Chapitre 1

Les mâchoires serrées, j'essaie de suivre l'enchainement que le chorégraphe me montre pour au moins la vingt-cinquième fois. Il y a quelque chose qui me bloque et m'empêche de retenir les pas. Pourtant, c'est loin d'être la première que j'apprends et elle n'a rien de plus compliqué que les autres.

— À toi de jouer Jungkook, m'ordonne gentiment Minho.

J'avance de manière à être, à mon tour, au centre de la pièce alors que mon cerveau se repasse les mouvements. J'inspire à fond et ferme mes poings, prêt à me battre jusqu'au bout pour réussir. Après toutes ces années, s'il y a bien un truc que j'ai appris, c'est la persévérance. Ne jamais rien lâcher jusqu'à obtenir ce qu'on veut. Travailler constamment. Quitte à louper un repas ou une nuit de sommeil.

La musique démarre et je compte. Cinq, six, sept...

Je me lance. Le début se passe sans encombre. Mon corps semble avoir assimilé cette partie de la chorégraphie. Un léger sourire de satisfaction étire mes lèvres et mes épaules se détendent.

— Très bien, me félicite Minho. Continue...                                                                                                                

Ma main monte, effleure les cieux puis fend l'air brusquement. La chanson accélère, le refrain approche. Mes pieds tentent de suivre le rythme que la musique m'impose. Mon cerveau se concentre sur tout ce que je dois faire. Mon regard accompagne mes mouvements dans l'immense miroir qui me fait face. Mes sourcils se froncent lorsque je réalise que plus rien ne va. Je perds mon sourire et finis par m'arrêter avant la fin. Un grognement de frustration m'échappe. Quelqu'un arrête la piste.

— Veuillez m'excuser, m'exclamé-je aussitôt en me courbant.

— À partir de ce mouvement, commence Minho en me montrant duquel il parle, tu te perds. Comme si tu n'avais jamais dansé de ta vie.

Je déglutis. Je ne peux pas le contrer, je l'ai vu de mes propres yeux.

— Je suis désolé, je peux faire mieux.

— Il va falloir. Mais pas aujourd'hui.

Il regarde sa montre et ajoute :

— C'est la fin de l'entraînement, je dois partir.

Surpris, j'ai un petit hoquet en avisant l'horloge de la salle de danse comme pour m'assurer de la véracité de ses dires.

— Tu dois rester concentrer sur ce que tu fais...

Les mots ne sont pas dits méchamment. Minho n'est jamais odieux avec ses élèves. Et pourtant, je suis vexé. Je déteste décevoir les gens, cela me donne l'impression d'être un moins que rien. Au moment où je vois du coin de l'œil mon meilleur ami se faufiler dans la salle, je perds le fil des reproches. Je bascule la tête en arrière et fixe un point au plafond. Je me sens encore plus mal maintenant.

— Bon Jungkook, dit un membre du staff.

Ma tête se tourne et je découvre Sunoo. Il se décolle du mur et s'approche doucement de moi, un calepin et un stylo dans les mains.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? m'interroge-t-il.

Je me contente de hausser les épaules. Si je pouvais me terrer dans un trou de souris, je le ferais. Son regard me met mal à l'aise.

— Si tu n'es pas capable d'assurer tes engagements, tu dois nous le dire tout de suite.

Je secoue la tête. Malgré mon ancienneté dans ce monde et mon succès, il y a toujours des personnes comme ce Sunoo qui me font bien comprendre que je ne suis personne. Que je pourrais être remplacé par un nouveau en un claquement de doigts. Plus jeune, plus talentueux, plus endurant et plus malléable.

— Le tournage est prévu pour dans deux semaines, tu peux pas te reposer sur tes lauriers, enchaine-t-il. Dois-je te rappeler que tu n'es pas tout seul dans cette affaire ? Si tu foires, c'est le travail de toute l'équipe qui sera bon à jeter à la poubelle.

Je baisse le visage pour cacher que ses mots m'ont touché. Je me mordille la lèvre pour empêcher les larmes qui se sont formées au coin de mes yeux de couler.

— Il est juste fatigué, Sunoo, intervient la voix de mon meilleur ami. Il a enchainé les émissions de variétés et les enregistrements avec moi ces derniers jours.

