Une sonnerie résonne dans l'appart' et me donne envie de me cacher sous la couette...

Et c'est là que je constate que je n'ai pas de couette sur moi.

Normal.

Lendemain de soirée.

Je suis donc en petite culotte et tee-shirt XXL, emprunté à je-ne-sais-qui, en train de ramper de manière fort gracieuse (si ! si !) pour enfouir ma tête sous les coussins du canapé. J'entends la voix rauque d'Adara qui hurle à notre troisième coloc :

- Mais tu vas éteindre ce putain de portable, Aliz ? C'est pas possible ! T'étais trop bourrée hier soir pour le mettre sur silencieux comme tout le monde ?

J'entrouvre un œil et je constate plusieurs trucs :

1/ Je ne suis pas la seule à ne pas avoir trouvé le chemin de ma chambre après la soirée –un peu- arrosée d'hier. On a dormi toutes les trois, en vrac, sur l'immense canapé qui trône dans notre salon.

2/ Si j'en juge à l'air hagard d'Aliz et à l'expression de dragon furax d'Adara, je ne suis pas la seule non plus à avoir les cheveux qui poussent à l'intérieur du crâne.

- T'énerve pas, Ada, lui répond Aliz d'un ton calme. Pour me faire pardonner, je vais vous préparer du café.

Elle se lève aussitôt. Mais la fatigue et les restes d'alcool dans son corps lui font perdre l'équilibre et elle retombe sur nous.

- Aïe !

Oui, j'ai crié... Mais vous aussi vous l'auriez fait si Aliz vous était tombée dessus. Elle a beau être une élémentaire de l'Air, elle n'est absolument pas (mais alors ABSOLUMENT PAS !) légère. Elle est ce qu'on appelle communément (merci les euphémismes) une personne ronde.

Attention ! Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : elle porte très bien ses rondeurs et n'a aucun complexe. Avec ses boucles blondes et ses immenses yeux bleus, on dirait une Marilyn Monroe en surpoids. Et dès qu'elle vous sourit, eh bien, vous avez tendance à oublier qu'elle ne ressemble pas à un mannequin anorexique.

Elle est juste sublime.

- Pardon Héty, me répond-elle avec une grimace désolée. Je te prépare un café allongé !

Elle réussit à se lever cette fois-ci et file dans notre cuisine sans jeter un regard à Adara... Elle n'est pas folle ! Elle sait que titiller le dragon de bon matin est trop risqué.

Mon amie Adara est tout le contraire d'Aliz. Elle est d'une classe absolue, grâce à son éducation bourgeoise (Oui, sauf quand elle jure comme un charretier un lendemain de fête). Avec sa silhouette élancée, elle pourrait sans aucun problème servir de muse à tous les grands couturiers de la capitale. Mais cela ne l'intéresse pas. Elle préfère travailler avec nous dans la petite boîte qu'on a montée ensemble. D'ailleurs, j'y reviendrai...

Adara passe une main dans sa longue chevelure rousse en grommelant. Le roux, ce n'est pas sa couleur naturelle, hein ! C'est juste qu'elle essaie de nous rappeler par tous les moyens quel est son élément. Et voilà, je l'aurais parié... Cela fait à peine cinq minutes qu'elle est réveillée qu'elle joue déjà avec l'un de ses briquets. Vous l'aurez sans doute deviné... Son truc à elle, c'est le Feu.

Donc, petit conseil d'amie : ne jamais énerver le dragon au réveil si vous ne voulez pas vous retrouver avec les sourcils brûlés. Oui, je parle d'expérience...

- Tiens Héty, c'est pour toi !

Aliz pose mon mug préféré, celui avec une licorne gothique, à côté de moi. Je marmonne un « merci » avant de m'asseoir avec difficulté sur le rebord du canapé. Je tremble encore des abus de la veille... Et je sais bien qu'il faut que je m'hydrate mais mon estomac ne semble pas très réjoui à l'idée que j'ingurgite quoi que ce soit.

Quelle injustice !

Il faut que je vous explique...

Mon élément à moi, c'est l'alcool.

Oui, c'est un élément à part entière (on arrête de rire, je vous entends !).

Non, cela ne me préserve pas de la gueule de bois.

Que voulez-vous ? Ce putain de monde est injuste et cruel...

Donc, concrètement, je ne peux pas faire apparaître de l'alcool comme par magie mais je suis capable de multiplier vos réserves d'alcool à l'infini... C'est plutôt cool, non ?

Néanmoins, mon métabolisme a tendance à jouer au funambule. Et même si mon foie reste aussi sain que celui d'un nouveau né, je suis en manque si je ne bois pas ma dose d'alcool et (malheureusement !) je ne suis pas immunisée contre ses effets néfastes.

On ne peut pas tout avoir me direz-vous...

Alors qu'Aliz est en train de noyer son syndrome-post-ivresse sous la douche, une nouvelle sonnerie me vrille les tympans.

Cette fois-ci, c'est la porte d'entrée.

Au regard noir que me jette Adara, je comprends qu'il vaut mieux que ça soit moi qui aille ouvrir. Je me traine donc jusqu'à la porte et tombe nez à nez avec mon troisième associé qui, lui, ne vit pas avec nous.

- C'est pas trop tôt, râle Sören, j'ai essayé de vous appeler mais personne ne répond ! Vous avez vu l'heure...

Il s'arrête aussi sec et me détaille des pieds à la tête de son regard méprisant. Il faut dire qu'entre la vieille petite culotte effilochée, le tee-shirt à l'effigie d'un groupe de  black métal et le fait que je ne me suis pas rasé les jambes depuis une semaine, j'offre un tableau charmant.

Il lève un sourcil étonné et un sourire narquois naît sur son beau visage. Cela ne me dit rien qui vaille... Tôt ou tard (et c'est souvent bien trop tôt !) je vais payer le fait de lui avoir ouvert dans cette tenue.

Il faut dire que Sören est un vrai canon et qu'il est très critique sur le physique des gens. Il est grand et musclé comme ses ancêtres Vikings (un père suédois, ça aide à être sexy) et il a hérité des traits fins et asiatiques de sa mère, qui a des origines vietnamiennes. Ajoutez à ça un regard d'un vert assez incroyable (qui a pour but premier dans la vie de me faire comprendre à quel point je suis ridicule) : Tadam ! Vous obtenez Sören !

- Si un jour tu te décides à passer une tenue décente, je vous attends depuis une demi heure à l'agence...

Il me lance un dernier regard moqueur avant d'ajouter :

- Et tu ferais mieux de te doucher. Tu sens comme un vieux bar un lendemain de St Patrick !

Beau... mais glacial ! Normal, c'est son élément... Enfin, pour être plus précise, son élement c'est l'Eau mais il s'est spécialisé dans la transformation de celle-ci en Glace.

Pour toute réponse, je lui claque la porte à la figure avant de m'attraper la tête des deux mains.

Aïe ! C'est dingue comme ça résonne dans mon crâne ! J'avais oublié ma gueule de bois.

Damn it !