Chapitre 13 : Boire et oublier...
- Comment ça « vandalisée » ?
Sören me regarde avec tristesse, me laissant craindre le pire. Que sa colère retombe aussi vite ne présage rien de bon !
- Je préfère que tu voies par toi-même... Aliz et Adara nous attendent là-bas ! C'est pour ça que je suis venu vous chercher, vu qu'on n'arrivait pas à vous joindre.
Je vérifie mon téléphone et constate les multiples appels en absence de mes amis. Oups ! Ma mère me scrute d'un air perplexe...
- Non, maman ! Ce n'est pas ce que tu crois ! Ce n'est pas une ruse pour m'échapper. Sören ne m'aiderait jamais à...
Je laisse ma phrase en suspens car aucune fin polie ne me vient à l'esprit et je sens au regard noir de ma génitrice que j'en ai déjà trop dit... Re-oups ! Encore une fois, Nysos vole à mon secours :
- Allez viens, Héty ! On va rejoindre les autres. Encore merci pour ce repas. La viande et le vin étaient excellents !
Et alors que je pensais avoir gagné la bataille dominicale, ma mère nous lance :
- C'est dommage qu'on soit obligé d'écourter ! Dionysos, je vais appeler ta mère pour lui proposer de venir manger dimanche prochain. Je suis sûre qu'elle sera ravie de passer du temps avec vous !
Et merde !
Maman 1 – Team Héty et Nysos 0
(Victoire de ma mère par "double K.O.")
***
Alors que nous arrivons devant l'agence, nous croisons deux policiers venus prendre la déposition de mes amies et quelques photos des lieux. Ils nous saluent d'un hochement de tête et s'éloignent aussitôt.
Je m'avance vers Adara qui joue avec son briquet de manière frénétique. Aliz se tourne alors vers moi et ses yeux rougis me donnent mal au ventre... Je jette un coup d'œil à la façade et je comprends tout :
« Cassez-vous ! Elémentaires = Monstres de foire ! Votre place est dans un zoo ! »
La peinture rouge agresse ma rétine... Je serre les dents et me retourne vers Nysos et Sören. Je croise leur regard qui est aussi dur que le mien, j'imagine.
Encore une fois... Cela ne s'arrêtera donc jamais !
Le problème quand tu es différent des autres, c'est qu'ils ne le supportent pas. Les gens ont peur de nous car nous ne sommes pas tout à fait comme eux. Ils sont jaloux de nos dons... L'envie, la frayeur, la stupidité... Voilà ce qui motive de telles actions.
Quand j'étais au collège, à la puberté, j'ai traversé une phase où je contrôlais mal mon pouvoir. C'est le cas pour la plupart des élémentaires à l'adolescence. Mais moi, je sentais l'alcool comme la pocharde moyenne car chacune de mes cellules en créait... Vous pensez bien que j'étais devenue une pestiférée pour les autres ! Une espèce de bouc émissaire, une sorte de blague récurrente...
« Hécate, tu pues l'alcool ! Va te laver ! »
« Hécate, elle sent comme le vieux claudo qui squatte devant la poste ! »
Et je vous en passe et des meilleures... Heureusement, c'est à cette époque que j'ai rencontré Ada. C'est elle qui m'a sauvée, elle qui m'a sortie de la solitude dans laquelle je commençais à me noyer.
Adara ne dit rien... Elle attrape le seau, avec les brosses et l'eau savonneuse, et nous le tend. Chacun d'entre nous saisit de quoi effacer le tag. Puis, on commence à frotter le mur ensemble, en silence.
Qu'est-ce qu'on pourrait bien dire de toute façon ?
Il n'y a rien à dire... Juste user ses doigts sur le crépis et se débarrasser des traces rougeâtres qui font mal à l'âme.
Le temps s'écoule de manière douloureuse. Je passe le bras sur mon front pour en essuyer la sueur. Soudain, Aliz lâche sa brosse et laisse enfin couler les larmes qu'elle retenait depuis tout à l'heure. Sören la prend dans ses bras et appuie son menton sur le haut de son crâne, tout en lui caressant le dos avec douceur.
