Chapitre 30.

Lorsque le sentiment d'évidence s'imposait à nous, il n'y avait rien de plus fort. La sensation oppressante de savoir ce que l'on devait faire obstruait tout le reste. Et la volonté, qui dès lors s'imposait à nous, semblait appartenir à quelqu'un d'autre, être entièrement indépendante de nous, comme dotée d'une propre vie. Nous étions les marionnettes de cette volonté. Les marionnettes de cet instinct plus fort que tout.

Samaëlle...

J'étais incapable de mettre des mots sur cette force inconnue et surnaturelle qui me guidait. Elle me soufflait la route à emprunter, s'infiltrant dans mon esprit, faisant vibrer chaque fibre de mon corps à l'unisson avec un lien qui se tissait et qui, j'en étais persuadée, me conduirait à l'objet de nos convoitises.

Elle prenait entièrement le pas sur tous mes autres sens. Il me semblait être devenue aveugle. Cet instinct urgent, étouffant, était la seule chose qui me permettait d'avancer. Je voyais sans voir, j'entendais sans entendre. Le besoin pressant de suivre ce chemin qui se dessinait, de remonter ce fil d'Ariane qui reliait mon cœur à la dague contenant tous les pactes, était plus fort que tout. Une pression insoutenable s'était abattue sur ma poitrine et à chaque pas que je faisais en avant, elle s'allégeait, me permettant de respirer un peu mieux.

J'avais à peine vaguement conscience de la présence de Carmine derrière moi, tentant de me suivre. Tout ce qui comptait c'était la dague qui m'appelait à elle.

Je cavalais dans les couloirs du palais, de pièces en pièces, d'étages en étages. Je ne savais pas par quel miracle j'étais parvenue à ne pas me rompre le cou dans les escaliers alors que je sautais les marches quatre à quatre. Je craignais de façon totalement irrationnelle que le lien ne se rompe et que je me retrouve démunie.

Soudain une collision me ramena brusquement à la réalité. Mon épaule venait de percuter quelque chose de solide, de vivant ! Le choc brutal résonna dans tout mon être. J'eus la sensation qu'on venait de m'assommer d'un coup de cymbale qui résonnait à présent dans mon crâne, vrillant mes neurones.

« Merde...

Papillonnant des paupières, je levais les yeux sur la personne que je venais de bousculer par mégarde.

C'était une femme. Absolument sublime. J'en restai sans voix. Ses traits étaient angéliques, poupins. Son teint de porcelaine ne connaissait aucune imperfection. Quant à ses cheveux, ils semblaient faits d'or tant ils scintillaient, cascadant sur ses épaules graciles, couronnés d'une couronne de laurier. Elle dégageait une lumière surprenante, inédite pour Regana. En l'apercevant, j'en oubliais presque ce que je poursuivais. Elle était... envoûtante. Elle ressemblait à un ange. Un ange en enfer...

Mais ses yeux étaient d'un écarlate si vif qu'ils semblaient être un étang de sang où un éclat fou et mauvais scintillait. L'ange était un démon.

Je reculai d'un pas, encore trop sonnée et surtout, trop bouleversée par cette force qui m'écrasait, me poussait à poursuivre ma route...

Samaëlle !

La femme esquissa un rictus cruel. Toute la beauté de ses traits venait de faire place à une expression marquée par la férocité et le sadisme, déjà prête à me faire mal. Elle semblait absolument ravie de tomber sur moi.

— Ô petite âme délicieuse, petite âme malheureuse... Quel doux égarement t'a conduite jusqu'au trépas ? Quelle mauvaise étoile t'a menée jusqu'à moi ? fredonna-t-elle, en tendant sa main dans ma direction.

Cette poésie funeste ranima comme un ouragan le brasier de mon épouvante. Je me raidis toute entière, la panique gonflant dans ma poitrine. Cet éclat dans son regard... c'était le même que celui qui brûlait dans celui de Katrina. Si elle en avait l'occasion, elle me ferait souffrir. Ou plutôt, elle m'anéantirait. Il y avait chez elle un élan carnassier qu'on ne retrouvait que chez un prédateur prêt à dévorer sa proie... après avoir joué avec. Un sursaut d'instinct de survie m'électrisa toute entière. Par reflexe, je portais la main à la dague que je conservais, prête à détaler.

