Chapitre 33.
Parfois, notre salut ne tenait à quasi rien ; une personne voire même un objet.
Le mien dépendait de Carmine et plus précisément, de cette dague qu'il brandissait. Il était ma solution... qui se parait d'allures de perdition. Elle était ma salvation au même titre qu'elle avait été ma damnation.
Pétrifiée sur place, retenant ma respiration, je ne pouvais détacher mon regard de l'arme.
La lame était légèrement courbée, semblable à celles des poignards orientaux. Des gravures courraient le long du métal jusqu'à la garde. Sur la base élargie, je pouvais distinguer cinq cercles et en leur centre, une pierre noire, d'obsidienne.
La dague avait perdu l'éclat parme qui en émanait, à présent qu'elle avait absorbé toutes les ténèbres. Dans la clarté pâle de la crypte, elle ne reflétait rien. Car elle absorbait aussi la lumière. Et tout ce qu'elle dégageait en cet instant, c'était une force surnaturelle que même un sot ne pouvait pas ne pas sentir. Les ondes qui en suintaient étaient... magiques. Mauvaises aussi. Elles me traversaient et se répandaient dans la pièce.
Je me sentais irrémédiablement attirée par cet objet, presque envoûtée. Ce lien qui m'avait guidée jusqu'à lui vibrait, presque douloureusement et pourtant, tout le poids qui pesait sur mes épaules s'était envolé, ne laissant qu'un vide béant.
Hébétée, je peinais à réaliser. Il me fallut faire un effort pour m'arracher à ma surprise et croasser, la voix éraillée :
« C'est... ça ? L'autre incarnation du mal ?
À vrai dire, je ne savais pas trop à quoi je m'attendais. Il s'agissait de la dague que nous cherchions, de toute évidence. Mais à présent que les ténèbres qui nous entouraient avaient disparu et qu'elle était tirée de son réceptacle, hormis la courbe de sa lame, rien ne la distinguait des armes que je possédais sur moi.
Ce n'était qu'une dague.
Presque comme les autres.
Ou tout du moins, en apparence.
Le regard éclatant de Carmine détrompait mon jugement. Il fixait l'arme, ses pupilles si dilatées qu'elles grignotaient l'améthyste. On pouvait y lire une fascination, presque une dévotion dévorante. Et une satisfaction terrifiante. Pour un peu, il se mettrait à l'aduler. Car pour lui, elle représentait absolument tout.
Lentement, il baissa le bras pour ramener la dague face à son visage. La pointe vers le bas, il effleura du bout des doigts les gravures sur le métal et la pierre noire. Ses traits arborèrent une expression jubilatoire glaciale, celle d'un triomphe à venir. Et ses lèvres s'étirèrent pour afficher un rictus mauvais. De son être, suintait son impatience, sa hâte à enfin l'utiliser.
Je frissonnai. Même un aveugle verrait le danger qu'il dégageait en cet instant précis.
La couleur de ses yeux s'assombrissait. Loin du violet caractéristique, loin du rouge qu'ils adoptaient lorsqu'il se mettait en colère, ils devenaient noirs. Aussi noirs que la fois où il m'avait attaquée, après avoir passé son pacte.
Et l'espace d'une fraction de seconde j'eus peur de l'avoir perdu de nouveau, que le mal que contenait la dague se fut emparé de lui. Les ténèbres n'avaient pas disparues, elles étaient toujours là, quelque part, et je craignais qu'elles ne se soient infiltrées en mon compagnon.
— On l'a trouvée ! On l'a enfin trouvée ! murmura-t-il, comme pour lui-même, son sourire s'accroissant.
Sa voix était rauque, gutturale. Toutefois, cela me rassura. Contrairement à la fois précédente, il semblait avoir le contrôle. Si le Mal s'était infiltré en lui, cette fois, il le maîtrisait. À moitié rassurée seulement – qui pouvait bien savoir ce dont il était capable ? – je m'avançai avec précaution et m'enquis, d'une voix basse :
— Carmine ?
