Chapitre 11

Regarder Margaux avait quelque chose d'apaisant. La voir, le nez plongé dans les livres, le regard sérieux, parfois pétillant quand elle trouvait ce qu'elle cherchait parmi les lignes de textes. Tout ça avait réellement quelque chose de magique pour moi. C'est comme si j'apprenais à voir de nouveau. Comme si je la voyais sous un autre angle.

J'ai toujours vu Margaux pour ce qu'elle était : Une fille seule, distante, un rat de bibliothèque passant plus de temps à travailler et à rendre des devoirs plutôt qu'à s'amuser et à profiter de la vie.

Elle ne la croque pas la vie, elle.

C'est triste.

« - J'ai un truc sur le nez pour que tu me regardes comme ça ?

- Non, non. J'admire autant de sérieux. Je ne sais même pas comment tu fais pour rester concentrer aussi longtemps.

- C'est une habitude.

- Dis Margaux...

- Quoi ?

- Tu veux bien m'apprendre ? »

Elle relève le nez de son livre, étonnée, et pose son crayon entre deux pages d'une encyclopédie.

« - Que veux-tu apprendre au juste ?

- Je n'en sais rien...À être comme toi. Un rat de bibliothèque. »

Je rigole et pourtant, son regard repart entre les pages, comme si ce que je venais de dire était étrange.

« - Je passe. Apprends à te débrouiller un peu tout seul Milo. La vie c'est ça, c'est un concentrée de solitude. »

L'ai-je vexée ?

Elle m'ignore tandis que ses mots résonnent en moi.

Comment peut-on se penser seul ? Comment peut-on s'imaginer être seul une seule seconde alors que tous les jours durant, nous sommes constamment entourés d'autres gens.

« - Tu n'en as pas marre ? »

Je me le demande.

« - D'être toujours toute seule ? »

C'est triste. Personne ne mérite de vivre une vie de solitude.

« - En quoi mon bonheur personnel t'intéresse-t-il Milo ?

- J'en sais rien...C'est pas ton bonheur qui m'intéresse...Je dirais que c'est toi. »

Elle relève une nouvelle fois la tête, soupire et range ses affaires sous mon nez.

« - Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit encore ? »

Il est là tout le mystère féminin. On ne sait jamais si l'on a dit la bonne phrase, le bon mot, si c'est dit au bon moment. Elles sont un mystère indescriptible et pourtant tellement séduisant. J'adore les énigmes. Les résoudre. Les comprendre.

Pour moi, les filles sont l'énigme de la vie d'un homme. C'est de notre devoir de résoudre ça. D'essayer du moins. Essayer de les comprendre.

« - Vous les garçons, vous êtes tous les mêmes décidément. »

Qu'ai-je dont fait pour mériter ça ?

Ramassant ses affaires, elle s'apprête à quitter la bibliothèque, laissant les livres sur la table.

Me laissant.

« - Attends ! »

Je ne sais pas pourquoi je la suis. Je pense que je veux essayer de comprendre ce que j'ai fait. Je sais que c'est de ma faute, mais je ne sais pas pourquoi. C'est étrange.

« - Margaux attends-moi ! »

Elle s'arrête à l'extérieur de la bibliothèque tandis que je me mets devant elle, comme si avec mon corps de cornichon, j'allais pouvoir lui bloquer le passage. Combien de fois ai-je rêvé d'avoir une carrure beaucoup plus imposante ?

« - Tu sais ce qui m'énerve le plus Milo ? Que tu te prennes un vent comme un idiot parce que t'es pas foutu d'ouvrir les yeux, que tu viennes ici la queue entre les jambes, parce qu'il n'y a pas d'expression plus juste, et que tu oses ensuite me sortir ce genre de phrase !

- Mais j'ai dit quoi ? Je ne te suis pas.

- Je t'intéresse ? Sérieusement ? Je pensais que jusqu'à présent c'était la petite princesse, l'idole de ces messieurs pour qui tu n'as d'yeux ? T'as tourné la page, ça y est ?

- Ah non, non ! Ce n'est pas ce que tu crois.

- Ah ouais ? Éclaire dont ma lanterne. Vas-y ! »

Je n'ai pas abandonné Keena et je ne l'abandonnerais pas. Elle reste mon idéal féminin. Elle n'est pas parfaite, mais quand elle est là...Mon cœur bat. C'est difficile à expliquer.

Pourtant à côté, j'ai Margaux. Une sorte d'opposé. Ce qui l'intéresse c'est le travail et rien d'autre, mais à côté de ça, elle sait se montrer attentionnée et parfois gentille.

Et puis, elle n'a pas sa langue dans sa poche.

J'aime beaucoup Margaux, mais je ne l'aime pas comme Keena.

« - Tu es une bonne amie, c'est tout. Je veux juste te comprendre. T'es toujours toute seule aux récrés et au lycée...Et...

- Tu ne t'es jamais dit que c'était par choix personnel ? Vous autres les idiots, parce que vous êtes « amis » avec quelqu'un sur un réseau social, vous prenez l'amitié pour acquise. Parce que l'on vous sourit ou vous salue deux ou trois fois dans la cour, vous pensez que vous vous entendez avec tout le monde. Mais c'est faux ! Ce n'est que de l'intérêt. L'amitié virtuelle. Fictive. Dis-moi Milo, des amis, t'en as combien en vrai ? Ceux sur qui tu peux réellement compter ? Peut-être un seul, n'est-ce pas ? Et le pire, c'est que c'est ton meilleur pote qu'est certainement la proie de la fille de tes rêves. Pas de chance mon gars, t'es la cinquième roue du carrosse. Tu ne sers que de tremplin pour avoir accès à Roméo. Le populaire Roméo. Capitaine de l'équipe de volley, un des meilleurs élèves de la classe, dieu vivant sur terre avec corps de rêve. Tu vois le tableau ? T'es l'entremetteur. »

Aïe. Ça fait mal.

« - Donc oui, je suis seule, mais ce n'est pas parce que je le suis, que je ne vis pas une vie épanouie. Après tout, tu ne sais sans doute pas ce que j'en fais de ma vie. Sur ce, tu m'excuseras, mais j'aimerais finir de travailler. Seule et en silence. »

Et elle s'en va.

Elle me plante là.

J'ai l'horrible impression que ses mots ont ouvert un gouffre sous mes pieds et que je vais y sombrer d'un moment à un autre. Je venais de me manger la vérité en pleine face.

Et ça fait mal. Terriblement mal.

Je sais qui je suis. Je ne suis pas le meilleur élève, je ne suis pas le plus beau, ni le plus mignon. Je ne fais pas partie de l'équipe de volley, ni d'aucun autre club de sport. Je ne sais pas faire grand-chose de mon temps à part essayer d'en profiter à chaque instant.

Mais je sais aussi que je ne serais certainement pas un trampoline pour certains.

Hors de question !

« - Et dire qu'il y a encore une heure...J'étais dans ses bras. »

Bravo Milo, la pire journée que l'on puisse passer.

Je crois qu'il est temps de rentrer.

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