Chapitre 48 - Sabine

Il n'en croyait pas ses yeux.

Il ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer.

Devant lui, deux silhouettes se tenaient entre lui et Chat Noir. Cette dernière était à nouveau prisonnière d'un cocon de brioche. Son père régénérait sa prison au fur et à mesure qu'elle la détruisait. Son front se perlait de sueur sous l'effort intense que cela lui demandait.

Il releva la tête quand une main noire et jaune entra dans son champ de vision. Une femme aux cheveux gris coupé courts portant un costume rayé de jaune et noir le regardait avec un air grave.

- Debout, jeune homme ! lui lança-t-elle avec un accent italien.

- Vous êtes une gardienne, réalisa-t-il, stupéfait, en reconnaissant la voix de l'interlocutrice de Maître Fu.

Ses lèvres se plissèrent d'un sourire amusé. Elle le releva avec une force insoupçonnée sur ses genoux tremblants. Il prit la mesure de la situation quand il reconnut Maître Fu en héros de la tortue. Il brandissait un bouclier dans une posture défensive.

- Nous arrivons juste à temps, on dirait, fit le gardien en se redressant légèrement avant de se raidir. Ah, mon pauvre dos !

La gardienne secoua la tête en soupirant.

- Comment nous avez-vous trouvé aussi rapidement ? demanda le héros à la coccinelle.

Le dispositif anti-akuma n'était pas encore en place. Aucun journaliste n'était encore là. Elle lui jeta un regard en biais en décrochant la toupie à sa ceinture.

- On a eu une aide... inattendue, dit-elle en étirant le fil de son arme.

Chat Noir se libéra finalement de ses entraves et s'élança vers le Papillon, griffes dehors. Tom Dupain tenta de s'interposer mais échoua lamentablement. Elle était déjà puissante en héroïne mais là, cela dépassait l'entendement. Si son père n'avait pas été akumatisé, il serait très  gravement blessé. 

Au moment où elle allait s'en prendre à sa mère, elle bondit en arrière esquivant des projectiles. Ces derniers étaient des sortes de fléchettes imitant les plumes d'un paon.

Lordbug n'en crut pas ses yeux. Encore.

Une femme entièrement bleue aux yeux rose se releva en tenant un éventail d'ocelles. Sa robe bleu foncé imitait la queue d'un paon.

- C'est une gardienne elle aussi ? demanda le héros, abasourdi.

- Non. C'est elle qui nous a guidé jusqu'à vous, déclara Fu sans quitter Chat Noir du regard.

- Et si on s'occupait d'un problème plus pressant avant de faire les présentations ? lança la porteuse de l'Abeille d'un ton sévère.

La porteuse du Paon hocha simplement de la tête et les rejoignit. Elle tenait dans sa main libre une plume, prête à la lancer.

- Sabine, l'interpella le porteur de la Tortue. Je propose une trève afin de sauver ton enfant. Nous réglerons nos comptes plus tard.

La porteuse du Papillon pinça les lèvres dans une expression peinée.

- Entendu, Maître Fu, dit-elle en rejoignant leur demi-cercle.

Chat Noir faisait désormais face à quatre porteurs de miraculous et un akumatisé. 


La trahison.

La fureur.

La colère.

La tristesse.

Tout se mélangeait en un chaos indescriptible. 

Elle était perdue quelque part dans cette tempête d'émotions à l'intensité grandissante. 

Détruire.

C'était son rôle.

Détruire pour protéger.

C'était le but de son existence.

Trop de chatons avaient été perdus.

Cela faisait trop mal.

Trop de chatons étaient morts.

Mais pas aujourd'hui.

La Coccinelle se met entre elle et sa proie ?

Trahison. Colère. Douleur.

Pourquoi la Coccinelle se retournait contre elle ?

Pourquoi ?

Pourquoi ? 

Il est l'ennemi maintenant. 

Il faut détruire l'ennemi.

Encore cet homme-pain qui l'empêche de remplir son rôle.

Il va tâter de son pouvoir.

Le Papillon. Une fois détruit, tout redeviendra comme avant.

Encore un ennemi ?!

Les ennemis de Chat Noir sont légion. 

Femme bleue, oiseau de malheur.

Ils forment une meute. Contre elle.

Injuste.

Injuste.

La Coccinelle était sa meute.

Le Papillon était sa meute.

L'Homme-pain était sa meute.

L'Abeille était sa meute.

La Tortue était sa meute.

Maintenant, elle est seule.

Elle est seule.

Seule.

Seule.

Seule.

Elle doit toujours protéger.

Détruire pour protéger.

Détruire et protéger.

Détruire.

Protéger.

Toujours.


- ATTENTION ! cria l'Abeille en sautant avec agilité.

