Chapitre 6 : Tentatives d'évasion

- Eh bien, Nysos ! Tu n'oublies pas quelque chose ? dit Hélène, la mère de mon futur collègue.


Nysos farfouille dans la poche de son jeans et je vois bien qu'il n'est pas ravi mais qu'il n'ose pas s'opposer à la demande de sa mère. Il tend son poing fermé au-dessus de la table, face à moi. Et quand il ouvre la main, j'aperçois une petite graine qui commence à frémir. Elle s'allonge peu à peu, jusqu'à se transformer en une rose blanche magnifique dont le parfum embaume la salle à manger.


Je sais. C'est stupide mais je suis émerveillée comme une gamine de dix ans...


Nysos me tend la fleur. Je l'attrape et ne peut pas m'empêcher de lui lancer une pique (histoire de donner le change) :


- Sympa la technique de drague ! Et ça marche bien ce genre de trucs en général ? Tu conclus souvent ?


- Ce n'est pas de la drague, juste de la politesse, me répond-il.


Nysos 1 – Moi 0


Je déglutis. Ok... J'y suis peut-être allée un peu fort avec lui depuis le début. Il faudrait que je songe à m'excuser.


Le problème c'est que les excuses ne sont pas ma tasse de thé. Et de toute façon, je ne peux pas faire ça devant nos parents... Il est grand temps de trouver une issue de secours. Je me lève et annonce à la cantonade :


- Je reviens dans une minute.


Je me dirige vers la salle de bain, comme si je désirais aller aux toilettes. Je ferme la porte à clef derrière moi et avise la fenêtre :


- Non mais c'est pas vrai ! Je rêve ! Elle n'a pas osé faire ça !


La fenêtre de la salle de bain est condamnée par des planches en bois qui sont clouées au mur. Pour tout vous dire, ce n'est pas la première fois que je m'échappe par la fenêtre des toilettes lors d'un repas du dimanche. Ma mère s'est méfiée et j'imagine qu'elle a dû demander à mon père de s'en occuper.


Échec numéro un.


Je grogne toute seule devant le lavabo en pensant à ma tentative d'évasion ratée et décide d'envoyer un SMS à mes amies.


« Help ! Je suis bloquée chez mes parents sans possibilité de m'échapper (je vous expliquerai). Appelez-moi dans 5 mins pour servir de prétexte à ma fuite ! »


Je me lave les mains et rejoins les autres à table. Je suis accueillie par le regard moqueur de ma mère. Elle ne perd rien pour attendre celle-là !


- Hécate, veux-tu du vin ? me demande mon père. C'est un St Emilion Grand Cru. Et après, j'ai prévu un Bourgogne.


Je lui tends mon verre. Puisque je suis bloquée là, autant en profiter pour boire du bon vin (même si mon estomac, encore fragilisé par la soirée de la veille, proteste à coup de grands gargouillis). Vous vous demandez sans doute pourquoi mon père a acheté plusieurs bouteilles de vin alors que je pourrais faire en sorte qu'une seule dure tout le repas ? Eh bien c'est simple, j'ai l'interdiction formelle d'utiliser mon pouvoir chez mes parents.


En fait, cela remonte à l'adolescence... J'étais assez taquine à l'époque et je me suis amusée un certain nombre de fois à remplir leurs verres sans qu'ils s'en rendent compte. Comme leurs verres ne se vidaient pas, ils buvaient sans avoir conscience des quantités qu'ils ingurgitaient. Ils ont été ivres un paquet de fois grâce à moi ! Et moi, qu'est-ce que j'ai pu rire ! (Ah ! « L'âge bête » comme ils disent ! J'en garde un souvenir ému...)


Bref ! Tout ça pour vous dire que ça ne leur a pas vraiment plu (mes parents n'ont pas le sens de l'humour...) et qu'ils ont décidé que je n'aurais plus jamais le droit d'utiliser mon pouvoir à la maison.