— Je te conseille de ne pas toucher à cette âme-là, menaça la voix grondante de mon compagnon derrière moi alors que son ombre protectrice me couvrait.

La démone se figea, ses griffes à deux centimètres à peine de ma gorge qu'elle s'apprêtait à déchirer. L'air surprise, elle détourna complètement son attention de moi pour la river par-dessus mon épaule. Ses yeux s'arrondirent de stupéfaction et ses lèvres formèrent un « o » parfait avant qu'elle ne s'enquiert :

— Carmine ?

Le jeune homme se plaça à mes côtés, la toisant sans ciller. J'étais rassurée qu'il m'ait rattrapée, rassurée qu'il soit arrivé juste à temps. Pourtant, je ne devinais aucune colère, aucune rancœur ou aucune rage chez lui. Si je n'étais pas aussi perdue, j'oserais même penser qu'il paraissait... heureux ?

— Béatrice, la saluta-t-il, esquissant un léger sourire. Qu'est-ce que tu fais là ?

Béatrice ?

Attendez ! C'était elle Béatrice ? La démone folle, la compagne maudite de Dante, le monstre qui nous avait attaqués dans le cercle des damnés ? Je visualisai encore cette chose immonde que nous avions dû affronter. Dans cette sublime femme, gracieuse et merveilleuse, je ne trouvais rien de ce mélange hideux entre une stryge et un ange déchu, décharné et infernal. Rien hormis ses yeux écarlates et son expression féroce.

— Dante s'inquiétait pour toi, ronronna-t-elle, d'un ton indolent. Mais tu le connais, c'est un trop grand solitaire pour qu'il vienne dans ce nid de vipères et de démons lui-même.

Sa voix était douce, ensorcelante. Elle s'infiltrait dans mon esprit, comme le chant d'une sirène, endormant ma méfiance et ma panique. À nouveau, elle ressemblait à un ange. J'en oubliai presque qu'elle avait tenté de me faire du mal.

Pourtant, chaque fois que son regard me survolait, il s'y allumait un éclat mauvais, affamé et sanguinaire qui me glaçait le sang.

Carmine poussa un profond soupire. Un pli s'était formé entre ses deux yeux.

— Tu ne dois surtout pas rester là. Si mon père se rend compte que je te connais et que nous sommes liés il s'en prendra à toi.

Je frissonnai. Il avait raison. Une véritable inquiétude perçait dans sa voix. Et je comprenais. Je me rappelai ce que m'avait raconté Carmine. C'était elle qui l'avait trouvé et accueilli. Elle l'avait en quelque sorte élevée. Si Regana l'apprenait, il n'hésiterait pas à lui faire du mal pour atteindre son fils, pour le pousser un peu plus vers les ténèbres.

Même la démone en semblait consciente dans un éclair de lucidité. Elle esquissa une légère grimace avant d'interroger, légèrement soupçonneuse :

— Es-tu sûr de ce que tu fais ?

Le télépathe acquiesça.

Au même moment je sentis de nouveau le murmure se faire plus oppressant, embrouillant mes pensées et imposant sa volonté, en dépit de ma raison.

Samaëlle...

Le lien vacilla et je cru un instant l'avoir perdu avant qu'il ne se renoue brutalement. Je relevai la tête, les yeux écarquillés, me tournant vivement vers la direction qu'il m'indiquait. Le souffle me manquait.

— Ta copine a l'air complètement folle, commenta la sublime créature d'un ton beaucoup moins doux. Je suis sûre qu'elle ne te sert à rien, laisse-moi la croquer...

— Pas touche, Béa'. Tu as déjà failli le faire et ça ne s'est pas bien fini.

Elle dévoila ses canines dans une moue déçue mais n'insista pas. Malgré ses envies très visibles de me déchiqueter et de m'anéantir, elle semblait réellement tenir au jeune homme. Au point de l'écouter et de me laisser tranquille.

— Carmine, on doit y aller ! murmurai-je en tirant sur son bras, nerveuse.