Chat Noir abattit son pouvoir sur le sol. Le béton se craquela avec un grondement sinistre avant que la terre ne s'ouvre pour former un immense cratère. A l'abri en hauteur, les porteurs de miraculous purent apprécier l'étendue des dégâts.

- J'ignorais que le cataclysme était si puissant, fit Lordbug estomaqué.

- Il l'est bien plus encore, héros, expliqua Fu d'un air sinistre. La bague du Chat Noir avait pour but d'inhiber sa puissance. Maintenant que l'équilibre est rompu...

- Le pire est à craindre, conclut la gardienne en les rejoignant. Il est temps d'utiliser ton pouvoir, jeune homme !

Le Papillon et l'akumatisé, aidés de Maître Fu, s'occupaient de distraire Chat Noir. L'ironie de la situation était palpable. Leur ennemi l'aidait à sauver sa partenaire devenue incontrôlable. Mais était-ce vraiment le cas ? Sabine et Tom était-ils vraiment l'ennemi ? C'étaient des parents qui voulaient sauver leur fille. Il ne pouvait y être insensible. 

Mais ils avaient mal agi. Pour des raisons personnelles et égoïstes, ils avaient mis des vies en danger. C'était indubitable.

Plus tard, se sermonna-t-il. Il y avait plus urgent.

Il lança en l'air son yoyo. Il attendit l'objet comme le Saint Graal et la réponse à tous ses problèmes. 

- Un téléphone ? s'exclama le Paon.

C'était la première fois qu'il entendait sa voix. Mais il ne s'attarda pas dessus pour chercher quoi faire de cet objet à l'utilité encore plus obscure que d'ordinaire. L'analyse de son environnement s'avéra encore plus surprenante que d'habitude.

Rien.

Rien d'autre que le téléphone.

Il ne comprenait pas. La panique commença à le gagner tandis qu'il tentait de comprendre ce que son miraculous voulait qu'il en fasse.

Hésitant, il déverrouilla l'écran et consulta le répertoire. Est-ce que ce serait si évident ?

En voyant le seul contact enregistré, il déglutit. S'il allait jusqu'au bout, leur identité serait révélée. Mais avait-il vraiment le loisir de se montrer précautionneux ? Maître Fu et l'Abeille semblaient soucieux et pas seulement parce que Chat Noir semblait avoir perdu la raison.

Il se tourna vers l'Abeille et le Paon pour leur expliquer ce qu'il allait faire avant de se séparer.

Tandis qu'il quittait les lieux de la bataille, il composa le numéro enregistré. Au bout de deux sonneries, on décrocha.

- Ici, Lordbug. J'ai besoin de ton aide pour sauver Chat Noir, déclara-t-il incertain de sa réponse.


Sabine  a toujours accompli avec diligence tout ce qu'on attendait d'elle. 

Elle avait appris la cuisine, à coudre, à faire le ménage, à faire les comptes. Bref, à tenir la maison pour devenir la parfaite femme au foyer. Sous la direction de sa mère et de ses tantes, elle s'était conformée à l'image idéale de la douce et docile petite chinoise.

Ce qu'elle n'était pas. 

Sabine avait eu beau réprimer ses instincts lui réclamant plus de liberté, plus de frivolité ; ils étaient toujours là, présents à bas bruit. Avant de rencontrer Tom, elle regardait les jeunes filles de son âge avec dédain. Elles sortaient, s'habillaient de manière vulgaire, se maquillaient ! Leurs parents toléraient qu'elles aient des relations avec des garçons ! Ils se fichaient donc à ce point de leur vertu ?! 

Incompréhensible.

Avec les années, Sabine s'était drapée dans cette attitude hautaine car son éducation lui disait qu'elle se comportait bien et donc, qu'elle valait mieux qu'elles toutes. Or, personne ne la remarquait. On la traitait de "fille coincée", de "vieille fille" et de "mégère" pour les plus éduqués. Mais qu'importe. Plus on l'excluait, plus elle se sentait confortée dans ses convictions.

Ou du moins, c'est ce dont elle voulait se convaincre.

Au fond, elle souffrait d'être exclue, d'avoir l'impression de vivre dans un monde parallèle à ses camarades. Pourtant, tout ce qu'on lui avait appris était la bonne voie. Alors pourquoi était-elle si malheureuse ?

C'était la seule voie qu'on lui avait enseignée. On ne pouvait pas l'avoir trompé, lui avoir menti pendant tant d'années, n'est-ce pas ?

Tom lui avait montré qu'il y avait une autre voie. C'était son sourire à la douceur incomparable, son immense gentillesse malgré sa carrure d'armoire à glace qui l'avait séduite. Il était un homme bon aux aspirations simples. Il la rendait heureuse. Elle avait bravé l'avis de sa famille et choisit un mariage d'amour plutôt qu'un mariage arrangé. Ils avaient aussitôt coupé les ponts avec elle. Seul son oncle avait gardé contact. Cela l'avait désespéré mais Tom avait été d'un soutien indéfectible.

