous ferons des heures supérieures. Bien, maintenant que les présentations sont faites, je vais faire l'appel. »

Visiblement, ce discours, qui m'avait alarmé dès l'entente d'heures supplémentaires, avait l'air d'amuser grandement la galerie. Monsieur Finnigan était donc un homme charmant et plein d'humour. Super. Il avait probablement l'âge de ma mère et je m'étais étonné de voir un professeur aussi chic dès la première heure. Connaissant ma chance légendaire, je me retrouvais souvent avec comme référent une personne dont les bonnes manières s'étaient subitement envolées pendant l'été. Finnigan, lui, avait l'air propre sur lui et à son sourire, il semblait très heureux de retrouver les bons vieux bancs scolaires et les tableaux blancs sur lesquels on use les markers de l'administration avec un certain plaisir.

Finnigan se mit à lire nos noms sur la liste tandis que les élèves répondaient au quart de tour en levant le bras pour signaler leur présence et lâchai un petit oui à l'entente de leurs options. Vu de l'extérieur, cet exercice semblait d'une facilité déconcertante... Il suffisait juste de lever la main et ensuite de dire oui. Ce n'était pas comme si tous les élèves dans cette pièce avaient l'air de se connaître depuis le jardin d'enfance et que moi... Eh bien, j'étais nouvelle. A cette idée, je tremblais déjà de timidité et je sentais mes joues qui chauffaient. J'allais véritablement ressembler à une tomate si ça continuait. Et clairement, je n'avais pas envie qu'on débatte sur mon appartenance à la famille des fruits ou celle des légumes le restant de l'année.

« Oh, intéressant... souffla soudain le professeur en s'arrêtant à ce qui semblait être mon prénom. Carly Green ? »

Il y eut un petit silence dans la salle pendant que vingt et une paires d'yeux se tournaient vers moi, toutes plus curieuses les unes que les autres. Le professeur leva pour la première fois les yeux de sa fiche et ses iris verts croisèrent les miennes. Je fus frappée par l'intensité de son regard. On aurait dit Dumbledore, je n'en revenais pas. Il toussota, visiblement troublé et relut la feuille, avec un peu plus d'assurance.

« Carly Green, option science physique et histoire, si c'est bien vous, je vous prierai de réagir comme une élève normale et de vous signaler en levant la main.

- Euh... oui... pardon. »

Je levai la main, rougissante alors que je sentais le regard perçant de Seth dans mon dos. Il avait choisi la place juste derrière moi et même s'il n'avait pas fait savoir qu'il était là, j'avais senti son regard dans mon dos tout le long de l'appel. Jusqu'à ce qu'il ricane de me voir si gênée.

« Est-ce que vous êtes du Maine ? me demanda le professeur, curieusement.

- Non, j'habitais à New-York avant. »

Il y eut un murmure enthousiaste du côté droit de la classe et un regard rapide dans cette direction m'indiqua qu'il venait surtout d'un groupe de fille qui m'avait tout de suite intimidé quand elles étaient entrées en classe. Un vrai gang de mannequins à qui le maquillage n'apporte rien de plus qu'une touche d'originalité sur le visage de la perfection. Elles n'avaient pas l'air bien méchant mais je ne m'approchai généralement pas de ce genre de groupe. Question de santé mentale.

« Eh bien, j'espère que le Maine vous plaira. L'air marin vous fera sûrement du bien... m'encouragea gentiment Monsieur Finnigan. »

Essayant de me faire oublier, je me tassai encore sur ma chaise, priant pour qu'il me reste encore quelques centimètres de marge au cas où la situation pourrait empirer. Tout était trop tard pour s'enfuir en courant, maintenant. J'étais là, dans l'arène, seule. Et Keira n'était même pas là pour me balancer le glaive du salut. Cette journée allait être un véritable carnage. 

Et voilà ! 

J'aime bien ce chapitre ! Carly fait son entrée dans la classe et manque de bol, chaton l'Impoli y est aussi. Que pensez-vous donc de la relation mère-fille ? De la mélancolie de Carly quand elle pense à sa vie d'avant ? Et du professeur Finnigan ? (je vous rassure de suite, ce n'est pas un roman prof/élève... xD)

Sinon, n'hésitez pas à me faire part de vos remarques (bonnes ou mauvaises, soyez sincères !), votez, partagez et on se retrouve prochainement pour la suite ?

A samedi ?

Elwyn.

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