Chapitre 46 - Trop tard
- On n'est pas obligé de la faire cette interview, déclara Lordbug d'une voix où transparaissait sa nervosité.
- Ça ira. J'ai un masque pour cacher mes cernes et mes yeux gonflés, lui répondit sa partenaire féline sur un ton qu'elle voulait désinvolte.
Il pinça les lèvres mais n'ajouta rien. Chat Noir et lui attendaient que la propriétaire du Lordblog ait terminé ses préparatifs techniques pour commencer. Pour l'occasion, elle avait emprunté du matériel de qualité. Une caméra numérique, un trépied et un micro pour enregistrer le son. Nino et Max étaient là pour la seconder dans les branchements. Chose à laquelle elle n'entendait pas grand-chose.
Finalement, ils s'étaient décidés pour le studio d'enregistrement du lycée Françoise Dupont. Max l'avait recommandé car "les bruits extérieurs compliqueraient significativement le confort d'enregistrement. Notamment les klaxons et les sirènes." Ce changement de dernière minute n'avait pas été pour déplaire aux deux héros. Ni l'un, ni l'autre ne voulaient se trouver près de la boulangerie.
- Qu'est-ce qu'il y a ? lui demanda sa partenaire, sentant son regard insistant sur elle.
Il détourna les yeux quand il croisa les siens. Elle posa une main sur son épaule, l'obligeant à lui faire face. Le sourire encourageant qu'elle lui offrit le détendit.
- J'avais peur que tu ne viennes pas, avoua-t-il.
- Je sais que je n'étais pas enthousiaste à l'idée de cette interview mais je me suis engagée, fit-elle en levant sa paume libre vers le ciel.
- Non, je veux dire... que tu ne veuilles plus me voir, hésita-t-il. Par rapport à hier.
Chat Noir perdit un instant sa contenance avant de se reprendre. Elle retira sa main, ramenant son bras le long de son corps. Lordbug ressentit douloureusement la chaleur rémanente de ce contact s'échapper.
Sa tête légèrement baissée, ses oreilles de chat étaient tombantes.
- Je t'en veux encore de me l'avoir caché mais je comprends pourquoi tu l'as fait. Si ça avait été ton père... je ne sais pas comment j'aurais réagi.
Elle tenta d'afficher son éternel sourire en coin avec un succès mitigé.
- Je ne te déteste pas, si c'est cela qui t'inquiète. Mais plus de secrets, hein ?!
Il hocha frénétiquement de la tête. Ce fut comme si on lui enlevait un poids. Le soulagement se disputait à l'angoisse du futur qui les attendait. Mais tant qu'ils étaient ensemble, rien ne pourrait les arrêter.
- On va pouvoir commencer ! leur lança Alya avec un enthousiasme frôlant l'hystérie.
Sous le masque, Marinette n'en menait pas large. Elle n'avait que très peu dormi et très mal. Elle avait mal à la tête, son esprit était embrumé par la fatigue et les pulsations de la migraine qui menaçait. Mais ce n'était rien comparé au choc de la révélation. C'était comme si elle avait été emportée par les vagues puis rejetée violemment sur le rivage, la laissant prostrée, vidée de ses forces.
Le sentiment de trahison côtoyait la colère et la tristesse. Elle avait l'âme douloureuse, à défaut d'un meilleur terme. Elle ne voulait pas réfléchir à l'avenir, à ce que son devoir d'héroïne lui demanderait de faire. Déjà, ce matin, elle avait été incapable de regarder ses parents en face. L'annonce de la maladie de sa mère justifia à elle seule la tête de déterrée qu'elle eut au petit-déjeuner. Ainsi que son mutisme et son obstination à ne pas les regarder dans les yeux. Elle était sortie sans un mot et avait rejoint Adrien.
Elle n'arrivait pas à concevoir que l'un de ses parents pouvait être le Papillon. Comment cela pouvait-il être seulement possible ? Elle l'aurait remarqué si l'un d'eux avait un miraculous, non ? À moins qu'il ne l'enlève quand il ne l'utilise pas. Ou alors c'était un objet tellement banal quand il n'était pas transformé qu'il passait totalement inaperçu.
