11. La vraie tisane de Thor

Cette nuit-là, je rêve de cailloux et de poissons qui se font des blagues et rient énormément. Lorsque je me réveille, je me demande quelle bizarrerie m'a prise et si la pizza qu'on m'a servie n'était pas pleine de produits hallucinogènes — ou de kiwi. J'ai toujours trouvé ça bizarre et suspect, le kiwi. C'est vert, rond et pelucheux et il y a des points à l'intérieur. Franchement, j'ai pas confiance moi — je viens de faire plusieurs phrases complètes en une seule incise. Le dieu de la typographie va finir par vouloir me tuer. Je suis fichue.

Je me réveille donc toute pimpante, en me rappelant que j'ai du smoothie innocent dans le frigo, au goût de kiwi — étrangement, je l'adore, parce qu'on ne voit pas la forme étrange et pelucheuse du kiwi dans la bouteille. J'en avale un grand verre et me prépare à aller en cours. Sur le chemin, je raconte tout à Maggie, qui fait de grands gestes, comme à son habitude — son intense vitalité me met toujours d'une excellente humeur et aujourd'hui ne déroge pas à la règle.

— Mais ce soir, y a mon voisin du dessus, tu sais Thomas, qui veut que je vienne chez eux pour manger des sushis et regarde Thor 3.

— Eh bien tu profites bien de la nourriture et de Chris Hemsworth avec les cheveux courts. Sérieux, tu peux être amie avec ce gars, tu sais.

— Ah, mais le problème, ce n'est pas moi. C'est lui. J'ai peur qu'il refuse mon refus et qu'il se venge ensuite.

— S'il refuse, c'est vraiment un con et compte sur moi pour t'aider à lui remonter les bretelles. Et ensuite... toi, la pro de la vengeance, la super vilaine, tu as peur d'une vengeance ?

— Il est peut-être plus doué que moi, qu'est-ce que j'en sais.

Je mets mes mains sur mes joues et fais une tête de smiley bizarre. On manque de se faire écraser rue d'Auxonne, comme tous les jours et on monte vers la fac.

— T'inquiète. Et si tu as le moindre problème, tu m'appelles !

Maggie a toujours été comme une grande sœur pour moi. Elle me soutient, elle me console et elle m'encourage énormément concernant l'écriture. Sans elle, je ne serais pas où je suis maintenant. L'année prochaine, lorsqu'on sera séparées par nos masters différents — elle veut être prof contrairement à moi — elle va beaucoup me manquer.

La journée passe lentement et je ne parviens pas à mettre un mot l'un devant l'autre. J'ai l'impression d'écrire n'importe quoi — est-ce l'effet des kiwis de mon smoothie ? — et de ne pas réussir à mettre au clair mes idées. Heureusement, un message tout gentil d'Ézéchiel me fait sourire, pendant le cours du monstre élitiste qui ne jure que par Paris. Je me terre bien derrière mon ordinateur pour qu'elle ne me voie pas et je tape une gentille réponse à cette image très cute de son chat et de lui.

> Vos personnes illuminent mon environnement morne et froid dénué d'inspiration. Je te remercie très chaleureusement.

J'hésite à coller un smiley cœur après, mais je me fais devancer par Maggie qui aime beaucoup le charrier, surtout quand je lui parle de mes histoires d'amour. Elle clique avant moi et tape sur la flèche pour envoyer. Je me retiens pour ne pas réagir avec véhémence — pour raconter ma vie, les mots alambiqués sortent, mais quand il s'agit de raconter celle de mes personnages, je peux toujours aller me brosser. Comme dirait Patatas Fritas, il s'agirait de grandir, le cerveau.

— Regarde, il t'en envoie un aussi ! Ce que vous êtes mignons tous les deux.

Je lui tire tout doucement la langue, avant de me prendre un regard noir de ma prof et de m'intéresser à nouveau au pacte autobiographique. Quelle horreur.

***

C'est sur les environs de dix-neuf heures que mon agréable voisin vient me chercher directement chez moi. Je fais un gros bisou à mon chat, j'ai enfilé un gros sweat aux couleurs de LoL sur mon dos — je l'aime beaucoup, c'est un cadeau de mes amies, il est super doux, super chaud et il y a mon personnage préféré dessus. Ledit sweat attire immédiatement l'œil de Thomas lorsque je lui ouvre.

— Oh bah tiens, Varus. Tu l'as piqué à ton frère parce que t'avais plus rien à te mettre ?

