Chapitre 12
J'ai l'impression d'être au fond d'un lac gelé, mes habits m'entraînant inexorablement vers le fond. Plus de bulles pour remonter à toute vitesse vers la surface, elle qui est désormais si lointaine. Un souvenir parmi d'autres, qui disparaîtra lorsque ma conscience décidera enfin de s'éteindre. Même si cela ne m'aurait pas dérangé qu'elle reste en veille ainsi. Je ne sens plus rien, mais je sais que je suis vivante, et j'aimerais profiter de cette sensation nouvelle aussi longtemps que possible. Ce n'est pas agréable, non. C'est amusant. Et c'est tout ce qu'il me reste... À part peut-être ce truc sur mon visage, accompagné d'un cliquetis étrange. Comme si des brindilles me tombaient dessus. Laissez-moi mourir tranquillement ! C'est si agaçant. Je veux savoir qui me dérange. Eh !
- Eh !
Le faible son parvient à effrayer le petit oiseau, qui s'envole vers le ciel. Les bruissements des arbres tout autour, le contact de la neige dans ses mains, l'odeur remarquable de sang parviennent à éveiller les sens de la jeune fille. Ses lèvres s'entrouvrent un peu plus pour laisser passer un petit nuage. Ses doigts recouverts d'engelures remuent avec difficulté, frottant le sol poudreux. Sa tête tourne doucement de tous les côtés, faisant craquer sa nuque. Finalement, ses paupières se lèvent pour laisser entrevoir deux pupilles argentées.
Keliana bouge brusquement le bras pour se couvrir les yeux du soleil, mais une douleur intense lui traverse l'épaule et son bras retombe mollement sur sa poitrine.
- Ouch... C'est joli, ici. J'ai l'air d'une folle à parler seule... Vérifions que personne ne m'écoute.
L'adolescente replie précautionneusement ses bras sur la neige afin de pouvoir soulever son buste. Sentant qu'elle aura mal qu'importe ce qu'elle fait, Keliana se redresse d'un mouvement brusque avec conviction. Sans grande surprise, une douleur lancinante la saisit de partout et elle retombe sur ses jambes. Au moins, elle n'est plus allongée.
Ayant une meilleure vue d'ensemble, la jeune fille scrute les alentours. Elle semble être dans une forêt d'arbres nus, donc aucune feuille pour assombrir le paysage. Le ciel est dépourvu de nuages, et le soleil est à son zénith. Malgré son éclat, il ne réchauffe rien, sa seule utilité étant d'aveugler quiconque oserait le défier.
Qu'importe où elle regarde, Mimik a mal aux yeux à cause de la neige reflétant la lumière du soleil. Elle baisse donc le regard vers ses pieds, espérant y trouver du réconfort pour ses pauvres yeux. Malheureusement, un affreux spectacle l'attend : de la neige rouge, voire noire, tout autour d'elle. La jeune fille aperçoit finalement les longues déchirures dans ses habits, et en dessous les traces des blessures qui ont fait couler tout ce sang. Les coupures semblent s'être refermées depuis un moment, la neige rendue liquide par le sang chaud ayant peut-être aidé les plaies à se refermer... ou pas. He, je devrais pas tenter ce genre de résonnement sans queue ni tête, ça va me perdre !
Après quelques minutes, Mimik essaie de se mettre debout en s'agrippant à un arbre, abandonnant sa cape en lambeaux sur le sol. Elle lâche l'arbre quelques secondes pour tester son équilibre, mais elle est obligée de constater que ses jambes préfèrent rester sous forme de gelée pour le moment. Se jetant d'arbre en arbre, la jeune fille avance, s'accrochant comme un pieuvre à chaque tronc qui a le malheur de passer dans son champ de vision.
Au bout d'un certain temps, Mimik réalise... qu'elle ne sait pas où elle va. Mais où aller ? Elle se souvient alors de son but premier : la mission donnée par le directeur. Avec ce souvenir reviennent tous les autres, dont sa chute interminable après qu'Instrument lui ait arraché Sommeil et se soit échappé dans la tempête. Il ne me reste plus qu'à trouver le collier d'ambre.
