Chapitre 12 - Malaise

Après cette salutaire mise au point, les deux héros commencèrent à prendre leurs marques l'un par rapport à l'autre. Lordbug accepta en son âme et conscience que le statut de superhéros se fichait bien du sexisme ambiant. Il avait un rôle à jouer, et Chat Noir le sien. Bien qu'agissant parfois sous le coup de l'impulsivité, elle ne faillissait jamais dans son rôle de "tank" et lui, celui "d'attrappeur". Les semaines passant, ils gagnaient en expérience, trouvaient des tactiques et des stratégies en fonction du type d'adversaire. Ils n'avaient guère plus besoin que d'un coup d'œil pour se comprendre et agir de concert avec une redoutable efficacité.

Ils formaient un duo harmonieux et uni malgré les vicissitudes qu'apportaient une double-vie.

- Mademoiselle Dupain-Cheng, encore en retard ! Et vous aussi, Monsieur Agreste ! les interpella Madame Mendeleiev. Quelle est votre excuse cette fois-ci ?

Marinette soupira et haussa les épaules avant d'aller s'asseoir à sa place. Adrien ne savait trop sur quel pied danser.

- Rien, pas même une panne de réveil ? continua leur professeur, acide.

- Non, madame. Je suis désolée, fit simplement cette dernière en baissant la tête.

L'humilité soudaine de son élève sembla la surprendre. Elle revint immédiatement à son cours, estimant qu'ils lui avaient suffisamment fait perdre de temps.

La jeune fille ouvrit son cahier de notes et demanda à Alya si elle pouvait jeter un coup d'œil aux siennes.

- Tiens, mais dis-moi... il se passe un truc entre vous deux ? demanda sa meilleure amie par-dessus ses lunettes.

Recopiant l'intitulé du cours ainsi que les numéros des pages de livre, Marinette ne comprit pas tout de suite où elle voulait en venir.

- Quoi ?

- Roh, t'es lente le matin !

Alya se rapprocha pour lui parler tout bas sans se faire entendre par, disons, leur voisin de devant qui semblait aux aguets.

- Comment ça se fait que Adrien et toi êtes souvent en retard ?

- J'habite à côté, il habite loin ? tenta-t-elle en haussant les épaules négligemment.

Impossible de lui dire qu'elle venait de sacrifier son petit-déjeuner pour aller botter les fesses de Glutenman. Ce supervilain faisait pousser des champs de blés, et c'est tout. Enfin, avant qu'elle ne lui botte l'arrière-train et que Lordbug purifie l'akuma. Des papillons se nichèrent dans son ventre et un sourire niais lui vint en repensant au superhéros. Elle se sentit euphorique en se souvenant du baiser qu'elle avait déposé sur sa joue l'autre fois.

- Je connais cette expression et cette lueur dans le regard, commença sa voisine de table avec l'air de tenir le scoop du siècle.

- Hm ? fit-elle distraitement.

- Tu es amoureuse, lui sourit Alya en mode gossip girl.

Marinette sursauta et jeta un coup d'œil alentour s'assurant que personne ne les avaient entendu.

En vérité, quelqu'un laissait ses oreilles traîner, bien que ce ne soit pas très poli. Le cœur d'Adrien battait la chamade. Marinette, amoureuse ? Est-ce qu'il y aurait une chance que ce soit réciproque finalement ? Il était dans un état de tension extrême, il voulait tourner la tête pour mieux entendre mais il risquait de se faire surprendre. Sa nuque lui fit mal à force de s'imposer de rester immobile.

- Alors ? Qui est-ce ?

- Calme ta joie, Alya. Je n'ai pas dit que j'étais amoureuse, répliqua Marinette avec agacement.

- Sur la défensive, hein ? Je prends ça pour un oui.

Marinette abattit son poing sur sa table, faisant sursauter Adrien et tous les élèves à deux ou trois rangs autour d'elle. Elle fixait durement Alya qui ne reconnaissait plus son amie.

- On dirait que je n'ai pas été assez claire ? siffla-t-elle à voix basse. Quand je me sentirai d'humeur partageuse, tu seras la première à qui j'en parlerai. En attendant, laisse ma vie privée tranquille !

- Mademoiselle Dupain-Cheng, on attend d'une retardataire qu'elle se fasse discrète ! Vous passerez me voir à la fin de l'heure pour un travail supplémentaire.

- Bien, madame.

Adrien jeta un coup d'œil à Nino qui était lui-même abasourdi par sa réaction. Ce dernier déchira une feuille de son cahier et écrivit un mot discret qu'il glissa à son voisin.

Y a un truc entre toi et Marinette ?

J'aimerai bien, mais non.

Pourquoi elle réagit aussi mal au gossip d'Alya ?

Marinette est très secrète sur sa vie sentimentale. Genre vraiment.

C'est-à-dire ?

C'est-à-dire que je me demande même si ça l'intéresse. Je la connais depuis longtemps et elle n'a jamais parlé d'un crush ou d'un petit-copain...

