Chapitre 7.

Lorsque les jumeaux m'avaient dit que ma présence à Regana s'expliquait par l'acte inconsidéré de ma mère, par ma résurrection au prix de nos deux âmes, je n'avais d'abord pas voulu y croire. J'avais dix ans. Je n'étais qu'une enfant.

Puis, lorsque j'ai fini par l'accepter - et comment aurais-je pu faire autrement avec tout cela ? - je n'avais pas voulu savoir. Pas voulu chercher. J'avais espéré que cela s'arrête, tout bonnement, tout simplement, un jour... Espoir que Katrina et Morval avaient détruit avec un sadisme et une cruauté sans pareil.

Je n'avais plus jamais cru pouvoir un jour me libérer de tout cela.

Et il avait suffi que Carmine agite la carotte sous mon nez pour que je plonge tête la première dans ce qui semblait être un complot contre la personne qui tirait les ficelles de Regana. Je ne sais pas si j'avais été stupide ou optimiste. Mais maintenant, il était impossible de me défaire de l'idée que peut-être, j'avais une chance. J'étais une idiote. Mais une idiote désespérée qui ne rêvait que d'une chose : s'en sortir.

Je le détestais de m'avoir donné de l'espoir. Et je me détestais encore plus d'y avoir cédé.

La sensation d'être prise au piège, écartelée entre mon cynisme et ma volonté d'échapper à l'enfer, me rendait tellement malade que j'avais vomis deux fois ce matin, incapable d'avaler quoique ce soit.

Parce que je savais ce qu'il fallait que je fasse. Je le savais et j'avais peur. Peur de me lancer.

Dès que l'aube se pointa, je rejoignis la fleuristerie de M. Béranger, à une telle allure qu'on aurait pu croire que je fuyais le diable.

Et dire que je m'apprêtais à me jeter droit dans son antre...

J'avais besoin de réfléchir et il n'y avait que parmi les fleurs que je parvenais à retrouver un semblant de calme. Je ne pouvais pas rester chez moi avec le spectacle pitoyable de mon apathique de mère. Cela me rappelait beaucoup trop ma condition et l'enjeu capital qui m'attendait au bout de cette quête suicidaire dans laquelle je m'étais laissé entraîner. Cela me rappelait trop toutes ces années de douleur. Cela me rappelait trop l'étau qui broyait en ce moment même mon cœur avec tant de force que j'avais l'impression de ne plus vraiment pouvoir respirer.

Mais qu'aurais-je pu faire d'autre ?

L'instinct avait agi sur moi. La perspective d'un espoir avait brouillé toute logique et maintenant... Maintenant je n'arrivais pas à envisager de faire marche arrière. C'était cela ou rien.

Avoir passé dix ans avec Katrina et Morval avait eu un effet sur mon caractère : j'étais acariâtre, violente, hargneuse mais surtout, j'avais développé, parallèlement à mon sentiment d'impuissance écœurant, une certaine combativité, celle qui me poussait à chercher à me cacher chaque nuit... C'était cette combativité qui m'interdisait de faire marche arrière.

La fatigue écrasante et l'angoisse qui me ravageait de l'intérieur ne m'avaient pas quitté une seule fois de toute la journée. Si les parfums des chrysanthèmes, de la passiflore et des tulipes étaient parvenus à quelque peu atténuer les effets de cette dernière nuit, M. Béranger avait eu l'air plus inquiet encore que la veille. Je sentais peser sur moi son regard presque paternel. Apathique, presque autant que ma mère, j'errais parmi les rayons, effleurant les fleurs comme si leur contact était la seul chose qui me permettait de rester en vie. Et j'avais bu tellement de café que j'avais fini tout celui qui se trouvait dans la boutique.

Mes membres tremblaient.

Mon corps était dans un état d'excitation que mon cerveau ne parvenait plus à suivre.

À la fin de la journée, mon patron me fit encore un discours empli de douceur qui broya mon cœur. Bien qu'il m'assura que ma distraction et que l'impact sur mon boulot n'étaient pas ce qui le préoccupait, je m'en voulus. Il tenait à moi et voilà comment je le remerciais. Pourtant, si tout se passait bien, je reviendrais dans sa boutique et alors, promis, je serais la meilleure employée et je pourrais enfin me montrer digne de tout cela !

Oui ! Une fois que je serais libre...