Mon appel sembla le ramener à lui. Il papillonna des paupières avant de river son regard sombre sur moi. Un masque d'ombres semblait s'être glissé sur ses traits orientaux. Il semblait être devenu quelqu'un d'autre tout en étant restant lui-même. Mais en cet instant, la confiance et la puissance qui émanaient de lui, associés au danger, rendaient l'attraction qu'il exerçait sur moi encore plus... forte. Il ressemblait tellement à un Hadès échappé de ses enfers, à ce dieu grec en exil retrouvant sa liberté tant convoitée...
Je déglutis, à fleur de peau, tandis qu'il s'avançait d'un pas dans ma direction, son sourire s'élargissant encore plus dans une expression à la fois carnassière et euphorique. Extatique.
— Comprends-tu ce que cela veut dire, petite diablesse ? ronronna-t-il, d'un timbre guttural.
Sa main libre effleura mon épaule, provoquant une explosion d'étincelles le long de mon épiderme, avant de s'enrouler autour de mon bras pour m'approcher de lui, marquant ma chair de l'empreinte de ses doigts brûlants. Nos corps se frôlèrent, s'effleurèrent, se touchèrent presque. Une douce chaleur se diffusait dans mon être, à chaque battement de cœur, plus rapide que le précédent. Je sentais ce doux venin se répandre dans mes veines. Me mordant la lèvre inférieure, je hochai la tête, de haut en bas, me perdant dans l'expression ténébreuse qu'il arborait. Mais cela ne lui suffisait pas.
— On va gagner. Je vais gagner.
— Je n'en doutais pas une seule seconde, minaudai-je, approchant mon visage du sien en levant le menton.
Son souffle s'échoua sur mon front lorsqu'il se pencha un peu plus vers moi, une lueur s'embrasant dans son regard. Sa prise sur mon bras se raffermit un peu plus.
— Menteuse, se moqua-t-il.
Et sans me laisser répondre à son accusation caverneuse – totalement justifiée au passage – ses lèvres s'emparèrent des miennes dans un élan auquel je ne m'attendais pas. Un élan que j'épousai sans hésiter, mes doigts s'agrippant à ses épaules, alors que je me hissai sur la pointe des pieds pour mieux répondre à son baiser.
Entre mes côtes, mon palpitant venait de rendre les armes. Tout se réduisait désormais à ce point de fusion, à nos deux cœurs. Et je sentais le sien battre, battre contre ma poitrine, en écho au mien. Cette sensation enivrante annihilait tout le reste. J'étais comme dépossédée de moi-même, entièrement noyée dans le désir grimpant qui obstruait ma raison. Un désir que je contenais depuis bien trop longtemps
Mes mains glissèrent jusqu'aux boucles sombres du jeune homme, mes doigts s'y emmêlant avant que je ne les tire un peu, de façon à l'emprisonner définitivement. Un grondement de plaisir lui échappa, résonnant presque dans ma propre poitrine. Ses dents effleurèrent ma lèvre, la mordillant même légèrement. Mais cette douleur-ci était délicieuse.
Son autre bras, dont la main tenait toujours fermement la dague, s'enroula autour de ma taille pour me serrer plus encore contre lui. Nos bassins se pressaient tant qu'il n'y avait plus le moindre espace entre nous et j'eus l'impression que cette partie de mon corps s'était transformé en un point de fusion incandescente et brûlante... un gémissement s'échappa d'entre mes lèvres prisonnières des siennes.
Carmine m'enlaçait avec une fièvre presque destructrice contre laquelle il était impossible de lutter. Même submergée par l'intensité de mes émotions, je pouvais ressentir à travers son baiser la hargne et la détermination qu'il conservait.
Toutes les ténèbres qui grondaient en lui se perdaient dans son geste. Il les noyait en moi. Et de la même façon que je m'étais ancrée à mon compagnon, enchaînant presque mon cœur au sien, il s'attachait à moi, liant son corps à mon âme. Et lorsqu'il m'embrassait, j'avais l'impression que c'était pour marquer mon être à tout jamais au fer blanc.