Il hocha la tête. Un instant ses prunelles se posèrent sur moi. Mais je trépignais trop, incapable de tenir en place. La frénésie qui l'avait habitée ces derniers jours semblait avoir changé de réceptacle pour venir animer ma carcasse. Moi qui étais vidée d'énergie il y a une dizaine de minutes à peine, ne pouvais plus rester inactive. Après avoir tant essayé, je sentais enfin la dague. Il fallait que nous y allions !

Mon compagnon se tourna de nouveau vers Béatrice. L'air sévère, d'un ton catégorique, il souffla :

— Rentre à la cabane. Informe Dante que nous y sommes presque. Et essaye de ne pas causer trop de massacre en chemin.

— Voyons mon chéri, pour qui me prends-tu !

— Pour celle que tu es.

La démone esquissa un sourire angélique. Terriblement sincère. Elle s'approcha du jeune homme que je lâchai aussitôt pour reculer d'un pas. Elle était si grande qu'elle le dépassait d'une bonne tête. Dans son regard déséquilibré brillait une tendresse presque obsessive. Doucement, elle encadra le visage du brun pour effleurer son front de ses lèvres.

Mais lorsqu'elle se redressa, se détachant de lui, toute douceur avait disparu de ses traits. Me jetant un dernier coup d'œil en coin, elle glissa, d'un ton sombre :

— Prends garde à toi Carmine. Avoir une âme, c'est avoir une faiblesse. Tu es chanceux d'en être dénué. Alors ne t'accroche pas trop à celle-ci.

Carmine se contenta d'hocher la tête, la mine fermée. Pourtant, dans ses prunelles améthyste brillait une émotion sur laquelle j'étais incapable de mettre le moindre mot. Il leva le menton et affirma, déterminé :

— Lorsque nous nous reverrons, je serai seigneur de Regana.

— Je n'en doute pas une seule seconde.

Raide comme un piquet, il se détourna d'elle pour avancer vers moi, Béatrice nous observant de son regard surnaturel nous éloigner. Je pris cela comme un signal.

La tension qui m'habitait du fait de l'appel de la dague était si insoutenable que je n'attendis pas une seconde de plus pour tourner les talons et m'engouffrer dans l'escalier. C'était plus fort que moi. Je me contrôlais à peine.

Le murmure devenait de plus en plus fort, de plus en plus distinct.

Nous approchions. J'en étais certaine. Je le sentais.

Sautant au bas de la dernière marche de l'escalier, j'arrivai à un étage du palais que nous n'avions pas encore exploré. Il s'agissait d'une aile souterraine. Les couloirs étaient plus sombres, plus étroits. Il y faisait aussi froid que dans le second cercle. Je refermai mes bras autour de moi et m'engouffrai dans un des corridors. J'avais l'impression d'être à la recherche de l'air, émergeant d'un océan mouvementé. À la fin du chemin, se trouverait ce que nous cherchions tant. Ce pour quoi Carmine avait été prêt à tout.

Soudain, je me stoppai, mon cœur battant à un rythme si effréné dans ma poitrine que rien ne semblait pouvoir l'apaiser.

Nous venions d'arriver devant une porte sombre. Petite, rien ne semblait la distinguer des autres. Mais il émanait d'elle une puissance obscure que même moi, je pouvais sentir.

— C'est là ! soufflai-je, envahie par une certitude dévorante.

Mon compagnon se figea. Il semblait ne pas en revenir et me dévisageai d'une toute nouvelle façon, dans un mélange de joie et d'incompréhension.

Le délaissant, je m'approchai, lentement, plus fébrile que jamais. J'étais captivée, fascinée, hypnotisée par cette porte. Chaque fibre de mon être était irrémédiablement attirée par elle.

Samaëlle...

C'était là ! Juste derrière ! Je le sentais. Il suffisait de tourner le pommeau doré, de pousser la porte, de l'ouvrir...

Mes doigts se saisirent de la poignée, glacée sous ma peau.

Un souffle gelé s'éleva aussitôt, provenant du minuscule espace entre la porte et le sol. Sifflant, il remontait, agitant mes cheveux, refermant son étreinte sur moi. Je frémis. Un sentiment de malheur et de désespoir profond s'était soudain emparé de moi. Un poids s'était abattu sur ma poitrine, lourd, si lourd... Mon souffle se bloqua tandis que je sentais cette noirceur doucement s'infiltrer dans mon être, ramper jusqu'à ma gorge pour m'étrangler de sa poigne nocive.