M. Béranger finit par me tendre ma bouteille de jus de grenade avec un sourire amical que je lui rendis. Et lorsqu'il me glissa un « à demain » chaleureux, je ne pus qu'hocher la tête avec raideur, consciente que demain, il ne me verrait pas.

*

Plus j'approchai de mon immeuble, plus le nœud dans ma gorge grossissait. Ma poigne autour de l'anse de mon sac se resserrait au point que le tissu devait presque se confondre avec ma peau. J'en garderais probablement une trace. Tous les bruits me parvenaient comme étouffés, en un bourdonnement désagréable.

Cela se calma quelque peu quand j'entrai dans le hall de l'immeuble.

Mais très vite, un autre sentiment s'empara de moi. Celui de l'oppression. J'aurais voulu tourner des talons, faire demi-tour et fuir pour retourner à mes fleurs. Mais je n'étais pas dupe. Fuir mon appartement ne changerait rien à la situation. Car, quoique je fasse, je finirais bien par m'endormir. Que ce soit dans mon lit ou sur le banc d'un parc.

Au prix d'un effort incommensurable et avec toute la mauvaise volonté du monde, je gravis les marches, pestant contre l'idée de ma mère de s'installer ici. Quitte à avoir une mère sataniste, le destin aurait au moins pu faire en sorte qu'elle ait les moyens de vivre. Mais la personne qui dirigeait nos vies, si elle existait vraiment, semblait bien déterminée à me faire souffrir.

Ça devait être une sacrée garce !

En haut de l'escalier, je ne fus pas surprise de croiser David qui fixait le vide devant lui, hagard, sur le palier. Cependant, dès qu'il me vit, un sourire amical étira ses lèvres.

« B'jour mistinguette ! Tu rentres tard aujourd'hui...

D'un geste nonchalant, il m'invita à m'asseoir à côté de lui, sur la marche miteuse. D'ordinaire, j'ignorais toujours ses invitations. Ce n'était clairement pas un méchant garçon, il semblait même incapable de faire du mal à qui que ce soit d'autre qu'à lui-même, mais son insistance à vouloir m'entraîner dans ses conneries m'agaçait toujours un peu. Pourtant, aujourd'hui, son ton lent, doux, comme s'il vivait sur un petit nuage, vint fendiller l'armure qui étreignait mon cœur, trop serrée, trop solide pour qu'elle ne me blesse pas.

Et à la pensée de ce que je m'apprêtais à faire, je me rendis compte que je ne valais pas vraiment mieux que lui. Alors sans un mot, je me laissais tomber à ses côtés. La marche craqua sous mon poids.

Il ne manquait plus que cet immeuble s'effondre avec nous...

Le jeune homme alluma un de ces roulés et à l'odeur, je devinai aussitôt que ce n'était pas du tabac. C'était trop âcre, trop écœurant. Je pinçai le nez et tentait de faire abstraction du parfum. Puisque David avait mon âge et que nous étions voisins depuis presque toujours, je me permis de l'apostropher d'un ton presque neutre - tout tant que je ne pensais pas à ce mal qui grignotait petit à petit mon être :

— Un jour David, tu vas faire une overdose !

Il haussa des épaules avant de bailler à s'en décrocher la mâchoire.

— C'est juste du canabis...

— Ça te fait vraiment te sentir bien ?

Il hocha la tête de haut en bas, avec raideur. Ses yeux rougis essayaient de se fixer sur moi mais son attention ne cessait pas de dériver partout ailleurs. J'eus de la peine pour lui. Et c'était bien la première fois de ma vie que j'éprouvais un sentiment de compassion. Mais en même temps, il m'offrait un sourire si béat, si heureux, si coupé de la réalité et de la douleur que je me demandai un instant si ce n'était pas lui qui avait de la peine pour moi lorsqu'il me voyait déambuler tous les jours devant lui avec mon état pitoyable.

— Tu veux essayer ?

Mon premier instinct fut de répondre non. Puis la douleur terrible que je ressentais se rappela à moi. J'étais lâche. J'allais me dégonfler. Sans courage, je n'y parviendrais pas. Et j'eus pendant quelques secondes le sentiment que ces herbes roulées dont l'odeur âcre me parvenait allaient me donner le courage qui me manquait.

Alors j'acceptai.

La première inspiration fut si atroce que j'eus l'impression que mes poumons s'embrasèrent sur le champ. Une violente quinte de toux me secoua aussitôt, déchirant ma poitrine. Mais très vite, les effets atteignirent mon cerveau. Et je compris pourquoi il était si tentant de se laisser amadouer par les drogues.