Alya s'installa sur son tabouret de camping et invita les deux héros à s'asseoir avant de jeter un coup d'œil à l'écran de contrôle du cadrage. Max brandit un pouce dressé en l'air pour lui dire que la retransmission commençait.
- Bonjour à vous, chers lordblogueurs, et merci aux protecteurs de Paris d'avoir répondu à mon invitation. Comment allez-vous ?
Mal, aurait spontanément répondu Chat Noir.
- Bien, merci, dit-elle à la place avec un sourire de façade.
- Nous sommes également très contents de cette invitation, renchérit Lordbug.
Parle pour toi, pensa-t-elle, cynique.
Chat Noir répondit à la première question, puis à la deuxième pour finalement en perdre le fil. Elle était à la fois absorbée par la discussion et totalement à côté de ses pompes. L'héroïne se donnait l'impression de s'observer de l'extérieur, comme une spectatrice face à son double qui agissait de manière robotique. Les sons lui parvenaient de manière atténuée, comme si elle avait la tête dans du coton. Ce qui ne l'empêchait pas de répondre comme si elle captait tout.
A vrai dire, Marinette aurait largement préféré être ailleurs. Elle aurait souhaité ne pas être Chat Noir, que l'un de ses parents ne soit pas le Papillon. Et surtout que sa mère n'ait pas de cancer. La culpabilité la rongeait. Maintenant qu'elle le savait, cela lui sautait aux yeux. Au fil des mois, Sabine avait montré des signes de fatigue de plus en plus prononcée. Son teint asiatique n'excusait plus cette teinte jaune maladive et son odeur. Son odeur.
La protectrice de Paris avait la nausée rien que d'évoquer les émanations olfactives qui se dégageaient maintenant de sa mère. Elles étaient acide et douceâtre en même temps, écœurantes et promptes à lui faire monter la bile. Marinette ne l'avait jamais senti auparavant mais elle se doutait que c'était l'odeur de la mort. Son trouble dut se voir, Alya proposa une petite pause qu'ils acceptèrent avec joie.
L'héroïne fit quelques pas dans la galerie près de la bibliothèque et tenta de maîtriser ses nerfs. Elle leva la tête vers la gaine d'aération et eut un soupir teinté d'amère nostalgie avant de baisser les yeux.
- C'est ici que Paparazzia m'a flashé, déclara-t-elle, ayant senti la présence de son partenaire dans son dos.
- En effet.
- C'est ici que j'ai fait face à mes plus noirs secrets, continua-t-elle avant d'avoir un rire amer. J'étais bien loin du compte.
Lordbug passa une main sur sa nuque et ne sut quoi ajouter.
- C'est bizarre mais je ne regrette rien malgré les circonstances, ajouta-t-elle d'une voix si basse qu'il dut tendre l'oreille pour l'entendre.
- Parce que ça nous a permis de nous trouver ?
Elle le regarda avec un sourire ironique en coin.
- Ah Milord, toujours aussi nombriliste à ce que je vois ! lui lança-t-elle amusée, avant de souffler par le nez. Pas seulement, je me suis voilée la face trop souvent ces dernières années. J'ai passé mon temps à fuir, même ce masque... c'est une façon de fuir.
- Où veux-tu en venir, Kitty ? lui demanda-t-il en fronçant les sourcils d'inquiétude.
- Je suis une héroïne, la protectrice de Paris, je ne peux pas mettre mes sentiments personnels en balance avec mon devoir. Il faudra l'arrêter, quoi qu'il en coûte.
Sa voix avait tremblé mais il devinait la fermeté de sa résolution. En public, ils évitaient de se montrer tactiles. Mais présentement, il s'en fichait. Il passa un bras autour de ses épaules en signe de soutien.
- Tu n'es pas seule, lui assura-t-il. Et nous n'avons pas encore eu la confirmation de nos soupçons. Il y a encore de l'espoir.
Chat Noir lui fut gré de ses tentatives de réconfort.
