Chapitre 3 : Fourbe de rez-de-chaussée
Aujourd'hui c'est un jour un peu spécial. C'est le jour de ma personne, celui où rien ne peut m'arriver. Ou alors, un jour où le cosmos serait particulièrement enquiquinant et aurait eu l'idée géniale de me faire tourner en bourrique. En clair, c'est mon anniversaire.
C'est la première fois que je le passe toute seule. Avant, ma mère venait me réveiller avec un paquet de chocolat ou de fromage — pour mes quinze ans, je n'ai jamais autant ris le matin — et en m'amenait dans la cuisine où des viennoiseries surgelés finissaient de cuire dans le four.
Ici, c'est comme tous les jours. Surtout parce que je suis une flemmarde qui n'a pas envie de se bouger les fesses jusqu'à la boulangerie, a deux rues de chez elle. Je mange donc mes fidèles Chocapic devant un ou deux épisodes de How I Met Your Mother, suivant le temps. Celui d'aujourd'hui me fait bien rire parce que c'est l'affaire de l'ananas. Ça me fait rire, parce que ça m'est déjà arrivé de prendre un ananas en pleine main et de le regarder comme si c'était la chose la plus mystérieuse de tous les temps. Mais jamais, au grand jamais, je ne m'idenfierais à Ted Mosby — je ne l'aime tellement pas que je ne suis pas sûre de son orthographe. Il est beaucoup trop soulant.
Mon petit chat vient ensuite de me faire des caresses avant que je parte en cours et m'encourage pour mon oral de neuf à dix. Je lui fais beaucoup de bisous et de câlins, parce qu'il va me manquer et que j'ai peur qu'il s'ennuie. Je culpabilise toujours un peu quand je quitte mon appartement et que je le laisse tout seul. Surtout avec les trois énergumènes au-dessus de moi qui font un bouquant pas possible. Il doit avoir peur, le pauvre. Je le pose dans son panier en forme de requin avant de partir avec sa peluche préférée comme accompagnant. Mon amie est dehors à m'attendre.
— Joyeux anniversaire Ludivine !
Elle me saute a moitié dessus et nous commençons notre chemin.
La journée se déroule plutôt bien, surtout mon oral. C'est vrai que je me suis arraché les cheveux sur cette explication de texte. Je ne comprenais pas ce qui liait les paragraphes entre eux, jusqu'à ce que j'apprenne que c'était une manie de l'auteur de mélanger tout comme une essoreuse à salade. J'ai donc fait sa propre technique pour analyser ses écrits. Et apparemment, ça a payé.
— C'est vraiment pas mal, mademoiselle. Je vous mets entre quinze et seize.
C'est extrêmement dur de ne pas sauter de ma chaise et de ne pas danser la Macarena devant le prof. Je n'ai jamais eu une note pareille en oral. Alors ce nombre mirobolant à mes yeux, le jour de mon anniversaire, c'est le pompom sur l'ananas.
Lorsque je rentre enfin chez moi, je ne peux pas m'en empêcher. Je débranche avec furie mes écouteurs de mes oreilles, je monte le son de mes hauts parleurs à fond et je lance ma liste de lecture des années soixante-dix. À la base, je l'utilisais pour écrire des personnages fan de ce genre, mais depuis quelques temps, j'y ai pris goût. Mon chaton passe juste devant moi et je le chope au passage, en essayant de ne pas lui faire mal.
— Allez viens mon petit Chincard, on danse tous les deux !
Le loustic s'échappe vite de mes bras, peu à l'aise mais je ne m'en formalise pas. J'attrape une bouteille vide de jus innocent et je l'utilise comme micro. Je tourne sur moi-même et je chante avec tout mon cœur. Jusqu'à ce que mes petits yeux de taupe rencontrent trois paires de globes oculaires tout rond.
Je m'estime chanceuse d'habiter au rez-de-chaussée de mon immeuble. Je n'ai pas à me casser les bras à devoir monter les courses ou ma valise, on me trouve tout de suite quand on vient me rendre visite. Mais le problème, c'est que ma fenêtre donne sur la rue, à taille standard humaine. Ce qui, pour les trois gaillards du haut, offre une vue imprenable sur mon intérieur dénué de rideaux — en cours de confection chez ma grand mère. J'ai l'impression de faire face à trois poissons de dessins animés et je pourrais presque entendre les bruitages de leur clignements d'yeux.
Je suis définitivement maudite.
Ils éclatent de rire, bien gras, avant de rentrer dans l'immeuble.
— La voisine devrait faire carrière dans le comique, elle est plutôt douée, dit l'un d'entre eux en passant juste devant ma porte.
Prise d'un accès de furie, j'ouvre ladite porte et pointe mon doigt vers eux en hurlant.
— Ma vengeance sera terrible ! Et très froide !
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