Adrien leva ses yeux vers Nino qui le regardait avec compassion. Voilà qui l'expliquait leur réaction de l'autre jour quand il avait reconnu l'aimer. Son cœur se contracta douloureusement. Le reste du cours se passa en silence, les élèves étaient penchés sur leurs notes et grattaient le papier religieusement.

Le jeune Agreste, cependant, était dans le tourment le plus profond. La fille de ses rêves était inaccessible. Même une relation à distance lui semblait préférable à ce désintéressement total. Mais après tout... puisqu'elle n'en parlait pas, cela ne voulait pas forcément dire qu'il n'y avait pas moyen. Juste qu'elle aimait sa vie privée. Il lui faudrait creuser l'histoire. Et peut-être tenter sa chance. Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, elle regardait distraitement par la fenêtre de cet air rêveur qui le faisait craquer.

Marinette se sermonnait intérieurement. Elle avait décidément du mal à contrôler son impulsivité en ce moment. Elle fit un rapide calcul mental, non ce n'était pas la semaine avant ses règles. Alors si l'excuse du syndrome prémenstruel la lâchait, qu'est-ce qu'il lui restait ? D'abord, s'excuser auprès d'Alya. Elle n'avait vraiment, mais vraiment pas été cool envers elle. Alors qu'elle avait été si présente pour elle quand Chloé l'a lâchement abandonné au pire moment.

Des souvenirs profondément enfouis refirent surface, et avec eux, des émotions trop violentes pour les maîtriser par la simple volonté. Elle se leva de sa chaise qui recula bruyamment.

- Je ne me sens pas très bien, madame. Permission d'aller à l'infirmerie ? demanda-t-elle précipitamment.

La professeur de physique-chimie l'observa par-dessus ses lunettes avant d'acquiescer.

- Un ou une volontaire pour l'accompagner ? lança-t-elle à la classe.

Le silence d'Alya fut douloureux pour sa meilleure amie mais elle encaissa. Adrien leva la main et, cela la réconforta plus qu'elle ne l'aurait cru. Ils sortirent en silence et se dirigèrent vers le bureau de l'infirmière.

- C'est gentil de m'accompagner, dit-elle tout bas au bout d'un moment.

- Je t'en prie, lui répondit-il sur le même ton. Les amis, c'est fait pour ça.

Il lui adressa un sourire auquel elle ne put que répondre. La jeune fille se sentait si fatiguée, si lourde. Elle fut soudainement prise d'un vertige et faillit basculer en avant mais des bras puissants la retinrent.

- Marinette ?! Ça va ? la pressa Adrien d'une voix inquiète.

Son champ de vision était envahi de points noirs et blancs. La gravité n'avait plus vraiment de sens. Elle se sentait épuisée, les sons lui parvenaient étouffés. Sa tête bascula sur le côté et se cala contre quelque chose de tiède et confortable. En fermant les yeux, elle se dit qu'elle aimait bien cette odeur.

Adrien eut peur lorsqu'elle chuta en avant, mais il paniqua totalement lorsqu'elle sembla perdre connaissance. Il la prit dans ses bras et l'amena aussi vite qu'il le put à l'infirmerie. C'était pas une blague quand elle disait qu'elle ne se sentait pas bien tout à l'heure. Une boule d'angoisse au ventre, il l'étendit sur un des deux lits disponibles sur les indications de l'infirmière. Elle prit son pouls, vérifia sa respiration et prit sa tension.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda cette dernière en regardant sa montre.

- Elle a demandé à venir à l'infirmerie, elle a fait un malaise sur le chemin. Je... je suis venu aussi vite que possible.

- Heureusement qu'on applique encore les protocoles de sécurité de nos jours, commenta la femme en blouse blanche.

- Elle va bien ?

- Un petit malaise vagal, mais l'hypoglycémie n'est pas impossible.

Elle rangea son matériel et sortit du jus d'orange.

- Restez avec elle, je vais prévenir ses parents. Quand elle se réveillera, faîtes-lui boire au moins un verre.

- D'accord. Merci, madame.

L'infirmière lui fit un petit hochement de tête avant de retourner à son bureau. Une cloison vitrée les séparait, les isolant des bruits ambiants. Plusieurs minutes passèrent pendant lesquelles Adrien observa le visage de son amie. Elle semblait si vulnérable, si fragile que cela lui brisa presque le cœur. Il se perdit dans la contemplation de ses traits si parfaits qu'il n'entendit pas l'infirmière ouvrir la porte.

- Vous pouvez retourner en classe, lui dit-elle. Sa mère va venir la chercher.

- Euh, est-ce que je peux rester jusqu'à son arrivée ? S'il vous plaît ?

Elle sembla peser le pour et le contre mais acquiesça finalement avant de les laisser à nouveau seuls.

- Je te cause du soucis, on dirait, fit une voix familière dans son dos.

