Mochi matcha



Gigi était restée dans sa chambre presque tout le temps, à regarder la pluie par la fenêtre. Une brume épaisse recouvrait la ville laide, et ce manteau de mystère et de brouillard lui seyait particulièrement. Il n'y avait pas grand-chose à faire dans les rues vides, froides et occupées ni dans l'hôtel misérable à la moquette rouge, qui étouffait les pas comme autant de témoins de son ennui. La jeune femme avait attendu ainsi la réponse d'Arianna, qui vint un beau matin, où les lampadaires encore allumés dessinaient des halos confus dans le voile de brume, comme autant de petits soleils pâles.

Aussitôt, Gigi était partie. Elle avait pris un train en direction d'une grande ville, encore plus au sud, et avait consciencieusement cherché un petit hôtel abordable, avant de s'inscrire sur des sites d'aides entre particuliers. Pour éviter de faire fondre ses économies, elle trouvait ainsi de petites missions, payées en liquide, qui lui payaient ses chambres et ses restaurants. Lorsqu'elle eut fini ses recherches, elle lut enfin la lettre, dont elle avait intentionnellement repoussé la lecture pour prolonger cette sensation étrange qui lui tiraillait le ventre. C'était comme un frémissement, un souffle doux sur la chair nue, aussi dérangeant que tendre.

Un peu plus tard, après avoir laissé ses affaires dans sa nouvelle chambre, Gigi sortit pour rejoindre un café japonais recommandé sur internet. À cette heure, il était désert, et elle s'assit dans un coin en sortant soigneusement le papier à lettres, décoré de fleurs de cerisier, qu'elle avait acheté à l'entrée.

Chère Arianna,

Le printemps est chaud ici, et j'ai trouvé un café servant des mochis frais. Je viens de mordre celui au matcha, il est délicieux. Doux comme des pêches autour et si tendres, un peu amer, au centre. Je ne crois pas que je pourrais vivre sans en manger encore.

Pas plus que je ne pourrais vivre sans te revoir, maintenant que je sais que tu m'attends. Ne crains pas les autres personnes que je croiserai, je ne pense qu'à toi, et personne avant toi ne m'avait autant tenu dans le creux de sa main.

Ce n'est pas pour rencontrer quelqu'un d'autre que j'ai fait un détour, pas plus que pour effectuer un baroud d'honneur, ou autre voyage à visée faussement utopique. Ce n'est pas la distance que je cherche, c'est moi-même, et c'est le temps qu'il faut que je traverse pour me trouver. Tu es apparue à un bien étrange moment de ma vie. J'ai cette étrange impression de diriger mon corps aisément, spontanément, mais lorsque je cherche à porter sur mon être un regard plus large, tout est confus. Je ne me reconnais pas, je ne saurais me décrire, me comprendre, me cerner, et je ne suis plus sûre de ce que je veux. J'ai perdu la fougue de l'adolescence et l'insouciance de la jeune vie d'adulte, et je crains de ne vivre que sur les restes de mes vieux idéaux. Cela n'a rien de mal, mais je n'arrive pas à me convaincre que c'est ce que je veux. Alors je cours après la personne que je veux être, pour être certaine d'arpenter un chemin sur lequel je n'aurais pas honte de me retourner, dans mes vieux jours.

J'ai commandé un thé, et un second mochi, à la mangue. Est-ce que tu aimes cela ? Nous pourrions en manger ensemble, un jour. Si tu n'aimes pas, tant pis, je t'inviterai là où tu voudras aller.

Bien à toi,

Gigi

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