Chapitre 28.
L'attente, lorsqu'on ne savait pas ce qui était en train de se passer ailleurs, était un calvaire.
Repliée dans un coin de la chambre de Carmine, dissimulée dans l'ombre, je me rongeais les ongles, attendant son retour. Sitôt mon compagnon avait-il disparu pour aller je-ne-sais-où que Regana m'avait laissée retourner dans la sécurité relative de la seule pièce du palais où je ne risquais pas de tomber sur un démon déterminé à me tuer ou à me faire souffrir.
Je détestais attendre. Je détestais l'impuissance. Et ironiquement, j'avais été trop impuissante tout au long de ma vie. Je le demeurais encore. Je ne pouvais rien faire. Hormis attendre.
Je ne sus combien de temps je restai là, tapie dans l'ombre, guettant l'entrée, craignant que celui qui passerait la porte soit un démon ou pire encore, Katrina elle-même.
Une inquiétude sourde bourdonnait à mes oreilles. Et s'il arrivait quelque chose au télépathe ? Et si son père, malgré sa résignation, lui faisait payer son instant de rébellion ? Et si ce pacte était un piège ?
J'allais devenir folle !
Soudain, j'entendis la porte s'ouvrir dans un grincement sinistre. Je me repliai un peu plus dans l'ombre, le sent pulsant si fort dans mes tempes qu'il assourdissait le moindre bruit. Ami ou ennemi ? La porte se referma tandis qu'une silhouette se découpait dans la lumière. Je reconnu aussitôt ce corps svelte et ces boucles noires. Carmine était là !
Un instant, je pressai les paupières, inspirant profondément pour calmer la peur sourde qui m'avait tenaillée en attendant son retour. Puis, rassurée, je me relevai maladroitement. Seulement, quelque chose clochait. J'en eus l'intime conviction au moment même où je sortis de ma cachette.
Le jeune homme me tournait le dos, vouté, sa tête rentrée entre ses épaules. Quelque chose n'allait pas. De lui, n'émanait plus cette sensation rassurante qui m'avait poussé à lui faire confiance si facilement. Quelque chose avait changé... À pas de loup, je m'approchai de lui avec prudence, l'inquiétude prenant le pas sur le reste, pesant comme un poids sur ma poitrine.
Qu'avait-il pu bien se passer ?
« Carmine ? m'enquis-je, doucement.
Je posai une main hésitante sur son épaule. Au moment même où mes doigts le frôlèrent, il se tourna dans ma direction. J'eus un vif mouvement de recul, ma respiration se bloquant dans ma poitrine tandis que la stupeur me gagnait.
Ses iris n'étaient ni violets, comme ils l'étaient d'ordinaire, ni écarlate, couleur qu'ils prenaient lorsqu'il utilisait ses pouvoirs. Ils étaient noirs. Entièrement noirs.
Il n'était plus lui !
Avant que je ne puisse faire quoique ce soit, le jeune homme esquissa un rictus cruel, si semblable à ceux de son père... Puis il se jeta sur moi.
Mon instinct de survie déplorable sembla se réveiller miraculeusement. Dans un réflexe incontrôlé, je me déportai violemment sur la gauche pour éviter son attaque, me glissant derrière le lit. Mes coudes rencontrèrent le sol si brutalement que j'eus l'impression de recevoir une décharge électrique. Les larmes me montèrent aux yeux mais je les ravalai aussitôt. La douleur se noyait dans la peur qui s'était ranimée aussi vivement qu'un feu de forêt en pleine canicule.
Me relevant, je fis volteface pour toiser mon compagnon qui semblait avoir totalement perdu l'esprit.
— Bordel, Carmine ! rugis-je, en proie à la panique. Réveille-toi nom de dieu ! C'est moi !
Ses yeux s'étaient transformés en deux puits noirs sans fond dans lesquels mes paroles paraissaient sombrer, inutiles. Impossible de le raisonner. Saisissant le premier objet venu, un vase, je le jetai de toutes mes forces sur l'hybride dans une vaine tentative de le ralentir dans sa progression vers moi. Il le rattrapa un plein vol, le contempla quelques secondes, esquissant un rictus carnassier, avant de le relancer dans ma direction. Je l'évitai de justesse, me baissant à la dernière seconde, une pluie de débris tombant sur moi après qu'il se soit fracassé contre le mur.
Mon sang vrilla dans mes tempes, et tout mon être s'embrasa, conscient du danger qui se rapprochait. Je devais fuir, atteindre la sortie ! Je devais survivre.