Plus violent, plus profond, plus brûlant que le premier, ce baiser nous consumait tout entier.
Les feux de l'enfer semblaient moins dangereux que celui qui, en cet instant, s'embrasait en nous. Mais j'étais prête à me laisser emporter par ce brasier passionnel. Qu'il me dévore, qu'il me ravage ! Qu'il réduise en cendre tout le reste.
Car en cet instant, la notion d'âme damnée prenait tout son sens. Parce que c'était une perdition que de l'embrasser.
Parce que c'était une damnation que de l'aimer.
Et c'était presque aussi douloureux qu'enivrant. C'était une souffrance à laquelle je pourrais bien me résoudre...
Lorsque je finis par me détacher, mettant fin au baiser, ma respiration était plus erratique que jamais. Ça avait été trop. Trop fort, trop puissant. Mon petit imbécile de cœur n'avait pas été prêt pour cela. Mais il avait adoré. J'avais adoré.
M'appuyant légèrement contre mon compagnon, pas encore tout à fait prête à me détacher de lui, mon regard se posa sur la dague que ses doigts enserraient toujours, tout près de ma taille. La garde effleurait l'os saillant de ma hanche. Je l'avais oublié le temps de notre embrassade. Mais l'arme était bien là. Réelle.
Nous avions réussi ! Et nous allions réussir ! Ce n'était plus qu'une question de temps...
— Je vais pouvoir obtenir ma vengeance, gronda Carmine, contre ma tempe, en accord avec mes propres pensées.
Je me reculai légèrement pour mieux l'observer. Il souriait. Anticipant sa victoire. Mais toute la haine froide qui habitait ses traits s'était légèrement envolée et je pouvais désormais y lire autre chose. Hochant de la tête, je ne pus m'empêcher d'ajouter, sentant l'exaltation grimper en moi :
— Et tu vas aussi pouvoir tenir ta promesse !
Un instant, son regard perdit de cette intensité violente, guerrière. La noirceur qui l'avait gagné se dissipa quelque peu pour laisser place à ses iris d'un violet si profond, si beau... Ce violet que j'aimais tant. Il me dévisageait, avec attention. Et j'étais incapable de décrire cet éclat qui s'était allumé au fin fond de ses yeux, un éclat qui venait chatouiller mon cœur. Brièvement, sa main libre quitta mon bras pour venir effleurer ma joue, lentement tandis qu'il murmurait, dans un souffle presque tendre :
— Promis, je te renverrai à ta réalité et tu n'entendras plus jamais parler de Regana et de ce qui lui est lié.
À cette idée, je sentis une vague d'euphorie me gagner. Cette fois, tout devenait concret, tout devenait possible, tout devenait réel. Jusque-là, au fond de moi, demeurait toujours cette part de doute qui me soufflait qu'il était impossible de quitter Regana, que tous nos efforts étaient vains... Désormais, ces doutes étaient brisés, balayés par le vent de l'espoir. J'y croyais. J'y croyais d'autant plus fort que cette perspective devenait un horizon possible.
J'allais quitter cet enfer ! Pour toujours ! Il l'avait promis...
Et lui ?
Cette pensée s'imposa à moi, transperçant l'élan d'optimisme qui m'avait gagné. Mon sourire se figea tandis que je prenais conscience de ce que tout cela signifiait. Et Carmine ? Sa promesse me libérait de lui aussi. Après tout, il était lié à Regana. De la plus inextricable des façons. Il était un enfant du mal et bientôt, il en deviendrait le seigneur. Et ce, même s'il avait pour objectif de détruire son père.
Lorsque je me réveillerais enfin, avec l'assurance de ne plus jamais remettre les pieds dans ces cercles infernaux, Carmine ferait également partie de mon passé. Je ne le reverrais plus. Il l'avait juré, dès le départ. Dès le début de cette aventure dangereuse, de la « mission Virgile », alors même que mon plus cher désir était de me débarrasser de sa présence insupportable.
Au moment où il me libèrerait, nous nous quitterions pour toujours.
Cette évidence brutale me frappa de plein fouet.