Il se retourna aussitôt. Marinette s'était réveillée et le regardait d'un air un peu perdu. Elle se releva et s'assit sur le lit. Il lui tendit le verre de jus d'orange qu'elle but à contrecœur. La jeune fille se passa une main sur le visage d'un air ensucqué.

- Comment tu te sens ?

- Bof.

Elle leva ses yeux bleus vers lui, ils étaient cernés.

- Je sais qu'on ne se connaît pas depuis longtemps, mais... si tu as besoin de parler, je suis là, lui dit-il en peinant à soutenir son regard.

Marinette eut un triste sourire et hoqueta, comme si elle retenait un rire amer.

- Merci. Mais je ne sais pas moi-même par quel bout prendre les choses, soupira-t-elle en s'enfonçant dans le lit.

Elle se mit en position fœtale enroulée dans la couverture, face à lui. Elle le regardait, pensivement.

- Tu es déjà tombé amoureux ? lui demanda-t-elle soudainement.

- Oui, répondit-il avec un calme qui l'étonna lui-même.

A l'intérieur, c'était panique à bord, branle-bas le combat, les femmes et les enfants d'abord, les requins n'auront plus faim et tout le toutim. Le regard qu'ils échangeaient était d'une intensité douloureuse pour lui. Son cœur battait tellement fort qu'il se demandait comment elle faisait pour ne pas le remarquer.

- Est-ce que c'était réciproque ? continua-t-elle, inconsciente du trouble de son interlocuteur.

- Je ne sais pas, je ne le lui ai jamais dit, répondit-il avec gravité. Pourquoi cette question ?

- J'ai aimé quelqu'un. Mais, ça m'a fait tellement mal quand j'ai été trahi que j'ai préféré tout enfouir. Éviter de m'attacher à qui que ce soit.

Des larmes allaient mourir silencieusement dans son oreiller. Adrien n'en revenait pas d'entendre une telle confession de sa part. Il sentait qu'il était le témoin privilégié d'un évènement rare. Elle osait lui montrer ses cicatrices, ses vulnérabilités. Il sentait tout l'effort que cela lui demandait de baisser sa garde en sa présence. Lui, un presque inconnu. Peut-être même que c'était ça qui lui facilitait les choses.

- Et ça a changé ? la relança-t-il avec douceur.

- Je crois, oui.

Adrien devrait être dévasté mais il était trop généreux pour se préoccuper de lui-même. Son amie, celle qu'il chérissait, avait eu le cœur brisé et peinait à s'en remettre. Il eut l'intuition qu'elle n'en avait jamais parlé à qui que ce soit. Sa conversation écrite de tout à l'heure avec Nino le lui confirmait.

- Et c'est mal ?

Elle s'essuya les yeux avec la manche de son hoodie.

- Je ne sais pas. Alya m'a un jour fait le reproche d'avoir bâti l'équivalent de la muraille de Chine entre moi et les autres. Au passage, c'est raciste.

Son camarade eut un rire complice avec elle.

- Personne ne te fera le reproche d'avoir voulu te protéger, dit-il en lui prenant la main dans un élan instinctif.

Son cœur bondit quand elle serra la sienne en retour. Sentir sa peau contre la sienne, c'était plus qu'il n'aurait pu supporter. C'était trop intense, trop puissant. Mais elle avait besoin de soutien, il serait là pour elle.

- Peut-être. Mais je ne sais pas ce qui me fait le plus peur. Que mes murailles tombent, ou que je reste enfermée à l'intérieur, dit-elle la voix tremblante en fermant les yeux.

Il s'agenouilla, s'approchant le plus possible, leurs visages se touchant presque.

- Hé ! Tu n'as pas à affronter ça toute seule. Alya, Nino et moi-même sommes là pour t'aider. Si tu nous laisses faire, bien sûr...

Il avait parlé d'une voix douce, la couvant d'un regard qui ne laissait que peu de doutes sur l'affection qu'il portait à son interlocutrice. Elle lui sourit timidement et allait répondre quand un raclement de gorge brisa la magie de leur échange.

Adrien se releva d'un bond et lâcha sa main. Sabine Dupain-Cheng était dans l'encadrement de la porte avec l'infirmière. La mère de l'élue de son cœur l'observait d'un œil inquisiteur. Il rougit violemment et estima qu'il était temps de prendre la tangente.

- Bon eh bien, euh... je vais retourner en cours. A demain, Marinette ! fit-il un peu raidement.

- A demain, lui répondit-elle en se relevant lentement.

Il sortit de l'infirmerie dans un état second. Vu de l'extérieur, il fuyait comme si les chiens de l'enfer étaient à ses trousses. A peu de choses près.

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J'aime bien ce chapitre '-'

La subtilité des émotions et des sentiments est quelque chose que j'affectionne tout particulièrement. J'ose espérer que vous y serez/êtes sensibles ^-^

A bientôt pour la suite /o/

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