Je suis allongée sur mon lit, mon chat contre mon ventre. J'écoute de la musique tout droit sorti de How I met your mother — à défaut d'avoir un bon scénario, ils ont une bonne bande son — et je tiens une serviette en papier dans la main. Je l'observe sous toutes les coutures et ce, depuis presque une semaine. Non pas que je sois particulièrement intéressée par sa douceur ou sa technique de fabrication, mais par ce qui est écrit dessus. C'est affreusement cliché, ça, c'est sûr. Mais la vie l'est elle-même, alors je ne vais pas m'attarder là-dessus.

Sur la serviette en papier se trouve tout d'abord un dessin. C'est une part de pizza avec un masque qui cache l'identité — dans le langage courant, on appelerait ça un masque de super héros, mais comme je suis une super-vilaine, ça ne passe pas. La pizza est à l'ananas, parce que sinon, ça ne serait pas drôle. Et comble de tout ça, elle parle, puisqu'il y a une petite bulle à côté d'elle.

« Team super vilains yeah ! »

Et en-dessous de tout ça, il y a une chose absolument effrayante. Flippante au possible, que dis-je. En dessous, il y a un numéro de téléphone. Celui d'Ézéchiel, pour être plus précise. Il est entouré par des petits traits, comme s'il brillait. Et j'ai l'impression qu'il va me bouffer tout cru. Oui, une suite de numéro me fait peur.

— Chinchard, faut que tu me donnes du courage.

— Miaou.

— Merci Chinchard.

Ce chat est le meilleur. Je l'utilise d'ailleurs pour briser la glace. Je le vire de mon ventre et le prends en photo. Il fait une tête de Krokmou, avec ses yeux bleu et son pelage tout noir. Il est tout replié sur lui-même, beaucoup trop mignon. Si l'autre derrière son écran ne craque pas, je déclare forfait. Et je change de partenaire dans le crime.

De : Chinchard le plus beau

A : La Flippance avec un grand F

Ma maîtresse étant trop effrayée et lâche pour faire quelque chose, c'est moi, le chat, qui doit prendre les choses en main pour te contacter (parce que mon pauvre tu dois l'avoir oubliée, depuis le temps)

J'envoie le tout en inspirant bien fort. Avec la chance que j'ai, il ne va pas me répondre, en décrétant qu'il me manque sérieusement une case — je pense que c'est même plus une case, mais un cube complet. J'attends tranquillement, en reprenant mon ordinateur. Il faut que j'avance dans Stargate Atlantis, parce que les situations sont de plus en plus rocambolesques. Et puis, regarder le colonel Shepard s'affairer sur les planètes extraterrestre me fera sans doute chasser Ezéchiel de ma mémoire. Sauf qu'on ne me laisse pas le temps de baver sur le militaire américain : mon téléphone vibre avant.

De : La Flippance avec un grand F

To : Chinchard le plus beau

Ici Caillou, le chat d'une certaine personne. Cette certaine personne ne t'as pas oubliée, bien au contraire. Cette certaine personne est d'ailleurs très heureuse que nous, chats, nous communiquions à vos places. Parce que tu comprends, mon cher Chinchard, que cette certaine personne avait peur d'avoir fait une bêtise, à la pizzeria (bien que je ne sache pas, j'étais confortablement installé sur mon fauteuil à ronronner comme un bien heureux). Si tu as envie, cette certaine personne te propose de reprendre les téléphones des pattes de nous, chats, pour communiquer comme deux véritables êtres humains.

J'éclate de rire et observe la photo qu'on m'a envoyé. Caillou, le chat d'Ézéchiel, est tout gris, comme un...caillou. Son nom semble très logique et ça me fait plus encore rire.

> Ton chat est très mignon. Pas autant que toi, ou que mon Chinchard d'amour, mais quand même.

Ma main dérape avant que j'ai pu faire quoique ce soit et j'envoie ce message absolument affreux. Je hurle dans tout l'appartement en me levant précipitamment de ma place et en fait déguerpir la bestiole vers son panier requin.

— Je suis morte. Il va croire que je le drague. Enfin, j'aimerais bien hein, mais j'ai oublié le mode d'emploi. Il va penser que mon but est pas assez super vilain et je vais être radiée de l'ordre de la vilainerie. C'est une catastrophe.

> Je te renvoie le compliment. Dis-moi, chère amie dans la crime, est-ce que ça te dirait de refaire une action contre des voisins bruyants ? Les miens semblent déchaînés ce soir.

J'observe mon téléphone avec des yeux de poisson. Non seulement il trouve que je suis mignonne mais en plus, il m'invite à être vilaine. C'est absolument parfait.

> Avec plaisir. Que puis-je faire ?

> Je te propose de venir tâter le terrain dans ma résidence, si tu es libre. On pourra manger des pizzas (toi la télé et moi)

Nouveau rire, suivi de près par une transformation en tomates peu fraîche, à la couleur flirtant avec le bordeau. Je suis ridicule tout de même.

> Avec plaisir ! (la perspective de manger de la pizza est grandement appréciable)

Il m'envoie son adresse et je commence à préparer mes affaires : je fourre mon ordinateur, aussi appelé Hervé, dans un totbag et enfile une écharpe qui me sert aussi de plaid. J'ouvre la porte de mon appartement et là, je tombe sur Thomas. Presque littéralement, d'ailleurs. Il est avec ses deux imbéciles de copains, qui me fixent de travers.

— Ah bah tiens Ludivine, est-ce que tu es libre demain soir ?

Je sursaute en le fixant comme s'il débarquait de Mars. Et après, c'est moi la bizarre.

— Euh...oui ?

— Alors je te propose de venir chez nous, regarder un film de super-héros, si ça te plaît. Les deux imbéciles ne seront pas là. On pourra commander de la pizza si tu veux.

Je blêmis, avant de m'entendre répondre.

— Je préfère les sushis, finalement ! Mais d'accord pour venir regarder Thor 3 chez toi. Je suis désolée, mais je suis réellement pressée.

Je lui fais un signe de la main et m'évapore vers la porte d'entrée. Une fois contre le mur vieillot de mon immeuble, je regarde droit devant moi, la main sur le cœur.

— Fichtre, Maggie a raison. Je suis dans un vilain triangle amoureux.