Pour la première fois depuis longtemps, la fatigue s'évanouit et un immense sentiment de plénitude s'empara de moi. Les choses me parurent soudain bien plus simples.

— Qu'est-ce qui t'as poussé à accepter cette fois ? Ça fait des mois qu'j'essaye ! baragouina mon interlocuteur, rejetant sa tête en arrière.

C'était drôle ! Mon voisin que je connaissais depuis toujours était finalement le seul ami que j'avais. Avec ma mère et M. Béranger c'était le seul qui m'adressait la parole quotidiennement. Même si c'était pour me proposer une taffe. En fait, il était presque aussi pommé que moi. Deux pommés dans une cage d'escalier, sous un nuage âcre qui me filait jusque-là la nausée, admirant les œuvres obscènes qui taguaient les murs. Mais c'était si différent de ce que j'avais l'habitude de vivre que je me laissais portée par le sentiment de détente.

Presque inconsciemment, je me mis à lui raconter ma nuit dernière. J'avais conscience de déblatérer une partie de ma vie qui pourrait me mettre en danger. Si j'avais raconté cela à qui que ce soit d'autre, j'aurais été bonne pour l'asile. Mais David était un défoncé de la vie. Alors je ne me retins pas. Et en parler fut presque libérateur. Mêlé à l'effet de la drogue, je me sentis plus légère, presque bien. Mieux. C'était fantastique !

Lorsque j'eus fini mon récit, rien dans l'expression de mon compagnon de fortune ne me prépara à son exclamation joviale :

— Bah dis-donc, Mistinguette, j'sais pas ce que t'as fumé, mais j'veux la même chose !

Et malgré la situation, malgré son air hagard, je ne pus m'empêcher de rire. Et ça faisait du bien.

Je me demandai un instant ce que cela aurait donné si j'avais craqué plus tôt à cet appas dangereux, si j'avais décidé de me réfugier derrière le canabis pour faire disparaître la douleur ? Est-ce que j'aurais fini comme David ?

Je ne savais pas ce qui l'avait poussé, lui qui était pourtant jeune, à finir dans une telle situation. Peut-être ne vivait-il pas mon enfer mais il devait vivre quelque chose de similaire. Quelque chose dans ses yeux le hurlaient au monde. Mais comme moi, David ne serait jamais compris. Parce que nous étions perdus, pommés, condamnés.

— Pourquoi t'es là toi ? m'enquis-je, dans un soupir rauque.

— Parce que la vie est une chienne.

De nouveau, je ris. Sans s'en soucier, l'homme entreprit de fredonner une chanson paillarde, comme à son habitude. Et c'était bizarre. C'était familier. C'était ma vie ? Ma chienne de vie...

Cependant, malgré ce bref aparté, je ne pouvais pas oublier ce qui m'attendait.

Mon esprit, pourtant embrumé, me paraissait plus clair que jamais. Sous mes yeux, c'était le visage de Carmine que je voyais. Sa voix qui résonnait dans mes oreilles. Le vestige de notre proximité si forte cette nuit que je ressentais...

Il m'attendait.

Je le savais.

Il attendait que j'applique notre plan, que je rejoigne Regana... Et je le ferais.

Les herbes avaient presque entièrement annihilé la douleur. Je pouvais de nouveau respirer normalement. C'était incroyable. Je ne recommencerais pas, de cela j'en étais certaine. Mais je crois que j'avais besoin de ça pour trouver le courage. Désormais, c'était fait.

Secouant la tête, je me relevai, surprise par ma perception altérée du monde. Wow, c'était vachement bizarre.

— Si je reviens vivante, je te jure de te caser en cure de désintox' David !

Il me toisa un instant, sans pourtant avoir l'air de me voir, avant de sourire.

— C'est ce qu'on verra mistinguette. »

Je secouai la tête de gauche à droite avant de rejoindre mon appartement, mon sac serré contre moi.

En poussant la porte de l'appartement, je me dirigeai directement dans le petit salon. Comme toujours, ma mère était affalée dans son fauteuil, le regard perdu dans le vide. Elle ne me salua pas en me voyant entrer. C'est à peine si elle réagissait suffisamment pour rester en vie. Pour une fois cependant, cela m'arrangeait. Déposant mon sac, je vidais la bouteille de jus de grenade dans un des verres. Le liquide écarlate attira mon attention. Étrangement, je trouvais cela ironique. J'allais boire le jus d'un fruit qui en avait déjà condamné à l'enfer.