Elle est tombée enceinte.

Sabine connut l'ascenseur emotionnel comme jamais. Sa belle-mère, Gina, l'aida beaucoup en la conseillant, en la rassurant sur cette formidable aventure qu'était la parentalité. Serait-elle à la hauteur, elle, une ratée ?

Oxance est né. Elle l'a également baptisé Jie Wen, espérant que ce nom l'inspirerait pour être un héros en même temps que quelqu'un de doux et de raffiné. Ce qu'il s'est avéré être. Il était sa plus grande fierté.

Elle est à nouveau enceinte.

C'est une fille.

Sabine panique. Que va-t-elle faire d'une fille ? Elle doute d'elle-même sur son rôle de mère. Que va-t-elle pouvoir lui transmettre ? Elle qui a été malheureuse toute sa vie ? Elle n'a aucun repère.

Marinette est née. Elle lui donne le nom de Da Xia. Grande héroïne, dans la suite logique de son frère. Peut-être que ce nom lui donnera la force de caractère qu'elle n'a jamais eu. Ses enfants sont très proches, Jie entraîne sa petite sœur dans ses aventures et ses bêtises. Sabine a peur que Marinette se blesse. Elle est fonceuse et s'égratigne souvent. Alors elle lui interdit de sortir mais la petite chipie trouve toujours le moyen de s'échapper avec son aîné.

Tom l'appelle à plus de calme et à prendre du recul. C'est une enfant et elle doit faire ses propres expériences. Et cela passe par quelques bobos. Car elle ne pourra jamais empêcher qu'il lui arrive quoi que ce soit. Sabine comprend mais n'arrive pas à l'intégrer. 

Elle doit la protéger.

Peu à peu, Marinette se rebelle. Elles s'éloignent. Pourtant, elle fait tout pour sa fille. Elle veille à ce qu'elle mange bien, qu'elle soit bien habillée. Elle lui apprend tout ce qu'elle sait sur la couture. Marinette est même tentée par une carrière de styliste à un moment et fait sa joie.

Jie est mort.

Sabine s'effondre. La perte de la chair de sa chair, du sang de son sang est une douleur inimaginable. Elle n'y croit pas, elle ne veut pas y croire. C'est un mensonge éhonté. Elle en perd appétit.

Et pourtant, Marinette l'a vu. Elle a tout vu. Elle lui explique ce qu'il s'est passé. Elle la gifle. Elle lui crie dessus. C'est de sa faute et de son "amie" Chloé. Elle aurait dû mourir à sa place.

Elle regrette ses paroles dictées par la douleur de sa perte. Mais le mal est fait. Un fossé s'est creusé entre elle et sa fille. Elle se sent si fatiguée.

Jamais plus elle ne voit un sourire flotter sur ses lèvres. Son dos lui fait mal.

Le médecin soupçonne quelque chose de grave. Elle le sait en voyant son expression inquiète. Tom dit qu'il a une solution. Elle rend régulièrement ses repas.

Le lycée l'appelle. Marinette a fait un malaise. Elle a peur qu'elle aussi lui soit arrachée. En arrivant, elle voit un jeune garçon penchée vers elle. Oserait-il profiter de son état de vulnérabilité pour la séduire ? Elle ne l'aime pas.

En lisant le journal, elle apprend que sa fille sort avec la fille du maire. S'est-elle donc si mal comporté dans sa vie antérieure pour être ainsi punie ? Il ne suffisait pas qu'elle perde son fils mais que sa lignée s'éteigne avec Marinette ? Elle lui échappe. Ses yeux deviennent jaunes.

Les résultats tombent. Elle a un cancer. Elle n'y survivra pas.

Tom lui révèle qui est Chat Noir.

Impossible.

L'univers a donc décidé de les séparer quoi qu'il arrive ?

Sabine hésite, elle regrette. Mais il est trop tard pour reculer. Elle n'a plus le temps.

Elle prend le miraculous et prend les rennes. Tom a échoué et a mis en danger leur fille. Elle l'aime mais elle ne peut le lui pardonner facilement.

Aujourd'hui, c'est la fin, se dit-elle en les attendant au skatepark abandonné.

D'une manière ou d'une autre, tout s'achève aujourd'hui.

Lorsque les héros arrivent, elle hésite. C'est Da Xia sous ce masque noir. C'est sa fille.

Sa fille est devenue un monstre. 

Et c'est de sa faute.

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Sabine est une femme compliquée. Elle a toujours voulu bien faire mais n'en avait pas forcément les moyens. Elle n'est pas fondamentalement méchante.

Elle est humaine.

A bientôt pour la suite.

La fin est proche.

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