Ni une, ni deux, je sautai par-dessus le lit dans l'espoir de lui échapper. C'était sans compter sur ses capacités surnaturelles... Je n'eus pas le temps de réagir : mon adversaire se retrouva devant moi, et m'asséna un immense coup de poings dans le ventre qui me força à reculer. Je me pliai en deux, encaissant la vive douleur qui explosa dans mon abdomen. Mon souffle se coupa et un cri m'échappa. J'avais l'impression d'avoir reçu un boulet de canon. C'était un miracle s'il ne m'avait pas pété une côte par ce coup. Mais à peine cette souffrance-là commença-t-elle à affluer qu'une bouffée de chaleur me gagna, montant en moi, telle une véritable fournaise. Surprise, je relevai la tête, ma vision à moitié cachée par mes cheveux qui tombaient devant mon visage, pour toiser mon compagnon qui tendait son poing dans ma direction. Un souffle plaintif m'échappa.
— Carmine...
Cette chaleur qui m'avait à multiple reprise sauvé la vie semblait aujourd'hui être la plus grande menace qui pesait au-dessus de ma tête. J'avais l'impression que mon corps allait se mettre à fondre d'une seconde à l'autre. Son poing se serrait de plus en plus tandis que je sentais mon sang bouillir dans mes veines. C'était insoutenable, insupportable... J'étouffais, je suffoquais, je brûlais...
J'avais mal, si mal... Penchée en avant, la bouche grande ouverte à la quête de la moindre fraîcheur, je sentais petit à petit les flammes de l'enfer se refermer sur moi.
Je connaissais désormais la souffrance des damnés du troisième cercle... Et face à moi, Carmine semblait bien déterminé à me l'infliger, sans le moindre répit.
Mais je n'avais pas fait tout ce chemin afin d'échapper à ce destin sinistre pour le souffrir maintenant !
Essayant de me rappeler les leçons de lutte du jeune homme, je m'arrachai de toutes mes forces à sa magie pour me jeter sur lui, dans un élan désespéré. Sans doute ne s'y était-il pas attendu car il n'esquissa aucun geste pour me repousser. Je parvins à le faire chuter.
Nous roulâmes au sol dans un enchaînement de coups et de griffures. Je ne voyais plus rien, ma vision brouillée par mes mèches rousses et par les larmes qui perlaient tandis que les sons me parvenaient dans un concert de grognements et de jurons, sans savoir qui était à l'origine de quoi. Le monde tournait autour de moi, n'étant plus qu'impressions vivaces, couleurs et formes déformées. Je hurlai son nom à plein poumon dans l'espoir de lui faire reprendre ses esprits.
Dans cette lutte inégale, alors même qu'il m'écrasait de tout son poids, une idée parvint à percer le brouillard de ma peur.
Son couteau !
Tant bien que mal, je tentai de m'emparer de l'arme qu'il m'avait donnée. Je me tortillai sous lui, cherchant d'une main le manche du poignard et de l'autre, repoussant ses attaques. Lorsque mes doigts se refermèrent sur le métal froid de la garde, mon cœur manqua de sauter un battement. Je m'y accrochai aussitôt avec la force du désespoir.
Dégageant ma main de sous mon corps, dans un geste flou, incontrôlé, je tentai de frapper devant moi. Le mouvement circulaire aveugle de la lame fit reculer sa cible qu'elle semblait avoir atteint puisqu'un feulement douloureux s'éleva aussitôt.
Je pus me redresser un peu et mieux voir autour de moi. Mon compagnon s'était replié, son regard noir exprimant une haine profonde. J'étais parvenue à lui entailler la joue et désormais des perles de sang roulaient sur son teint doré.
Ainsi donc, il pouvait aussi saigner...
Déstabilisé par mon attaque, le télépathe n'eut pas le temps de répliquer. Je parvins à inverser nos positions pour me placer au-dessus de lui, le menaçant de la dague.
Il m'avait dit contrôler son don suffisamment pour maîtriser ce qu'il percevait et ne pas se laisser envahir par les pensées et les émotions de chacun. Mais peut-être qu'en cet instant, il n'était pas apte à empêcher sa télépathie de capter tout ce que je pourrais lui envoyer.
Il fallait quelque chose d'assez fort pour le ramener sur terre.
Alors que mon compagnon se débattait sous moi, assénant des tas de coup dans mes ventres dans l'espoir de me faire basculée, encore sous la menace de ma lame qui était à deux doigts d'entailler la chair de sa gorge, je fermai les yeux, me concentrant sur tout ce que je pouvais ressentir.
