23||°Réveil agréable et vengeance matinale}

Tante, n.f. : Personne à qui il ne faut jamais, jamais dire qu'on sort avec quelqu'un, sous peine de recevoir un SMS de sa grand-mère, qui elle, attend déjà avec impatience les fiançailles.

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J'OUVRIS LES YEUX, d'un seul coup, comme si je venais de les fermer quelques secondes plus tôt. Bon sang, que j'avais bien dormi. Je ne me rappelais pas avoir passé une aussi agréable nuit depuis... Depuis un moment maintenant. Même chez moi, dans mon confortable lit, avec ma couette chaude et mes oreillers moelleux, je ne dormais pas aussi bien. Et je savais pourquoi j'étais aussi bien, je savais ce qui me rendait d'aussi bonne humeur : mon rendez-vous avec Ulysse.

Je ne saurais dire ce que je ressentais dès à présent, mais s'il y avait bien une chose que je savais, c'était que mon envie de critiquer semblait s'être envolée. Je me sentais si bien, si... Vivante. J'avais envie de chanter, de danser jusqu'à l'épuisement, de partager ma bonne humeur au restant du monde... Je voulais me transformer en une fichue princesse Disney ! C'était comme si ce baiser - enfin ces baisers plutôt - avait estompé ma rancœur et m'avait propulsée dans un monde de Bisounours et de licornes volantes.

Oh mon dieu que c'est niais.

Je m'extirpai avec entrain de mes draps et rabattis la couverture jaune canari au bout du lit. La pièce était encore plongée dans le noir complet, et seule la lente respiration de Fanny venait troubler l'atmosphère paisible qui s'était installée dans la chambre de ma cousine. Je marchai prudemment en direction de la fenêtre, et tournai la poignée de cette dernière une fois que je l'eus trouvée. Le métal commençait déjà à chauffer, bien qu'il ne faisait pas encore très chaud dehors. Je décrochai les volets et les rabattis rapidement contre le crépis de la vielle bâtisse.

Aussitôt, un rayon de chaleur, agréable et lumineux, vint s'engouffrer dans la pièce que je partageais avec Fanny. Je ne pus retenir un petit sourire, et observai, le cœur empli de joie, le réveil des environs. Les volets de la maison des Gentet étaient encore fermés, signe qu'ils dormaient tous à poings fermés. La porte de la grange était ouverte, et mon oncle s'activait déjà là-bas, transportant à l'aide de sa fourche, du foin jusqu'à l'intérieur de l'étable. Il m'accorda un petit signe quand il me remarqua et je lui rendis, tout joyeuse que j'étais. Au loin, j'apercevais le clocher de l'église de Montdesbois, qui sonnait huit coups à intervalle régulier. À droite, un peu plus au fond, je voyais la bordure de la forêt, qui se cachait parmi les collines et les prairies à l'herbe jaunie.

Dans mon dos, Fanny remua légèrement, et lâcha un petit grognement d'ogre enragé. Je me tournai dans sa direction, quittant avec regret le paysage que je contemplais jusqu'à présent. Mon regard se posa sur Fanny, qui frottait d'une main molle ses yeux encore endormis. Un rayon de soleil venait illuminer son front, mettant en valeur un bouton blanc qui avait sûrement dû apparaître pendant la nuit. Elle laissa retomber ses mains et me fusilla du regard, la bouche tordue en un petit rictus.

- T'es sérieuse là ? questionna-t-elle d'une voix quelque peu rauque.

- Bah quoi ? Il fait beau, il fait chaud, les oiseaux chantent...

- Darla, il est huit heure du mat' bordel de merde, grogna la brune en enfonçant la tête dans son oreiller.

- C'est pas toi qui me rabâche tout le temps qu'il faut se lever tôt dans la vie ? Bah tu devrais être contente, parce que j'suis debout aujourd'hui ! déclarai-je en me dirigeant vers la porte. Bon allez, bye le grizzli, j'vais déjeuner !

Pour toute réponse, Fanny grogna de nouveau et un peu plus fort cette fois-ci. Elle retira le coussin de sous sa tête et me fixa de ses yeux encore endormis. Je fronçai les sourcils, intriguée par ce qu'elle voulait entreprendre. Néanmoins, lorsque j'aperçus son bras levé en l'air, près à s'actionner, les rouages de mon cerveau se mirent en route. Ainsi, j'eus juste le temps de m'éclipser de la pièce et de fermer la porte, avant qu'un objet non identifié ne me percute le torse.

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- Darla ! Prend le porte-monnaie qui se trouve sur le comptoir ! On va au marché ! s'exclama Tatie bio de l'autre côté de la cuisine.