Il commence mal. Il y a une chose que je déteste très cordialement concernant les jeux vidéos, c'est lorsque les Mâles pensent que l'on ne peut pas jouer et être bonnes, nous les filles. Il mérite un coup de poêle sur la tête.

— Non. J'y joue. Je le joue lui. Mon frère est une brêle à ce poste. Tu me redis ça et je t'envoie Chinchard en pleine face, pigé ?

— Je suis désolé, c'est rare de croiser des filles qui jouent.

Pure calomnie, mais je ne relève pas pour éviter de me retrouver enfermée pour violence envers voisins.

— Si tu veux un de ces jours, on pourra se faire une partie. Je joue support.

— Petite question : est-ce que tu as pris ce poste parce qu'il n'y avait plus rien d'autre ?

Dans le monde lolien, le support est souvent le rôle que l'on associe aux filles, parce que les personnages sont souvent des soigneurs et assistent beaucoup les adc, les gens comme moi.

— Ah non, j'adore le travail d'équipe ! Je trouve ça fun d'aider, j'ai l'impression de servir à quelque chose.

Je le fixe avec mon air de mamie, pensant qu'il vient de légèrement se rattraper sur ses bêtises. Après cette discussion, nous montons vers l'appartement. Les deux colocs sont là à guetter comme des hyènes. J'ai l'impression de revoir le Roi Lion.

— Salut voisine, me lance-t-on lorsque j'arrive.

— Salut voisin.

L'appartement est gigantesque. Il doit bien faire trois fois le mien, au bas mot. Le salon est à droite et je m'y rends sans demander leur avis aux zigotos qui me fixent toujours. Je m'assieds devant l'écran arrêté du logo Marvel.

— J'ai commandé un gros assortiment de sushis, est-ce que ça te convient ? commence Thomas en s'installant à côté de moi.

— Ouais, comme ça, on peut directement entrer dans le feu de l'action !

Il rit, ce qui fait sortir deux fossettes de ses joues. C'est mignon, mais sans plus. Laissant mes yeux descendre vers ses habits, je remarque qu'il n'est pas mieux habillé que moi. Bon point, il ne croit pas que c'est un rendez-vous.

— Et les deux hyènes qui te servent de potes, ils ne viennent pas ?

— Ils me font la gueule parce que je t'ai invitée. Tu comprends, les Marvel, c'est un truc de mec pour eux.

— Quelle bande de trottinettes.

Il rit encore une fois et démarre le film avec son ordinateur branché sur la télé. Je m'installe un peu mieux, je demande si je peux enlever mes chaussures, ce qu'on accepte. Mes pieds sont recroquevillés sur moi-même.

Je ris beaucoup, surtout avec les moments de Loki, mon petit chouchou. Au milieu du film, on se fait couper par le livreur, qui n'est pas du tout aussi sympathique qu'Ezechiel. On mange le poisson cru comme des cochons en riant bien. Il ne tente pas une seule fois de mouvements vers moi et j'en suis vraiment super heureuse. Cette soirée est vraiment cool.

Lorsque le film se termine sur la scène post générique qui annonce la tuerie suivante, je me lève de la place en soupirant d'aise.

— Merci pour cette petite soirée en tout cas, c'est super sympa.

— Tu peux rester pour prendre une tisane si tu veux.

— C'est une vraie tisane au moins ?

— Hein ?

— Bah oui, c'est pas une tisane « atterrissage dans ton lit pour faire je ne sais quoi » ?

Je mime les guillemets en faisant une grimace pour bien lui faire comprendre que je ne veux pas de ça, surtout pas.

— Ohlà non. Pas du tout. C'est une vraie tisane. Mais euh... rassure-moi, tu ne voulais pas ça ?

Il a l'air tout aussi flippé que moi. Ce qui me fait éclater de rire. Il me fixe avec un regard bizarre et je m'explique rapidement.

— J'avais super peur que t'essaies de me draguer et tout, mais ça me fait plaisir de voir que tu es aussi rebuté que moi à l'idée même. Non, vraiment, c'est super cool.

— Ah non, je cherche personne, je suis bien seul, amoureusement parlant. Je me suis juste dit que tu ferais une bonne pote, et j'ai bien raison.

Je lui souris, un poids s'enlevant de ma poitrine.

— On va boire cette vraie tisane alors ?

— Ouaip !


Je vous promets que je n'ai rien bu de bizarre. Et que cette rue est vraiment mortelle, la vilaine.  

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