« Seule... siffla une voix rocailleuse dans mon crâne. Tu es entièrement seule. »

Paralysée, j'eus l'impression que je venais de plonger dans un lac gelé et que mon corps s'engourdissait au rythme de cette mélodie funeste. Je tressaillis, incapable de faire le moindre mouvement.

« Vous n'arriverez jamais à battre le seigneur des lieux. Tu finiras ton éternité dans une souffrance sans nom, abandonnée de tous, dénuée de tout amour. Car jamais tu ne seras aimée. Jamais tu ne seras libre. Tu ne quitteras jamais Regana. »

Je me raidis un peu plus, le poing si serré que j'en avais mal. Ce murmure cruel semblait donner vie à mes pires cauchemars. Il broyait mon cœur sur son passage, me ravageait de l'intérieur. Tout espoir me semblait soudain impossible. Vain. Et s'il avait raison...

« Tu es condamnée. Tu es une âme damnée. »

— Sam' ?

La voix de Carmine rompit soudain le brouillard dans lequel j'étais plongée. Agissant comme un coup de fouet, se faufilant jusqu'au creux de mon âme pour lui donner une impulsion vivifiante et brûlante, elle rompit le charme et me donna l'énergie nécessaire pour lâcher cette poignée de malheur.

Aussitôt, la sensation de désespoir et de profond malheur s'évanouit, me laissant avec un cœur plus vide encore qu'une coquille abandonnée. Mais au moins étais-je à nouveau maîtresse de ce que je ressentais.

Je pressai un instant les paupières pour recouvrer entièrement mes esprits, mon organe vital battant la chamade.

La dague était le mal incarné, au même titre que le seigneur de Regana. Tout le mal qu'elle contenait avait certainement contaminé la pièce. L'air était envahi par sa pourriture. Si nous franchissions ce seuil, nous aurions encore à affronter les ténèbres les plus terrifiantes.

Je fis vivement volte-face, prête à en remercier Carmine. Mais ce dernier était déjà entièrement tendu et ne me regardait plus. Son attention était entièrement portée sur les ombres noires qui se dessinaient à l'autre bout du couloir, se matérialisant dans des volutes sombres de fumée qui s'approchaient dangereusement de nous.

— Bordel ! rugit-il, l'air hors de lui.

Nous ne pouvions pas fuir cet étrange brouillard qui commençait à nous entourer, lentement, inévitablement. Pétrifiée, je ne pus m'empêcher de me rappeler cet autre brouillard avec lequel Regana m'avait menacée quelques jours plus tôt. Ma gorge se noua aussitôt.

— Qu'est-ce que c'est ? paniquai-je.

Les volutes grimpaient, nous enrobant de ténèbres. Dans l'obscurité qui grandissait un peu plus à chaque seconde, les yeux de Carmine s'étaient mis à luire, le violet se mêlant au rouge de la colère. Ils étaient le seul point lumineux dans cette pénombre, brûlant de haine lorsqu'il grogna :

— Ça, c'est mon père qui est bien décidé à nous empêcher de trouver cette maudite dague !

À peine finit-il de prononcer ces mots, que le monde parut chavirer autour de nous. Pour la seconde fois en l'espace de quelques instants, j'avais l'impression de me noyer, basculant dans une vague gelée qui me traversa, pétrifiant mon âme.

Puis tout devint noir.

Lorsque le brouillard se dissipa, nous n'étions plus dans les caves.

Nous nous retrouvions dans la grande salle. Cette téléportation avait été si soudaine que je sentis mon cœur se soulever dans ma poitrine.

Blême, je chancelai. Je dus me pencher en avant, appuyée sur mes cuisses, les paupières pressées à m'en faire mal pour que cette nausée violente me passe. Les sons me parvenaient assourdis, comme si je me trouvais sous l'eau.

Les battements affolés qui résonnaient dans ma cage thoracique finirent par s'apaiser et mes soubresauts nauséeux se calmèrent, me permettant de relever les paupières sans que le monde ne soit pris d'une furieuse envie de valser, brouillant tous repères.

