Chapitre 13 - Prisonnière

Marinette avait seize ans, mais sous le regard sévère de sa mère et désapprobateur de son père, elle se donnait l'impression d'avoir à peine appris à marcher.

- Da Xia ? commença sa mère avec cette intonation irritante qui donnait des allures de reproche.

- Maman ? lui répondit-elle en imitant son intonation.

Sa génitrice savait quand sa progéniture se payait sa tête. Et elle n'aimait pas ça.

- Tu es arrivée en retard ce matin, encore. J'apprends ensuite que tu fais un malaise à l'école et je te retrouve avec un garçon en train de te tenir la main ! Tu nous expliques ?

Marinette se massa les tempes, cherchant en elle les trésors de patience et de self-control qui lui faisaient tant défaut ces derniers temps. Quand son regard se posa sur la pile de notes et de devoirs qu'Alya était venue lui donner, elle repensa aux quelques minutes qu'elles avaient à peine pu voler à la surveillance parentale. Elles étaient dans l'interpalier, parlant à voix basse.

- Merci, Alya, fit la jeune fille en baissant le regard. J'aimerais te faire rentrer mais là, ce n'est pas le bon moment.

Sa meilleure amie hocha de la tête.

- Tes parents ?

- Ouais.

- Tu vas encore être privée de sortie ?

- Y a des chances.

- Ça craint un max.

- Je te le fais pas dire.

Silence.

- Je suis désolée pour ce matin, fit soudainement Marinette.

- Moi aussi, je suis désolée, lui répondit Alya. On se voit demain ?

Elle lui sourit timidement et la salua de la main avant de retourner dans la cuisine. Ce n'était pas les excuses en bonne et due forme qu'elle aurait voulu lui faire mais c'était mieux que rien. C'était un début.

- Mari ? relança son père en la sortant de ses pensées.

Elle soupira, ils étaient vraiment lourds à être toujours sur son dos. A croire qu'ils anticipaient tellement ses écarts de conduite que cela les satisfaisait presque de la voir en faire. Elle se passa une main dans ses cheveux noirs aux reflets bleus avant de prendre son courage à deux mains.

- Ça fait deux ans, et c'est toujours aussi dur, dit-elle tout simplement en fixant une tache sur la table de la cuisine. Je suis dans la classe dans laquelle il était. Je suis encore dans la même classe que Chloé. Et le mois dernier, Clotilde a été transformée en supervilaine à cause de tout ça. Alors oui, j'ai du mal à le vivre.

Tom et Sabine Dupain-Cheng se prirent la main et se consultèrent du regard avant de revenir à leur fille. Marinette espérait secrètement que l'os qu'elle leur avait donné à ronger suffirait. Adrien les avait invité à une soirée jeux vidéo et pizza chez lui le samedi suivant. Elle n'en pouvait juste plus de rester enfermée entre ces quatre murs avec ses parents endeuillés.

- Et le garçon ? relança sa mère avec un sourcil sévère.

Marinette retint un gémissement de frustration.

- Quoi, Adrien ? Eh bien ?

- Il te tenait la main, Marinette, insista Sabine.

- J'ai fait un malaise en sa présence et c'est lui qui m'a porté jusqu'à l'infirmerie. C'est mon ami.

- Les amis ne se tiennent pas la main comme ça, continua sa mère avec entêtement.

La jeune fille craqua. Patience et self-control prirent congé pour la laisser en plan.

Elle tira rageusement sur ses cheveux en gémissant les dents serrées. Pourquoi insistait-elle tant sur ça ?

- OUI ET ALORS ?! hurla-t-elle en se levant de sa chaise bruyamment. Qu'est-ce que ça peut vous faire qu'on se tienne la main ? On ne faisait rien mal, si ? Et si tu me disais ce que tu veux m'entendre dire, on gagnerait du temps toutes les deux ! Maman !

- Ne manque pas de respect à ta mère ! lui ordonna son père en se levant à son tour.

Les yeux embués de larmes, le cœur palpitant et la tête douloureuse d'une migraine à venir, Marinette ne décolérait pas. Tant d'injustice, d'acharnement à lui pourrir la vie. A croire qu'ils la haïssaient !

