Chapitre 19 - Parle-moi

Dire que les semaines suivantes furent difficiles pour Adrien était un doux euphémisme. En voyant son état se dégrader, Nathalie fit venir un médecin qui lui ne trouva rien d'inquiétant si ce n'est un état d'épuisement préoccupant pour un jeune homme de son âge. Il mangeait peu, dormait tout autant et mal. Il se sentait pathétique et meurtri. Rien de ce que Tikki put lui dire ne l'aidait.

Il ne sortait de sa chambre que pour vaincre les akumatisés lâchés dans la nature. Chaque heure, il souhaitait que le Papillon frappe. Enfiler le costume de Lordbug était la seule chose lui permettant d'oublier ses problèmes. Pour un temps, il n'était plus Adrien, le jeune lycéen au cœur brisé, mais le héros protecteur de Paris qui n'avait à se préoccuper que de vaincre le nouveau super vilain et de l'humour passable de Chat Noir.

Celui du jour créait d'immenses bulles noires où rien ne pénétrait. Quand on se trouvait à l'intérieur, on n'y voyait rien, on n'entendait rien. La gravité semblait agir différemment, il se sentait flotter, léger comme une plume. On était comme coupé du monde. Lorsque Lordbug se retrouva dans l'une d'entre elles, il se surprit à apprécier la quiétude du lieu. Le temps d'une pensée, il se demanda s'il ne serait pas préférable de rester ici.

Mais l'instant suivant, il réalisa que cette idée lui était intolérable quand bien même sa vie lui était douloureuse. Trop de personnes comptaient sur lui, à commencer par Chat Noir. Mais comment sortir de cette prison de privation sensorielle ? Si seulement, si seulement il pouvait dire à sa partenaire où il se situait. Elle trouvait toujours un moyen de le tirer des pires situations. Combien de temps s'était écoulé ? Difficile d'en juger dans ces circonstances.

Un bras puissant le ceintura et l'emporta hors de la bulle.

Le retour à la réalité fut brutal, la lumière l'éblouit douloureusement, les bruits ambiants l'assaillirent, son corps lui sembla soudain si lourd à bouger. Il réalisa que c'était sa partenaire qui l'avait tiré de ce mauvais pas. Elle lui souriait, rassurée qu'il soit sain et sauf.

- Comment... comment as-tu fait ? lui demanda-t-il, groggy.

- Pour te sauver ?

Elle le reposa avec précaution avant de faire barrage de son corps, armée de son bâton. L'akumatisé semblait néanmoins plus intéressé par le fait de créer ses bulles noires qu'eux-mêmes.

- J'ai répondu à ton appel, Milord. Je n'ai besoin que de ça pour te trouver.

Elle désigna son sternum de son pouce avec un clin d'œil. Le héros en resta ébahi avant de se ressaisir. Il utilisa son lucky charm en l'air et se retrouva avec un élastique géant. Avec la vitesse issue de l'expérience, il repéra un lampadaire brisé, un autre intact, Chat Noir et une plaque d'égout.

- Brise le lampadaire !

- Vos désirs sont des ordres ! lui répondit-elle en se précipitant vers l'éclairage public.

Quelques coups de griffes et un coup de pied magistral plus tard, le lampadaire s'écrasa. Lordbug avait déjà tendu l'élastique sur l'autre en face et l'accrocha à ce nouveau point d'appui.

- Tends l'élastique autant que tu le peux ! lança-t-il à sa partenaire.

Elle s'exécuta et recula de plusieurs mètres avant de planter son bâton dans le sol pour le retenir. Il récupéra la plaque d'égout et la rejoignit d'un bond. Ils installèrent la plaque et visèrent l'akumatisé qui évoluait d'un air distrait. Un peu avant qu'il n'atteigne l'endroit idéal, ils lâchèrent le projectile.

Dans un sifflement sourd, le disque en fonte d'acier rebondit sur une voiture, sur une borne d'incendie, sur un panneau de circulation avant de toucher l'akumatisé. Son couvre-chef fut violemment projeté sur le sol en même temps que son propriétaire en fut assommé.

- J'ai ! cria Lordbug en récupérant le chapeau qu'il déchira.

L'akuma noir en sortit. Avant qu'il ne puisse s'échapper, le héros le captura et le purifia. Il lança l'élastique en l'air et la magie fit son œuvre. Il se retourna vers sa partenaire qui lui présenta son poing pour leur salut rituel de fin de combat. Avec un sentiment de complétude, il pressa ses phalanges contre les siennes.