Je pus me redresser totalement.

Toutefois, rien n'était encore gagné. Car face à moi, Carmine toisait son père, assis nonchalamment sur ce qui semblait être un trône. Le jeune homme était figé, droit comme un piquet, pétrifié. Quelque chose n'allait vraiment pas...

— Qu'est-ce que tu nous veux encore ? feula mon compagnon, serrant des poings.

Il semblait sur le point de craquer. La frustration d'avoir été interrompu alors que nous avions été à deux doigts de trouver la dague émanait de lui avec une telle force qu'elle empiétait presque sur mes propres émotions.

Regana esquissa un sourire mauvais, se redressant un peu plus sur son siège. Si d'ordinaire, son expression était marquée par toute la cruauté dont recelait sa carcasse pourrie, aujourd'hui celle-ci semblait accompagnée de quelque chose d'autre. Une espèce de détermination mêlée à une satisfaction terrifiante.

Mon ventre se serra sous l'appréhension. Quoiqu'il ait préparé, cela n'annonçait rien de bon.

Et comme pour illustrer mes craintes les plus sournoises, il claqua soudain des doigts. Aussitôt un nuage de ténèbres apparus devant lui. Et tandis que le nuage se dissipait, révélant ce qu'il dissimulait, le seigneur des lieux se releva, annonçant d'un ton pernicieux :

— Je crois qu'il est temps de vous donner un véritable aperçu de ce qu'est le Mal

Je fronçais des sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir exactement.

À genoux, face à nous, se trouvait une femme au teint doré et aux traits orientaux. Ses yeux allongés étaient d'un noir profond, brillant de douceur. Ses cheveux bruns ondulés tombaient à moitié devant son visage. Cette femme m'était curieusement familière. J'étais certaine d'avoir déjà croisé la même expression sans savoir où.

Intriguée, je me tournais vers Carmine. Mais je me figeai aussitôt en apercevant son expression.

Le jeune homme était pâle comme un linge, ayant perdu toutes ses couleurs. Ses yeux étaient écarquillés, marqués par un désespoir profond. Je fus frappé par la détresse qui se dégageait de lui. Il dévisageait la femme, ses traits s'affaissaient un peu plus chaque seconde pour adopter l'expression de la plus vive des souffrances.

Il tremblait !

Jamais je ne l'avais vu dans un tel état.

— Carmine ? m'enquis-je doucement, l'inquiétude s'emparant de moi.

Mais il ne me répondit pas, incapable de détacher son regard de la mystérieuse inconnue. C'était comme si rien d'autre n'existait. Comme si l'enfer venait de s'anéantir autour de lui. La désolation qui émanait de lui était si poignante, si ravageuse qu'elle me frappait de plein fouet.

Soudain, il tomba à genoux lui aussi, comme terrassé. Et je me pétrifiai de terreur lorsque ses lèvres formulèrent le pire des mots :

— Maman...

À cet instant, le temps parut s'arrêter brutalement. Stupéfaite, je reculai d'un pas, comme si l'on venait de me frapper en plein estomac. Avais-je bien entendu ?

Je n'eus pas le temps de m'interroger plus.

Le désespoir de mon compagnon parut se métamorphoser en une rage haineuse qui se déchaina comme un orage :

— Pourquoi l'avez-vous ramenée ? hurla-t-il en se tournant vers son père dans un élan à la violence inégalée.

Ses prunelles violettes étaient habitées par une lueur de folie destructrice. Sa voix était quant à elle brisée, éraillée, nouée par une émotion si puissante qu'elle me percuta de plein fouet. Tout me poussait à rejoindre Carmine, à m'emparer d'un peu de sa peine pour le soulager. Mais j'étais pétrifiée sur place, incapable d'avancer, bloquée par les ondes de magie qui se dégageaient de lui.

Aussi impassible et insensible qu'une pierre, Regana ne semblait pas le moins du monde impacté par les rugissements de fauve blessé de son fils. Bien au contraire.

Ses lèvres s'étirèrent en un rictus plus cruel encore, écœurant. Et ce fut d'une voix glaçante, dénuée de toute pitié, qu'il lâcha sa fatale sentence :

— Je veux que tu la tortures. »

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