Lui envoyer de la haine, du désespoir ou de la peur ne servirait pas, quand bien même il s'agissait des émotions qui prédominaient au fond de mon cœur, taillant mon palpitant en charpie. Le Mal s'en nourrissait comme un verre au cœur d'une pomme, pourrissant de l'intérieur le fruit. Ainsi fonctionnait le Mal.
Alors je dus songer à autre chose. Ouvrir mon cœur, lui offrir l'accès à tout ce qu'il s'y cachait... À la confiance que je plaçais en lui, malgré ses trahisons, et à l'attachement que je lui vouais, dans un lien de dépendance presque maladif, alors qu'il représentait en ce lieu, mon seul pilier, mon seul appui. Au désir, brûlant, ardant, qui bouillonnait parfois entre nous, prêt à nous dévorer dans un brasier destructeur et pourtant, si tentant... Tentant parce qu'alors, rien ne semblait exister hormis nous. Ce désir que je devinais, ce désir qu'il savait.
Et enfin, j'essayai de lui transmettre l'espoir. L'espoir qui était, à mon avis, le sentiment le plus humain. Le sentiment qui permettait de tenir bon, même dans les ténèbres les plus obscures, même dans la douleur la plus forte, mais dans le malheur le plus saisissant. L'espoir. L'espoir d'un jour être libre, d'un jour, venger sa mère, d'un jour, ne plus avoir à craindre Regana et ses lois. L'espoir qu'il était pour moi, l'espoir que j'étais pour lui.
Mon espoir. Son espoir. Cristallisé en nous.
Je laissai toutes ces émotions m'envahir, nouant ma gorge, faisant monter mes larmes aux yeux tant leur douceur était douloureuse. Je priai pour qu'il les ressente à son tour, pour qu'il les perçoive et pour qu'elle chasse en lui le mal, afin de laisser l'homme refaire surface.
Je t'en prie Carmine, reviens à moi, sale imbécile !
Ma main tremblait autour du manche du poignard, tant et si bien que j'étais à peu près certaine qu'il aurait été bien trop aisé de me désarmer. Je m'accrochai avec tant de ferveur à mon propre espoir que je n'avais plus conscience de rien, toutes sensations ayant disparu.
Soudain, je sentis des doigts effleurer mon visage, doucement, me ramenant à la réalité. Puis une voix grave, éraillée et vacillante s'éleva :
— Petite diablesse...
Je rouvris aussitôt des paupières pour tomber sur deux iris d'un violet si profond qu'il paraissait presque irréel. Une vague de soulagement déferla sur moi, me terrassant presque. Ce fut comme si toute l'adrénaline retomba à cet instant, me laissant sans force, sans énergie, en proie à une lassitude soudaine. Je me laissai tomber sur le côté, au sol, libérant mon compagnon. La dague m'échappa des mains, dans un tintement métallique.
Mon cœur battait à un rythme effréné dans ma poitrine et j'étais tant essoufflée que ma respiration erratique résonnait dans la petite chambre. J'avais l'impression que des langues de feux léchaient mes poumons et que jamais ils ne parviendraient à respirer correctement à nouveau. Je m'appuyais contre le lit, la tête renversée en arrière.
Que venait-il de se passer exactement ?
J'allais encore avoir des ecchymoses monstrueuses...
Mais au moins étais-je vivante.
— Purée, j'en ai marre de risquer ma vie à chaque instant... râlais-je, dans un grognement désarticulé, paupières à moitié-closes.
Cela faisait bien trop de sensations fortes... Heureusement que mon corps était profondément endormi... Autrement, ces péripéties auraient tôt fait de me réveiller. J'eus une petite pensée pour mon enveloppe charnelle qui devait subir les mêmes affres que mon âme, sous les yeux médusés des médecins...
Petit à petit, mon cœur avait retrouvé un rythme normal. Mais désormais j'étais éreintée. Exténuée. Je ne rêvais que d'une chose, dormir. Sombrer dans des limbes obscures, sans enfer, sans damnation et, si mon esprit le voulait bien, sans cauchemar. Toutefois ce n'étais pas encore le moment et si je voulais avoir une chance de me libérer de Regana, chaque minute était précieuse. Il ne fallait en perdre aucune.