J'écarquillai des yeux, me perdant dans le regard brillant de mon compagnon. Cet éclat dans ses prunelles ! Je le comprenais désormais ! Il savait. Il savait très bien ce que cela signifiait.
La sensation de chute vertigineuse qui s'empara de moi finit de m'achever. Mes lèvres, encore brûlantes de son baiser, s'entre-ouvrirent. Mais aucun son ne voulut s'en échapper. J'étais incapable de formuler la moindre phrase.
Je reculai d'un pas, m'arrachant à son étreinte. Un froid glacial s'empara de moi, contrastant avec la chaleur qui avait habité mon corps l'instant d'avant. Le vide se creusait au creux de ma poitrine, entre mes deux poumons, là où Carmine avait réussi à se loger. Un vide habituel. Le jeune homme ne cessa pas de sourire. Mais désormais, la courbe de ses lèvres prenait un sens triste.
Et puis merde ! Nous savions déjà comment tout cela allait finir. Qu'importe que je le haïsse ou que je l'aime. Qu'importe qu'il m'apprécie juste un peu... ou terriblement. Durant la traversée des cinq cercles, il avait été un pilier, un radeau auquel je m'étais désespérément raccrochée, en digne naufragée que j'étais. Il m'avait tirée du cercle des âmes errantes, il avait fait payer Morval et plus que tout, il m'avait fait sentir à nouveau vivante. Ce vide que je ressentais jadis, que je ressentirais probablement, il l'avait comblé. Rien qu'un peu.
Et même si mon désir de liberté et de salvation était ce qui comptait le plus en cet instant, je savais pertinemment que mon compagnon s'était forgé une place suffisamment importante pour mon cœur pour l'oublier de la sorte. Il allait me manquer. Un peu.
Beaucoup plus qu'un peu.
Cette fois, lorsque j'ouvris la bouche, je savais exactement ce que j'allais dire.
Mais un rire sinistre résonna soudain derrière nous, m'interrompant.
— Voyons Carmine, ne fais pas des promesses que tu ne pourras pas tenir. Mentir, c'est... mal.
Face à moi, le jeune homme se tendit aussitôt, ses traits se refermant brutalement pour aborder à nouveau cette expression sombre. Un frisson gelé dévala mon échine et je sentis mes poils se hérisser d'horreur. Je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir qui venait de prononcer ces mots glaçants.
Regana...
Le regard de mon compagnon retrouva aussitôt sa teinte noire, le parme disparaissant aussitôt. D'un geste autoritaire, il me tira à ses côtés pour pouvoir toiser le nouveau venu, ses traits tordus par la rage.
— Père...
Son emprise autour du manche de la dague se raffermit un peu plus. De nouveau, ces volutes de fumée rouge apparurent autour de la lame cette fois-ci, transformant les ténèbres en sang... Ce pouvoir, bien trop semblable à celui de son géniteur, ne faisait que trahir un peu plus le pas immense que le jeune homme avait fait vers le trône des enfers. Je déglutis, mon estomac se serrant un peu plus.
Nous y étions... Le moment tant attendu. La confrontation finale. Le point d'orgue de la mission Virgile.
Tout allait se jouer maintenant.
Tout ce pour quoi Carmine s'était battu, tout ce qu'il avait subi ou commis au cours de ces dernières années... Tout cela n'existait plus. Tout cela ne se résumait plus qu'à cet instant.
Regana croisa les bras, le nuage de ténèbres qui l'accompagnait éternellement se dissipant peu à peu. Son expression était impassible. Ni satisfaction, ni surprise. Rien ne semblait pouvoir l'atteindre. J'en vins à me demander s'il savait ce que nous étions en train de chercher.
Mais à en croire le rictus narquois qu'il affichait sur ses traits froids comme la glace, la réponse était évidente : bien sûr qu'il savait. Il savait tout. Son rictus se transformant en un sourire cruel, il susurra à l'intention de son fils :
— Je vois que tu t'es vite remis de notre petit jeu de tout à l'heure...