Keliana sort donc la boussole de sa sacoche, dont le contenu semble être heureusement en bon état, contrairement à elle. Normalement, si elle termine la mission, elle pourra rentrer chez elle grâce à un portail dimentionnel. Encore faudrait-il retrouver le point de départ... L'élève avance donc vers le nord, ses jambes retrouvant leurs capacités d'origine plus vite qu'elle ne l'aurait cru. Malheureusement, le jour fini par tomber, et la jeune fille avec. Elle se rend compte de l'épuisement de son corps et se nourrit des vivres gardés dans son sac.
Alors qu'elle dévore une galette de pomme de terre lui donnant froid aux dents, un petit oiseau brun et beige atterrit non loin d'elle. Peut-être est-ce celui qui me marchait sur le visage tout à l'heure ? La créature s'approche le bec ouvert, attendant que Mimik lui donne un bout de galette.
- Tu n'as peur de rien, dit donc ! Si je n'avais pas cette galette, je t'aurais bien dévoré !
L'oiseau recule brusquement, comme s'il avait compris ses paroles, provoquant un petit rire chez Keliana.
- Un piaf premier degré, intéressant. J'imagine que tu as vécu avec des humains, pour attendre qu'on te nourrisse ainsi. Je ne sais pas si c'est bon pour toi, mais tiens.
L'adolescente tend une miette de galette au petit animal ailé, qui se jette dessus en mordant le doigt de l'humaine.
- J'aurais bien besoin d'un peu de compagnie, et tu m'as l'air seul. À moins que tu ne tiennes à la vie, je te propose de faire un bout de chemin ensemble, ça te dit ?
L'oiseau avale son repas avant de voleter jusqu'à la tignasse brune de sa nouvelle amie. Celle-ci sourit et se relève :
- Un piaf banal se serait posé sur mon épaule, mais je suis sûrement destinée à vivre entourée de choses anormales. Je serai donc ton nid pour un temps indéfini ! Bienvenue dans ta nouvelle demeure... Brindille, puisque c'est la première idée que je me suis faite de toi. Ça te va, comme petit nom ?
L'intéressé lance un piaillement grave pour approuver.
- Oh. Je m'attendais à quelque chose d'un peu plus... aigu. Ou oisesque. Là, on dirait que tu mues. Ça mue, un oiseau ?
L'oiseau lâche un semblant de rire profond, faisant trembler Keliana.
- Tu me fais peur, Brindille.
Déjà deux jours de marche. Le soleil ne veut pas laisser la place aux nuages, et Brindille garde jalousement son nid. Dès qu'un autre animal, rongeur ou oiseau, passe à moins de trois mètres de Mimik, la petite chose pousse un cri qui n'a rien d'humain, ou plutôt d'oiseau. Quelque chose de très grave, que même Star ne pourrait produire. Et ce n'est pas son seul talent caché : l'oiseau parvient toujours à voler quelque chose dans le sac de Keliana sans qu'elle s'en rende compte. Plusieurs fois, son amie l'a menacé de l'enterrer vivant dans la neige, ce qui le dissuadait très vite... pour quelques minutes.
La boussole indique inlassablement le nord, et l'élève marche pendant des heures avec l'impression de tourner en rond. Le paysage est toujours le même, les monts environnants ne bougent pas d'un poil et la forêt s'étend à l'infini. Pourtant, en plein après-midi, Mimik y arrive finalement : la bordure de la forêt. Les arbres s'arrêtent soudainement, dans un alignement surnaturel, pour laisser place à un vide blanc.
- Je crois que je préférais la forêt, soupire l'adolescente.
Brindille se frotte contre son crâne pour la réconforter, et elle reprend son chemin interminable. La nuit tombe finalement, et l'oiseau se pose à terre pour que son nid s'installe contre un arbre, mais elle s'excuse :
- Désolée, mais je ne veux pas perdre plus de temps que ça, tu peux dormir dans mes cheveux si tu veux, je vais continuer d'avancer.