Je balance avec colère ma brosse dans le seau, éclaboussant Nysos au passage, et leur dis :
- Bon, ça suffit ! On ne voit presque plus le tag ! On aura qu'à appeler un peintre en bâtiment demain pour qu'il repasse un coup sur la façade ! Venez tous à l'appart, je crois qu'on a besoin de boire un coup !
Nous abandonnons notre tâche ingrate pour monter à l'étage. Mes amis s'installent sur le canapé et les fauteuils qui encerclent notre table basse, tandis que je vais récupérer des bières dans le frigo. Une par personne suffira puisque j'ai bien l'intention de les remplir au fur et à mesure.
Je dépose mon butin devant eux et j'emprunte le briquet d'Ada pour les décapsuler. Des larmes silencieuses coulent toujours sur les joues d'Aliz et l'air sombre des trois autres ferait passer le Mordor pour le monde des Bisounours.
Je me racle la gorge et leur propose :
- Est-ce que ça vous dit une partie de « Tu es un élémentaire si... » ?
Sören, Adara et Aliz acquiescent tandis que Nysos me fixe d'un air interrogateur. Je lui fournis donc davantage d'explications :
- C'est un jeu qu'on a inventé avec les autres. Tu dis des trucs qui te sont arrivés en tant qu'élémentaire ou bien tu mens, et les autres doivent deviner si tu dis la vérité...
- En réalité, à la base, c'était un jeu à boire, précise Adara. Mais comme certains d'entre nous trichaient, poursuit-elle en nous foudroyant du regard Sören et moi, on a décidé d'y jouer ET de boire en même temps.
- C'est Héty qui buvait même quand elle gagnait, intervient Sören avec un petit sourire.
- Et toi, tu faisais semblant de boire quand tu perdais ! j'ajoute en riant.
L'ambiance semble s'être allégée tout à coup. Je lance le jeu :
- Tu es un élémentaire si... tu as déjà intensifié l'alcool présent dans la sauce au vin de la cantine au point que tous les élèves et les profs étaient ivres !
Mes amis devinent aussitôt que c'est une histoire vraie. Notre dragon enchaîne :
- Tu es un élémentaire si... tu as déjà mis le feu à ton collège, sans le faire vraiment exprès.
- Non ? tu n'as pas fait ça ! s'étonne Nysos.
Ada prend une mine (faussement) contrite tandis que nous rigolons tous. A part Nysos, nous connaissions tous cette histoire. C'est même grâce à cet incendie que nous sommes devenues amies car elle s'est fait expulser de son école de snobs (dans laquelle elle était avec Sören) et a atterri dans l'établissement public du coin, où je survivais tant bien que mal.
- Tu es un élementaire si... tu as déjà sculpté une déclaration d'amour dans les nuages, poursuit Aliz.
- Je suis sûre que tu as déjà fait ça ! s'exclame Ada.
- Eh bien non... Mais c'est quelque chose que j'aimerais bien faire un jour, répond ma blonde en rougissant.
- A mon tour ! dit Nysos. Tu es un élémentaire si... tu as déjà fait pousser une nouvelle espèce de fleurs pour l'élue de ton cœur... avant de découvrir qu'elle était allergique au pollen !
Nous éclatons tous de rire. Bien sûr que ça lui est déjà arrivé ! Nysos rit avec nous de bon cœur en nous expliquant qu'il s'agissait de sa première petite amie à... l'école primaire !
Est-ce la bière ? Est-ce ce jeu ? Mais le reste de la soirée passe comme dans un rêve... Les fous rires s'enchaînent et entraînent avec eux la tristesse et le dégoût qui comprimaient mon cœur. Je porte la bouteille à mes lèvres et mes yeux croisent ceux de Nysos. Son sourire chaleureux efface le reste...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top