Chapitre 5

Ma concentration se tourne complètement sur les exercices de mon coach du jour et est telle que je ne vois pas le temps passer. Nous nous arrêtons seulement lorsqu'un livreur frappe à la porte pour nous donner les repas que Taehyung, mon manager, a commandé pour nous. Jimin affirme que c'est le moment rêvé pour avoir une pause bien méritée puisque l'heure du déjeuner est déjà passée.

Assis par terre, nous dégustons notre panier repas comme si nous n'avions pas mangé depuis une décennie. Si le silence nous enveloppe au début, sûrement incapables de trouver un sujet pour échanger, Jimin finit par le briser en m'interrogeant :

— Comment tu as trouvé ces petits exercices ?

Surpris, je relève les yeux vers lui. Il ne me regarde pas, son attention est portée sur son bento comme s'il était effrayé par mon avis.

— Je n'ai pas l'habitude de ce genre de choses ici.

— Je m'en doutais... ça fait longtemps que je ne fais plus partie de cet... univers, mais bon...

Il déglutit et à l'aide de ses baguettes, mélange son plat, un peu mal à l'aise. Ça me fait un peu de peine de le voir ainsi alors je tente de ne pas laisser ce froid :

— Mais c'est sympa. Et très amusant.

Son regard croise enfin le mien. Il paraît ravi de ma réponse. Ses épaules se détendent et son visage s'ouvre aussitôt.

— C'est vrai ?

Je hoche la tête avant d'enfourner un morceau de Gimbap.

— Super ! Enfin, si on a fait toutes ces chorégraphies, ce n'est pas pour mon petit plaisir. Il y a une raison.

Il est vrai que je me suis demandé toute la matinée, la raison pour laquelle il ne m'avait pas fait travailler sur la mienne puisque c'est celle-ci qui me pose problème.

— Tu n'as pas remarqué ? me demande-t-il.

Je bredouille quelques mots incompréhensibles.

— Avec tous ces exercices, tu as dansé presque tous les mouvements de ta chorégraphie.

Mes yeux s'écarquillent alors que mon cerveau se remémore ce que j'ai pu faire ce matin. Cette fois, il y a le déclic, je visualise mentalement toutes les bribes. C'est incroyable et moi je suis un idiot de ne pas m'en être rendu compte. Il rit en voyant ma réaction.

— Maintenant, tu n'as pratiquement plus aucune raison de ne pas y arriver, affirme-t-il, sûr de lui.

Je secoue la tête, amusé. Sa technique est pas mal et j'espère sincèrement qu'elle fonctionnera. En tout cas, je me sens moins misérable qu'hier soir et ça me fait du bien.

— Merci beaucoup. Pour ton aide.

Il m'adresse un sourire en me soufflant :

— Tant que tu n'es pas passé devant ton staff, ne me remercie pas.

— Si je me plante devant eux, ça sera entièrement ma faute. Tu auras tout fait pour m'aider.

Je termine mon plat et pose ma boîte vide sur le sol.

— D'ailleurs, c'est gentil de ta part. Alors que tu ne me connais pas...

— Tout le monde te connaît, me corrige-t-il, un sourcil relevé.

— Non...

Je soupire et poursuis :

— Les gens connaissent le chanteur JK, mais pas Jeon Jungkook.

Je détourne mon regard vers les vitres qui donnent sur le couloir vide. D'habitude, il y a toujours quelques personnes qui viennent répéter dans ces salles réservées aux groupes, mais aujourd'hui, elles semblent toutes avoir été désertées.

— Tu as raison, murmure-t-il, comme s'il avait peur que je l'entende. Je n'ai pas la prétention de savoir qui tu es personnellement... mais... on sait toi et moi que ce n'est pas notre première rencontre.

— Notre... rencontre ? bafouillé-je.

Il baisse les yeux et tout en frottant ses paumes sur son jogging, m'explique :

— Il y a longtemps, je faisais partie de cette agence, moi aussi et je t'ai croisé plusieurs fois dans les couloirs. Même dans certains cours.

Dire que je suis surpris serait un euphémisme. Je ne me doutais pas que Jimin puisse se souvenir de moi. À cette époque, il était tellement concentré sur son travail que le reste semblait passer à la trappe.

— Un jour, je t'ai même indiqué le chemin pour rejoindre les bureaux de la direction.

— Pardon ?

Alors que ma mémoire tente de retrouver cet instant de mon passé, Jimin esquisse un sourire triste avant de hocher la tête pour confirmer ses dires.

— Cela remonte à si longtemps et... je n'étais personne. C'est normal que tu te rappelles pas de quelqu'un comme moi.

— Pas du tout, je me rappelle de toi !

— Vraiment ? s'étonne-t-il en se redressant.

Il s'installe sur les genoux et penche un peu le haut de son corps vers moi.

— Tu te souviens de moi ?

Je hoche la tête avec détermination.

— Je te regardais toujours danser dans les salles du sous-sol et...

J'hésite à lui en dire plus. Je vais passer pour qui quand il saura ce que j'ai fait ? Se rappelle-t-il de ça ?

— Et ?

Son regard est doux avec une pointe de curiosité. Je ne dois pas avoir honte de mon geste. C'était celui d'un gamin qui voulait juste lui remonter le moral après tout. Il n'y avait rien de mal là-dedans.

— Je te laissais des mochis...

Les dés sont jetés...

— Oh !

Son corps s'avachit un peu sur lui-même alors que sa bouche reste ouverte. Ses paupières papillonnent un instant.

— C'était toi ?

Je ramène mes jambes contre moi et entoure mes genoux de mes bras.

— Oui...

— Mais pourquoi ? Tu avais pitié de moi ?