Ma gorge se noua au souvenir de notre dernière rencontre. Je me rappelai encore trop bien les hurlements déchirants de Carmine, son expression accablée... Et ce que j'avais dû faire. Le diable savait remuer le couteau dans la plaie. Je me crispai un peu plus, mon regard glissant vers mon compagnon. Mais ce dernier, drapé dans sa nouvelle force, conférée par l'arme qu'il tenait entre ses mains, se contenta d'esquisser un rictus amer avant de rétorquer, véhément :
— Vous ne pensiez tout de même pas parvenir à me détruire si facilement ?
— Je dois avouer que te voir debout en cet instant me surprend. Mais après tout, tu es mon fils. L'absence d'humanité en toi ne devrait pas me surprendre.
Je dus me retenir de lever les yeux au ciel. Absence d'humanité, mon œil oui ! Carmine était à moitié humain et il avait souffert des actions de son père, même s'il l'avait dissimulé. Il n'avait rien à voir avec Regana !
Je surpris soudain un rapide regard en coin de la part de mon compagnon. Ce dernier devait avoir surpris mes pensées car il m'accorda un léger sourire de remerciement.
En aucun cas, nous n'étions seuls. Nous nous dressions contre cet ennemi ensemble. Et même si c'était son combat, j'avais trop à perdre pour ne pas le soutenir. Après tout, nous étions alliés. Et même plus que ça.
— Ce n'est pas dû à une absence d'humanité, au contraire ! feula-t-il. Votre chantage n'a fait que renforcer ma volonté de vous détruire et de venger ma mère.
— Et comment comptes-tu t'y prendre ? Avec cette dague ?
Le télépathe se raidit un peu plus, carrant des épaules. Ses muscles dégageaient une tension presque insoutenable alors qu'il levait un peu plus son arme. Sans le laisser répondre, le maître des enfers reprit dans un ricanement mauvais, moqueur :
— Vous pouvez remercier ma très chère Katrina qui m'a informée de vos pitoyables projets... Katrina, tu peux avancer.
Je me figeai à l'entente de ce nom maudit, mon cœur bondissant dans ma poitrine. C'était comme si je venais de recevoir un coup. Un coup à l'âme. Katrina, évidemment... Toujours elle. Mon être entier se noyait sous l'aversion ravageuse que je lui vouais.
À l'invitation de son maître, la démone sortit de son ombre, de sa démarche de prédatrice. Son regard incendiaire se posa aussitôt sur moi, m'entraînant dans les abîmes de sa détestation. Ses lèvres dévoilèrent ses dents pointues en un rictus menaçant lorsqu'elle me lança, vicieuse :
— Bonjour petite chérie.
Connasse, connasse, connasse !
La vague de haine qui s'empara de moi fut si vive que j'en eu presque le vertige. Chaque fois que nos regards se rencontraient, je ne pouvais m'empêcher de revoir toutes ces fois où elle m'avait fait du mal. Y compris la dernière. Et j'avais mal... Terriblement mal. Parce que rien que sa présence ravivait toute la douleur qu'elle m'avait infligée.
Je brûlais de lui cracher ma rancœur à la figure tant je la détestais. Avant de me rappeler que provoquer ma pire ennemie dans un contexte tel que celui-ci n'était pas la meilleure idée qui soit. Je serrai le poing, mes ongles s'enfonçant dans ma paume. Je devais me contenir, me retenir.
Carmine s'avança sensiblement, formant presque un rempart entre elle et moi, avant de ricaner, orgueilleux :
— Vos démons ne peuvent rien contre moi, vous le savez, n'est-ce pas ?
Regana se contenta d'esquisser un rictus sournois, l'air amusé par son intervention, presque protectrice à mon égard.
— Mais elle n'est pas là pour toi. Puisque tu sembles déterminé à vouloir te dresser contre moi, je me suis dit que j'allais lever l'amnistie que j'avais accordée à ta petite copine.
Comprenant immédiatement ce qu'il sous-entendait, je sentis mon sang refluer et quitter mon visage. Le seigneur des lieux pensait encore pouvoir faire du chantage à mon compagnon en se servant de moi.
