28||°La tour en ruine de la colline}

Coucher de soleil, n.m. : Période de la journée qui invite à la réflexion, qu'on le veuille ou non.

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- QUELQU'UN VEUT BIEN M'AIDER À INSTALLER LA COUVERTURE ? demanda Chloé, un large pans de tissus posé sur le bras.

- J'arrive ! répondit Fanny en grimpant le restant de la colline au pas de course.

Vous devez sûrement vous demander ce qu'il se passait ce soir-là, et vous avez tout à fait le droit d'en être informés. Ce soir-là, une pluie d'étoiles filantes avait été annoncée, alors Adrien, en tant que fan incontesté d'astronomie - je venais juste de l'apprendre mais passons - avait décidé que nous allions passer la nuit à la belle étoile, à observer le ciel indigo. Nous étions donc partis de la maison, le dos chargé de sac de couchage et de victuailles, puis étions grimpés sur la petite colline située près de la ferme, cette même colline où reposaient les ruines d'une ancienne tour médiévale.

Nous étions six ce soir-là : il y avait Fanny, Adrien, Chloé, Noé, Ulysse et bien entendu moi. Six, je trouvais que c'était un bon chiffre, et en plus de cela, nous étions trois filles et trois garçons, ce qui fait que, même si Ulysse souhaitait passer du temps avec moi, Noé ne serait pas seul et aurait Adrien pour lui tenir compagnie.

J'arrivai bientôt en haut de la petite colline, un point de côté naissant dans ma hanche droite. Mon sac n'était pas le plus lourd de tous, et pourtant, j'avais l'impression qu'on y avait chargé un éléphant entier. Bon, j'exagère peut-être, mais quand même. Je laissai tomber mon sac à dos rouge sur le sol, et m'assis sur l'herbe sèche et rugueuse, sans prendre la peine de mettre quelque chose en dessous de mon postérieur. Après tout, si j'attrape la maladie de lyme, j'aurais au moins un bon prétexte pour rentrer chez moi, non ?

Une masse se laissa tomber à mes côtés, et deux bras entourèrent bientôt mon cou. Une odeur de pâte à choux me parvint aux narines, et je reconnus immédiatement cette personne comme étant Ulysse. Un petit sourire s'esquissa sur mes lèvres, et j'attrapai les poignets de mon copain, les serrant fort contre moi. J'étais contente qu'il soit là, surtout après la dispute que nous avions eu hier au sujet de Victoire. Néanmoins, le brun avait été clair : il l'avait juste invité à la fête de demain, rien de plus. Cela ne me rassurait quand même que très peu, mais après tout, je devenais facilement jalouse et paranoïaque, quand une situation de la sorte se présentait à moi.

- T'es prête à admirer les étoiles ? questionna Ulysse alors que le jour commençait à décliner.

- Ouais, même si j'aurais préféré les observer depuis ma chambre, dans mon lit douillet, et pas dormir dans un vieux sac de couchage qui sent le renfermé, rétorquai-je en jetant un coup d'œil aux autres qui s'activaient. Tu crois pas qu'on devrait aller les aider ?

Ulysse acheva son étreinte, se releva, et fit quelques pas avant de s'accroupir devant moi. Ses sourcils étaient froncés, et ses iris verdoyants étaient habités par l'incompréhension. Il se racla la gorge, tandis que je penchai la tête sur le côté, me demandant bien ce qui n'allait pas d'un seul coup.

- Mademoiselle, qu'avez-vous fait de Darla Vallois ? demanda subitement Ulysse. Vous savez, c'est la fille qui râle tout le temps et qui attrape de l'urticaire quand elle doit aider les autres.

- Arrête, t'es con..., me défendis-je en lui accordant une petit tape sur le front.

- Moi j'suis con ? Moi j'suis con ? répéta Ulysse sur le ton de la rigolade.

- Archi con même, renchéris-je avec un grand sourire.

Ulysse se rapprocha de moi suite à cette affirmation, et se jeta sur moi contre mon grès. Il me bloqua contre le sol et commença à me faire des chatouilles, tout en répétant qu'il n'était pas con. Et moi je rigolais, qu'est-ce que je rigolais ! Même si mon dos se frottait contre l'herbe rêche, même si je savais que mes cheveux allaient être parsemés de touffes d'herbe, je rigolais. Et bientôt, toutes les têtes se tournèrent vers nous, et les visages d'incompréhension commencèrent à faire leur apparition.

- Euh les gars... Si vous avez décidé de copuler, c'est pas ici mais plus loin qu'il faut le faire, lâcha Noé alors que Fanny mimait une envie de vomir. Et si vous pouviez éviter de le faire tout court, ce serait encore plus génial.

Ulysse se redressa, les joues carmins et m'aida à me relever. Je frottai mon dos ainsi que mes genoux et passai une main dans mes cheveux, désirant enlever toute trace d'herbes séchées et de bestioles potentiellement écrasées. Les autres avaient cessé de nous regarder et Ulysse partit aider son meilleur ami. L'instant d'après, Fanny me lança une couverture bleu pastel et je l'installai à même le sol, recouvrant une pousse de chardon et quelques marguerites. 

- Et maintenant on fait quoi ? demanda Chloé en s'asseyant aux côtés de son frère. 

- On attend que la nuit tombe et que les premières étoiles filantes arrivent, rétorqua ce dernier en dépliant le télescope qu'il avait emporté.