Ce qu'ils ne savent pas, c'est que je l'utilise quand même mais pour mon propre verre. Quand un repas dominical est pénible, il faut bien que je trouve une source de réconfort !


- Alors, comment vous êtes-vous rencontrées, maman et toi ?


Il faut bien que je fasse croire à ma mère qu'elle a gagné pour qu'elle baisse sa garde. Je fais donc semblant de m'intéresser à son amie.


- Eh bien, c'était en cours de Grec ancien à l'université. Ta mère et moi, nous nous sommes connues en première année dans le cours de M. Bardis. Oh ! Tu te rappelles combien il était charmant ? On était toutes amoureuses de lui !


Et les voilà parties à glousser au sujet d'un de leurs profs de fac... Un prof de Grec ancien ! Pathétique !


J'écoute d'une oreille distraite. Hélène est aussi bavarde que ma mère (et ce n'est pas peu dire !). Je sais de qui Nysos tient ! Ceci dit, pour être honnête, il est resté plutôt silencieux depuis le début du repas. Hilares, nos deux mères enchaînent les anecdotes de jeunesse. Je réprime un bâillement ennuyé et croise le regard de Nysos. Et de manière totalement inattendue, il gonfle ses joues et hausse ses sourcils en une grimace très réussie. Je pouffe de rire dans mon verre tandis qu'il m'offre un large sourire.


Vous savez... Le genre de sourire qui illumine le visage.


On dirait que lui aussi préférerait être ailleurs. Finalement, il m'est assez sympathique... Ce n'est peut-être pas une mauvaise chose qu'il vienne travailler avec nous. Après tout, il ne ressemble pas du tout à Sören ! Il n'y a pas une once de prétention chez lui.


Mon téléphone sonne enfin. Il était temps ! (Il faudra que je leur explique que « cinq minutes » ne signifie pas « une demi heure »)


- Allo ! Quoi ? Non, c'est pas vrai ! Ok. J'arrive tout de suite...


Bien sûr, j'ai fait la conversation toute seule sans que mon amie au bout du fil n'ait vraiment le temps d'en placer une.


Mais ma mère a l'habitude de mes ruses. Elle m'arrache aussitôt le portable des mains.


- Allo ! Oui, Aliz. Comment vas-tu ?

- (...)

- Non, je suis désolée. Je suis certaine que Téquila et Paf vont bien. Bien tenté mais Hécate va rester avec nous jusqu'au café. Au revoir Aliz.


Elle raccroche et me tend mon portable avec un petit sourire victorieux.


Échec numéro 2.


Contre toute attente, je réussis à survivre au repas. Et alors que je sors des toilettes (j'y étais allée pour de vrai cette fois-ci), je surprends une conversation privée entre Nysos et sa mère dans le couloir.


- Quand même, mon chéri, c'est avec ce genre de personnes que tu vas travailler ? Tu as vu comment elle est habillée ! On dirait une SDF !


- Je t'assure que la dernière fois que je l'ai vue, elle ne ressemblait pas à ça. J'imagine qu'elle a dû être trainée de force ici, comme moi, lui lance-t-il sur le ton du reproche. Oui, elle est même plutôt jolie d'ordinaire.


Plutôt jolie ? Je sens une boule se former dans mon estomac et je souris malgré moi...


- Ah oui ? Tu la trouves jolie ? demande Hélène subitement intéressée.


- Mais elle ne me plaît pas du tout ! Ne t'emballe pas ! Ce n'est pas mon genre de fille !


Je ne sais pas pourquoi, ses paroles me glacent. Je décide de faire du bruit pour signaler ma présence et passe à côté d'eux sans les regarder.


Je ne m'attarde pas trop après cet épisode.


Je crois que cette cérémonie mensuelle a assez duré. Et je n'ai qu'une envie : aller digérer ma gueule de bois sous ma couette !

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