Chapitre 9 : Toi, la télé et moi
Armé de mon téléphone portable converti en GPS dernière génération, je navigue dans les rues de cette mocheté de ville. Il s'avère qu'Ezéchiel habite à l'autre bout du monde par rapport à moi — je suis à vingt minutes de la gare, lui, il est juste en face, pour donner un ordre d'idée. Sa résidence est un peu cachée dans une grande avenue, derrière de lourdes portes en fer. Je ne suis absolument pas rassurée par cette montagne qui se dresse devant moi et j'en hésite même à sonner. Heureusement pour moi, une personne passe cette même porte dans le sens inverse et j'en profite pour me faufiler comme une fouine.
Me retrouvant au milieu de la cour de la résidence, je fixe le bâtiment avec un air de déjà vu assez puissant. Je plisse les yeux comme une mamie qui réfléchit trop et soudain, c'est l'illumination.
Je me revois en juillet, en sueur comme un bœuf — cette comparaison n'est pas flatteuse, mais c'est l'entière vérité — visiter cet endroit seule parce que si ma mère sortait de la voiture, elle s'évanouissait — il faisait très chaud ce jour-là, vraiment beaucoup trop chaud. Les appartements étaient particulièrement horribles, il y avait des cuisines dans des salles de bains et des loyers beaucoup trop élevés. Mais le pire là-dedans était l'arrogance de l'agent immobilier et sa suffisance. À y bien réfléchir, je lui aurais bien fait bouffer sa pochette par petits bouts. Cet agréable monsieur croyait déjà que j'allais prendre un appartement dans cette chose que l'on appelle une résidence. Je ne me suis pas gênée pour lui dire ma façon de penser, avec le moins de salive possible.
— Non.
C'était simple, efficace et ça lui avait fait disparaitre son sourire en deux secondes. J'en avais ri jusqu'à la voiture pour rentrer.
J'appelle donc Ezéchiel pour qu'il vienne m'ouvrir et je le salue avec un sourire lorsqu'il se matérialise devant moi. Il me guide dans les couloirs que je zieute toujours avec mes yeux plissés, comme s'ils allaient m'attaquer dans la seconde. Mon ami, lui, est mort de rire.
— Je peux savoir ce qui te prend Ludivine ? On croirait une militaire en mission d'espionnage.
— Je suis venue visiter ces appartements lorsque j'ai déménagé en juillet. Je suis assez suspicieuse. J'ai souvenir de configuration bizarre de salle de bain et d'un agent immobilier bien trop sûr de lui.
— Alors t'es au bon endroit. Mais comment dire, j'ai eu de la chance, personnellement. Mon appartement est plutôt normal, dans le genre.
Il déverrouille une porte violette en deux tours de clefs, sous les yeux de quelques locataires passant par là. J'ai toujours l'air de débarquer d'une planète lointaine, avec mes yeux plissés et mon corps un peu tordu, comme si je me méfiais de tout et de tout le monde, sauf de mon accompagnant.
— Tada ! C'est pas aussi cool que chez toi, mais on y vit bien, excepté le bruit qui m'empêche de bosser.
Je me tourne vers cet intérieur offert à mes yeux et là, je manque de me casser la figure. Non seulement je me prends les pieds dans le tapis, mais je connais bien ce lieu, puisque je l'ai visité. J'en étais raide dingue amoureuse. Je le voulais de tout mon petit cœur d'étudiante, mais la chose était beaucoup trop chère pour moi. Saleté d'agent immobilier.
— Tu te moques de moi, hein ? Il est tellement génial, cet appart. Il y a un véritable coin cuisine, des chaises hautes, une salle de bain normale, de jolies couleurs. Non, franchement, c'est le pied.
Une boule de poil toute grise vient de frotter à mes jambes, comme attirée vers moi. Je reconnais le chat Caillou, que je prend dans mes bras. Il est tout doux et se laisse faire, même avec une inconnue. J'en connais un qui devrait en prendre de la graine.
— Bon, alors, quel est le problème avec tes voisins ? Je n'entends rien.
— Attends. Le spectacle commence dans une minute et cinquante-cinq secondes.