Soudain, Lordbug se raidit et leva la tête dans une direction apparemment arbitraire. L'héroïne sentit son estomac se retourner. Le bruit de quelqu'un qui court les interrompit, c'était Alya qui semblait gênée de les déranger.
Le héros en rouge sortit son yoyo pour bondir sur le toit. Encore cette sensation étrange. Cela ne pouvait être que...
- On va devoir reporter l'interview, dit-elle finalement en brandissant son téléphone. Il y a un nouvel akumatisé et il se dirige par ici.
Les deux héros échangèrent un regard et acquiescèrent d'un même mouvement de tête. Chat Noir rejoignit son partenaire avant de s'envoler sur les toits.
- Pitié, non...
Ce furent les seuls mots que Chat Noir prononça avant de sortir son bâton. Ils étaient dans le parc à côté de la boulangerie familiale. L'akumatisé avait transformé les malheureux passants en différentes pâtisseries et viennoiseries : bonhomme de pain d'épice, en religieuse ou en baba au rhum.
- J'ai besoin de vos miraculous, ne pourriez-vous simplement me les donner ? demanda l'akumatisé d'un ton presque las.
Les protecteurs de Paris faisaient face à un nouvel adversaire, et pas des moindres. Celui-ci était étrange, dans la lignée de Paperman. Il n'était pas guidé par la colère et ses émotions chaotiques, il était calme et réfléchi.
- Même si nous le voulions, nous ne le pourrions pas, répondit Lordbug la gorge serrée.
Sous le masque, Marinette était au fin fond du désespoir. Cette silhouette massive, cette bonhommie touchante, ces immenses bras et ces mains grandes comme des battoirs, promptes à vous faire des câlins qui vous briseraient les os...
L'akumatisé tourna la tête et leur regard se croisèrent. Elle retint le cri d'horreur qui montait dans sa gorge quand elle reconnut son père.
- J'en ai besoin pour quelque chose d'important, déclara-t-il d'un ton grave qu'elle ne lui connaissait pas.
- Je sais, lui répondit-elle sans pouvoir s'en empêcher. Mais ce n'est pas la solution. A tout grand pouvoir, il y a une contrepartie. Vous ne voulez pas assumer celle-ci !
L'akumatisé, recouvert d'une armure de brioche tressée, la regardait avec les yeux brillants de larmes contenues.
- Il est déjà trop tard pour ça.
Sans crier gare, il fondit sur elle et l'engloutit dans son armure briochée. L'héroïne tenta de se débattre mais cela échoua lamentablement. La texture élastique de la brioche la maintenait prisonnière. Fallait-il qu'elle use de son cataclysme ?
Son père quitta le parc et sema Lordbug. Malgré sa corpulence imposante, il était désormais d'une vivacité hors du commun.
- Je suis désolé, Da Xia, lui murmura l'akumatisé tandis que Chat Noir luttait pour sa liberté.
Abasourdie, elle rencontra son regard. Son cœur battait la chamade.
- Tu sais ?
C'était la seule chose qu'elle parvint à formuler. Les circonstances présentes ne lui étaient plus d'aucune importance. Son père savait, et elle savait. Tandis qu'ils parcouraient les toits de Paris, il hocha simplement de la tête.
- Ce n'est pas ta faute si ton frère est mort. Ce n'est la faute de personne.
Paparazzia, réalisa-t-elle. Elle n'eut pas le loisir de s'étendre plus sur le sujet. Il y avait plus urgent.
- Je t'en prie, arrête cette folie maintenant. Il est encore temps !
Il la regarda avec un air peiné.
- Je n'ai plus vraiment le choix. Je dois faire amende honorable auprès de ta mère.
Marinette crut suffoquer. S'il était akumatisé, alors...
- Tout va bien se passer, Da Xia. Ne t'en fais pas.
La fille du boulanger vit des points noirs et blancs danser dans son champ de vision. Elle avait de sérieux doutes sur le sujet.
Adrien, j'ai besoin de toi. Aide-moi... pria-t-elle en son for intérieur.
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Pfiou.... j'en ai bavé sur ce chapitre. Cela devrait néanmoins aller mieux pour la suite, les choses se précipitent.
A bientôt pour la suite /o/
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