Dans un élan qui le surprit lui-même, il attrapa le poignet et l'attira à lui pour la prendre dans ses bras. Chat Noir se raidit avant de lui rendre timidement son étreinte. Le héros s'accrochait à elle comme la seule constante de son univers, le seul repère solide, la seule ancre à laquelle se raccrocher.

- Oh, vous êtes trop mignons ! s'exclama une voix trop familière.

Les deux héros se séparèrent pour constater qu'encore une fois, Alya avait bravé leurs consignes de sécurité. C'était si difficile que ça de rester en-dehors de la zone des combats ? Lordbug eut une moue désapprobatrice en voyant la caméra qu'elle tenait à bout de bras.

- Alya Césaire, l'appela Chat Noir, dois-je te faire un rappel à la loi concernant la propriété de mon image ?

Elle s'appuya sur son bâton les mains jointes avec une fausse nonchalance. La blogueuse rougit derrière ses lunettes.

- Eh bien, je fais comme on a convenu, commença-t-elle, mal assurée. Une fois mes frais soustraits, je reverse les revenus publicitaires à des œuvres caritatives.

Lordbug bugua. C'était quoi cette histoire ?

- Oui, et concernant les moments privés entre Milord et moi, c'est niet. Efface-moi ça tout de suite, exigea l'héroïne d'un ton qui ne souffrait aucune réplique.

Penaude, la jeune rousse pianota sur son téléphone puis montra l'effacement des photos. Le miraculous de la coccinelle commença le compte-à-rebourre. Il voulut s'excuser mais Chat Noir le retint et lui donna rendez-vous en haut de la Tour Eiffel dans dix minutes.

Il déglutit avec difficulté en se souvenant de la dernière fois où elle avait fait la même chose.


Cette fois-ci, c'est Chat Noir qui l'attendait. Elle se retourna vers lui avec une expression curieuse, voire soucieuse.

- Est-ce que ça va ? lui demanda-t-elle avec douceur.

Il expira de soulagement, elle n'allait pas l'enguirlander. Au contraire, elle semblait réellement soucieuse.

- C'est mon air radieux qui t'a mis sur la voie ? ironisa-t-il en s'accoudant au garde-corps.

Elle le rejoignit et profita de la vue avant de lui répondre.

- Non, le câlin. T'es pas du genre tactile. En-dehors des combats, j'entends. Envie de parler de ce qui te tracasse ?

- Tu veux dire, comme tu le fais dès que je me soucie de toi ? lui répliqua-t-il avec un grand sourire.

Ses oreilles de chat se rabattirent en arrière. Elle pinça les lèvres et se gratta la joue d'une griffe.

- Je suis désolée, soupira-t-elle en sautant sur le garde-corps pour s'asseoir dessus, le menton dans les mains. Je ne sais pas... parler. J'ai beaucoup de mal avec ça, on m'a élevé avec l'idée qu'il fallait toujours que tout paraisse aller bien. Surtout si c'est le contraire. Alors les problèmes, haussa-t-elle des épaules, on les garde pour soi.

C'était la première fois qu'elle faisait l'effort de s'ouvrir un peu. Il sauta sur l'occasion.

- On fait un deal, je te parle de mes problèmes et tu me parles des tiens. En préservant notre identité secrète, ajouta Lordbug.

Elle se tourna vers lui avec une moue séductrice.

- Quoi ? Tu as peur que je succombe encore plus à ton chat-rme éblouissant si jamais tu tombais le masque ?

Il la regarda en haussant un sourcil.

- D'accord, céda-t-elle. Je t'écoute.

L'imitant, il s'assit sur leur banc improvisé. Il prit le temps d'observer les lumières de Paris dans la nuit de décembre.

- Je suis tombé amoureux d'une fille, mais j'ai appris de la pire manière qui soit que ce ne serait jamais réciproque, lâcha-t-il, bien conscient des accents de désespoir dans sa voix.

- Cœur brisé ? Je connais.

Il la regarda avec un étonnement non feint. Chat Noir eut un rire amer.

- Quoi ? On n'a jamais dit que nous deux, c'était exclusif, lui répondit-elle avec malice.

Milord roula des yeux, amusé, avant de reprendre.

- Le pire c'est que je l'ai blessé en voulant me protéger. C'était ma première vraie amie et j'ai le sentiment de l'avoir trahi au lieu d'être compréhensif.

- Va lui présenter tes excuses, lui conseilla-t-elle. Si c'est vraiment ton amie, elle te pardonnera. Peut-être pas tout de suite, dépendant de la "trahison" bien sûr. Mais te connaissant, ce ne doit pas être bien grave.