Sans plus m'attarder dessus, je me saisis des plaquettes de médicaments qui traînaient sur la table basse. Je dû lire trois fois la notice pour m'assurer de ce que je faisais.

Puis, comptant les comprimés, je les laissai tomber dans le liquide rouge du verre. Je craignis un instant que les médicaments altèrent le goût de la grenade. Mais au point où j'en étais, ça ne comptait plus.

Carmine m'avait expliqué son plan. Et je devais reconnaître que malgré mon absence totale d'envie de m'y plier, il était remarquablement logique et bien pensé.

Il avait trouvé comment faire en sorte que je reste suffisamment longtemps à Regana pour pouvoir l'aider, comment faire pour quitter le désert rouge dans lequel je retournerais inévitablement si je venais à me réveiller.

Quitter le désert rouge !

Il y avait autre chose dans cet enfer que cette étendue de malheur dans laquelle j'avais passé les nuits de ces dix dernières années !

Mais pour se faire, il fallait que je dorme suffisamment pour ne pas me réveiller. Il fallait que je me plonge volontairement dans un semi-coma. En faisant ça, je m'obligerais à demeurer à Regana, sans que la douleur ne m'en tire. En revanche, si je venais à mourir dans cette aventure, je risquais de rester bloquer un bon bout de temps, incapable de me réveiller.

Et bien qu'il en soit ainsi !

Qu'avais-je à perdre ?

« Samaëlle ?

Je fis volte-face, surprise par le timbre éraillée qui venait de s'élever faiblement derrière moi. Toutes les fibres de mon corps s'électrisèrent.

C'était ma mère...

Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas été suffisamment lucide pour m'adresser la parole que je cru un instant rêver. Mais comme je ne rêvais jamais, je devais me rendre à l'évidence : c'était la réalité.

Muette de stupeur, pétrifiée, je la dévisageai. Elle se redressa légèrement dans son fauteuil, son regard vide me détaillant. Un instant, ses lèvres s'étirèrent en un sourire tendre, comme si ma vision était la seule chose qui comptait à ses yeux. Avec amour. Aussitôt, les effets de mon petit dérapage avec David disparurent et la douleur afflua de nouveau, plus vive qu'avant. Égoïstement, je détestais quand ma mère redevenait lucide.

Puis son attention se posa sur ce que je faisais. Ses sourcils se froncèrent et elle s'enquit, légèrement alertée :

— Samaëlle qu'est-ce que tu fais ?

— Que crois-tu que je fasse ?

Je reportais mon attention sur le liquide rouge dans le verre, au creux de mes paumes.

— Non, n'y retourne pas ! souffla-t-elle dans un râle qui aurait pu me briser le cœur si j'en avais réellement eu quelque chose à faire.

Mais ça n'importait plus. Tout ce qui importait c'était moi. Et j'étais lasse.

Relevant mon regard sur elle, je fus surprise par son expression dévastée. Elle était trop faible encore pour se lever, cependant, elle tendit sa main dans ma direction. J'eus l'impression qu'on venait d'enfoncer une nouvelle lame dans mon abdomen. C'était douloureux... Tellement douloureux... Je me dérobais aussitôt avant de cracher, ne me maîtrisant plus totalement :

— Pourquoi est-ce que tu nous as fait ça Maman ?

Je n'avais pas besoin de préciser. Elle comprit aussitôt ce à quoi je me referais. Un instant, elle ferma les paupières, l'air de chercher ses mots. Puis, n'y tenant plus, ce fut comme si la digue cédait. Depuis des mois, nous n'avions pas échangé un seul mot. Alors, lorsque ses mots déferlèrent sur moi, dans des gémissements désespérés j'eus l'impression qu'ils allaient m'emporter, me noyer, et c'était presque aussi terrible que son silence.

— Je voulais tellement une fille, un petit bébé... explosa-t-elle, d'immenses larmes roulant sur ses joues. Je t'ai attendu toute ma vie. Toute ma vie, je rêvais de toi... Ma petite fille....

Je voulus lui dire de se taire. Je regrettais déjà d'avoir posé la question. Mais elle ne me laissa pas parler. Saisissant soudain ses cheveux rêches dans ses mains, commençant à se les arracher sans vergogne, elle reprit de plus belle, dans une diatribe horrible :

— Je t'ai eu assez âgée tu sais ? Ton père est parti à ta mort... Je ne voulais pas te perdre toi aussi, c'était impensable... Inimaginable. Je ne pouvais pas te laisser tomber.