Relevant les paupières, je penchai la tête sur le côté pour observer Carmine qui semblait se remettre lui aussi difficilement de cet instant d'égarement. Sa pommette était toujours entaillée et une traînée de sang salissait toujours sa joue. Un instant, il passa la main dessus, tentant de s'essuyer, avant de grimacer. De tous les coups que j'étais parvenue à lui asséner, celui-ci était le seul dont il semblait se soucier, peut-être parce qu'il avait été causé par une lame enduite d'orchidée Dracula, qu'il m'avait décrit comme un répulsif à démon.
Assis à même le sol, le jeune homme passa une main dans ses cheveux, l'air encore éberlué. Au moins ses yeux avaient-ils retrouvé leur couleur naturelle... Je n'avais jamais été aussi heureuse de voir du violet qu'en cet instant. Toutefois, même si je ne saurais dire quoi, quelque chose avait changé chez lui. Dans son aura... Que s'était-il passé avec son père ?
Loin de m'offrir des réponses, il se tourna envers vers moi, affichant une expression soucieuse.
— Tu n'as rien ? interrogea-t-il, à voix basse.
Je frémis à l'entente de son ton. Il y avait quelque chose dans cette sollicitude qui me perturbait profondément. Quelque chose qui remuait au fond de moi. Si je n'avais rien ? J'avais les membres en compote, des tas de nouveaux bleus et sûrement frôlé une crise cardiaque. Mais un éclat dans son regard m'empêcha de formuler la moindre plainte. Un éclat qui ressemblait bien trop à la culpabilité. Une culpabilité déjà dévorante. Et je me surpris à avoir pitié.
— Je pète la forme, ça se voit non ? J'ai réussi à te battre après tout !
Je mentais comme une arracheuse de dent, un rictus moqueur aux lèvres alors que mes mains tremblaient toujours. Mais au moins, mon ironie eut le mérite de lui arracher un léger rire.
Sa main se posa sur mon genou, avec hésitation. Voyant que je ne le repoussai pas, il le pressa doucement. Pendant quelques secondes, nos regards ne se lâchèrent pas. Nous nous toisions, dans un silence presque religieux, sans que sa paume ne quitte ma jambe. Je ne sus qui de lui ou de moi avait le plus besoin de ce contact. Mais je ne bougeai pas, me contentant de savourer la douce chaleur qui émanait de ses doigts et qui venait chatouiller mon ventre avant de remonter pour atténuer les peines de mon cœur.
Bien sûr, Carmine ne s'excusa pas pour m'avoir attaquée. Je n'attendais même pas à ce qu'il le fasse, à vrai dire. J'avais compris depuis longtemps que c'était une chose qu'il se refusait à faire. Et puis pour être honnête, je doutais que Regana puisse enseigner à dire pardon. À Regana, on ne s'excusait pas. On prenait ce qui nous faisait envie, on tuait si on le voulait et on n'avait de compte à rendre à personne.
Un jour peut-être, lui apprendrais-je à formuler des excuses.
Petite idiote, si vous vous en sortez, tu n'auras pas l'occasion de lui apprendre quoique ce soit !
Je récupérais la dague. Un reflet écarlate attira mon attention et je grimaçai en reconnaissant le sang du jeune homme. Je l'avais échappé belle...
— Que s'est-il passé ? m'enquis-je, la voix rauque.
Sa poigne autour de mon genou se crispa, trahissant la tension qui l'habitat soudain. Ses yeux se posant sur un point inexistant, face à lui, il raconta, dans un rictus amer :
— Mon père m'a envoyé dans la forêt obscure, lieu de passage entre la terre et Regana. J'ai conclu son maudit pacte. Et après ça... Je me rappelle simplement d'un pouvoir déferlant, dévastateur.
Mutique, je l'écoutai, visualisant presque ma mère se retrouver elle-même dans cette forêt obscure, décrite par Dante, passant son pacte avec le mal incarné... Imaginer celui qui était presque devenu un ami reproduire le même chemin que son père me glaçait. Les intonations sinistres de sa voix résonnaient en moi, en un écho funeste, tandis qu'il poursuivait :
— Alors même que je venais de condamner un innocent au désespoir éternel pour l'avarice d'un autre, tout ce que je ressentais, c'était une puissance incroyable, la capacité de tout faire plier face au mal... Et l'envie de recommencer. Je voulais recommencer, propager encore le malheur, la haine, le crime...