- On pourrait pas plutôt faire un jeu, ou se raconter des histoires d'horreur en plaquant une lampe torche sous notre menton, comme dans les films ? proposa Fanny, les yeux pétillants et l'appareil dentaire reflétant la lumière du soleil.

- Sauf que c'est pas Halloween et qu'on n'est pas en plein milieu d'une forêt, mais plutôt au sommet d'une colline dépourvue d'arbre, lâchai-je en soupirant.

Pourquoi mais pourquoi avais-je accepté de venir si c'était pour me retrouver à jouer à action ou vérité avec deux gamines, un bilingue, mon copain et un mec passionné par les étoiles ? J'aurais pu passer une excellente soirée dans mon lit avec mes séries - même si le débit est très lent par ici - à manger du pop-corn tout en envoyant des messages à mes amis. Mais non, encore une fois je m'étais retrouvée embarquée dans une histoire de folie, ou qui allait encore mal se finir. 

Faut dire que je commençais à être habituée maintenant.

- Qu'est-ce que tu veux faire dans ce cas, Darla reine des idées fantastiques ? répliqua Fanny en me lançant une pique.

- Et bien on n'a qu'à... se cacher dans les ruines ?

Désolé, c'est tout ce que j'ai trouvé.

Étrangement, l'idée plut à tous et bientôt, je me retrouvai à compter à voix basse près de notre campement de fortune, pendant que tous les autres s'en allaient se cacher. Enfin j'étais seule, enfin je pouvais laisser le temps s'écouler sans qu'on vienne me chercher ou que l'on m'adresse la parole. On m'avait dit de compter jusqu'à cent, et ce compte à rebours sera le plus long que j'ai effectué : plus les chiffres passaient lentement, plus mes secondes de liberté s'allongeaient.

Le crépuscule avait envahi la campagne de Montdesbois, et le soleil aveuglant caressait ma peau laiteuse, me réchauffant petit à petit, et ce, malgré la chaleur alarmante qui régnait déjà dans l'air. La brise fraîche et embaumée d'effluves d'herbe coupée et de fleurs épanouies, arrivait jusqu'à mes narines et j'inspirais ce vent de liberté avec ardeur, gonflant mes poumons jusqu'à ce qu'ils soient sur le point d'imploser.

Mes cheveux se confondant avec le ciel, me donnaient l'impression d'être, pour la première fois de ma vie, en véritable harmonie avec le paysage. Je soupirai de bonheur et m'allongeai sur la couverture pastelle, les bras ramenés derrière la tête. J'en oubliai même le fait que je devais compter, puis me lever pour aller chercher les autres. Ils attendront, pensai-je en fermant les yeux, ils ne sont pas à quelques secondes près.

Le bruit des oiseaux s'éternisait dans la campagne, et bientôt, le ciel changea de teinte, passant de l'orange crépusculaire au bleu violacé. C'était très joli à voir, c'était beau, l'une des plus belles choses que j'avais vu depuis le début de mon séjour. Je ne me souvenais pas de la dernière fois où j'avais assisté à un tel couché de soleil, et en réalité, je ne m'en rappelais pas en avoir réellement observé un. C'était comme si, depuis toujours, j'avais été enfermée dans ma capsule citadine et que pour la première fois en seize années d'existence, je m'étais extirpée de cette dernière pour voir ce qu'était le véritable monde.

La ville... Certes, cela avait beaucoup d'avantages : les magasins sont proches, on peut aller n'importe où à pied ou en usant des transports en commun... Mais on ne retrouve pas le charme de la campagne, cette tranquillité sereine qui l'anime depuis son sein. On ne retrouve pas les gazouillis des oisillons, ni les nappes de brouillard qui se dressent sur les champs. On ne retrouve rien de tout cela, on vit juste dans un dôme sonore de pollution.

Jamais de la vie je n'avais eu de telles pensées à l'égard de cet endroit, de ce village de Montdesbois. Hier encore, je pleurais comme une fillette en suppliant ma mère de venir me chercher. Mais tout ceci n'était qu'un caprice de plus, un caprice qu'elle refusait de me céder. Puisqu'après tout, tout était toujours un caprice avec moi. Je n'arrivais pas à voir le bon côté des choses lorsque l'on me contrariait, et désormais je plaide coupable et demande que l'on m'acquitte.

La campagne, c'est plus cool que ce que je pensais. C'est vraiment zen même si c'est un peu paumé. Les gens, les gens se prennent moins la tête qu'en ville : ils vivent au jour le jour et profite de chaque instant qui s'offre à eux. Pour ce faire, il suffit juste de regarder Fanny : elle croque la vie à pleines dents, sans penser aux conséquences ni à si elle va paraître ridicule ou non. Elle est tout le contraire de moi, et je pense qu'au fond, je jalouse un peu cette gosse hyperactive et fourbe. Il est vrai que j'aimerais être comme elle, mais ce ne serait plus moi : Darla, Darla c'est la princesse qui râle tout le temps et qui hait la saleté, c'est loin d'être la fille qui va se rouler dans la boue et rire à gorge déployée.

Et puis vous savez quoi ? J'emmerde la Darla des villes ! Elle n'a qu'à bien se tenir, car la Darla des champs est pas du genre à mettre des gants !

Et sur ces dernières pensées je me relevai, jetai un dernier coup d'œil à l'horizon et partis avec joie en direction des ruines, tout en criant :

- J'arrive !

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