— Merci, je sais, je suis le chef de ce projet, je te rappelle.

— Alors tu devrais être le mieux placé pour comprendre, non ?

Le bras de mon hyung passe sur mes épaules et au lieu de m'alourdir, j'ai la sensation qu'un poids s'envole. Comme s'il l'avait pris sur lui. Je ne suis plus tout seul.

— C'est quand le prochain entraînement ? demande-t-il.

— Lundi après-midi, répond Minho, le chorégraphe.

— Alors ça nous laisse le temps du weekend pour arriver à quelque chose. Je m'occupe de lui personnellement.

— Toi ? s'étonne Sunoo, un brin moqueur.

Il faut avouer que mon meilleur ami n'est pas connu pour ses talents de danseur, bien au contraire.

— Ne t'inquiète pas pour ça. Tout ce qui compte, c'est que lundi, il saura sa chorée.

Sunoo fait claquer sa langue contre son palais, mécontent. Je relève le regard vers lui et il doit remarquer mon état parce qu'il soupire. Il secoue la tête avant de pointer son index sur mon hyung :

— Je compte sur toi. Je ne prends pas la responsabilité de ça, c'est sur toi que ça retombera, c'est clair ?

— Comme un bon verre de soju, très cher !

— Tu passes trop de temps avec Suga, marmonne le chef de projet. Il déteint sur toi !

Il opère un demi-tour et fait signe au staff que la journée est terminée. À ce geste, je soupire de soulagement. Pourtant, je suis loin d'être sorti de l'auberge parce que cette danse, il va bien falloir que je l'intègre. Son sac sur l'épaule, Minho passe à côté de moi, pose une main dans mon dos et affirme :

— Tu peux y arriver. Tu es un excellent danseur, Jungkook.

— Merci, murmuré-je, peu convaincu de la véracité de ses dires.

En moins d'une minute, tout le monde est parti. Alors dès que la salle de danse est vide, j'enfouis mon visage dans mes mains, prêt à pleurer de frustration, mais aussi de vexation.

— Ne craque pas là.

Sur ces mots, il s'empare de mes poignets et tire doucement dessus de manière à pouvoir plonger son regard dans le mien. Le sien renferme cette force, cette bienveillance, cette amitié qui le caractérisent tant. Namjoon et moi nous connaissons depuis presque douze ans. Dès qu'il m'a vu dans l'agence, il m'a pris sous son aile. Il m'a protégé, m'a aidé à progresser, m'a empêché un nombre incalculable de fois d'abandonner mon rêve de devenir idol.

Grâce à lui, j'ai pu le réaliser, et ce, au-delà de toutes mes attentes puisqu'après sept ans dans le groupe de kpop 97'boys, l'agence m'a proposé d'être le premier des membres à débuter en solo. Alors autant je suis heureux de cette opportunité, autant ils me mettent une pression incroyable. Mais encore une fois, Namjoon est là pour moi. Je ne pourrai jamais le remercier à la hauteur de son aide.

— Les murs ont des yeux et des oreilles, affirme-t-il en jetant un regard vers les vitres qui séparent notre salle du couloir. Allez suis-moi !

Il ne me laisse pas le temps de répondre quoi que ce soit ou même de réaliser ce qu'il me dit qu'il lâche un de mes poignets et tire sur le second. Il m'entraîne à sa suite en direction de la porte et au passage, récupère rapidement mon sac de sport.

Nous traversons les couloirs et empruntons l'ascenseur pour nous rendre à l'étage des studios des producteurs. Je m'y rends rarement. Seulement quand un producteur veut me faire écouter une piste dans l'optique de l'enregistrer. La plupart du temps, c'est Namjoon ou Suga. De toute manière, je n'ai pas les codes ni même l'autorisation d'y aller seul.

Mon meilleur ami nous fait passer toutes les portes sécurisées et nous arrivons enfin dans la salle qui lui est réservée, son studio. Là où il réalise toutes ses masterpieces. À peine entré, il se débarrasse de ses chaussures ainsi que de mon sac à côté de son canapé et je me dépêche de l'imiter après avoir refermé derrière moi.

