Chapitre 24 - Je te vois

Il savait. 

Après avoir dîné avec son père et Nathalie, il était allé se coucher. En proie à une fébrilité l'amenant proche de la crise d'angoisse, Tikki crut bon intervenir.

- Adrien, calme-toi !

- Comment veux-tu que je reste calme ?! La fille de mes rêves totalement inaccessible et en couple est ma partenaire tête brûlée à l'humour douteux qui a avoué sous l'emprise d'un akuma qu'elle était amoureuse de moi !

- De Lordbug, corrigea Tikki.

- C'est pareil ! répliqua-t-il presque hystérique.

- Et tu as seulement des soupçons, tu ne sais pas si c'est vraiment elle, lui rappela son kwami.

Adrien s'affala sur son lit.

- Trop d'éléments collent entre eux pour que ça reste des coïncidences, Tik'. Le frère décédé, la copine, la famille intolérante, ses prouesses martiales. Sa générosité, sa prévenance, cette carapace qu'elle porte pour se protéger mais qu'elle parvient à transformer en force, énuméra-t-il avec admiration. Sans compter la même couleur de cheveux, bien que plus courts, et la même nuance de bleu de ses yeux.

La divinité coccinelle eut un petit sourire.

- Ce serait enfreindre les règles que de lui dire que je sais ? demanda-t-il en se redressant vivement.

- A priori, tu l'as deviné tout seul. Donc, ça passe, lui répondit-elle après un temps de réflexion.

- Tant mieux, souffla-t-il de soulagement, je n'aimerai pas avoir à lui mentir. Ce ne serait pas fairplay et difficile à vivre.

Il s'était transformé et avait entrepris de lui parler dès le soir même. Le trajet fut plus court qu'il ne l'aurait cru. Perché sur une cheminée, il se retrouva à jouer des scènes dans sa tête pour aller lui parler.

"Hey ! Salut, moi c'est Adrien ! Oups, je veux dire Lordbug ! Et toi, tu es Chat Noir ! Je veux dire Marinette ! Quelle belle soirée, n'est-ce pas !"

"Je passais par là et je me disais que ce serait bien que tu saches que je sais qui tu es. Voilà, bonne soirée et à demain au lycée !"

"Je t'aime aussi."

Non, la troisième option n'était définitivement pas envisageable. Bien qu'il en mourrait d'envie. Il était perdu cependant. Elle aimait sincèrement Chloé. Cependant, il ne pouvait douter de l'efficacité du pouvoir de l'akumatisé, alors... mais... RAH ! Il en avait marre ! Il voulait comprendre !

La musique d'un instrument à cordes et une voix enchanteresse furent portés par le vent. Lorsqu'il en chercha l'origine, son regard se porta naturellement vers la terrasse de Marinette. Et effectivement, cette dernière était assise dans sa chaise longue malgré les températures saisissantes de décembre. Il sentit un frisson parcourir son échine lorsqu'il reconnut la chanson. C'était celle qu'elle avait utilisé pour charmer Lacrimosa. 

L'image de la lycéenne se superposa à celle de l'héroïne féline et il crut tourner de l'œil. S'il avait eu besoin d'une preuve supplémentaire, la voilà servie sur un plateau d'argent. La fin de la chanson le surprit et il retourna à son observation. Son cœur manqua un battement lorsqu'il croisa ses yeux bleus. Malgré la distance les séparant, il distingua clairement la teinte si lumineuse de son regard captivant.

Elle s'était levée, et l'invita d'un geste de la main à le rejoindre. Il ne pouvait plus reculer.

Lordbug saisit le yoyo accroché à sa taille et l'accrocha aux cheminées surmontant sa terrasse. En un clin d'œil, il atterrit souplement. Le cœur battant, il commença à regretter d'être venu. La bouche sèche, il ne sut comment démarrer la conversation. Elle s'en chargea pour lui :

- Ça te dit du chocolat chaud ? lui demanda-t-elle sur l'air de la conversation.

- Euh, oui ! Avec plaisir !

Elle hocha de la tête et s'éclipsa par sa trappe.

De fait, il resta quelques minutes seul avec lui-même. Avec le recul, il trouvait ridicule d'être en superhéros sur une terrasse au beau milieu de Paris. Il devrait peut-être repartir et faire comme si de rien n'était. Encore plus ridicule. Ç'aurait été bien la peine de faire tout ce chemin, d'en arriver là, pour tourner les talons parce qu'il se mettait à paniquer.

Il sursauta quand elle posa un plateau de viennoiseries avec un grand thermos et deux tasses. Elle lui tendit un plaid qu'il déclina.

