Donut au sucre



Arianna relut encore la lettre de Gigi. Elle était passée par toutes les émotions depuis qu'elle l'avait reçue : la peur, la colère, et dorénavant la tristesse. Elle ne voulait pas perdre Gigi, mais elle voulait faire ses propres choix, et avait peur de passer pour impulsive, inconstante.

Avec un soupir, la jeune femme remit le papier plié dans son enveloppe et détacha ses cheveux en rangeant son tablier.

— Tu veux venir manger avec nous, ce soir ?

Depuis peu, son père s'empressait de descendre dès qu'elle avait une pause, ou finissait son service, pour lui proposer une activité. Cela ne paraissait pas cependant très réfléchi, car il avait systématiquement autre chose de prévu, à laquelle il lui demandait de se greffer. Elle avait ainsi refusé de l'accompagner en randonnée, au tennis, à la pêche, et aujourd'hui il était question d'un dîner avec ses anciens collègues de l'armée.

— Non, papa, vraiment pas.

— Ça ferait plaisir aux autres de te voir.

— Ils peuvent passer me dire bonjour au café, j'ai déjà des plans, ce soir.

— Où ça ?

Exaspérée, Arianna soupira et laissa son front s'appuyer sur le métal froid de son casier.

— Tu me caches des choses ! J'ai le droit de savoir si tu as des problèmes, et je ne veux pas découvrir demain que tu prends de la drogue, ou... ou...

— Ou que je fréquente une femme ?

Les mots étaient sortis tout seuls de sa bouche, et Arianna regretta de leur avoir donné tant de haine. Elle n'avait jamais abordé ce sujet avec son père, qui avait même évité d'évoquer son baiser, malgré leurs récentes disputes. Cette fois, la jeune fille se retourna pour faire face à l'homme un peu sonné, mais elle s'efforça de parler avec douceur.

— Papa, je suis heureuse, je ne suis pas en train de foutre ma vie en l'air. Je suis une femme, je me découvre, et je découvre mon bonheur. J'ai rencontré quelqu'un que j'aime, et non, ce n'est pas elle que je vais voir, car elle est en voyage. Mais son absence me pousse à réfléchir sur ma vie, et sur ce que je veux. Je suis très heureuse d'avoir travaillé au café avec toi, de t'avoir aidé et que nous ayons traversé tant de difficultés ensemble. J'espère que nous pourrons rester aussi proches, dans nos relations, même si je m'éloigne physiquement. Parcequ'on en arrive là : j'ai envie de voir autre chose, un peu, et de fonder mon propre foyer. Est-ce que c'est trop demandé ? Est-ce que j'ai l'air d'agir par colère ?

Arianna avait parlé lentement, et un court silence suivit son discours, qui paraissait avoir surpris son père. Celui-ci opta pourtant rapidement pour une colère vite et il s'approcha d'un pas en pointant un doigt menaçant.

— Ne me fait pas dire ce que je n'ai pas dit, je me fous que ça soit une femme, mais tu ne la connais pas ! Et je l'ai vu, c'est une baroudeuse, une hippie sans avenir, qui fume sûrement de la drogue, et il est hors de question que je te laisse gâcher ta vie avec elle !

Derrière eux, une serveuse surgit. Elle riait en poussant la porte battante, mais lorsqu'elle les vit, figés et visiblement en pleine dispute, elle s'arrêta, gênée. Arianna profita de ce malaise pour saisir son sac en claquant la porte de son casier, puis marcher à grands pas dans la salle du café, jusqu'à la terrasse qu'elle quitta tout aussitôt.

Elle n'avait pas adressé un seul regard à son père dans son départ, et crut un moment qu'elle allait finir par sentir sa large main sur son épaule, pour la retenir, mais il n'en fut rien. Sans vraiment de but, la jeune femme erra dans le centre-ville avant de finir par rejoindre la gare, pour la quitter en longeant l'avenue menant au lycée. Elle avait étudié dans ces bâtiments, et n'en gardait pas un seul ami, ou un bon souvenir. Le béton gris et les barrières métalliques l'accompagnèrent tandis qu'elle marchait en direction d'une zone commerciale plus récente, aux larges parkings à moitié vides, à cette heure.

Avisant un fast-food à l'enseigne haute, Arianna commanda un soda et un donut au sucre, avant de s'installer sur une table de pique-nique inondée par le soleil du printemps. Là, elle secoua son gobelet en papier où tintaient les glaçons et sortit son papier à lettres, qu'elle avait pris l'habitude d'emmener partout avec elle, dorénavant.

Chère Gigi,

J'aimerais partir dans le sud, moi aussi. Je n'ai jamais vraiment aimé cela, mais pour une fois, je voudrais aller à la plage, nager, flâner en ville pour manger des glaces et acheter des babioles sans importance.

Je comprends ton point de vue, mais je pense que la réflexion que tu m'as aidé à entreprendre serait venue d'elle-même, un jour ou l'autre, et que je tentais de la nier par lâcheté. Tu as été le point de rupture de mon indolence, et je t'en remercie, mais pour le reste je ne veux pas faire de notre relation un champ de bataille. Peut-être ai-je besoin moi aussi d'un détour en moi-même ? Tu n'es ni une arme ni un prétexte pour moi, et j'entends bien t'attendre dans la sérénité, et uniquement ainsi. Pourtant, je dois admettre qu'aujourd'hui, je ne suis pas prête à cela, et parce que j'ai ressentie une terrible, bien que fugace colère, je ne prendrais aucune décision aujourd'hui.

Mon père pense que tu es une vagabonde, et une toxicomane. Je n'en crois pas un mot et je pense qu'il est plus facile de te haïr en te donnant de mauvais attrait, pourtant, je dois bien avouer que je ne connais de toi que ce que mes yeux ont pu lire, de tes lettres et de ton corps. D'où viens-tu ? Quel est ton métier ? Ta couleur préférée ? Je connais l'essentiel, mais je veux aussi ce qu'il y a autour.

Bien à toi,

Ari

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