- Et moi ?! Vous me respectez au moins ? J'ai SEIZE ans, bordel ! Je ne suis plus une enfant, j'ai le droit et j'ai besoin d'avoir des amis et de pouvoir les voir en-dehors de chez moi ! Et cela inclut les garçons qui ont la bonté d'âme de vouloir être mon ami !

Sabine, jusque là restée silencieuse, prit la parole.

- Assieds-toi, Da Xia, lui intima-t-elle d'un ton bas.

L'envie de braver l'injonction maternelle la tenta beaucoup mais la satisfaction immédiate passée, elle aurait beaucoup à perdre. Marinette eut l'impression d'avaler des couleuvres tandis qu'elle faisait acte de soumission.

- En-dehors de la stricte nécessité des cours, je ne veux plus que tu revois cet... Adrien.

- Quoi ? Mais pourquoi ? C'est injuste ! protesta vivement Marinette.

- Les garçons n'apportent que des ennuis aux filles de ton âge, déclara Sabine avec froideur.

- Mais, vous ne le connaissez même pas ! répliqua la jeune fille en pleurs. Il est très gentil, serviable et travailleur !

- Ce n'est pas la question ! s'impatienta sa mère.

- Alors c'est quoi la question ?! Éclaire ma lanterne ! Parce que tu me parles évasivement de quelque chose comme étant une évidence, je ne comprends pas !

Les mêmes yeux bleus que les siens s'étrécirent pour la fixer avec sévérité.

- Tu ne veux pas comprendre, plutôt !

Marinette eut la nausée quand elle eut la confirmation de ses doutes. Elle vociféra quelque chose en chinois qui offensa sa mère.

- Répète un peu si tu l'oses ! la défia-t-elle.

Sa fille se leva de sa chaise, rouge de colère, en larmes. La regardant droit dans les yeux, elle inspira et articula entre ses dents.

- Il n'y a que les gens mauvais qui voient le mal partout ! Tu me dégoûtes, acheva-t-elle avant de s'enfuir dans sa chambre.

Lorsqu'elle referma la trappe de sa chambre, elle enclencha le verrou pour être sûre qu'ils la laissent en paix. Elle alla se réfugier sous sa couette. Enfin seuls, Plagg se nicha aussitôt contre sa joue pour la réconforter du mieux qu'il pouvait. Lorsque ses sanglots se calmèrent, ils la laissèrent épuisée mais l'esprit tourmenté. Quand il fut certain qu'elle ne pourrait pas trouver aisément le sommeil, son kwami prit les devants.

- Allez, gamine ! Debout ! Je t'emmène faire un tour !

- Quoi ? Mais Plagg, t'as vu l'heure ?

- Justement, t'as besoin de prendre l'air. C'est pas dans ton état que tu vas pouvoir t'endormir de toute façon. Allez, juste un petit tour. Pour te dégourdir les jambes. Si ça se trouve, il sera de tournée lui aussi... insinua-t-il l'air de rien.

Marinette souffla par le nez. Malgré son broyage de noir passé au niveau industriel, la jeune fille prononça la formule magique et revêtit les atours de Chat Noir. La sensation presque extatique de la magie envahissant chaque fibre de son corps l'émerveillait chaque fois. Elle se sentait remplie d'énergie ne demandant qu'à être dépensée. D'ordinaire, c'est une étincelle malicieuse et combative qui brillait dans ses yeux de félin. Cette nuit, c'était la douleur et la colère qui l'habitaient tandis qu'elle bondissait souplement sur les toits de Paris.

Elle en profita pour continuer son exploration de la ville. Chat Noir avait eu pour ambition de connaître tous les toits de la capitale française comme sa poche. Savoir quels raccourcis prendre, quelles ruelles étaient les plus appropriées pour se cacher. Lorsqu'elle fit une pause, accroupie sur des cheminées pour observer les étoiles, l'héroïne ne réalisa pas tout de suite qu'elle était dans un quartier huppé.


Mais une certaine tête blonde amatrice d'astronomie remarqua une silhouette familière se mettre entre lui et l'observation de la lune.