La petite bête secoue la tête comme pour désapprouver cette idée, mais il monte tout de même sur son nid de cheveux et se blottit à l'intérieur. Keliana reprend donc sa route vers le collier d'ambre. Je me suis sûrement beaucoup éloignée de notre destination en essayant d'échapper à Instrument, et la tempête a dû m'emmener très loin de notre point de départ... À cause de ce démon, je dois faire le double, voire le triple du chemin initial. Quelle idée de se promener avec cette chose sur le dos ! Purple nous répétait qu'il était inoffensif... Voilà ce qui arrive quand on fait confiance à ce genre de monstre.
Ne regardant pas où elle va, Keliana heurte une surface dure. Elle lève les yeux et parvient à décerner une bâtisse dans la pénombre. Probablement sa destination ! Brindille, réveillé par le choc, volette avec affolement autour de la tête de l'élève. Celle-ci se met à longer le mur pour trouver une entrée. Elle arrive au bout du côté et tourne pour trouver une ouverture aux contours incertains dans la pierre.
- Drôle de fenêtre ! M'enfin, je devrais pouvoir rentrer normalement.
L'adolescente fait entrer sa sacoche et tente de le poser doucement sur le sol qui semble un peu plus bas que celui sur lequel elle se tient, puis elle s'engage tête la première dans le passage. Elle rate néanmoins son atterrissage et se cogne le bas du dos sur le sol dur avec un grognement.
Elle entend un son roque et aperçoit Brindille sur le rebord de l'ouverture, se moquant ouvertement d'elle. La jeune fille saisit le petit oiseau et ouvre grand la bouche comme pour le manger, faisant piailler violement sa victime. Mimik le relâche en ricanant et scrute les environs : elle se trouve au bout d'un couloir de pierre sombre, légèrement éclairé par des bougies intactes, comme si elles venaient d'être allumées.
L'humaine enfile sa sacoche et s'avance vers le fond du couloir, avant d'apercevoir les différentes ouvertures. Elle passe la première et se retrouve face à une impasse. La deuxième donne sur un très long couloir, et la troisième présente deux chemins possibles. On aurait dit... un labyrinthe !
- Ça va être long...
Brindille s'envole vers le fond du couloir initial, et Keliana décide de le suivre. Elle a à peine le temps de faire trois pas que le couloir commence à s'agiter. Les pierres s'envolent, se brisent, s'avancent... Brindille retourne précipitamment sur la tête de Mimik, qui recule pour éviter de se prendre les pieds ente les pierres mouvantes. Au bout d'un moment, les pierres s'arrêtent toutes d'un coup, suspendues en l'air. L'élève s'apprête à s'engager entre elles, mais elles se remettent en mouvement pour s'imbriquer en une voie unique et... infinie.
- C'est reparti pour marcher des heures durant vers je ne sais où, grince Keliana.
Elle se met donc en route pour la énième fois, peut-être va-t-elle mourir d'un abus de marche. Elle marche quelques minutes, qui deviennent des heures, des jours. Elle ne compte plus, et Brindille ne sait même plus quand dormir. Il se pourrait qu'elle ne soit là que depuis quelques minutes, ou quelques mois, elles l'ignorent. Et alors qu'elle place machinalement ses pieds l'un devant l'autre depuis si longtemps, un petit cri grave l'interromp.
L'oiseau a quitté son perchoir et indique à la jeune fille de retourner en arrière.
- Je ne peux pas abandonner, Brindille. Je comprends ton envie de partir, et libre à toi de le faire, mais je dois rester. La mission en dépend... Et je crois que c'est ma seule chance de revoir Aya et Fabio un jour. Donc si tu veux me dire...
Keliana s'arrête, comprenant enfin le message de son compagnon. Il vole juste devant une ouverture, à peine discernable entre les murs sombres. S'il ne l'avait pas remarquée, l'adolescente aurait encore erré dans ce couloir un temps infini.
Mimik se courbe pour découvrir ce que cache la petite ouverture, et se retrouve dans un espace étroit menant à une lueur dorée. Retrouvant un embryon d'espoir, l'humaine s'avance vers la lumière et trouve une salle cubique au sol abîmé, remplie de lianes mortes et décorée de fresques déchirées. Malgré ces détails particuliers, seul un élément intéresse Keliana : le piédestal au centre de la pièce, sur lequel repose un collier au pendentif d'ambre.
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