Il se passa les mains sur le visage.

- Tu ne me connais pas, Chat, répliqua-t-il d'un ton lugubre.

- J'en sais assez pour savoir que tu te donneras les moyens de réparer les torts causés. Ce n'est pas un privilège du masque, tu as ça dans le sang.

Le héros rougit de la haute estime dans laquelle sa partenaire semblait le tenir.

- Et toi ? lui demanda-t-il en tournant la tête vers elle.

Elle baissa le regard et soupira piteusement. L'héroïne posa ses coudes sur ses genoux et mit son menton dans ses mains d'un air défait.

- C'est. Compliqué. J'aime quelqu'un, j'aimais quelqu'un ? Arrh. Je ne sais pas, je ne sais plus. On a une histoire très intense et on s'est donné une nouvelle chance. Mais...

Elle se passa les mains sur les yeux puis dans les cheveux.

- Mais ? l'encouragea Lordbug sans trop vouloir la presser.

- Mais, j'ai changé. Et elle aussi.

- Elle ? s'étonna le héros. Oh. D'accord.

Chat Noir rougit sous son masque et eut un sourire gêné.

- Ouais. Donc... Ce n'est pas comme si on pouvait reprendre là où on s'est arrêté l'air de rien.Je ne suis plus la même personne qu'à cette époque. Déjà, je suis devenue une superhéroïne, alors il faut que je lui mente quand j'annule nos rendez-vous à la dernière minute. Et j'ai évolué sans elle, j'ai vécu des choses de mon côté. Et elle, du sien. Est-ce que ça fait sens ce que je dis ?

Son partenaire se gratta la nuque, encore abasourdi par le fait qu'il était entouré d'autant de personnes LGBT+.

- Je crois. Du coup, tu as des doutes sur l'avenir de votre couple parce que tu aimerais que ce soit comme avant alors que c'est impossible ?

Chat Noir inspira et bloqua sa respiration en attendant de trouver une réponse qui semblait ne pas venir.

- Je ne sais pas, gémit-elle. Peut-être que je me cherche des excuses pour ne pas m'investir, parce qu'elle m'a déjà quitté une fois.

- La confiance est facile à perdre mais difficile à reconquérir, reconnut-il avec philosophie.

Elle hocha de la tête.

- Je n'ai pas envie de lui faire du mal mais je ne veux pas me leurrer dans une relation qui n'aurait pas d'avenir.

- Euh, sans vouloir mettre en danger nos identités, tu as quel âge ?

- Seize ans, lui répondit Chat Noir sans hésitation.

Il cligna des yeux.

- Je t'imaginais plus âgée.

- Genre ?

- La vingtaine peut-être ?

Elle eut son habituel sourire malicieux.

- Le trip shotacon nous irait tellement bien, milord, le taquina-t-elle.

- Tout ça pour dire que c'est un peu jeune pour voir à long terme, non ?

Balançant ses jambes dans le vide, elle accrocha son regard vert.

- J'ai l'impression qu'on a le même âge, je me trompe ?

Il lui confirma son intuition.

- Ton amie ? Celle que tu aimes, tu avais envie que ça dure longtemps ?

- Pour toujours.

Il rougit violemment en se rendant compte de ce qu'il venait de dire. Il toussa pour cacher sa gêne. Sa partenaire eut une expression triste.

- Je vois ce que tu veux dire, lui concéda-t-il au bout d'un moment.

- Mais ce n'est pas notre principal problème.

- Cela me paraît déjà pas mal pourtant.

Elle acquiesça et soupira.

- Nos familles ne savent pas pour nous. Et aussi longtemps que nous serons ensemble, on fera en sorte que cela reste ainsi.

Il comprit et sentit son cœur se briser une seconde fois pour sa partenaire. Ne sachant pas trop quoi faire, il posa sa main sur son épaule en signe de soutien.

- Je suis désolé.

Une larme roula sur son masque noir, elle l'essuya furtivement et lui sourit.

- Moi aussi. Quand on aime quelqu'un, ça devrait être une source de joie, non ? Alors pourquoi avec moi, ça finit toujours dans le sang et les larmes ?

Pour la seconde fois de la soirée, il la prit dans ses bras, en caressant ses cheveux noirs. Elle enfouit son visage dans son épaule et inonda son costume rouge sans retenue.

Sous le masque, Adrien décida de retourner au lycée.

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Rien n'est jamais simple. Zeddicus Zul Zorander.

A bientôt /o/

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