- Chat Noir ? murmura-t-il étonné.

L'intéressée capta son nom bien que l'émetteur se trouvait sur le toit terrasse de l'autre côté de la rue à une vingtaine de mètres. Sa vision nocturne aperçut quelqu'un près d'un télescope. Sur une impulsion motivée par la curiosité, elle sauta et atterrit sans bruit près de cet autre insomniaque.

- Adrien ? s'étonna l'héroïne en reconnaissant son camarade.

- On se connaît ? fit ce dernier avec surprise.

Le héros en civil passa en revue ses souvenirs avec elle, il lui semblait bien ne l'avoir encore jamais croisé sans son masque.

- Tout le monde connaît le visage d'Adrien Agreste, reprit la protectrice de Paris une main sur la hanche.

- Voilà une grande injustice. Vous connaissez mon visage mais moi, pas le vôtre, lui lança-t-il avec malice.

Elle rejeta ses cheveux noirs par-dessus son épaule d'une main griffue gantée de cuir noir. Adrien se fit la réflexion que ce geste aurait eu sa place toute trouvée dans une publicité pour shampooing.

- Vous m'en voyez désolée. Voici la première injustice contre laquelle je ne pourrais rien faire, dit-elle avec un sourire taquin.

- Et que faîtes-vous donc dehors à une heure aussi avancée de la nuit ? lui demanda-t-il en regardant dans son télescope.

Le soupir plaintif de l'héroïne le tira de son observation, intrigué. Elle avait la tête baissée, ses oreilles de chat rabattues en arrière et les épaules basses. Il ne l'avait jamais vu avec un air aussi triste.

- Je faisais une promenade, je n'arrivais pas à dormir, dit-elle simplement en relevant la tête vers le ciel. Et vous ?

- J'aime regarder les étoiles. Le problème, c'est qu'à Paris, la pollution lumineuse gâche tout. Et je ne parle pas de la pollution atmosphérique, ni de la couverture nuageuse, critiqua-t-il en faisant quelques réglages.

- C'est se donner bien du mal si c'est mission impossible, fit l'héroïne dubitative.

Adrien sourit en coin et croisa ses yeux bleus de félins, brillant dans la nuit.

- Les choses qui en valent la peine sont rarement facile d'accès, commenta-t-il simplement.

Sans trop savoir pourquoi, cela lui réchauffa le cœur comme elle en avait dramatiquement besoin. Elle se tourna vers lui avec une expression émerveillée, pleine de reconnaissance.

- C'est vrai, reconnut-elle avec un sourire. Sur ce, ne tardez pas trop à aller dormir. Je vais faire de même. Bonne nuit, Adrien.

- Bonne nuit, Chat Noir.

Elle retrouva son sourire malicieux, celui qui découvrait ses canines et disparut dans la nuit. En rentrant chez elle, sa choisie remercia Plagg pour cette ballade et se coucha, un peu apaisée.

Sens de la contradiction, esprit de rébellion, crise d'adolescence, appelez cela comme vous le voudrez. Marinette avait bien l'intention de fréquenter ses amis comme elle l'entendait.

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Ce chapitre a été très difficile à écrire. En le lisant, vous aurez déjà deviné pourquoi.

Si vous avez des interrogations sur le comportement de Sabine, eh bien... Dans cet univers, elle fait partie de la première génération d'enfants d'immigrés chinois. Par conséquent, elle a reçu une éducation stricte voire sévère bien que teintée de culture française. Cette éducation inclut notamment un sévère contrôle de la sexualité des jeunes filles, ici considérées comme des agneaux à protéger des grands méchants loups aka les garçons.

Si vous pensez que c'est exagéré, je peux vous assurer qu'il n'y a pas besoin d'être d'une culture particulière pour le constater tout autour de soi. Je parle d'expérience.

Les adultes font bien souvent l'erreur de projeter sur les plus jeunes des préoccupations qui ne sont que les leurs. Marinette veut juste avoir des amis et être libre de les fréquenter sans restrictions (injustes).

A bientôt pour le prochain chapitre /o/

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