Ses sourcils froncés m'indiquent que l'idée qu'on ait pitié de lui ne l'enchante pas plus que ça.

— Absolument pas ! C'est juste... Tu avais l'air tellement... triste que je voulais te faire plaisir.

— Ça s'appelle la pitié, ça, dit-il sèchement.

Il se relève lestement et s'éloigne. Il se poste devant les commandes de la musique et touche à quelques boutons sans but précis.

— Mais pas du tout, insisté-je.

— C'est exactement la définition, Jungkook.

Je lève les yeux au ciel, exaspéré.

— Et alors ? Même si ça en est, qu'est-ce que ça peut faire ? Ça prouve juste que tu m'intéresses !

Le silence qui suit ma déclaration est lourd. Bien trop lourd de sens. Je regrette aussitôt mes mots. Non pas parce qu'ils sont faux, mais au contraire, parce qu'ils sont criants de vérité. Et surtout étais-je obligé d'utiliser le présent pour lui dire ça ? Je suis un crétin qui parle avant de réfléchir.

Lentement, tel un slow motion d'un kdrama, Jimin se tourne vers moi. Ses joues sont rosies et ses yeux écarquillés. Mes mots l'ont pris de court. Sa bouche s'ouvre, mais ne laisse aucun son en sortir. Je déglutis et pour détourner mon attention de lui, ramasse les boîtes vides de notre déjeuner.

— Jung...

— On devrait s'y remettre, le coupé-je, mal à l'aise.

Je me relève avec nos déchets à la main et les jette dans la poubelle qui se trouve dans un coin de la pièce.

— Jungkook ?

Jimin ne semble pas être le genre de mec à baisser les bras même quand il s'agit d'une simple conversation avec un quasi inconnu. J'inspire à fond et lui fais face. Je suis timide, mais pas froussard.

— Tu...

— Si j'ai fait ça à l'époque, c'est que tu étais talentueux, beau, charismatique...

Cette fois, je me mords la langue pour m'éviter d'ajouter que tous ces compliments sont encore plus d'actualité aujourd'hui.

— Alors tu peux appeler ça, admiration, compassion ou même pitié, ça ne change rien pour moi. J'ai fait ça pour ton bien, hyung.

Il m'adresse un léger sourire avant de murmurer un merci adorable, le regard baissé. Brusquement, il paraît reprendre du poil de la bête et me déclare :

— Tu as raison, reprenons !

Il tape dans ses mains pour nous motiver.

— Je suis sûr que tu vas vite réussir à la maîtriser.

Jimin se détourne et cette fois, lance ma chanson. Cependant, il ne bouge pas. Il reste immobile alors que la piste avance. Quand les dernières notes s'évanouissent, il dit :

— C'est très beau !

— J'avoue que j'ai beaucoup de chances. Namjoon et Yoongi ont fait du bon travail.

— Je ne doute pas de leurs qualités de producteurs... mais je parlais de ta voix.

Il ne me laisse pas le temps de le remercier et ajoute :

— Namjoon nous a transféré la vidéo hier soir et quand je l'ai regardée, j'ai tout de suite su que tu allais faire un carton. Mais il faut qu'on bosse la chorée pour que tout soit parfait !

Il récupère la télécommande et vient se poster à ma gauche.

— Les premiers essais, on va les faire ensemble pour que tu aies un repère.

— Tu... tu la connais par cœur ? m'étonné-je.

— Bien sûr. Je suis pas prof de danse pour rien.

Il laisse échapper un petit rire puis m'interroge :

— Prêt ?

Je m'essuie les mains sur mon t-shirt et à peine ai-je donné mon accord que la musique commence. Précipitamment, je me mets en place, mais loupe le départ.

— Tu n'étais pas prêt, me contredit-il, un sourcil relevé.

Je lève les yeux au ciel. Cependant, je ne fais aucun commentaire et me place correctement.

— Je suis prêt, affirmé-je, sûr de moi.

Jimin remet la chanson et nous commençons à évoluer. Tout n'est pas parfait, mais j'ose espérer que c'est mieux qu'hier, entouré du staff qui me jugeait. Nous enchainons encore et encore. Je deviens plus à l'aise avec les mouvements, le rythme.

Je sens au fil des essais, son regard aiguisé sur moi et il n'y a aucun doute qu'il a l'habitude de sonder la danse de ses élèves. J'écoute ses conseils, le laisse me toucher pour corriger mes erreurs, ne râle pas quand il me sermonne légèrement et rougis de moins en moins lorsqu'il me complimente.

Cependant, la fatigue finit par apparaître. Quand Jimin éteint la chaîne hi-fi, mon corps lâche et je m'écroule sur le sol, imitant à la perfection une étoile de mer échouée. Ma respiration est chaotique. Mes habits sont tous trempés de sueur. Seule une douche voire un coup de karcher pourrait m'être utile.

Le rire de Jimin résonne un peu plus loin, mais je n'ai même pas la force de tourner la tête vers lui. Tout ce que je sais, c'est que lui est toujours debout et qu'il semble aussi frais qu'un gardon.

— Tu carbures à quoi ? lui demandé-je, essoufflé. Moi, je suis mort.

Sa bonne humeur s'accentue alors qu'il me rejoint. Il s'accroupit à côté de moi, les mains sur ses genoux et m'adresse un grand sourire.

— Tu exagères ! Tu as déjà fait bien pire avec vos concerts et vos tournées mondiales.

Je hausse les épaules malgré ma position et étouffe un bâillement derrière mon bras.

— En tout cas, tu as super bien géré, me complimente-t-il.

Un léger sourire reconnaissant s'imprime sur mes lèvres.

— Tu as...

Il est coupé par des coups frappés. Avec une belle synchronisation, nos têtes se tournent vers la porte qui s'ouvre.


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