- Ce n'est pas pour ton confort, c'est pour la discrétion, insista-t-elle. Il a beau faire nuit, j'aimerai me limiter à un scandale par vie. S'il te plaît ?

Le ton de supplique finit de le convaincre. Bien qu'il ne ressentait pas le froid grâce à son costume, il reconnut le plaisir certain d'être enveloppé d'une couverture douce. Elle servit deux tasses et lui en tendit une, les yeux baissés.

- Ça va ?

- Ma vie amoureuse est étalée dans la presse à scandale, des paparazzi campent devant la boulangerie H24, je ne peux pas voir ma copine en-dehors du lycée où on a zéro intimité, je ne peux pas manger en paix le midi, j'ai été humilié par un akumatisé se révélant être la fille à l'origine du scandale précédemment cité, je suis cloîtrée chez moi comme Raiponce dans sa tour, ma mère me regarde plus et m'adresse à peine la parole, et...

Elle se tourna vers lui appuyer son propos.

- Je viens de me faire démasquer. Alors est-ce que je vais bien ? Je pense avoir dépassé le stade où on peut encore me poser cette question.

Elle but sa tasse fumante et fixa un point derrière le héros de Paris.

- Tu avais quelque chose à me dire ? lui demanda-t-elle après lui avoir largement laissé le temps de prendre la parole.

- Je, je pensais que oui... mais là, je n'ai plus rien qui me vient. 

- Qu'est-ce qui m'a trahi ? demanda-t-elle en s'asseyant dans la chaise longue.

- Euh... j'aimerai dire le ukulélé mais...

- Forcément, oui. Mais ?

- J'avais déjà inconsciemment commencé à assembler un puzzle, je crois. Et puis Paparazzia a fait le reste. Je suis désolé.

- Arrête de t'excuser, Adrien, fit-elle en guettant sa réaction.

Réaction qui ne se fit pas attendre. Il sursauta comme s'il avait reçu un coup de fouet, renversant du chocolat sur le plaid.

- Oh, je suis désolé !

Elle se mit à rire, ce qui allégea un peu l'atmosphère. Elle lui tendit des serviettes en papier et il s'épongea.

- Mais comment tu... ?

- Seule une personne de mon entourage proche aurait assez d'éléments pour me démasquer. Et les blonds aux yeux verts, je n'en connais pas trente mille. Enfin, ça, c'est la partie rationnelle.

Intrigué, il l'interrogea du regard. Elle se toucha le bout du nez avec malice.

- Odorat de félin, Milord. Même transformé, tu as toujours la même odeur.

Sans qu'il ne sut trop pourquoi, il se mit à rougir. Ne trouvant plus aucune utilité d'être masqué, il se détransforma.

- Bonsoir, je suis Tikki, le kwami de la coccinelle ! se présenta la créature rouge.

- Bonsoir, Tikki. Je crois que quelqu'un sera ravi de te voir, dit-elle avec un grand sourire en lui désignant la trappe.

La divinité gloussa et disparut dans sa chambre, les laissant seuls. Lorsqu'elle reporta son attention sur son compagnon de terrasse, elle était face à un adolescent blond aux yeux verts. Il affichait une expression angoissée et semblait terrifié même s'il la dépassait de quasiment une tête.

- Je ne vais pas te manger, tu sais, se moqua-t-elle gentiment en lui resservant une tasse.

Il la remercia à voix basse et tressaillit lorsqu'il effleura ses doigts en reprenant son chocolat chaud. C'était perturbant de se dire que sa partenaire qui flirtait avec lui était juste là, devant lui. Et que c'était Marinette.

- Je sais. Je... ça fait beaucoup de choses à intégrer et j'avais besoin de t'en parler mais je ne savais pas comment aborder les choses. Je ne le sais toujours pas, reconnut-il en s'asseyant sur un tabouret.

- Commence par le début, suggéra-t-elle en mordant dans un croissant.

Il acquiesça et inspira, appréciant la chaleur de sa tasse.

- Pourquoi es-tu persuadée d'être responsable de la mort de ton frère ?

Marinette s'immobilisa puis reprit sa mastication avant d'avaler lentement avec du chocolat chaud. 

- Parce que c'est le cas. Si Chloé a traversé sans regarder, c'est parce que je l'embêtais en lui chipant son téléphone. Il m'a échappé des mains et a glissé sur la chaussée. Le reste appartient à l'histoire, comme on dit.

Adrien la fixait avec des yeux ronds.

- C'était un accident ! À quoi cela te sert-il de prendre toute la responsabilité sur tes épaules ? Je veux dire, si on met de côté le plaisir masochiste que tu peux en tirer.

Elle haussa les épaules, ses paroles lui passant dessus comme l'eau sur les plumes d'un canard.

