Chapitre 1 : Emménagement et début des hostilités

— Ça sent le renfermé.

C'est la première chose que je dis lorsque j'ouvre les trois verrous de la porte de mon appartement. Ma mère est derrière moi, à porter le sachet bourré au maximum de ma couette. Lorsque j'étais venue, il y a deux mois de ça, j'avais déjà ressenti ça. Mais penser que j'allais vivre dans cette odeur me faisait plisser le nez. Je n'étais pas une petite vieille de quatre-vingts ans, qui a des meubles recouverts de tapisserie kitch. Même si, en ouvrant l'armoire pour ranger ma veste légère, je me rends compte que son intérieur... est recouvert de tapisseries roses et vertes, complètement défraichies. C'est le premier pas vers mon statut de grand-mère de vingt ans. Au secours.

Ma mère a vite fait de décamper sitôt toutes les affaires déchargées. Elle me sert comme excuse que sa voiture est mal garée dans la rue toujours bondée — et en descente pour ne pas arranger les choses. Mais je la suspecte, avec beaucoup de sérieux, d'avoir peur de se transformer en grand-mère, comme sa fille chérie. Traitresse.

Je m'assieds sur le lit tout juste fait. Je suis assez fière de la housse de couettes : elle est toute colorée, mais surtout, elle est imprimée avec une bonne centaine d'ananas, rangés bien sagement en rangs. C'est moi qui l'ai choisie, parce que j'adore ce fruit. Et j'ai bien besoin de couleur dans cet endroit froid et blanc. Si je suis mon idée de petite grand-mère que je vais bientôt devenir, ici, je serais déjà à l'hôpital ou l'hospice. Ou pire, à la morgue.

J'avale difficilement ma salive, pas prête à garder cette image dans la tête. Il faut que je décore cet endroit, pour éviter de penser que je suis déjà morte. Ce serait une bonne chose pour mon humanité.

Je sors donc les posters d'animés que j'ai gagnés à la Japan Expo de cette année, et des images que j'ai imprimées d'internet. Il y a aussi quelques cartes postales, des dessins et des stickers d'ananas que ma mère m'a achetés. Je branche mon ordinateur, le fidèle Hervé de la Pomme et essaie de me connecter à l'internet fourni par l'agence de logement.

Et tout d'un coup, je me souviens que mon pauvre chat est toujours dans sa boite de transport et qu'il doit se sentir à l'étroit. Je saute de mon lit, et lui ouvre, en m'excusant auprès de lui.

— Mon Chinchard, je suis trop désolée. Viens, je vais t'installer !

C'est moi qui ai demandé un chaton à ma mère, pour ne pas que je me sente trop seule. J'ai bataillé ferme pour l'avoir, parce que mon appartement ne fait que vingt mètres carrés et tu comprends Ludivine, les chats ont besoin de sortir. Mais Chinchard a l'air de bien se plaire à l'intérieur et il est comme sa maitresse. Un vrai casanier.

Je lui installe son panier en forme de tête de requin, ses gamelles d'eau et de croquettes et ses toilettes dans la salle de bain. Je suis assez fière de moi par rapport à cette petite installation. Je prends enfin mon indépendance, je sors du nid maternel. Je fuis aussi ma ville natale pour aller envahir les ennemis et m'intégrer, tel un caméléon, parmi eux. Dans trois jours, il y a la pré-rentrée de ma troisième année de fac. Dans trois jours commence ma nouvelle vie.

Je souris en pensant à ça. Bien sûr que ça va bien se passer. Ici, je suis bien, je suis au calme et...

Et qu'est-ce que c'est que ces bruits au-dessus de ma tête ? On essaie de monter des meubles Ikea avec un marteau ou quoi ? Ou alors, mes voisins seraient des meurtriers ?

Pointant mon doigt vers mon plafond strié de fêlures, je déclare, extrêmement solennellement :

— Faites gaffe, c'est le début des hostilités ! 

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