Je m'assieds donc sur le canapé et observe les alentours. Ezéchiel est dans la cuisine, et semble mettre le four en marche. J'ai déjà faim, rien qu'à l'idée de manger une pizza. Le chat sur mes genoux aussi, il n'arrête pas de gigoter. J'essaie de le calmer, de lui faire des caresses. Et c'est à ce moment-là que mes oreilles se font violemment attaquer. Par de la musique. Enfin, je devrais dire du bruit un peu électronique qui pourrait faire exploser mon cerveau.
— Voilà. Ils sont deux à faire ça, ils sont potes et ont des appartements collés. J'ai vraiment rien contre la transe, mais aussi fort et aussi simultané, ça me cassé vraiment les oreilles. Est-ce que ton génie peut faire quelque chose contre ça ? Est-ce que tu peux me régler ce problème ?
Comme je suis une super vilaine qui s'organise, j'ai pris quelques cours auprès de mon amie Patatas Fritas — c'est ainsi qu'elle se fait appeler — qui aime bien bidouiller dans le hacking. Je sors mon fidèle Hervé de mon totbag et je commence à m'amuser, sous les yeux franchement admiratifs de mon ami.
— Qu'est-ce que tu comptes faire Ludivine ?
— Je vais m'amuser à hacker leur Bluetooth et passer une de mes musiques, pour les faire tourner en bourrique.
— Tu peux le faire ? Avec ton ordi ?
— Ouais, j'ai appris ça. Et puis, les enceintes ne sont pas très protégées, c'est ça qui est super pratique.
En effet, je n'ai qu'à aller me promener dans les paramètres de mon ordinateur pour retrouver ce qu'il me faut. Je demande le code wifi à l'habitant pour pouvoir activer Spotify.
— Une idée sur la musique ? Sinon, je leur lance ma liste de lecture des années soixante-dix, mais c'est à tes risques et périls.
— Ha bon ? Pourquoi ?
Je ris en baissant la tête. Il n'est pas prêt pour ça, et c'est un peu contre-productif pour moi, parce que ce n'est pas en me mettant à chanter comme une casserole et en me dandinant sur Mister Bleu Sky que je vais le séduire. Bien au contraire.
— Parce que j'adore ce style de chansons et que je me lâche un peu.
— C'est la faute des Gardiens de la Galaxie ?
J'ai comme une illumination, comme si le soleil était de mon côté. Il apparait comme une personne absolument merveilleuse, parce que je voue une admiration sans bornes à ces super-héros.
— Exactement. Alors, ça te va ?
— Carrément.
— J'envoie la sauce.
Je tape quelques trucs sur mon ordinateur, je me sens toute puissante et j'attends. Le temps qu'Hervé se connecte aux enceintes de ces deux rigolos et que la musique se lance, je fais un grand sourire à Ezéchiel, qui me le rend au centuple. Je craque comme du fromage. Lorsque les premières notes de Mister Blue Sky retentissent dans les appartements autour de nous, je balance le pauvre Hervé à côté de moi, manquant de tuer ce pauvre Caillou dans l'exercice et je me lève pour danser. Contre toute attente, le jeune homme aux cheveux roses me saisit les mains et commence à me faire tourner, en riant comme un bienheureux.
— J'ai bien eu raison de t'inviter Ludivine, tu mets de l'ambiance chez mes voisins !
— Je sais, je sais, et en plus, je crois qu'ils n'ont même pas encore compris ce qui s'est passé. Ils sont juste en train d'insulter leur pauvre enceinte.
On se marre comme des loutres tout en continuant à danser. Mon ventre gargouille et la pizza sonne au même moment.
— Allez, viens manger.
Je reprends mon souffle, je m'installe sur les sièges hauts qui me font de l'œil depuis tout à l'heure et je le regarde faire, avec un grand professionnalisme. Il dépose la quatre fromages sur la table, et attrape une roulette pour couper.
— Je savais que t'aimais bien, alors... C'est une recette perso, c'est pas la même qu'au restaurant.
Je ne suis qu'une mozzarella.
— Merci beaucoup, c'est super gentil.
— Et puis, le fromage fondant, ça fait super romantique. Enfin, dans mon imagination.
Je sursaute. Comment ça, romantique ?
— Hein ?
— Bah je croyais que c'était clair avec le coup de la musique de Bénabar. Tu me plais, Ludivine.
D'accord. La mozzarella vient d'exploser.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top