Thé noir et macaron


Chère Ari,

Je travaille actuellement chez une vieille dame, veuve, dont le fils unique vit loin, dans un autre pays. Elle me paye et m'offre du thé noir, ainsi que des macarons, et moi je peins ses murs, en ce moment, car elle a besoin de changement. À ce que j'ai pu comprendre, toi aussi.

Aussi heureuse que je puisse être de te voir comprendre où est ton bonheur, et vouloir l'attendre, le rôle que je joue dans cela me tient éveillée, la nuit. Je ne veux pas être un sujet de discorde, et de décisions impulsives. Tu mérites mieux que cela, et de garder l'amour de ta famille, ainsi que la douceur du calme.

Gigi sentit son style se suspendre au-dessus du papier et elle lui enfila son capuchon, admettant sa défaite. Lorsque son employeuse revint, elle sirotait son thé, le regard perdu dans le massif d'hortensia.

— Ça fait une éternité que je n'ai pas vu quelqu'un écrire une lettre, même moi j'envoie des SMS, maintenant.

Mme Vallier était petite, très mince, avec des cheveux d'un blanc pur, mais elle n'avait rien d'une grand-mère aux vêtements protégés par de petites boules de naphtaline. Habillée d'un jean et d'un tee-shirt en maille bleu ciel, elle avait une coupe de cheveux courte, plutôt moderne, et une voix encore assurée. Gigi avait repeint sa chambre et une fois sa mission terminée, la vieille dame l'avait invité à rester pour un thé, s'absentait un instant alors que son téléphone s'était mis à sonner.

— Je trouve l'exercice intéressant, les mots sont mieux choisis et portent un sens nouveau, lorsqu'ils coûtent et ne sont pas instantanés.

— Qu'avez-vous donc à dire de si important que cela vous plonge dans une telle tristesse, jeune fille ?

Gigi rit doucement devant l'air taquin de son éphémère employeuse, puis elle but le reste de son thé et appuya son menton dans sa main.

— La personne que j'aime semble faire des choix qui vont mouvementer sa vie pour moi. J'ai l'impression de devenir un problème, et cela me fait hésiter.

— Lui avez-vous demandé de faire ses choix ?

— Non ?

— Est-elle sous votre influence ?

— Je... je ne crois pas.

— Hé bien, alors, où est le mal ? Un couple est un partage de force et d'idée, et de toute évidence vous avez donné à votre moitié la force de faire des choix si grands, qu'ils vous font peur. Mais est-ce une raison pour lui retirer cela et chercher à la réduire à ce qu'elle était, sans espoir de changer ?

Gigi répondit par un sourire et un hochement de tête. Elle savait qu'il ne servait à rien de chercher à contredire Mme Vallier, la vieille dame était trop sûre d'elle pour cela, et à vrai dire elle paraissait connaître le sujet. Dans le grand salon blanc à l'odeur de lavande, il y avait des photos de son mari, décédé, et d'eux dans de nombreux pays différents, puis d'elle seule, âgée, mais encore en train de voyager. Gigi s'imagina comment une jeune fille timide avait aimé un aventurier, devenant elle-même une baroudeuse.

Mme Vallier lui resservit du thé et des macarons, puis lui parla de son prochain projet, une excursion au Togo, avant que la jeune femme ne parte dans en fin d'après-midi. Sur le chemin de son hôtel, elle trouva un petit parc, dans lequel elle s'arrêta, pour s'asseoir sur un banc noir aux pieds fermement ancrés dans l'herbe dense. Lentement, elle relut ses mots, puis sortit son stylo et se corrigea.

Chère Ari,

Je travaille actuellement chez une vieille dame, veuve, dont le fils unique vit loin, dans un autre pays. Elle me paye et m'offre du thé noir, ainsi que des macarons, et moi je peins ses murs, en ce moment, car elle a besoin de changement. À ce que j'ai pu comprendre, toi aussi.

Aussi heureuse que je puisse être de te voir que je sois de te voir aspirer au bonheur et à la liberté, je suis soucieuse du rôle que je me vois jouer dans tout cela. Je ne veux pas que tu fasses quelque chose que tu regrettes, plus tard, et je refuse de t'arracher à ceux qui t'aiment, car ils sont ceux qui te gardent en sécurité et te portent à bout de bras, tout comme tu le fais en retour. Cependant, si j'ai fait éclore une fleur qui bourgeonnait déjà en ton sein, alors nous vivrons ce printemps ensemble, dans la joie, mais aussi la paix. Je ne veux aucune haine, colère ou rancœur sur notre chemin, et je compte moi-même laisser mes armes et mes batailles loin de toi, en les semant durant ce détour.

Ce que je veux te dire, au fond, c'est que j'espère que tes choix te seront toujours profitables, et que, quels qu'ils soient, je les respecterais.

Le rouge à lèvres doit t'aller merveilleusement bien, mais tu ne saurais resplendir plus que tu ne le fais déjà, à mes yeux.

Toujours à toi,

Gigi

Autour d'elle, les enfants jouaient et les chiens couraient, excités par le soleil et le bruit. Les parents papotaient, disséminés sur les bancs entourant l'air de jeu, et Gigi contempla les cerisiers en fleur jusqu'à ce qu'un vent frais lui rappelle que le printemps était un subtil mélange de soleil et de fraîcheur. Cette fois, elle rejoignit l'hôtel, en prenant soin de glisser sa lettre dans la fente d'une boîte postale, au passage.

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