J'encaissais, silencieuse, ma poigne se resserrant autour du verre.

— Je savais qu'il pouvait te sauver... Le Mal. J'avais déjà assisté à des miracles... Je pouvais te ramener à moi, ma fille chérie, mon petit bébé...

Figée, je ne pouvais que subir ses aveux. Rien ne paraissait pouvoir l'arrêter. Un froid terrible s'était emparé de mon cœur et je ne pouvais plus respirer.

— Il m'a laissé neuf ans... Neuf ans de bonheur avec toi... Neuf ans avant que je ne paye le prix... Ça valait tous les sacrifices ! Je t'aime tant, si tu savais, ma petite chérie...

L'entendre prononcer ce surnom abominable dont Katrina m'affublait, là-bas, à Regana, fut la goutte de trop. Brutalement je ne supportai plus ni ses larmes, ni son malheur, ni sa douleur. Elle n'avait pas le droit ! Pas le droit de me les infliger quand c'était moi qui subissais les conséquences de sa décision depuis dix ans. J'en n'avais rien à faire de sa peine. Seule la mienne comptait.

Les mots m'échappèrent dans un hurlement de rage, déchirant ma poitrine, brûlant mes lèvres alors que je m'époumonais, perdant tout contrôle :

— Mais c'est moi qui paye les pots cassés ! C'est moi... Ça fait des années que nous n'avons même plus de relation mère fille... Tu n'es qu'un fantôme, même pas capable d'être là pour moi ! Regarde-moi maman... Regarde-moi !

Ce cri déchira ma gorge et je du refréner des larmes malvenues. Je ne pleurerais pas. Retrouvant une certaine maîtrise de moi-même, je ne pu m'empêcher de cracher ce que je pensais depuis tant de temps déjà :

— J'ai l'air d'être heureuse ? J'ai l'air de vivre la petite vie parfaite que tu voulais ? Je déteste ma vie ! J'aurais préféré être morte !

Ce fut peut-être le coup fatal. Ses larmes se tarirent face à ma colère. Elle tressaillit avant de baisser la tête. J'aurais préféré qu'elle ne se réveille pas, qu'elle ne retrouve pas un semblant de lucidité. Mais d'un autre côté, cet éclat venait de me donner la détermination qui me manquait.

Tout devait finir. D'une façon ou d'une autre.

S'en rendant certainement compte, ma mère s'enquit, prudemment :

— Qu'est-ce que tu vas faire ?

Ses mots résonnèrent dans mes oreilles, faisant écho à ceux de Carmine. Ce que j'allais faire...

— Je vais réparer ton erreur, Maman. Je vais nous libérer. »

Et avant qu'elle ne puisse m'arrêter, j'engloutis d'un coup le verre de jus de grenade dans lequel j'avais dilué un nombre incalculable de petites pilules. Juste assez pour ne pas mourir. Juste assez pour tomber dans le coma. Ma mère blêmit. Mais elle n'eut pas le temps de réagir.

Les cachets firent effets plus rapidement que ce que j'avais prévus. Très vite, de violents vertiges me saisirent. Le monde devint flou autour de moi et les bruits me parvenaient, étouffés. Un poids s'abattit sur ma poitrine : j'avais soudain extrêmement de mal à respirer. C'était comme si mes côtes s'étaient changés en un étau qui resserrait sa prise autour de mon cœur. Mes paupières étaient lourdes, si lourdes que je cru qu'on venait de les coudre.

Je n'avais pas réfléchi à m'allonger au préalable.

Peut-être aurais-je dû...

Je perdis violemment l'équilibre sans rien pouvoir faire. Alors que je m'affalais au sol, mon crâne vint frapper le carrelage. Sous le brouillard des médicaments, je ne sentis même la douleur. Juste le froid du sol contre mon corps. Enfin, j'étais allongée... À travers ma vision floutée, je pu voir ma mère se précipiter vers moi, m'appelant encore et encore, sans relâche. Je sentis ses mains fraîches sur ma peau et un instant, j'eus la sensation d'être aimée. C'était idiot comme pensé. J'en voulais tant à ma mère... Et pourtant, avant de sombrer totalement, ma haine avait disparue, endormie par les effets des narcoleptiques.

Puis le sommeil m'emporta, me plongeant dans cet état que j'avais recherché.

J'allais me libérer de mon enfer.

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