Bien que ce ne soit pas ma première fois ici, je n'ose pas le suivre dans la pièce. Je me sens tellement mal à cause de ce qu'il vient de se passer que je souhaite seulement rentrer chez moi, prendre une douche, sûrement pleurer dessous puis me coucher même s'il est loin d'être l'heure pour ça.

— Tu vas pas rester là-bas, se moque-t-il gentiment.

Il ouvre un placard et en sort des sodas.

— Je n'ai pas d'alcool, il faudrait aller chez Suga pour ça, plaisante-t-il en me faisant un clin d'œil.

— Oh ça me convient parfaitement.

Un peu gêné, je le rejoins et m'empare de la canette qu'il me tend. Je le remercie et vais m'asseoir sur le canapé quand il me le désigne.

— Arrête de te prendre la tête, Kook.

Je baisse les yeux sentant les larmes revenir à l'évocation de ce qu'il vient de se passer.

— Tu es l'un des meilleurs idols de ta génération, m'assure-t-il, confiant.

Je renifle le plus discrètement possible et ouvre ma boisson pour me donner une certaine contenance.

— Tu as une voix incroyable, tu rappes tellement bien que parfois je t'envie...

À cette affirmation, je me redresse, choqué. Namjoon est l'un des meilleurs rappeurs, mon préféré sans aucun doute. Je découvre son sourire, ses fossettes sont visibles. Il est sincère. Je secoue la tête, mais il ne s'arrête pas là :

— Tu danses comme un dieu, tu composes, peins, dessines...

Il fait une légère grimace et ajoute :

— Tu réussis tout ce que tu entreprends. Pas parce que tu as de la chance, mais parce que tu te donnes toujours à fond. Tu bosses encore et encore sans compter tes heures pour obtenir ce que tu veux. Alors il n'y a aucune raison que ça ne se passe pas de la même manière cette fois.

Je hausse les épaules, peu certain de ce qu'il dit. Je bois une gorgée puis soupire.

— Et je vais t'aider !

Il lève sa propre canette dans l'optique que nous trinquions. Pourtant, la seule chose que j'arrive à faire est de froncer les sourcils.

— Je veux pas te vexer, hyung, mais...

Son bras retombe sur sa cuisse. Je tourne mon soda entre mes mains, cherchant une manière de dire les choses sans le vexer.

— Tu es une quiche en danse.

Ses yeux s'écarquillent à mes mots. Je me débrouille dans pas mal de domaines comme l'a énuméré Namjoon, mais pas dans la diplomatie a priori.

— J'ai dit que j'allais t'aider, pas que j'allais danser !

Ma bouche forme un joli rond sous la surprise.

— Mais merci pour ton tact !

Il lève les yeux au ciel avant de boire un peu.

— C'est là que j'aurais bien besoin d'une bouteille de Suga !

Je ne peux m'empêcher de ricaner.

— Sunoo a raison, tu passes trop de temps avec Suga !

Cette fois, nous rions tous les deux. Quand le calme revient, il me déclare :

— Je préfère te voir comme ça.

— Je suis désolé...

— Pas de souci, j'ai l'habitude. Je te connais depuis assez longtemps pour savoir que quand tu as passé des jours à enregistrer, derrière tu es éreinté. Ça te fatigue bien plus que la danse.

Je confirme ses dires. C'est vrai que depuis mes débuts, j'ai toujours été ainsi. Me concentrer sur les notes, les paroles, les mélodies ainsi que moduler ma voix et recommencer jusqu'à obtenir la perfection, tout ça me demande un travail intense.

— C'est pour ça que je suis venu voir comment ça se passait.

— Plutôt mal !

— Mal, non. Mais c'est vrai que je t'ai connu plus performant, nuance-t-il. Le Jungkook fragile, ça ne te ressemble pas. Tu es un battant, ne l'oublies jamais, OK ?

Je hoche la tête en tentant de bomber le torse pour reprendre un peu du poil de la bête. Il a raison, je ne peux pas m'apitoyer sur mon sort. Ce n'est pas comme ça que je vais réussir mon solo écrit par Namjoon et Suga. Je me dois de leur rendre honneur. Alors je l'interroge :

— Si tu ne vas pas danser, comment tu vas m'aider ?

Il a un petit sourire en coin, mais ne me répond pas...

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