Si Katrina ne m'avait pas attaquée depuis la dernière fois, malgré son envie dévorante de me faire payer la mort de son frère et les multiples occasions qu'elle avait eu, c'était parce que le seigneur des lieux le lui avait interdit.
Mais désormais...
Plus rien ne l'arrêterait.
Tout devint flou autour de moi. Même les bruits. Je prenais petit à petit conscience que c'était également maintenant que tout se jouerait pour moi. C'était elle ou moi. Et elle le savait. Elle n'attendait que ça. Je tentais d'inspirer pour me calmer avant de souffler. Chaque expiration provoquait une déchirure douloureuse au niveau de mon diaphragme.
À travers le brouillard qui s'était emparé de mon esprit, j'entendais à peine les piques que se lançaient père et fils.
— Sois raisonnable. Abandonne ta folle entreprise. Tu ne peux rien contre moi. Quand j'ai tué mon propre père, j'étais déjà deux fois plus puissant que toi.
— Là où vous vous trompez, c'est en pensant qu'il faut être comme vous pour vous battre.
Pendant tout leur affrontement verbal, d'où suintait une haine réciproque dévorante et destructrice, mon regard n'avait pas quitté la démone qui hantait mes cauchemars.
Katrina n'avait pas détourné une seule seconde son attention de moi. Ses traits étaient tordus par la rage folle. Elle était déterminée à venger la mort de son frère coûte que coûte. Peut-être me détruirait-elle ? Peut-être me ferait-elle souffrir pour l'éternité ? Je n'avais aucune idée de ce qu'elle pouvait projeter. Mais sans la présence de Morval à ses côtés, elle ne semblait que plus terrifiante. Tout ce qui était de l'amusement à ses yeux avait pris une autre tournure. Je le savais. Je le sentais.
Une angoisse terrible nouait ma gorge, empoisonnant mon esprit.
Cela dit, la peur n'était pas le seul sentiment qui grondait dans mon cœur.
Il y en avait un autre qui se perçait un chemin vers la surface. Un besoin irrépressible, presque étouffant, qui montait, montait, montait... Certes, j'avais mal.
Mais il n'existait qu'un moyen de faire taire définitivement cette souffrance et de refermer pour de bon toutes mes plaies. Je ne serais jamais libre si je n'affrontais pas frontalement celle qui m'avait causée tant de malheur.
J'avais trop longtemps attendu ce moment. Celui où je pourrais enfin faire ravaler à la jumelle démoniaque son sourire sadique. C'était ici et maintenant.
Discrètement, j'appuyai sur le coude de Carmine, me glissant hors de son ombre protectrice. Il avait son combat, j'aurais le mien.
Un éclat de surprise s'alluma dans le regard de ma tortionnaire. À priori, elle ne s'attendait pas à ce sursaut de combativité chez moi. J'esquissai un rictus amer.
— L'heure de la vengeance a sonné petite diablesse, gronda la voix de mon compagnon dans mon crâne, en un souffle encourageant. Comme toi comme pour moi. Fais lui mordre la poussière.
Mes doigts se refermèrent autour du manche de ma propre dague. Celle enduite de sève d'orchidée Dracula. En retrouvant le contact du métal, je sentis l'adrénaline se déverser dans mes veines, dans un flot de lave en fusion qui ravivait la haine, la colère et le désir de vengeance. Il était temps pour elle de payer. Il était temps pour moi de me libérer de mes chaînes.
À nous deux Katrina.
— À nous deux, sale garce ! » crachai-je, haineuse.
Les yeux de la démone virèrent rouge-furie. Avant qu'elle ne bondisse sur moi.
Et Carmine l'imita, se jetant sur son père.
~
Hello ! Bonnes vacances à ceux qui le sont 🖤
J'espère que vous allez bien et que ce chapitre vous a plu ! On a tout de même eu droit à un second baiser 🙈
On se retrouve mercredi pour le tout dernier chapitre (😱) ! Quels sont vos pronostics pour la fin ?
À mercredi,
Aerdna 🖤
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