- Et j'aurais vraiment préféré mourir à sa place. Il était tellement meilleur que moi dans tout ce qu'il faisait. Surtout pour se faire aimer de notre mère, précisa-t-elle la gorge serrée.

La jeune fille sortit son portable et fit défiler des photos de son frère qu'elle montra à son partenaire.

Adrien put mieux apprécier la physionomie du fantôme qui la hantait depuis deux ans. La tête ronde et le visage carré, il avait les mêmes yeux bleus et les mêmes cheveux noirs aux reflets glacés. Sa mâchoire était cependant plus carrée et ses arcades sourcilières plus marquées. Sur certaines, il avait une barbe de plusieurs jours qui jetait un voile sombre sur ses joues potelées. Quand il souriait, celles-ci se creusaient de fossettes. Personne n'aurait pu douter de leur parenté.

- Il avait passé le concours pour entrer au conservatoire où Clotilde étudiait déjà. Je ne sais pas si je te l'ai dit, mais il entrait à peine en seconde. Il a toujours été là et maintenant, j'avance sans lui. Je l'ai dépassé.

- Ce genre de vœu n'amène rien de bon, Marinette. Il devrait être un souvenir, pas un spectre qui t'empêche de vivre. Je doute qu'il serait heureux de te voir te morfondre ainsi.

Il lui rendit son portable et prit une brioche parisienne qu'il dévora avec gourmandise.

- Peut-être bien. Mais je suppose que c'est la troisième révélation qui t'intéresse vraiment, le défia-t-elle avec une certaine sécheresse teintée de rancœur.

Le jeune homme leva ses yeux verts, sombres comme deux émeraudes dans la pénombre de la nuit parisienne. Il sentait son cœur battre fort tandis qu'il scrutait son visage rougi par le froid. Mais c'était une étrange sérénité qui l'habitait, ses pensées étaient claires et ordonnées. Il savait très exactement quels mots employer.

- Je mentirai si je disais le contraire. Si c'est ce qui t'inquiète, je ne te ferai pas des avances. Ce serait irrespectueux. Je veux juste comprendre, expliqua-t-il avec un air un peu perdu.

Elle le scruta à son tour, semblant redécouvrir le visage de cette personne si importante dans sa vie à bien des égards.

- J'apprécie vraiment. C'est délicat de ta part, dit-elle avec un soulagement évident. Je serai directe : j'aime Chloé de tout mon cœur, et j'aime aussi Lordbug... donc toi aussi, réalisa-t-elle, un peu confuse. Mais, je n'ai aucune intention de la quitter pour toi. Sauras-tu faire avec ?

Même s'il ne l'avait jamais envisagé comme une issue possible, Adrien sentit mourir en lui cette petite part narcissique qui espérait secrètement et égoïstement qu'elle le choisirait. Mais ça n'aurait pas été juste.

- Il le faudra bien.

Quelque chose le frappa.

- Tu n'es donc pas lesbienne ? lâcha-t-il, abasourdi.

Marinette pouffa de rire devant son expression interloquée.

- Je n'ai jamais dit que je n'aimais que les filles, Adrien. A vrai dire, je n'ai jamais affirmé qu'une seule chose. Que j'aimais Chloé. J'aime qui je veux, je n'ai pas besoin d'étiquette, conclut-elle avec un certain agacement.

- Excuse-moi, je suis pas du tout familier de.... tout ça, fit-il avec un certain embarras. Désolé.

Il prit un chausson aux abricots et le fourra dans sa bouche pour éviter de dire une nouvelle bêtise.

- Faut vraiment que tu arrêtes de t'excuser sans arrêt, lui dit-elle en buvant son chocolat.

- Désolé.

- ...

- Dé- rah !

Marinette éclata de rire en le voyant s'arracher les cheveux. Il se joignit à elle et son cœur s'allégea pour la première fois depuis des semaines. Dans une référence intentionnelle au début de leur amitié, il lui tendit la main.

- Amis ? lui demanda-t-il avec appréhension.

- Amis, lui confirma-t-elle en lui souriant avec douceur.

Lorsqu'elle lui prit la main, Adrien sentit un courant électrique lui parcourir le corps. Lorsqu'elle lui prit la main, il la vit distinctement se crisper légèrement comme si elle avait ressenti la même chose. 

Lorsque leur regard se croisa, ils étaient certains d'une chose.

Ils étaient totalement baisés.*

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*En VO pour les bilingues, "they were utterly and totally screwed."

J'ai réussi à faire un carré et à y ajouter un triangle amoureux. Géométriquement, ça donnerait quoi ? Pfft. Aucune idée !

En tout cas, Adrienette est de retour. Ne me remerciez pas, c'était prévu depuis le début ^^

La suite pour bientôt ! /o/

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