Un nœud s'était formé dans ma gorge, m'empêchant de déglutir correctement. Cette noirceur qu'il m'exposait, cette cruauté qu'il révélait me donnait mal à la tête. Ce n'était qu'un centième de ce que devait ressentir Regana lui-même. Et s'il prévoyait de transformer son fils en un être aussi mauvais, cela débutait bien. En passant ce premier pacte, Carmine avait ouvert son âme au mal et celui-ci s'y était engouffré sans la moindre hésitation.
Je voulais savoir en quoi il consistait. Je voulais savoir à quoi correspondait ce premier pas vers le mal. C'était plus fort que moi.
— Quels étaient les termes du contrat ?
Il ne répondit pas. Au lieu de quoi, il se releva, secouant ses vêtements pour tenter de remettre de l'ordre dans sa tenue. Je ravalai ma frustration. Les contrats, les pactes, pouvaient couvrir tout et n'importe quoi. Et si j'avais bien compris une chose, c'était qu'une âme pouvait être vendue pour honorer la dette d'un autre. Cette idée me révulsait de l'intérieur et me filait la nausée.
Mais je n'y pouvais rien.
Alors que j'imitai mon compagnon, mes muscles tiraillés par notre affrontement récent protestèrent douloureusement. Mon abdomen était si sensible que le moindre mouvement ressemblait à une torture. Je dus planter mes dents dans ma langue pour ne pas lâcher un juron gémissant.
Je ne pouvais même pas l'effleurer sans raviver la douleur des ecchymoses.
Mais finalement, ce n'était pas grand-chose face à ce que j'avais déjà pu vivre.
Carmine m'obligea à lui faire face, ses traits marqués par tant de sérieux que je frémis. Il chercha mon regard du sien, le soutenant sans faillir, avant de souffler, d'une voix si sombre, si caverneuse qu'elle résonna jusqu'au plus profond de mon âme :
— Je voulais te faire souffrir, Sam'. C'était plus fort que moi. Ça venait du fond de mes tripes. Je voulais que la petite damnée que tu es souffre plus que tout.
Il décala une épaisse mèche rousse qui tombait devant mes yeux, sa paume épousant l'espace d'un instant la forme de ma mâchoire, ses doigts se glissant derrière mon oreille pour venir s'entortiller dans mes cheveux tandis qu'il encadrait mon visage dans un geste surprenant. Malgré la douce chaleur qui irradiait de son contact et ma respiration qui se fit plus rare, je levai le menton pour soutenir son regard, tandis qu'il fronçait les sourcils, l'air pensif. Il y avait en cet instant, sur son visage, une expression indéchiffrable. Ses traits étaient tirés et son regard améthyste sombre me scrutait d'une étrange manière. Ses lèvres pincées finirent par se tordre dans un étrange pli tandis qu'il murmurait, presque pour lui-même :
— J'avais pourtant promis que je ne te ferai pas de mal...
Lentement, j'entourai son poignet de mes doigts sans pourtant lui intimer de retirer sa main. Je sentais, chose curieuse, son pouls battre sous sa peau, dans ses veines. Le sang qui y pulsait était une chose si humaine, si mortelle, que retrouver cette sensation chez cet être qui jusque-là me paraissait presque irréel me petrifia toute entière, un frisson brûlant dévalant mon échine. Je soupirai, lui offrant un faible sourire :
— Tu n'es pas doué pour tenir tes promesses.
— Il est évident que non. »
Et pourtant, j'étais encore assez naïve pour continuer à me fier à lui. Je savais que j'en souffrirai encore. Mais j'étais déjà trop enfoncée en enfer pour faire autrement. Carmine était un havre, un port ou amarrer ma barque naufragée. J'étais enchaînée à lui par plus qu'une alliance. Ma vie entière dépendait de lui. De lui et de sa réussite.
Ma vie et mon coeur.
Je m'attendais à devoir lutter encore. Il restait une dague à trouver, un seigneur du Mal à anéantir et une jumelle maléfique à tuer. Mais nous étions sur une bonne piste ! Nous finirions par trouver. Je finirais par trouver !
Alors, lentement, ma prise autour du poignet de mon compagnon se raffermit, comme pour lui transmettre ma détermination. Un éclat de compréhension s'embrasa dans son regard. Et, à ma grande surprise, il effectua un geste auquel je ne m'attendais pas.
Se penchant légèrement en avant, ses lèvres effleurèrent le sommet de mon crâne, tandis que ses doigts s'enfoncèrent plus encore dans ma chevelure, raffermissant sa prise. Je sentais son souffle contre ma peau et ses lèvres remuer, sans produire le moindre son.
Et à travers son geste, je pus presque entendre le merci silencieux qu'il m'adressait.
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