- Et pour quoi faire ? questionnai-je en attrapant ce qu'elle me demandait.

- On va acheter de la nourriture pour ce soir.

Ah oui, ce soir. Ce soir c'était le fameux soir : la fête des voisins à Montdesbois.

Ce soir on allait installer des tables dans la cour, et on allait manger et boire en compagnie des voisins, les Gentet. Ma tante était accablée par la nervosité et l'excitation depuis qu'elle s'était levée, et bien qu'il ne soit que dix heure du matin, elle suait déjà à grosses gouttes et des auréoles s'étaient formées au niveau de ses aisselles, sur son chemisier flambant neuf qu'elle avait acheté tout spécialement pour cette soirée.

Fanny déboula dans l'entrée, parée de son éternelle salopette en jean et d'un débardeur jaune poussin. Sur ses cheveux chocolats était posé un chapeau de paille orné d'un ruban bleu marine, dont les bouts semblaient s'être effilochés avec le temps. Elle tourna la tête et esquissa un large sourire, un sourire beaucoup trop enjoué pour ne rien cacher si vous voulez mon avis.

- Darla ! Comme je suis contente de te voir ! s'écria Fanny en m'adressant un signe de la main.

- Fanny... Que me vaut un si soudain engouement ?

- Oh... Rien de spécial, je suis juste aimable envers ma tendre cousine.

Il n'y a plus de doute, elle a un truc fourré dans la cervelle.

- Je suis contente que vous vous entendiez aussi bien, déclara Tante Olga en s'emparant de son sac en coton.

- Oh oui ! Mais Darla s'entend bien mieux avec Ulysse qu'avec moi, ajouta la brune en esquissant un petit sourire en coin.

Oh la sale petite...

- Ulysse ? Mais que vient donc faire le fils du pâtissier dans toute cette histoire ? demanda ma tante en s'approchant de l'entrée, moi sur les talons.

- Oh il ne vient rien faire là, d'ailleurs pourquoi parles-tu de lui, Fanny ? débitai-je innocemment en jetant un regard noir à cette peste de Fanny.

- Tu sais maman, Darla et Ulysse sont très proches... Très très proches même...

- Arrête ça tout de suite.

- Darla et Ulysse sont a-mou-reux ! finit-elle par dire en décortiquant chaque syllabe du dernier mot.

Je vous jure, je vais l'étriper !

Et il ne fallut qu'un seul instant pour que ma récente zenitude ne s'envole et ne se fracasse au sol, comme un vulgaire pot en terre cuite. Ce n'était pas possible, elle faisait vraiment tout son possible pour me mettre la honte celle-là ! Elle ne devait sûrement pas supporter mon succès ici : peut-être que je lui faisais de l'ombre ? Peut-être que je lui volais la vedette dans son village tout pourri ? Elle était jalouse de moi, il n'y avait plus de doute, elle était jalouse de ma réussite à la campagne et de ma beauté divine et envoûtante !

Bon ok, je m'enflamme un peu là.

- C'est vrai ça ? questionna ma tante en tournant la tête dans ma direction, un air de je-ne-savais-quoi affiché sur le faciès.

- Euh... Bah... Ouais, il se pourrait bien que ouais, répondis-je en me pinçant les lèvres, accablée par la gêne, tout en songeant à comment j'allais le faire payer à ma cousine.

- Mais c'est super ça ! Je suis contente pour toi, tu es beaucoup plus intégrée que ce que je pensais finalement ! Attends un peu que je le dise à ta mère, elle va être ravie !

- Ah non ! Non, non, NON ! m'écriai-je en élevant la voix plus que je ne le souhaitais. Surtout pas, ce serait un sacrilège ! Non, non, il ne faut surtout pas qu'elle soit au courant, j'tiens pas à recevoir des coups de fils tous les jours pour me demander si tout se passe bien avec Ulysse, ou pire, recevoir un message de mamie qui me donnerait limite sa bénédiction ! argumentai-je sous l'œil amusé de cette peste de Fanny.

Tante Olga ouvrit la bouche, puis la referma. Elle se détourna de moi et je pus clairement l'entendre murmurer un petit : "ah les jeunes...", avant qu'elle ne se dirige vers la porte d'entrée. Fanny me regardait de ses petits yeux chafouins, un large sourire esquissé sur sa face de rat. Son chemin de fer dentaire reflétait la lumière et m'aveugla alors que je la dépassais, l'air remonté.

- J'suppose que t'as fait ça parce que j't'ai réveillée ce matin ? lâchai-je, exaspérée face à ce sourire digne de ceux du Joker dans Batman.

- Élémentaire ma chère Darla, et c'est ce que j'appelle une vengeance matinale !  

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